La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada

Par: L'hon. Patricia Bovey

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Ceremonial Guard, Ottawa

L’honorable Patricia Bovey : Merci, sénateur Boehm.

Chers collègues, je prends la parole plus tard que je ne le prévoyais, mais je crois qu’il s’agit d’un sujet vraiment important pour notre pays. Le rapport intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, que le Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international a déposé en juin 2019, est un rapport important. Il est malheureux qu’il ait été déposé juste avant la relâche estivale, puis qu’il y ait eu des élections, et ensuite la COVID. Nous voici donc à rattraper le temps perdu. Il aurait été préférable que nous donnions suite à ce rapport plus tôt.

Lorsque j’ai suggéré que le Comité des affaires étrangères et du commerce international se penche sur la diplomatie culturelle, je croyais sincèrement à ce moment que le pouvoir discret de la culture était essentiel pour le Canada sur la scène internationale, et je le crois toujours. Génératrice d’échanges commerciaux et de croissance économique, la diplomatie culturelle est importante pour les négociations et les collaborations internationales. La culture illustre qui nous sommes : nos valeurs nationales, nos racines et nos diversités. Courroie de transmission des messages et des réalités du Canada à l’étranger, la culture raconte aux autres ce qu’est le Canada, et d’où nous venons. Elle leur montre le courage avec lequel nous avançons. C’est essentiel. Nos partenaires étrangers doivent comprendre notre culture, notre code d’éthique et notre histoire.

L’importance fondamentale de la diplomatie culturelle pour le commerce international et les relations extérieures a fait l’objet de nombreuses études et publications. Aujourd’hui, je continue de souscrire au rapport britannique de 2007 sur la diplomatie culturelle, rédigé par Kirsten Bound, Rachel Briggs, John Holden et Samuel Jones, où l’on peut lire que « plus que jamais, la culture a un rôle vital à jouer dans les relations internationales ».

Le rapport poursuit en affirmant que la culture est :

[…] le moyen d’en venir à comprendre les autres et une dimension innée de la vie que nous apprécions et que nous recherchons. Les échanges culturels nous permettent d’apprécier les points communs et, lorsqu’il y a des différences, de comprendre les motivations et l’humanité qui les sous-tendent […] ces caractéristiques font de la culture un espace de négociation incontournable et un outil d’échange dans la recherche de solutions communes […]

La valeur de l’activité culturelle découle justement de l’indépendance et de la liberté qui la caractérisent ainsi que du fait qu’elle reflète la réalité des gens et les rapproche […]

Notre rapport a été adopté à l’unanimité par le comité, que présidait l’ancienne sénatrice Andreychuk. Encore une fois, je remercie les membres qui siégeaient à ce comité entre 2017 et 2019, en particulier le sénateur Oh et la sénatrice Ataullahjan, qui ont adhéré à ce projet d’emblée et avec enthousiasme. Nous avons examiné la question ainsi que ses répercussions et ses avantages dans une perspective à 360 degrés — artistes, organisations artistiques, commerce extérieur et missions commerciales, entreprises, ambassades canadiennes — en comparant le tout à ce qui se faisait ailleurs. Tous nos interlocuteurs ont souligné l’importance de la culture sur la scène internationale comme moyen de rehausser le prestige du Canada à l’étranger.

Nous avons entendu des diplomates canadiens et étrangers, des organismes de financement canadiens et étrangers, des artistes de toutes les disciplines, des éducateurs, des universitaires, des organismes artistiques, des chefs de file du monde des affaires et des représentants d’Affaires mondiales Canada, Conseil des arts du Canada et de Patrimoine canadien. On nous a souligné que le rôle que joue le Canada sur la scène internationale profite grandement du travail des artistes de toutes les disciplines, qui, en mariant de multiples dimensions internationales, définissent nos valeurs nationales et renforcent le prestige économique et social du Canada à l’étranger.

On nous a aussi dit à quel point la compréhension culturelle intensifie l’activité commerciale du Canada à l’étranger. Citant les impressionnants avantages économiques tangibles et plus encore que procurait l’ancien programme des Routes commerciales, des témoins ont souligné le besoin crucial de soutien pour permettre aux artistes d’exporter leurs œuvres et leur connaissance du Canada à l’étranger. Il était évident que nous devons revoir nos approches en matière de diplomatie culturelle.

Dans son témoignage, Simon Brault, directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada, a dit que :

[…] en raison de la réduction du financement par les gouvernements précédents, nous accusons un retard de 10 ans par rapport à là où nous étions et à là où nous pourrions être.

Notez bien le pluriel à « gouvernements ». Je crains que nous accusions maintenant un retard encore plus grand.

