L’honorable Rodger Cuzner : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en réponse au discours du Trône. Il s’agit de mon discours inaugural.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Cuzner : Merci. Comme je l’ai dit aux sénateurs Harder et Kutcher, modérez vos attentes.
Le discours du Trône a été prononcé il y a un certain temps, soit le 23 novembre 2021. Ce délai peut sembler important, mais, à en juger par certaines des observations que j’ai entendues de la part des sénateurs d’en face concernant les délais de réponse aux questions, il n’est probablement pas déraisonnable.
Premièrement, je tiens tout d’abord à offrir mes sincères remerciements à l’Administration du Sénat. D’un bout à l’autre, l’équipe responsable d’appuyer l’entrée en poste des sénateurs a dirigé tout le processus avec clarté, patience et un désir sincère de nous aider à partir du bon pied et à ériger les fondations requises pour bien accomplir notre mandat. À toutes les personnes concernées et qui continuent d’offrir leur soutien, vous avez mon éternelle gratitude. Merci.
Je tiens aussi à remercier Archie et Sheldon, les membres de mon personnel, pour leurs efforts initiaux et d’avoir réussi à me procurer ce temps de parole précieux, le dernier créneau, un jeudi après-midi. Bravo, les gars.
Honorables sénateurs, permettez-moi de prendre un moment pour apporter une précision qui est probablement évidente. En fait, on y a déjà fait référence à plusieurs reprises dans cette enceinte. Ce n’est un secret pour personne que, depuis une grande partie de ma vie, j’appuie avec conviction, dans les bonnes et les moins bonnes périodes — et elles sont parfois pénibles —, mais, quoi qu’il en soit, je suis fier de dire que je suis, comme on l’a laissé entendre, un fervent partisan des Maple Leafs. Merci.
Ayez l’assurance, chers collègues, que mon engagement ferme envers les Maple Leafs ne m’empêchera pas de collaborer avec vous — tous les sénateurs —, peu importe que vous soyez partisans des Canadiens, des Jets ou des Sénateurs, afin de faire du bon travail pour nos concitoyens.
Par contre, en ce qui concerne les partisans des Bruins, il n’y a aucune garantie.
Comme certains d’entre vous le savent peut-être, j’ai passé 19 ans à l’autre endroit. J’espère avoir contribué, dans une certaine mesure, au bien public. Je peux dire, en tant que fier Cap-Bretonnais, que nous tenons nos dirigeants politiques en haute estime. Je pense au père Andrew Hogan, fier néo-démocrate; à Donald McInnis, progressiste-conservateur et grand ami de la famille; et, bien entendu, à Allan J. MacEachen, icône politique de la Nouvelle-Écosse. Allan J. a servi les Canadiens au Sénat et à l’autre endroit. Si j’avais été en mesure de prédire l’avenir, je lui aurais demandé quelle était la différence entre ces deux endroits, selon lui. Personnellement, j’avais l’impression qu’il y aurait beaucoup plus de points communs; j’ai été frappé par les différences entre nos deux Chambres.
Je comparerais le passage d’une Chambre à l’autre à la situation d’un menuisier qui, à son arrivée sur un chantier de construction en pleine effervescence, se voit confier les tâches d’un électricien ayant la certification Sceau rouge. Le menuisier, qui ne comprend évidemment pas ces tâches et ne connaît rien aux principes de base de l’électricité, est tout à fait sidéré. Pour ma part, je vais continuer d’écouter mes collègues, d’apprendre à leurs côtés et de toujours chercher des façons de contribuer.
Voici mes premières impressions à titre de nouveau sénateur.
Sachez tout d’abord que je suis tout à fait impressionné par la qualité des Canadiens avec qui j’ai l’honneur de servir dans cette enceinte. La puissance intellectuelle et l’intérêt passionné pour de nombreuses questions importantes pour les Canadiens, de la part de membres de tous les groupes et caucus, sont manifestes et impressionnants.
Il y a parmi nous d’éminents universitaires, de célèbres journalistes, des militants sociaux engagés, des chefs d’entreprise prospères, des défenseurs accomplis, qui ont tous apporté des contributions remarquables et positives. Les dirigeants autochtones ici présents continueront à tracer la voie d’une réconciliation véritable et d’un Canada plus fort et plus inclusif.
