L’honorable Wanda Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je suis reconnaissante d’intervenir aujourd’hui sur le territoire algonquin anishinabe afin de discuter d’un sujet d’une immense importance pour le paysage économique et le tissu social de notre pays. Je parle du dynamique et vigoureux secteur commercial autochtone, un secteur en pleine croissance au Canada. Penchons-nous plus particulièrement sur le Canada atlantique. L’interpellation du sénateur Klyne a mis au jour une histoire fascinante d’entrepreneuriat et d’autodétermination, qui mérite non seulement notre attention, mais aussi notre admiration et notre soutien.
La Nouvelle-Écosse abrite une riche mosaïque de cultures, mais aucune n’y est aussi profondément enracinée que celle des Mi’kmaqs. Aujourd’hui, les Mi’kmaqs continuent d’enrichir la Nouvelle-Écosse par leur culture dynamique, leurs précieuses contributions et leur détermination, nous rappelant à quel point il est important de reconnaître et de respecter les premiers peuples de ma province.
La réconciliation repose souvent sur la réparation d’injustices historiques, les droits territoriaux et la préservation culturelle. Toutefois, la réconciliation économique est un élément clé de toute conversation sur la réconciliation. Dans ce discours, je mettrai en lumière les réalisations de trois entreprises mi’kmaqs en Nouvelle-Écosse. Je commencerai par Clearwater Seafoods, une grande entreprise autochtone. Puis, je discuterai de Muin Clothing Co., une entreprise autochtone prospère de taille moyenne, et je terminerai en parlant de Mi’kma’ki Craft Supplies, une entreprise autochtone plus petite, mais résiliente qui est dirigée par une femme mi’kmaq.
Parlons tout d’abord de Clearwater Seafoods. Les Mi’kmaqs sont depuis longtemps des leaders dans divers secteurs de l’économie. De la pêche durable à l’artisanat, leurs contributions vont bien au-delà de ce qui est présenté dans les récits habituels. Il est essentiel de reconnaître que les entreprises autochtones ne sont pas des entités secondaires, subordonnées à une économie canadienne plus large : elles sont ancrées dans le cadre financier du pays. Selon une nouvelle étude menée par Gareth Hampshire, les entreprises autochtones « génèrent des milliards de dollars en biens et services » au Canada atlantique, ce qui équivaut à 5 % du produit intérieur brut de la région. Clearwater Seafoods, qui connaît une réussite remarquable depuis quelques années, en est un excellent exemple.
En 2021, Clearwater Seafoods, une entreprise établie en Nouvelle-Écosse, a marqué un tournant dans le secteur des pêches au Canada quand 50 % de ses parts ont été acquises par la Coalition mi’kmaq, un collectif formé par sept communautés mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador. Cette acquisition n’a pas été une simple opération commerciale, elle a été un moment historique. Il s’agit du plus grand investissement d’un groupe autochtone dans l’industrie des fruits de mer au Canada. Selon Paul Withers, les ventes de Clearwater ont connu une hausse stupéfiante de 71 millions de dollars par rapport à l’année précédente. Plus important encore, cet investissement représente une mutation transformatrice, puisqu’il place les Premières Nations à la proue de l’industrie mondiale des fruits de mer. Les retombées vont au-delà de l’aspect financier. L’acquisition vise à favoriser de meilleures perspectives et une plus grande prospérité pour les communautés autochtones au Canada atlantique, et elle concrétise une nouvelle ère de partenariat économique et de richesse partagée. En outre, il s’agit également d’un exemple de réconciliation économique et d’autonomisation collective.
Il y a beaucoup à apprendre de cet exemple commercial. Je pense à Clearwater avec beaucoup de fierté chaque fois que je traverse l’aéroport Stanfield d’Halifax, et je suis certaine que mes collègues de la Nouvelle-Écosse partagent ce sentiment.
Intéressons-nous maintenant à une entreprise de taille moyenne, Muin Clothing Co. L’engagement économique autochtone est centré sur la communauté et la culture, ce qui le distingue des définitions et des pratiques conventionnelles de l’entrepreneuriat qui mettent principalement l’accent sur le gain économique individuel et l’accumulation de richesses. Dans le contexte autochtone, l’entrepreneuriat vise à favoriser des résultats positifs plus larges, tels que la préservation et l’amélioration du patrimoine culturel et le développement global de la communauté.
Derek Lewis, qui est membre de la Première Nation Millbrook, près de Truro, en Nouvelle-Écosse, a été le premier développeur autochtone de jeux pour téléphone portable au Canada — Red Arrow Digital College —, puis il est devenu consultant culturel, pour finalement revenir à sa passion pour l’art, après avoir entamé une maîtrise.
En 2018, il a fondé Muin Clothing Co. en associant son talent artistique à sa volonté d’entreprendre. Cette entreprise autochtone se distingue par la fabrication, en partenariat avec Stanfield’s, du premier chandail orange fabriqué au Canada, un marqueur important pour la reconnaissance autochtone.
La Muin Clothing Co. de Derek Lewis a franchi une étape monumentale grâce à cette initiative qui n’était pas seulement une démarche commerciale, car elle découlait du désir d’authenticité de M. Lewis. À l’approche de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, en 2021, la rareté des chandails orange, souvent importés de l’étranger, se faisait sentir. M. Lewis a remarqué le décalage entre l’objectif du chandail orange — sensibiliser la population aux séquelles des pensionnats — et le fait que le chandail soit importé. Imaginez.
