Le sénateur Dalphond à la troisième lecture du projet de loi C-69, Loi no 1 d’exécution du budget de 2024

Par: L'hon. Pierre Dalphond

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Parliament Hill from across the Ottawa River, Ottawa

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole brièvement au sujet du projet de loi C-69, le plus récent projet de loi omnibus d’exécution du budget présenté par le gouvernement.

Je me concentrerai sur la section 38 et la section 39 de la partie 4 à propos des immigrants et des réfugiés, et sur les modifications connexes que le Comité des finances de la Chambre a apportées lorsqu’il a étudié les préoccupations soulevées par beaucoup de gens, y compris au Sénat.

En m’inspirant de la méthode fort appréciée du sénateur Cotter, je vous annonce que j’aborderai trois sujets : premièrement, quelques observations générales sur le projet de loi C-69 et les projets de loi omnibus d’exécution du budget; deuxièmement, les modifications que l’autre endroit a apportées aux sections 38 et 39; troisièmement, une meilleure pratique du Sénat en lien avec les projets de loi omnibus d’exécution du budget — la formule Hayden —, par rapport au moment où nous menons des études préalables et où le vote article par article a lieu à l’autre endroit.

En général, comme je l’ai dit mardi à propos d’un autre projet de loi omnibus d’exécution du budget présenté par le gouvernement — le projet de loi C-59 —, ce projet de loi perpétue la mauvaise habitude du gouvernement d’inclure de nombreuses mesures non financières dans un projet de loi d’exécution du budget.

Dans le projet de loi C-69, ces mesures se trouvent dans la partie 4, qui est intitulée « Mesures diverses ». La partie 4 inclut 43 sections et compte plus de 140 pages. Ces mesures modifient plus d’une trentaine de lois, y compris le Code criminel.

Comme le mentionne le rapport qui a suivi l’étude préalable du Comité des affaires juridiques, qui a étudié plusieurs sections du projet de loi C-69 se trouvant dans la partie 4, et je cite :

Le comité réitère les préoccupations dont il avait fait état dans son dernier rapport sur un projet de loi d’exécution du budget […] en ce qui concerne des changements et ajouts substantiels aux lois pénales, et autres, proposés dans ce genre de mesure législative omnibus. Les modifications aux lois pénales soulèvent d’importantes questions constitutionnelles et juridiques qui nécessitent une étude minutieuse en comité et un débat approfondi au Sénat.

Le comité est préoccupé par le fait qu’il n’y a pas eu suffisamment de temps ou d’occasions de recueillir des témoignages pour analyser en profondeur les dispositions du projet de loi C-69 qui lui ont été renvoyées, ainsi que les répercussions ces changements proposés. Cela ne rend pas service au processus législatif et au mandat du comité qui comprend l’examen des affaires juridiques et constitutionnelles. […]

Lors de son témoignage devant le comité, le ministre Virani a expliqué que l’inclusion de ces points non financiers dans le budget a été causée par l’obstruction parlementaire survenue à la Chambre des communes. Cela est malheureux, car le comité a été forcé de travailler dans le cadre d’un régime d’examen législatif restreint, adapté aux circonstances politiques actuelles à la Chambre des communes, ce qui entrave la capacité du Sénat à réaliser adéquatement un « second examen attentif ».

L’argument du gouvernement minoritaire ne sera peut-être plus pertinent après les prochaines élections, mais, selon moi, la volonté d’utiliser des projets de loi omnibus pourrait subsister. Le temps est peut-être venu pour le Sénat d’envisager d’exercer ses pouvoirs constitutionnels en amendant ce genre de projets de loi.

En 2016, le représentant du gouvernement de l’époque, le sénateur Harder, a proposé au Sénat un amendement au projet de loi d’exécution du budget C-29 pour supprimer une mesure prévoyant d’appliquer uniformément des mesures de protection des consommateurs dans le secteur bancaire dans l’ensemble du pays, à la suite des arguments qu’André Pratte, ancien sénateur du Québec, a fait valoir au sujet de la compétence provinciale en matière de protection des consommateurs. Ce changement est un excellent exemple de second examen objectif à l’ère de l’indépendance du Sénat.