Le processus de nomination plus récent a fait l’objet d’une réflexion de la part de feu le sénateur Hugh Segal, qui a siégé ici de 2005 à 2015. Il croyait fermement au Sénat et à sa réforme. En 2018, il a fait la déclaration suivante :
Des personnes compétentes et de hautes volées ont été nommées sous ces deux structures. Cependant, la parité des sexes, l’équilibre des compétences et l’équilibre professionnel sont bien plus solides aujourd’hui, tout comme l’est l’ouverture des députés à l’égard de débats sur des projets de loi qui ne sont pas uniquement motivés par la partisanerie […]
Comme l’a fait remarquer le sénateur Deacon, mon collègue de la Nouvelle-Écosse :
Pour ce qui est de la diversité, sur les 96 sénateurs en exercice, 82 % sont indépendants, 56 % sont des femmes, 34 % sont des Autochtones, des Noirs, des personnes de couleur ou des membres de la communauté LGBTQ2.
Cette assemblée, chers collègues, représente le Canada.
J’ai aimé voir cette talentueuse assemblée accomplir son important travail, comme examiner des projets de loi, l’une de ses principales responsabilités, et, le cas échéant, proposer des amendements.
Tous les sénateurs savent qu’il y a eu une augmentation considérable du nombre d’amendements acceptés par l’autre endroit au cours des dernières années. Je me souviens du débat sur l’amendement du sénateur Cormier lors de l’étude du projet de loi C-35, qui visait à mettre en place la Loi sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada. Je me souviens des interventions importantes de bon nombre de sénateurs, y compris le sénateur Cormier, la sénatrice Moodie, la sénatrice Seidman, et surtout, la sénatrice Poirier, qui a fait part de son expérience personnelle et qui s’est portée vigoureusement à la défense des minorités francophones, un groupe qui, selon elle, avait été négligé ou aurait pu l’être dans le cadre de ce projet de loi. L’amendement qui a été adopté montre comment le Sénat peut remplir ses fonctions constitutionnelles.
Nous savons que le Sénat peut aussi présenter des projets de loi. Avant mon arrivée au Sénat, je n’étais pas au fait du nombre de projets de loi élaborés par des sénateurs, et cela a retenu mon attention. Bon nombre de sénateurs ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à l’élaboration de projets de loi d’intérêt public du Sénat. Ces projets de loi sont importants dans la mesure où ils offrent l’occasion de faire avancer les discussions sur toutes sortes de dossiers importants.
Le projet de loi S-233, présenté par la sénatrice Pate, a lancé une discussion nationale sur l’adoption d’un cadre sur le revenu de base garanti.
Récemment, Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, a présenté le projet de loi d’initiative ministérielle C-71 — dont le sénateur Arnot a parlé hier —, qui porte sur la question des « Canadiens perdus ». Je ne peux que supposer que le projet de loi S-245, présentée par la sénatrice Martin, a donné l’impulsion nécessaire pour amener le gouvernement à agir dans ce dossier.
En ce moment, selon mes calculs, 35 projets de loi d’intérêt public du Sénat, qui en sont à diverses étapes du processus, sont inscrits au Feuilleton, en plus de ceux qui sont étudiés en comité. Des sénateurs ont même réussi à faire en sorte que leurs projets de loi reçoivent la sanction royale.
Cependant, dans le cadre des multiples conversations que j’ai eues avec de nombreux collègues, un thème se dégage; il semblerait que le nombre de projets de loi d’intérêt public du Sénat soit un problème. Je n’ai aucune solution à proposer, mais je pense qu’il vaut la peine d’en discuter. Nous pourrions peut-être trouver un meilleur équilibre en présentant un certain nombre de projets de loi d’intérêt public du Sénat sans miner les possibilités d’attirer l’attention sur des questions importantes.
Honorables sénateurs, j’ai toujours pensé que l’une des grandes forces du Sénat est le travail fait par les comités. Je me souviens d’un rapport fondamental sur les soins de santé au Canada qui a été présenté en 2002 par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui était alors présidé par l’ancien sénateur Michael Kirby.
Je faisais partie du caucus à l’autre endroit lorsque le rapport a été publié, en compagnie de la sénatrice Ringuette et de la sénatrice Cordy. Je peux vous dire, chers collègues, que même si le rapport ne faisait pas l’unanimité, il a poussé, à mon avis, le gouvernement d’alors à agir.
