L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention de prononcer un discours sur le projet de loi C-69, mais lorsque j’ai revu certaines sections du projet de loi, je me suis dit que cela valait la peine de souligner un bon coup et un mauvais coup par rapport à ce projet de loi.
Le bon coup, c’est que, dans le projet de loi C-69, on retrouve à la section 5 de la partie 4 une mesure fort intéressante qui concerne la formation, c’est-à-dire le financement des études postsecondaires des jeunes Canadiens. Cette mesure a trait à l’inscription automatique des enfants à un régime enregistré d’épargne-études, ce qui signifie que chaque enfant pourra automatiquement avoir droit à un compte d’épargne-études et recevoir un bon d’études.
Plusieurs mécaniques entourent cette mesure. Le compte d’épargne-études existe depuis longtemps, mais il n’est pas tellement utilisé parce qu’il faut être en mesure d’épargner, ce qui est parfois difficile pour une famille. Toutefois, les grands-parents peuvent le faire. Cette mesure assurera donc une plus grande équité et une meilleure accessibilité au financement des études postsecondaires.
Ce que je trouve intéressant, c’est que cette mesure fait passer l’âge maximal de 20 à 30 ans à l’égard des bons d’études, et ceci pourrait éventuellement être élargi pour assurer une formation tout au long de la vie.
En 2017, la Chambre de commerce du Canada a proposé une mesure similaire : un compte d’épargne pour la formation semblable au compte d’épargne-études. Je trouve qu’il y a des parallèles intéressants à faire et je voulais les souligner.
Actuellement, le gouvernement fédéral propose peu de mesures pour aider à la formation tout au long de la vie. Il y a l’Allocation canadienne pour la formation, qui est un crédit d’impôt et qui a été adoptée dans le budget de 2017 ou de 2018, mais c’est une mesure impopulaire qui ne fonctionne pas et suscite de nombreuses critiques. Pourtant, il faut soutenir la formation tout au long de la vie; c’est nécessaire.
À cet effet, comme je l’ai déjà indiqué lors de mon discours sur le projet de loi C-50, les changements technologiques et climatiques vont provoquer des changements majeurs au sein du marché du travail et vont exiger de la formation.
Je vais rappeler quelques données, parce que je trouve que c’est important; c’est là que je vais aborder le mauvais coup du budget. Le mauvais coup du budget, c’est que le financement que le gouvernement fédéral octroyait par l’intermédiaire des fonds de l’assurance-emploi dans le contexte fédéral-provincial ne sera pas renouvelé. Cela représente 625 millions de dollars.
La mesure dont je parlais en ce qui concerne les comptes d’épargne, soit l’inscription automatique, représente environ 150 millions de dollars par année, tandis que ce que l’on retire, soit les ententes en matière de formation de la main-d’œuvre, représente 625 millions de dollars; c’est quand même énorme.
Lors de mon dernier discours, je vous ai expliqué que j’ai effectué un sondage en décembre dernier, que j’avais déjà mené avant la pandémie, pour voir si les données avaient changé, mais il n’y avait pas beaucoup de changements.
Selon ce sondage, 20 % des répondants en emploi estimaient probable ou plutôt probable que les changements technologiques et climatiques représentent une menace pour leur emploi, c’est-à-dire qu’il y aurait vraisemblablement une perte d’emploi. C’est une énorme proportion. De plus, 37 % des répondants mentionnaient qu’il était probable ou très probable que les changements climatiques et technologiques affecteraient leurs tâches au travail et qu’ils auraient besoin de se former. La question n’était pas : « Pensez-vous que cela affectera votre tâche? », mais plutôt : « Les tâches seront affectées et nous pensons que nous aurons besoin d’être formés. »
Cette proportion de 37 % des personnes en emploi est un chiffre important et représente 8 millions de Canadiens. Il y a 8 millions de Canadiens qui pensent que leurs tâches seront affectées actuellement et à court terme.
Quand nous avons fait ce sondage, nous avons été très heureux de voir que les données coïncidaient avec celles de l’OCDE sur l’impact des changements technologiques sur le marché du travail.
Aujourd’hui, ce qui m’a poussée à intervenir, c’est que j’ai pris connaissance au début de la semaine d’une étude récente qui a été réalisée par le Fonds monétaire international. Cette étude évalue que près de 40 % des emplois dans le monde subiront les effets de l’intelligence artificielle; celle-ci remplacera certains emplois et en complétera d’autres. Ce chiffre de 40 %, c’est beaucoup d’emplois sur le marché du travail. L’étude du Fonds monétaire international précise aussi que, dans les économies avancées comme le Canada, l’intelligence artificielle pourrait avoir des incidences sur environ 60 % des emplois, particulièrement chez les personnes qualifiées qui contribuent à hausser la productivité. Cependant, il faut réussir à les former.
En fait, 60 % de la main-d’œuvre au Canada, c’est nettement supérieur au chiffre de 37 % que nous avons obtenu dans notre sondage. C’est donc beaucoup plus que les 8 millions de personnes qui devront se former en raison de l’intelligence artificielle.
Le drame dans tout cela, c’est que, parmi les personnes intéressées à suivre une formation — et c’est plus de la moitié —, 40 %, soit au moins 6 millions de Canadiens, n’ont pas les moyens ou le temps d’en suivre une. C’est une réalité avec laquelle il faudra composer.
Je reviens maintenant au budget. Beaucoup de personnes devront se former et l’assurance-emploi est la principale source de financement actuellement. Or, l’assurance-emploi forme les gens qui ont perdu leur emploi; exceptionnellement, elle forme des gens en emploi. Une réforme s’impose donc.
Actuellement, dans l’assurance-emploi, il y a des ententes qui peuvent être conclues avec des entreprises dans le cadre de la partie II de l’assurance-emploi pour financer de la formation et toutes sortes de projets. Cependant, dans cette partie II de l’assurance-emploi, des ententes sont conclues avec chacune des provinces depuis 1997. Le total, sans les 625 millions de dollars dont j’ai parlé plus tôt, est de près de 1,7 milliard de dollars. Avec les 627 millions de dollars ajoutés par le gouvernement fédéral depuis 2017, on atteignait un total d’environ 2,3 milliards de dollars. Dans le budget de cette année, le gouvernement a décidé de ne pas réinvestir ces sommes dans la formation de la main-d’œuvre.
Je pense qu’on devra suivre cette question de près. Je ne serai pas parmi vous l’année prochaine quand cela sera traité dans le prochain budget, mais suivez cela de près à ma place. Il en va de notre prospérité, de notre productivité et de l’équité au Canada.
Merci beaucoup.
Des voix : Bravo!