Je passe maintenant à mon deuxième point sur les modifications que la Chambre des communes propose aux sections 38 et 39 en ce qui concerne l’immigration.

Dans la version initiale du projet de loi C-69, la section 38 contenait des propositions visant à rationaliser le processus de détermination du statut de réfugié et le processus de renvoi. Au Comité des affaires sociales et au Comité des finances nationales, des fonctionnaires ont présenté cela comme une façon de rationaliser le processus et de rendre la Commission de l’immigration et du statut de réfugié plus efficace, quitte à devoir sacrifier certains droits fondamentaux.

Selon l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, les modifications proposées auraient désavantagé de façon disproportionnée les réfugiés et les immigrants vulnérables, comme les personnes atteintes de troubles de santé mentale, les personnes ayant subi des traumatismes et les personnes en situation de logement précaire.

Dans son rapport d’étude préalable, le Comité sénatorial des affaires sociales a recommandé le retrait de la section 38 du projet de loi C-69. Par conséquent, j’ai été ravi de voir le Comité des finances de la Chambre des communes la supprimer.

Passons maintenant à la section 39. Elle contient des propositions concernant l’hébergement de détenus de l’immigration présentant un risque élevé dans des postes spécialement désignés qui seront situés à l’intérieur de pénitenciers.

Voici ce qu’ont dit les anciens ministres libéraux Lloyd Axworthy et Allan Rock au sujet de ces propositions :

Dans la foulée du lancement de la campagne #BienvenueAuCanada, dirigée par Amnistie internationale et Human Rights Watch, les 10 provinces se sont engagées à mettre un terme à l’utilisation de prisons provinciales pour la détention d’immigrants. Ce faisant, beaucoup de représentants des gouvernements provinciaux ont exprimé de graves préoccupations à l’égard de violations des droits de la personne. Depuis deux ans, des centaines d’avocats, d’universitaires, de fournisseurs de soins de santé et de membres de groupes confessionnels, de même que des particuliers ayant de l’expérience en matière de détention d’immigrants et des dizaines de chefs de file canadiens et d’organismes internationaux demandent au gouvernement fédéral de mettre un terme à l’utilisation de prisons pour la détention de personnes dont la demande d’immigration est en cours de traitement.

Ils ont ajouté ceci :

La détention — en particulier dans les prisons — des personnes qui ont subi un déplacement ne fait qu’aggraver le traumatisme que bon nombre d’entre elles ont subi. La voie qui mène à une société accueillante n’est pas pavée de violations des droits de la personne. Il faut investir dans les gens, pas dans les prisons. Il est temps que le gouvernement fédéral suive le mouvement.

Ce sont les paroles de ces deux anciens ministres.

Après avoir entendu de nombreux témoins, dont l’ancien ministre Rock, pendant plus de trois heures, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants a recommandé le retrait de cette section du projet de loi. Il a fait cette recommandation dans son rapport sur l’étude préalable de certaines parties du projet de loi C-69. Au début du mois de juin, j’ai donné préavis d’une motion, appuyée par le sénateur Tannas, visant à inviter la Chambre des communes à envisager la suppression de la section 39 de la partie 4 du projet de loi C-69. Ainsi, cette mesure controversée aurait au moins pu être étudiée séparément.

Le 4 juin, le Comité des finances de la Chambre des communes a consacré une journée entière au projet de loi C-69. Vous auriez dû voir cela. C’était très intéressant. Je suis content que nous traitions les projets de loi omnibus en envoyant leurs parties distinctes à différents comités et que nous procédions à un examen sommaire, mais approfondi. Ce n’est pas nécessairement ce qui se passe à l’autre endroit.

Ce jour-là, les députés ont adopté deux amendements proposés par le NPD pour améliorer la section 39, en réponse, de l’aveu même du secrétaire parlementaire Ryan Turnbull, à des préoccupations soulevées par de nombreuses parties prenantes et par des parlementaires, dont des sénateurs.