J’espère sincèrement que la culture sera de nouveau un aspect important de la politique étrangère du Canada. Puissent les attachés culturels et le personnel qui a une compréhension de l’art et des connaissances en art accorder une plus grande présence à l’art canadien dans toutes les ambassades canadiennes, sur les scènes internationales, dans les théâtres, les salons du livre, les galeries d’art et les musées, ainsi que dans d’autres centres culturels et dans les festivals.

J’espère aussi que les artistes et les organismes artistiques canadiens participeront de nouveau à des missions commerciales internationales.

L’annonce par le ministère du Patrimoine canadien, en 2018, de la mise en place de la Stratégie d’exportation créative était encourageante. Cette stratégie visant à aider les industries créatives du Canada à trouver des débouchés dans de nouveaux marchés partout dans le monde était dotée d’un budget annoncé de 125 millions de dollars à l’appui de trois grands piliers : bonifier le financement à l’exportation prévu au programme du ministère du Patrimoine canadien; élargir et renforcer la présence des industries créatives du Canada à l’étranger; et créer le programme de financement Exportation créative Canada ainsi qu’établir les liens nécessaires pour concrétiser des ententes commerciales. Étant donné que cette stratégie était accessible à tous les médias, y compris le design, aux organismes à but lucratif et sans but lucratif, de même qu’aux organismes, gouvernements ou conseils des Premières Nations, des Inuits et des Métis, il était évident, dès l’octroi de la première série de subventions, que les sommes prévues étaient bien inférieures à la demande.

J’ai insisté sur l’influence de la diplomatie culturelle lors de toutes mes discussions en Europe, en Amérique du Sud, au Mexique, aux États-Unis et au Royaume-Uni, ainsi que, ce matin, durant une rencontre avec des parlementaires du pays de Galles. D’ailleurs, au fil des années, durant toutes mes rencontres avec les membres des organisations du cercle arctique et de l’Arctique circumpolaire, l’importance cruciale des cultures et des langues autochtones a constamment été soulignée.

Chers collègues, la culture joue un rôle essentiel dans toutes nos relations internationales. Il est vraiment stimulant de voir les œuvres d’artistes canadiens dans des lieux tels que la Maison du Canada à Londres ou notre ambassade à Paris. On trouve des œuvres d’art de chaque province et territoire à la Maison du Canada, à Trafalgar Square.

J’ai aussi gardé à l’œil la propriété intellectuelle et le droit d’auteur dans nos accords commerciaux : l’Accord Canada—États‑Unis—Mexique, ou l’ACEUM; l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, ou l’AECG; l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou le PTPCP. Je suis heureuse que le gouvernement ait insisté lors de ces négociations pour protéger la culture et la propriété intellectuelle du Canada, défendues notamment par l’ancien ministre du Commerce international Jim Carr, un ancien hautboïste de l’orchestre symphonique de Winnipeg et ancien PDG du Conseil des arts du Manitoba.

Encourageant la collaboration avec les provinces, nos huit recommandations ont accordé la responsabilité de la diplomatie culturelle à Affaires mondiales Canada, à Patrimoine Canada et au Conseil des Arts du Canada, en accordant le rôle prépondérant à Affaires mondiales Canada. Affaires mondiales Canada possède des biens immobiliers dans le monde entier et a du personnel et des relations avec la population locale sur place. Patrimoine Canada et le Conseil des arts du Canada possèdent une expertise en matière d’arts, de culture et de patrimoine. Nous n’avons pas de Goethe‑Institut, de British Council ni de Fondation du Japon, mais nous avons l’occasion de mettre en valeur nos créateurs et nos idées remarquables.

Nous avons besoin d’objectifs clairement définis, d’une formation culturelle pour le personnel des ambassades à l’étranger, de mécanismes de surveillance à court et à long terme et d’un programme d’apprentissage à l’aide d’études canadiennes à l’étranger.

Le comité a expressément recommandé, entre autres, que la diplomatie culturelle dans les relations internationales du Canada joue un rôle de plus en plus important en mettant en valeur l’innovation et l’excellence des artistes canadiens ainsi que la force et la diversité culturelles au Canada en exprimant les origines multiculturelles des Canadiens, que le secteur des arts et de la culture fasse partie de toutes les missions commerciales canadiennes, et que les ambassades canadiennes présentent des artistes et des organismes canadiens à l’étranger et leur donnent de l’aide. De plus, il a veillé à ce que toutes les missions canadiennes aient un attaché culturel ou un membre du personnel qualifié qui est capable d’appuyer le travail culturel du Canada et ses collaborations internationales.

Je continue à soutenir chacune des huit recommandations.

Les premières étapes qui ont suivi la publication du rapport ont été encourageantes, mais tronquées par la COVID-19. Le Canada a perdu un pouvoir culturel considérable au début des années 2000. Nous devons le retrouver. Avec les conflits internationaux actuels, la diplomatie culturelle est encore plus importante.