L’étude du Sénat a été suivie par le rapport Romanow, qui recommandait fortement au gouvernement d’investir massivement des fonds fédéraux, ce qui s’est par la suite concrétisé dans les accords sur la santé de 2003 et 2004. De nombreuses études ont été menées depuis.
Honorables sénateurs, un pouvoir très simple est au cœur de la force des comités sénatoriaux : le pouvoir de poser des questions. Je suis impressionné par le travail de préparation que font les sénateurs avant les réunions des comités. Ils sont déterminés à poser des questions fouillées aux hauts fonctionnaires, aux universitaires et aux représentants de divers groupes intéressés. Ils ne font pas de favoritisme.
À l’autre endroit, bien souvent, on pose des questions pour présenter la position de son parti sous un jour avantageux. Les sénateurs sont motivés à trouver la vérité afin de présenter les recommandations les plus utiles pour les Canadiens.
Je suis également impressionné par les deux comités dont je suis membre : le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans et le Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Le Comité des pêches et des océans est présidé par le sénateur Manning, un vieil ami, qui est toujours juste, organisé, animé d’un esprit de collégialité et respectueux. Le président du Comité des transports et des communications, le sénateur Housakos, a été excellent jusqu’à présent.
Le sénateur Housakos : Laissez-moi un peu de temps.
Des voix : Oh, oh!
Le sénateur Cuzner : Chers collègues, c’est le pouvoir de poser des questions qui fait l’intérêt des comités sénatoriaux. Par contre, je suis moins convaincu du pouvoir de la période des questions quotidienne.
Votre Honneur, chers collègues, ne vous y trompez pas : je ne veux en aucun cas et je ne voudrai jamais restreindre la possibilité qu’a l’opposition de demander des comptes au gouvernement au pouvoir. Cependant, chers collègues, permettez-moi de poser la question suivante : dans sa forme actuelle, la période des questions au Sénat est-elle le meilleur moyen pour cela?
Une voix : Non.
Le sénateur Cuzner : Je regarde le sénateur Gold — et je présume que le sénateur Harder faisait la même chose avant lui — tenter de répondre à d’importantes questions pouvant toucher à n’importe quoi, quelque chose qui s’est produit dans l’un des 130 ministères et organismes gouvernementaux ou dans l’une des 46 sociétés d’État, ou encore un acte posé par l’un des 450 000 fonctionnaires fédéraux.
À l’autre endroit, outre le premier ministre, 37 ministres peuvent répondre à ces questions, de même que 39 secrétaires parlementaires, chacun ayant l’avantage d’être soutenu par le personnel ministériel ainsi qu’une équipe de fonctionnaires du ministère et des professionnels des communications, qui les informent quotidiennement.
J’ai un immense respect pour le sénateur Gold et son personnel, mais la tâche qui lui revient est colossale. C’est comme si on nous demandait de vider la piscine du Château Laurier avec une cuillère à soupe.
En revanche, j’ai assisté et participé à plusieurs périodes de questions où le Sénat accueillait un ministre, et je crois que cette formule est beaucoup plus productive et utile. Encore une fois, c’est le pouvoir des questions. Ce pouvoir permet d’obtenir des réponses beaucoup plus justes et étayées. Tous les sénateurs qui participent posent de bonnes questions pertinentes et, dans la plupart des cas, obtiennent immédiatement de bonnes réponses pertinentes.
De même, je suis tout à fait conscient que l’opposition officielle au Sénat dispose d’un nombre limité de leviers procéduraux pour s’acquitter de son mandat, c’est-à-dire demander des comptes au gouvernement. L’actuel leader de l’opposition connaît à fond chacun de ces leviers et est passé maître dans l’art de les employer. Il est ferme et déterminé, et il fait ce qu’il doit faire pour réussir.
En ce qui concerne ce que les recrues pourraient considérer comme un énorme gaspillage de temps et de talent, avec plusieurs interruptions et retards sur le plan de la procédure, je dirai simplement ceci : nous ne devons pas être trop prompts à juger. S’il y a un changement de gouvernement — cela arrive parfois — et qu’un nouveau gouvernement présente un programme agressif qui pourrait inquiéter les sénateurs et les Canadiens, on pourrait vouloir chercher à employer ces mêmes leviers.