Le premier amendement adopté à l’unanimité établit des mesures de protection, notamment des critères prévus dans la loi qui définissent un détenu à haut risque, comme des condamnations antérieures, des accusations qui pèsent contre lui au Canada ou ailleurs pour une infraction sexuelle, une infraction avec violence ou une infraction commise avec une arme, des liens avec une organisation criminelle ou un comportement violent à l’égard du personnel ou d’autres détenus de l’immigration. L’amendement prévoit aussi des exclusions pour les mineurs, de même que l’obligation, pour le ministre de la Sécurité publique, d’informer une personne qui doit être détenue dans un poste d’attente des motifs justifiant cette décision ainsi que de son droit de consulter un avocat, de fournir des raisons pour lesquelles le ministre ne doit pas donner suite aux décisions envisagées et, si le ministre choisit de donner suite à ces décisions, d’obtenir par écrit les raisons qui font qu’elle doit être placée dans un poste d’attente.

Autrement dit, les amendements ont mis en place une section sur l’application régulière de la loi, ce qui transforme la décision d’un agent en une décision ministérielle. Cette décision doit se limiter à certains motifs et être justifiée, et elle peut faire l’objet d’une révision par un tribunal indépendant et d’une révision judiciaire par la Cour fédérale, au besoin.

Chers collègues, à mon avis, ces amendements améliorent considérablement la section 39. Bien sûr, ils ne règlent pas les vrais problèmes touchant les réfugiés et les immigrants, mais ils améliorent la situation par rapport à ce que le gouvernement proposait initialement dans cette section. Je suis reconnaissant envers nos collègues du Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants d’avoir passé plus de trois heures à convoquer et à écouter des témoins, puis d’avoir invité la Chambre des communes à supprimer la section 39 ou, au moins, à la modifier.

En outre, je note que le projet de loi C-20, dont nous faisons actuellement l’étude en deuxième lecture, propose une surveillance indépendante de l’Agence des services frontaliers du Canada, ce qui devrait — je l’espère — offrir certaines protections aux détenus de l’immigration.

En conclusion, lorsque les comités sénatoriaux ont véritablement l’occasion d’effectuer une étude préalable d’un projet de loi omnibus, cela leur permet de communiquer leurs conclusions à l’autre endroit. Toutefois, cela doit être fait bien à l’avance.

En effet, en 2017, nos efforts pour modifier le projet de loi omnibus d’exécution du budget C-44 ont aussi été couronnés de succès. La Chambre des communes y avait apporté des amendements après que le Sénat eut plaidé en faveur de l’indépendance accrue du directeur parlementaire du budget, à l’initiative de l’ancien sénateur Joe Day, notre regretté collègue, pour qui nous tiendrons une célébration de la vie demain, au Nouveau-Brunswick.

Voilà mon troisième point.

Il y a là quelque chose que nous devrions explorer. Cette façon de procéder me fait penser à ce que La procédure du Sénat en pratique appelle la « formule Hayden ».

Au cours des années 1970, une importante contribution du Sénat au processus législatif fut l’« examen préalable » de projets de loi encore à l’étude à la Chambre des communes. Permettant le renvoi de la teneur d’un projet de loi à un comité du Sénat en vue d’un examen général, cette procédure est parfois appelée « formule Hayden », au nom du sénateur Salter Hayden qui en fut l’inspirateur. Au cours du processus d’examen préalable, le Sénat peut proposer des modifications au ministre responsable du projet de loi, lequel peut à son tour proposer des amendements à la Chambre des communes.

Bien sûr, cela signifie que nous passons à l’étude préalable d’un projet de loi en temps voulu, bien avant que la Chambre des communes passe à l’étude article par article.

Honorables sénateurs, comme beaucoup d’entre vous, j’ai des réserves au sujet du recours abusif aux études préalables pour précipiter l’adoption de projets de loi. Toutefois, dans le cas des projets de loi omnibus d’exécution du budget, mener de façon séquentielle certains travaux des comités du Sénat et de la Chambre des communes peut être pratique et donner de bons résultats, comme le montrent les sections 38 et 39 du projet de loi C-69. J’espère que le gouvernement actuel et les gouvernements futurs en tiendront compte s’ils ne veulent pas que le Sénat amende leurs projets de loi.

Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

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