En homme d’action, Derek Lewis de la Muin Clothing Co. s’est associé à Stanfield’s afin de s’assurer que les chandails sont produits au Canada par une entreprise autochtone, ce qui a rehaussé leur signification profonde et l’authenticité du message qu’ils véhiculent.
La collaboration de M. Lewis avec Stanfield’s reflète également un engagement en faveur de l’appel à l’action no 92 de la Commission de vérité et réconciliation.
Cet appel à l’action exhorte le secteur des entreprises du Canada à adopter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation. Il insiste sur les actions suivantes : s’engager à mener des consultations significatives auprès des peuples autochtones, veiller à ce qu’ils aient un accès équitable aux emplois et à la formation, informer les employés de l’histoire et des droits des Autochtones, et soutenir les initiatives menées par des Autochtones. Au cœur de Muin Clothing Co. se trouve la volonté de raconter l’histoire de la nation au moyen des vêtements, en garantissant la participation des Autochtones à toutes les étapes de la production. La philosophie de Derek Lewis fait résonner une vérité simple : l’art authentique porte en lui une partie de l’âme de son créateur.
Mon dernier exemple est une petite entreprise florissante : Mi’kma’ki Craft Supplies. Nous portons souvent notre attention sur les investissements des grandes entreprises, mais il est essentiel de ne pas négliger l’impact profond des petites entreprises, en particulier celles détenues par des femmes autochtones. Bien que les femmes représentent environ 51 % de la population autochtone au Canada, elles ne constituent que 41 % des Autochtones travaillant à leur compte, selon un rapport sur les entrepreneures autochtones de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement.
Selon cette association, les femmes autochtones sont confrontées à des défis uniques lorsqu’elles créent et possèdent leur propre entreprise. Parmi ces défis, mentionnons le manque d’accès au financement en raison de l’inadmissibilité à certains programmes et à certaines ressources; le fait que les femmes autochtones ont la responsabilité de prendre soin de leur famille, de leurs parents et souvent de leurs grands-parents; le manque de soutien de la part des communautés, des chefs et des conseils; et le manque de connaissances et de formation sur la littératie financière, la planification des activités, la réglementation et la gestion.
Malgré ces revers, les femmes autochtones sont motivées, cherchent à renforcer leur autonomie personnelle et continuent de poursuivre leurs passions et leurs rêves en créant leurs propres entreprises. Celles-ci ne font pas que contribuer à l’économie; ce sont de véritables pôles culturels dynamiques.
En voici un exemple : en mars 2020, Theresa Meuse, une agente de soutien aux élèves autochtones dévouée, a remarqué qu’il existait un manque important de ressources reflétant la culture mi’kmaq pour les communautés autochtones et non autochtones. Consciente de ce besoin et stimulée par l’accueil positif réservé aux outils éducatifs maison qu’elle avait mis au point pendant son mandat au conseil scolaire, elle a décidé de lancer sa propre entreprise en ligne : Mi’kma’ki Craft Supplies. En partenariat avec une maison d’édition mi’kmaq, elle a transformé ses outils maison en ressources professionnelles qui ont non seulement favorisé l’éducation culturelle des non-Autochtones, mais aussi renforcé les liens culturels au sein de la communauté autochtone.
Cependant, ce parcours n’a pas été sans embûches. Se trouvant hors réserve, Theresa a été confrontée à un manque flagrant de ressources et de conseils, qu’il s’agisse de l’absence d’agents de développement économique autochtones ou des subtilités des déclarations d’impôt pour les entreprises autochtones situées à l’extérieur des réserves. Les programmes comme le Nova Scotia Indigenous Tourism Enterprise Network ont laissé entrevoir des possibilités, mais elles ne correspondaient souvent pas aux besoins uniques de son entreprise. Malgré ces difficultés, Theresa Meuse reste attachée à sa mission : offrir une plateforme qui éduque les participants en les immergeant dans la culture mi’kmaq.
En plus de répondre à une demande du marché, l’artisanat traditionnel fabriqué à la main selon des techniques transmises de génération en génération offre également une expérience éducative unique. Les consommateurs de ces produits ont un aperçu palpable de la culture autochtone, une forme de narration qui va au-delà de l’écrit ou de l’oral. Pour les entrepreneurs autochtones, ces entreprises jouent un double rôle : elles sont à la fois une source d’indépendance financière et une façon de préserver les traditions culturelles.
Pour conclure, honorables sénateurs, je dirai que les démarches novatrices de Clearwater, qui s’est associée à la Mi’kmaq Coalition pour transformer l’industrie des fruits de mer, les efforts sincères de Theresa Meuse, avec son entreprise Mi’kma’ki Craft Supplies, de même que ceux de Derek Lewis, dont les t-shirts sont devenus plus que de simples vêtements, sont autant de symboles de la reconnaissance des Autochtones. Chacun de ces cas raconte une histoire unique de résilience, d’innovation et de tradition autochtones. Il existe de nombreux exemples en Nouvelle-Écosse, au Canada atlantique et dans l’ensemble du pays.
Je veux vous remercier, sénateur Klyne, d’avoir présenté cette interpellation et de m’avoir laissé la latitude voulue pour parler de certaines des entreprises autochtones qui prospèrent dans ma province, la Nouvelle-Écosse. Nous leur souhaitons bon succès. Merci. Asante.