L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour participer au débat sur l’interpellation du sénateur Harder entamée le 2 décembre 2021 au sujet de l’avenir de la Gendarmerie royale du Canada. C’est une importante discussion qui, à bien des égards, aurait dû avoir lieu il y a longtemps. J’espère que notre débat permettra de brosser un tableau clair et réaliste de notre GRC et lui garantir un bel avenir.
La GRC est un corps policier qui n’a pas son pareil ailleurs dans le monde. C’est notre force policière nationale, notre force policière fédérale. À certains endroits, c’est la force policière provinciale ou territoriale, voir le corps policier municipal. C’est aussi une force policière internationale par l’entremise de sa participation au réseau d’Interpol.
La Division Dépôt, l’École de la GRC, est l’une des plus prestigieuses académies de police au monde. De 1885 à 1920, ce fut l’administration centrale de la Police à cheval du Nord-Ouest, qui est par la suite devenue la Royale gendarmerie à cheval du Nord-Ouest. La Division Dépôt est l’endroit où chaque membre de notre police nationale a été formé depuis la création de la Police à cheval du Nord-Ouest en 1873, tout comme de nombreux policiers et enquêteurs des quatre coins du monde.
Les agents de la GRC et leur uniforme distinctif sont reconnus à l’échelle du monde entier comme symbole canadien, avec leur tunique rouge, leur stetson, leurs bottes Strathcona avec éperons et leurs culottes bleues avec une ligne jaune le long de la jambe. Au même titre que le multiculturalisme, les deux langues officielles, la feuille d’érable, nos édifices du Parlement, le sirop d’érable et les Rocheuses, la GRC fait partie de nos symboles d’identité nationale.
On sait aussi que les professionnels de notre corps policier national font preuve de courage chaque fois qu’ils revêtent leur uniforme, et que certains d’entre eux perdent même la vie dans l’exercice de leurs fonctions. Le décès de l’agente Shaelyn Yang à Burnaby, en Colombie-Britannique, nous l’a tragiquement rappelé le mois dernier.
Bref, la GRC occupe une place de choix dans l’histoire complexe et la culture de notre pays, en plus de contribuer à notre sécurité. Elle suscite toutefois certaines préoccupations, qui touchent son mandat, ses priorités, et son désir de défendre ses propres valeurs fondamentales. Tout cela soulève aussi des questions sur le milieu de travail de la GRC, l’influence du racisme systémique, les nombreux cas d’entorses aux protocoles établis et le harcèlement physique et sexuel qui sévit depuis des décennies, sans oublier la difficulté de recruter des candidats et des cadets. Ces préoccupations mènent à leur tour à une question plus générale portant sur la culture et la structure organisationnelle de la GRC; il faut également se demander si le mandat et les valeurs fondamentales de l’organisation pourront soutenir les objectifs et l’orientation stratégique désirés.
Par ailleurs, la GRC doit démontrer qu’elle procédera d’une façon qui reflète des valeurs et des gestes de réconciliation avec les peuples autochtones, et qui montre qu’elle reconnaît et comprend la véritable histoire du Canada. Je suis profondément convaincu que cette tâche n’exige pas un bond de géant. Il est temps d’examiner de plus près les problèmes qui sévissent à la GRC depuis des années tout en mettant à profit ses meilleures qualités. C’est ce qui guidera mes propos aujourd’hui.
Les problèmes à la GRC sont bien documentés. Comme le sénateur Harder l’a indiqué dans son discours l’année dernière, la GRC a fait l’objet d’un rapport bouleversant publié en 2020 par l’honorable Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada. Le rapport, intitulé Rêves brisés, vies brisées, présente les conclusions du juge Bastarache, qui s’est penché sur plus de 3 000 demandes d’indemnisation pour harcèlement sexuel et agression sexuelle soumises par des femmes membres de la GRC dans le cadre de l’entente de règlement Merlo Davidson. Les conclusions de ce rapport sont claires. Le rapport fait état d’un comportement toxique au sein du service de police et d’une culture malsaine à tous les échelons de l’organisation. Ces problèmes flagrants, systémiques et indéniables continuent de nuire à la GRC encore aujourd’hui.
