L’honorable Pierre J. Dalphond : Je sais qu’il est tard et que nous avons presque terminé. Je sais aussi que ces manœuvres de dernière minute sont parfois prévisibles. Je ne suis pas totalement surpris.
Je n’avais pas préparé de texte. Je serai donc plutôt bref.
Le raisonnement qui sous-tend la proposition est erroné. On dit qu’il faut des non-juristes partout, et on donne des exemples à l’appui. On parle du Conseil de la magistrature de l’Ontario et de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Penchons-nous sur ces deux exemples.
Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a le pouvoir d’administrer le processus de plainte concernant les juges nommés par le gouvernement provincial de l’Ontario. Il peut recevoir une plainte, examiner le dossier et établir si une sanction s’impose ou s’il faut tenir des audiences publiques. Si on tient des audiences publiques, on peut proposer de démettre le juge de ses fonctions.
Comme le sénateur Gold l’a indiqué, une fois ce processus terminé, le juge peut demander une révision judiciaire à la Cour supérieure de l’Ontario, car, une fois que le tribunal administratif a terminé son processus, le juge peut s’adresser à la Cour supérieure. Le dossier sera envoyé à la Cour divisionnaire de l’Ontario, composée de trois juges. La Cour procédera à la révision judiciaire et établira si la décision doit être annulée ou confirmée; elle n’est pas vraiment confirmée, mais elle devrait l’être. Si on juge que la décision est déraisonnable ou qu’elle s’appuie sur un motif non fondé en droit, et qu’on devrait donc l’annuler et renvoyer l’affaire au comité, alors ce dernier devra rendre une nouvelle décision.
La sénatrice Batters nous propose d’ajouter des non-juristes à la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario parce que des juges seuls ne suffisent pas et qu’il faut que des non-juristes participent à la prise de décisions pour que la population ait confiance dans le système. C’est une avocate, et elle a dit que les avocats pouvaient faire des erreurs de temps en temps. C’est une proposition très intéressante, et cela confirme peut-être ce qu’elle a dit au sujet des erreurs.
Prenons le cas des commissions de sécurité au travail en Ontario ou au Québec. Il est vrai qu’elles sont composées d’un avocat assisté d’un représentant de l’employeur et du représentant de l’employé ou du syndicat — en Ontario, au Québec et dans la plupart des provinces. Cet organe est composé de non-juristes et d’experts ayant une formation juridique. Ses décisions peuvent être infirmées, confirmées ou annulées par un tribunal. La révision judiciaire s’effectue soit devant la Cour supérieure du Québec, soit, en Ontario, devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui renvoie l’affaire devant la Cour divisionnaire de l’Ontario, où trois juges entendent l’affaire et décident si la commission a mal analysé les faits ou mal interprété la loi.
La sénatrice Batters propose que la Cour divisionnaire de l’Ontario comprenne un non-juriste parce que nous avons besoin de non-juristes partout et que cela suscite la confiance dans le système. Très franchement, je crois qu’elle confond le rôle d’établissement des faits et d’évaluation des comportements, des conduites et des contextes, qui diffèrent du contrôle judiciaire.
Ce que nous essayons de faire avec ce projet de loi — au sujet du processus de plainte à l’encontre des juges —, c’est de dire que, oui, si vous êtes un juge, il peut y avoir une plainte contre vous, mais que cette plainte sera soumise au Conseil canadien de la magistrature. Tout d’abord, un agent de contrôle l’examinera. Plus de 50 % des plaintes seront rejetées à ce stade, parce que soit elles concernent un juge provincial, soit elles n’ont rien à voir avec le juge et elles concernent un policier ou un avocat, soit elles visent plutôt un motif d’appel et non quelque chose de nature disciplinaire.
Si la plainte est traitée et transmise au comité d’examen, celui-ci, en privé, à huis clos — afin de protéger la confidentialité et les renseignements personnels du juge, et conformément aux principes internationaux auxquels j’ai fait référence dans mon discours précédent à la troisième lecture — examinera le dossier et décidera si celui-ci doit aller de l’avant ou s’il doit être rejeté. Si le dossier va plus loin, il pourrait être envoyé à un comité d’audience publique. Ce comité d’audience public entendra les éléments de preuve, tranchera la question. Voilà le processus proposé. Un non-juriste fera partie du comité d’examen chargé de déterminer si l’affaire est suffisamment grave pour justifier la révocation du juge. Si le comité — qui comprend un non-juriste — conclut que l’affaire doit faire l’objet d’une audience publique, celle-ci sera confiée à un comité d’audience public composé notamment d’un non-juriste, qui déterminera si la révocation du juge est justifiée ou si la plainte doit être rejetée.
En cas de rejet de la plainte, le processus prend fin et le juge est, en principe, content. Si la plainte est considérée fondée et qu’on détermine que le juge doit être révoqué, le processus proposé confère au juge le droit d’en appeler de la décision devant un tribunal d’appel composé de cinq juges: trois juges en chef et deux juges puînés. Le Conseil canadien de la magistrature choisit donc trois des juges en chef qui le composent ainsi que deux des juges puînés inscrits sur la liste fournie par l’Association canadienne des juges des cours supérieures.
Ainsi, un comité composé de cinq magistrats décidera si le comité d’audience a commis une grave erreur dans les faits ou une erreur de droit. C’est exactement ce que fera la Cour divisionnaire en Ontario, ce que fera la Cour d’appel en Ontario, ce que fera la Cour d’appel du Québec, et ce que fera la Cour d’appel fédérale. Cependant, ce comité composé de cinq juges remplacera la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, soit trois ans de procédure. Tout cela sera remplacé par ce comité composé de cinq juges. Cela revient donc à remplacer une procédure effectuée par un juge et une procédure effectuée par trois juges par une procédure effectuée par cinq juges.
Or, la sénatrice Batters n’est pas d’accord. Elle s’oppose à l’idée d’un examen effectué par cinq juges, et préconise plutôt l’intervention de trois juges : deux juges en chef, un juge puîné, un profane, et un avocat. Procédons ainsi avant de renvoyer l’affaire à la Cour d’appel fédérale, où trois juges seront chargés de la réexaminer.
C’est un gaspillage de l’argent des contribuables. Cela prend du temps, et c’est contraire au principe visé, qui est de simplifier le processus. Après l’étape de l’audience, on passe à la cour d’appel spécialisé constituée de cinq juges, puis, si la permission est accordée, le juge peut s’adresser à la Cour suprême du Canada. C’est contraire au principe même de ce que nous essayons de faire ici depuis quatre ans.
J’admire la ténacité de la sénatrice et sa capacité à soulever ces amendements, de temps en temps, mais je pense que le moment est venu de les rejeter et de passer à l’étape finale de ce message. Merci.