L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion du sénateur Francis, que j’appuie pleinement :
Que le Sénat confirme et honore la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall, et qu’il invite le gouvernement du Canada à en faire autant en respectant le droit des traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761 et comme le garantit l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;
Que le Sénat condamne les gestes violents et criminels qui entravent l’exercice des droits issus de traités et exige le respect ainsi que l’application dans l’immédiat des lois criminelles du Canada, ce qui comprend la protection des pêcheurs et communautés mi’kmaq.
Tout d’abord, je tiens à féliciter le sénateur Francis de son initiative et du travail qu’il a accompli avec le sénateur Christmas pour défendre la cause des pêcheurs autochtones, non seulement dans les provinces de l’Atlantique, mais partout au Canada.
Bien entendu, il s’est passé beaucoup de choses depuis que le sénateur Francis a présenté la motion. Aujourd’hui, la situation des pêches n’est plus du tout la même dans le Canada atlantique. Toutefois, il demeure qu’il faut vivre en paix les uns avec les autres, dans le respect — chose avec laquelle est d’accord la vaste majorité des Canadiens autochtones et non autochtones.
Les événements du mois d’octobre dernier sont inacceptables. Les gestes de ces quelques personnes sont aussi répugnants aux yeux de la grande majorité des Néo-Écossais qu’aux yeux des sénateurs de cette Chambre de second examen objectif. Il incombe aux forces de l’ordre d’assurer le maintien de la paix et la sécurité de tous les citoyens. Le recours à la violence et à l’intimidation devrait être condamné par tous.
Chers collègues, nous ne devons pas oublier la voie que nous avons récemment empruntée pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits issus des traités des Premières Nations, des Inuits et des Métis, comme l’a expliqué la sénatrice Dupuis. Il est important de souligner que les droits des Autochtones ne faisaient pas partie des premières discussions sur le rapatriement de la Constitution. Les consultations auprès des Premières Nations n’avaient pas eu lieu au début de ces discussions. Il a fallu des manifestations pour convaincre les législateurs de la nécessité d’inclure les Premières Nations dans la Loi constitutionnelle de 1982 afin de protéger leurs droits issus des traités.
Je le signale parce que, depuis 1982, nous assistons à une succession de recours judiciaires, la plupart portant sur le droit de pêcher des Autochtones. C’est ainsi que plusieurs arrêts ayant fait école ont été rendus par la Cour suprême, notamment sur les droits constitutionnels des Autochtones et l’atteinte à ces mêmes droits, comme la sénatrice Dupuis vient d’en parler. Je pense entre autres à l’arrêt Sparrow, qui a été rendu en 1990 et qui fut la première cause jugée après le rapatriement de la Constitution, ou encore aux arrêts R. c. Van der Peet, en 1996, R. c. Gladstone, en 1996 et, bien entendu, R. c. Marshall, en 1999. Chaque fois, la Cour suprême s’est employée à interpréter l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Elle a aussi interprété une série de traités, même si, dans ce cas, je crois que, faute de leadership de la part du fédéral, elle a embrouillé la situation plus qu’autre chose et créé un régime fondé sur les espèces, les traditions et la conservation, pour ne donner que quelques exemples.
L’arrêt R. c. Marshall et le jugement subséquent ont confirmé que les traités confèrent bel et bien aux Mi’kmaq le droit de pêcher si c’est pour en tirer une « subsistance convenable », sous réserve d’une surveillance de la part du ministère des Pêches et des Océans dans un but de conservation.
Honorables sénateurs, quand Donald Marshall a décidé de pêcher l’anguille, il ne voulait pas seulement assurer la subsistance de sa famille, mais de tout son peuple. Tout ce qui est arrivé depuis 1999 est inacceptable, et les gouvernements qui se sont succédé depuis ont complètement manqué de leadership, ce qui a contribué à l’érosion de la confiance entre les Autochtones, les pêcheurs commerciaux et le ministère.
Comme l’a dit la sénatrice Cordy dans son discours sur cette motion :
[…] il y a maintenant 21 ans que l’arrêt Marshall a affirmé la validité des droits issus de traités des Mi’kmaqs quant à la possibilité de pêcher pour s’assurer une subsistance raisonnable. Les uns après les autres, les gouvernements fédéraux ont tout fait pour ne pas régler directement ces questions, et il est maintenant temps que le gouvernement fédéral agisse en leader.
Je fais écho aux observations de la sénatrice Dupuis sur la responsabilité du gouvernement de négocier. À mon avis, des négociations constructives entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations seraient de loin préférables à d’autres procédures judiciaires, qui, comme nous avons pu le constater, ne donnent pas de résultats satisfaisants sur le terrain. En fait, ce serait un aspect très important de la « réconciliACTION » sur le chemin vers une réconciliation s’appuyant sur des bases solides.
Comme l’a dit le sénateur Francis dans son discours :
Le gouvernement a promis d’établir une relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance des droits des Autochtones, le respect, la coopération et le partenariat. Ces paroles sont vides si elles ne mènent pas à des gestes concrets et à des résultats.
Même si je suis loin d’être une experte des pêches au Canada, je constate des intérêts communs entre les pêcheurs autochtones et commerciaux. Les océans contiennent d’abondantes ressources que tous peuvent se partager. Une véritable conservation de ces ressources est également dans l’intérêt de tous. Pour assurer la santé future du secteur des pêches, toutes les parties doivent travailler ensemble.
Comme nous l’avons entendu, les Mi’kmaqs pêchent dans les eaux de l’océan Atlantique depuis des milliers d’années. Comme le sénateur Francis l’a expliqué, la philosophie adoptée :
[…] gouverne la durabilité de notre récolte. Cette philosophie se fonde sur le respect et la gratitude envers toutes les ressources naturelles fournies par le Créateur. Il s’agit d’un code de conduite qui enseigne aux Mi’kmaqs à prendre seulement ce dont ils ont besoin pour le bien-être de la personne et de la communauté. Nous ne cherchons pas à surexploiter ni à épuiser les ressources naturelles. Nous sommes les gardiens des connaissances traditionnelles et les défenseurs sacrés de la terre et des ressources.
Dans le cadre du projet de loi C-55, que j’ai parrainé lors de la dernière législature, des fonds ont été réservés pour permettre aux Autochtones de donner leur avis sur la gestion des zones de protection marine. Lorsqu’on a discuté du projet de loi avec des universitaires qui ont étudié l’Arctique, il est devenu très évident que le savoir traditionnel autochtone faisait partie intégrante de leurs projets de recherche sur l’Arctique. Le savoir et les traditions que les peuples autochtones ont développés sur de nombreuses années peuvent aussi être pris en considération dans la gestion des pêches. Les deux vont de pair.
Honorables sénateurs, nous avons vu les droits traditionnels des Premières Nations être reconnus à maintes reprises, que ce soit dans le cadre des traités d’amitié conclus dans les années 1760 ou lors des très nombreuses décisions judiciaires prononcées en leur faveur au cours des dernières décennies, y compris celle rendue dans l’affaire Marshall. Six ans se sont écoulés depuis la publication des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Il ne nous reste plus qu’à honorer nos engagements d’une manière respectueuse qui permet aux Autochtones d’exercer leurs droits issus de traités sans crainte de violence sur les océans.
Il est temps que nous procédions au partage des ressources dont nous jouissons au Canada afin que nous puissions tous prospérer. Rappelez-vous le mantra de ma famille, que je répète encore une fois : « Tout le monde va mieux quand tout le monde va mieux. » C’est certainement vrai en l’occurrence. Merci.