Une indemnité a été accordée à 2 304 femmes dans le cadre de l’entente de règlement Merlo Davidson. Plus de 125 millions de dollars ont été payés à des femmes membres de la GRC qui ont souffert d’agressions, de harcèlement et de discrimination fondés sur le sexe.
Les changements se font toujours attendre. En juin dernier seulement, trois anciens juges fédéraux ont publié un autre rapport à la suite du règlement du recours collectif Tiller, intenté au nom de femmes qui ont collaboré étroitement avec la GRC et qui ont subi des agressions. Dans ce cas, 417 femmes se sont vu accorder près de 20 millions de dollars en dommages-intérêts pour les comportements de membres de la GRC dont elles ont été victimes.
Pour vous donner une idée de la gravité du problème, j’aimerais citer un extrait du rapport du juge Bastarache, où on peut lire ceci :
[…] la culture de la GRC est toxique et tolère la misogynie et l’homophobie dans tous les grades, dans toutes les provinces et tous les territoires. Cette culture ne reflète pas les valeurs déclarées de la GRC et se retrouve pourtant dans toute l’organisation. Les membres et les agents de la GRC sont forcés d’accepter de fonctionner dans le contexte de cette culture pour réussir. Les employés semblent blâmer les « brebis galeuses » sans reconnaître les origines systémiques et internes de cette conduite.
Honorables collègues, il faut remédier à l’incapacité de s’attaquer aux problèmes systémiques graves. Il faut agir, et le Sénat est bien placé pour contribuer à la correction des problèmes détectés par le juge Bastarache. Il n’est pas suffisant que le gouvernement fédéral prenne acte du rapport, puis passe à autre chose. Que ce soit clair, comme beaucoup d’autres, je veux que la GRC soit la fierté du Canada, et que d’autres pays s’inspirent de notre police nationale. Cela exigera des changements profonds et transformateurs. Une intervention chirurgicale radicale s’impose peut-être, mais il faut prendre soin de ne pas perdre le patient sur la table d’opération.
En tant que sénateurs, nous sommes bien placés pour contribuer à ce changement. Nous devrions utiliser cette position pour envisager un examen du rôle et du mandat de la GRC, comme le suggère l’interpellation du sénateur Harder. En outre, pour aller encore plus loin, nous pouvons encourager la création d’une image positive, claire et réaliste de l’avenir de la GRC et contribuer à redéfinir son orientation stratégique, de même que sa mission, sa vision, sa culture et sa structure organisationnelle, ainsi que revoir et réaffirmer ses valeurs fondamentales, renouvelées en juin 2022.
Malgré le travail considérable qui doit être fait, je veux souligner certaines des contributions positives de la GRC au Canada. Sa présence dans les Prairies est importante, et ma province, la Saskatchewan, a une longue et célèbre histoire avec l’organisation. J’en ai été le témoin en tant que directeur général du Centre du patrimoine de la GRC, auquel on envisage d’accorder le statut de musée national, ce que j’appuie fortement.
Le Centre du patrimoine de la GRC est un magnifique bâtiment qui loge un incroyable musée présentant la longue et riche histoire de la GRC. On y raconte la contribution de l’organisation à l’histoire du Canada et au développement du pays. C’est une capsule temporelle. Quand on voit les gens visiter le musée, on comprend à quel point les Canadiens sont fiers et respectueux de l’organisation et à quel point les visiteurs étrangers sont inspirés par la légendaire police montée.
L’un des plus grands privilèges de ma vie a été d’assister à des cérémonies des promotions pour des cadets ayant terminé leur formation et prêts à devenir des agents de la GRC. Je n’oublierai jamais l’émotion sur les visages des parents, des amis et des membres de la famille alors que les nouveaux gendarmes, portant l’uniforme qui symbolise la GRC et toutes les valeurs qu’elle défend, prêtent serment et s’engagent à exercer leurs fonctions. Ce qui est encore plus émouvant et inoubliable à une cérémonie des promotions, c’est lorsqu’un membre actif ou à la retraite de la GRC remet un insigne à son fils ou à sa fille d’âge adulte. Ces cérémonies me rappellent toujours l’importance de cette institution historique. Elles soulignent assurément l’honneur et la responsabilité qui sont conférés aux nouveaux gendarmes.