Je considère le Sénat, qui est en pleine évolution, comme une expérience importante au potentiel énorme. Toutefois, s’il y a un changement de gouvernement, ne soyez pas surpris si une nouvelle équipe prend la direction de l’expérience. Cela dit, je continue de croire qu’on pourrait faire beaucoup de choses…
Son Honneur la Présidente intérimaire : Je suis désolée de vous interrompre, sénateur, mais je crois que les honorables sénateurs pourraient vous accorder cinq minutes de plus pour que vous puissiez terminer votre discours.
Le sénateur Cuzner : Trois minutes?
Son Honneur la Présidente intérimaire : Trois minutes, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Cuzner : Disons cinq minutes. Qui dit sept?
Des voix : Oh, oh!
Son Honneur la Présidente intérimaire : Cinq minutes.
Le sénateur Cuzner : Cela dit, je crois toujours beaucoup en cette institution.
Chers collègues, j’aimerais une fois de plus citer Hugh Segal, qui a déjà dit que les nominations passées au Sénat « […] étaient largement dirigé[e]s par des directives partisanes provenant des deux plus anciens partis ».
Il avait ajouté ceci :
La création d’une Chambre haute aussi divisée et tendue que la Chambre élue n’est pas ce qu’auraient voulu les artisans de la Confédération.
Je suis persuadé que l’ancien sénateur Segal serait aussi d’avis que les récents changements au Règlement ont constitué un pas dans la bonne direction pour le Sénat. Je lève mon chapeau aux sénateurs qui ont travaillé sur ce genre de réforme au fil des ans.
Je suis aussi conscient que la réforme du Sénat ne signifie pas que nous devons faire fi de nos traditions et de notre histoire. Bien des hommes et des femmes nous ont précédés ici. Ils ont été des acteurs importants qui ont contribué à écrire l’histoire du Canada. Si je dis cela, c’est parce qu’on perçoit parfois mieux l’histoire de cet endroit, de l’autre endroit et de générations de gouvernements à travers le prisme du temps.
Je reconnais que les gouvernements conservateurs de Macdonald, Diefenbaker, Mulroney et d’autres entretemps, ainsi que les gouvernements libéraux de Laurier, Pearson, Trudeau et Chrétien ont contribué à façonner le gouvernement actuel. Pour faire écho aux paroles du sénateur Oh aujourd’hui, je pense que nous vivons dans le meilleur pays au monde.
Maintenant que vous avez pu apprécier ma compréhension limitée de cette Chambre, j’ai une préoccupation dont j’aimerais vous faire part. Celle-ci s’est accrue, et de nombreuses personnes dans le monde de la politique la partagent.
En 2019, le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, a déclaré au Comité de la justice de l’autre endroit : « Je suis actuellement très préoccupé par rapport à mon pays, à ses politiques et à son orientation. »
À l’époque, de nombreux Canadiens ont trouvé cette citation un peu étrange, mais pas moi. Tout au long de ma carrière politique, j’ai été témoin d’un changement marqué de la culture politique dans ce pays. On cite souvent la toxicité croissante du discours politique comme l’une des principales raisons pour lesquelles les bonnes personnes se dirigent vers la sortie. Cela devrait tous nous inquiéter. Nous devons comprendre que nous pouvons désapprouver des politiques, mais que nous devons respecter ceux qui sont ici pour servir le bien public.
Il y a un peu moins d’un an, Ian Shugart a déclaré ici même :
Honorables sénateurs, qu’il s’agisse de ce que nous disons les uns aux autres ou les uns sur les autres, de la manière dont nous réapprenons à écouter ceux qui ne partagent pas notre point de vue ou à dialoguer avec eux, ou de la façon dont nous veillons à la santé de nos institutions, nous devons réapprendre la vertu de la modération.
Chers collègues, je crois que nous avons un discours sain dans cette assemblée. Nous devons continuer à faire preuve de leadership à cet égard. Nous sommes chargés non seulement de maintenir nos institutions, mais aussi de les laisser dans un meilleur état après notre départ.
En conclusion, honorables sénateurs, je suis honoré de siéger dans cette enceinte avec ce groupe de sénateurs compétents, bienveillants et engagés. Le temps que j’ai passé en politique m’a montré qu’il est possible de réaliser beaucoup de choses lorsque des personnes de bonne volonté travaillent ensemble pour trouver des solutions et proposer des initiatives qui soutiennent et aident les Canadiens. Merci.
Des voix : Bravo!