Le Centre du patrimoine de la GRC s’est aussi engagé sur la voie de la réconciliation, en collaborant avec des éducateurs, des aînés et des dirigeants autochtones pour bâtir sa stratégie de vérité et de réconciliation. L’organisation s’engage à donner suite aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi qu’aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées — elle se concentre sur des appels précis des deux rapports directeurs.
Le Centre du patrimoine de la GRC travaille également avec la Division Dépôt pour mettre en place un programme spécialisé de formation et d’enseignement culturel mené par des Autochtones afin de renseigner les cadets sur les collectivités où ils seront déployés. Voilà qui est prometteur.
Malheureusement, les membres de la GRC n’ont pas tous respecté les valeurs fondamentales, l’honneur et le code de conduite de la GRC. Cela me ramène à mon propos principal : le temps est venu de procéder à un changement radical. Je suis convaincu, comme le sénateur Harder, que nous devions nous appuyer sur ce que nous avons appris des études et des témoignages précédents pour aider notre corps de police nationale à emprunter une nouvelle voie : une voie qui reconnaît, honore et respecte son passé, qu’il s’agisse d’expériences positives, négatives ou difficiles; une voie qui redonne à la GRC la fierté et la réputation d’être un service de police national doté d’un sens aigu de l’honneur dans le plus grand respect de tous les citoyens; un service de police qui agit avec intégrité, qui fait preuve de respect et de compassion, qui assume ses responsabilités et qui sert avec excellence. Il est temps pour la GRC d’emprunter une voie qui suscite une fierté inébranlable chez les Canadiens et qui est une source d’inspiration pour les autres pays.
Je me réjouis que le gouvernement fédéral ait pris des mesures importantes. Il a présenté le projet de loi C-20 qui, s’il est adopté, établira une Commission d’examen et de traitement des plaintes du public qui remplacera l’imparfaite Commission civile d’examen et de traitement des plaintes. Ce projet de loi fait suite au rapport de 2021 du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, intitulé Racisme systémique au sein des services policiers au Canada. La création d’un organisme amélioré et indépendant d’examen et de traitement des plaintes constitue une étape importante pour rétablir la confiance du public envers la GRC. C’est un bon point de départ, mais il reste du travail à faire.
Je sais que la GRC peut devenir un modèle d’excellence en matière de services de police. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Il existe vraiment une base solide sur laquelle bâtir et beaucoup de capital subjectif dans le symbole que représente la GRC. Cependant, à mesure que le temps passe sans qu’aucun changement transformationnel ne soit apporté, ce capital diminue.
J’exhorte mes collègues à appuyer la proposition du sénateur Harder de créer un comité sénatorial spécial chargé d’étudier l’avenir de la GRC. Ce comité serait un outil important pour contribuer à corriger les injustices du passé et aider la GRC à effectuer un changement transformationnel indispensable et à mieux définir son rôle dans le Canada du XXIe siècle. À cette fin, nous pourrions tirer parti de l’expérience et de l’expertise de cette enceinte dans de nombreux domaines pertinents, notamment l’application de la loi. En outre, de nombreux législateurs au Sénat possèdent une solide expérience en matière de changement transformationnel et de collaboration avec d’autres dirigeants. Je sais qu’il s’agit d’un sujet difficile et que ce ne sera pas une tâche facile, mais là n’est pas la question.
Pour terminer, j’aimerais évoquer un événement récent et inoubliable pour la GRC sur la scène internationale. Comme nous le savons tous, la reine Elizabeth II est décédée le 8 septembre. Son décès a laissé le monde entier dans le deuil. Dans les jours qui ont suivi, un grand nombre de gens lui ont rendu des hommages et ont partagé des souvenirs et des témoignages pour honorer la mémoire d’une femme remarquable et d’un monarque de grande renommée. Des millions, voire des milliards de personnes ont assisté à ses funérailles d’État.
De nombreux Canadiens qui regardaient les funérailles depuis chez eux ont été frappés par le fait que le cortège funèbre était précédé par des agents en uniforme de la Gendarmerie royale du Canada, la police nationale du Canada, montés sur leurs magnifiques chevaux noirs. À ce moment-là, je crois que le Canada a éprouvé un vif sentiment de fierté. Ce moment de fierté représente tout ce qu’est la GRC, mais ce n’est pas tout ce qu’elle peut être. J’espère que nous aurons le courage de l’aider à s’orienter vers une nouvelle voie.
Merci, hiy kitatamihin.