Comme on dit souvent : « En période d’instabilité politique, la culture permet de garder des portes ouvertes. » L’UNESCO demande qu’il y ait « un dialogue fondé sur la musique et les arts, qui sont des vecteurs de consolidation de la compréhension mutuelle et des interactions, mais aussi de l’établissement d’une culture de la paix et du respect de la diversité culturelle ».

La publication de notre rapport a mené à quelques changements positifs. Le Conseil des Arts du Canada a lancé un volet de financement spécial pour les activités internationales. Affaires mondiales Canada a mis sur pied un programme de formation préliminaire.

Les organisations étaient prêtes. Récemment, Mary Reid de la galerie d’art de Woodstock a présenté des portraits d’auteurs canadiens de l’artiste John Hartman à la Maison du Canada, à Londres en Angleterre. William Huffman a exposé des œuvres d’art de Cape Dorset à Varsovie et en Corée.

À l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’été dernier à Birmingham, 780 parlementaires de partout sur la planète ont voté à l’unanimité pour défendre la sécurité de l’Arctique. Les arts et la culture faisaient partie des discussions, comme cela a toujours été le cas lors des réunions de l’organisation auxquelles j’ai participé en tant que sénatrice.

En novembre, les délégués des Premières Nations canadiennes à la COP 27 ont présenté avec brio les approches culturelles des Premières Nations en matière de lutte contre les changements climatiques. Vous savez également que le travail va bon train en ce qui concerne la participation au Musée du patrimoine panafricain, au Ghana.

Il y a trois ans, lorsque j’ai participé pour la première fois à une rencontre du Conseil international de la conservation du musée, j’ai été surprise d’apprendre qu’on percevait le Canada comme faisant partie des États-Unis. Cette idée fausse ayant maintenant été dissipée, notre comité directeur chargé du contenu pour la participation virtuelle et en personne, présidé par Chantal Gibson, une artiste et poétesse de Colombie-Britannique, est vu comme un modèle à suivre.

Notre rapport sur la diplomatie culturelle a servi de catalyseur pour le financement d’Affaires mondiales Canada et du Conseil des arts du Canada, ce qui a permis l’embauche de six conservateurs régionaux noirs.

Ces activités récentes sont encourageantes, mais elles sont rares, puisque la politique de diplomatie culturelle n’a pas été officiellement adoptée. Elle n’est ni connue ni comprise, et elle n’est pas pleinement mise en œuvre par Affaires mondiales Canada, même si j’ai reçu de nombreux encouragements de la part de certains ambassadeurs et responsables. Nombreux sont ceux qui, comme moi, croient que la diplomatie culturelle a besoin d’une plus grande visibilité au sein du ministère lui-même pour être aussi efficace qu’elle pourrait et devrait l’être. Le résultat serait transformateur pour le Canada dans son ensemble, pour sa culture et sa place dans le monde.

En m’appuyant sur mon rôle de sénatrice et mon expérience professionnelle antérieure de représentante des arts canadiens en Europe, en Asie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, je peux confirmer qu’une forte diplomatie culturelle sera avantageuse pour le Canada tant au pays qu’à l’étranger, pour les créateurs et les organismes culturels d’ici. Les retombées économiques au Canada seront importantes, comme elles l’étaient avant que le programme soit supprimé, et notre secteur touristique en profitera.

Plus que jamais, nous avons besoin que nos alliés nous connaissent. En tant que membre de l’UNESCO, nous avons la responsabilité de contribuer à la protection de la culture contre les ravages de la guerre et des changements climatiques. La diplomatie culturelle est le moyen approprié pour y arriver.

En parlant de diplomatie culturelle, Simon Mark a écrit que son :

[…] potentiel réside dans ses liens avec la culture nationale, les valeurs nationales, l’identité nationale et la fierté nationale […] [Elle] peut montrer la personnalité d’un État d’une façon qui résonne chez les gens […] Le pouvoir d’une performance culturelle, d’un film ou d’une bourse d’études d’établir des liens ne devrait pas être sous-estimé.

Je vais conclure par une histoire personnelle.

Dans les années 1990, j’ai visité une magnifique petite libraire du Royaume-Uni, à Durham. Il y avait des livres jusqu’au plafond, des étagères pleines à craquer et trois grandes tables rondes remplies d’ouvrages d’auteurs canadiens. J’ai demandé s’il y avait un festival de littérature canadienne. « Non, a dit le propriétaire. Les tables sont réservées aux meilleurs auteurs du monde. Vous avez du mal à accepter qu’ils soient tous canadiens? »

Avant son départ, un ancien ambassadeur du Japon au Canada m’a dit que les meilleurs auteurs sont au Canada. Il a apporté bon nombre d’œuvres d’auteurs canadiens au Japon pour les faire traduire. Le Canada aurait dû faire ces traductions, ou il aurait pu les faire.

Nous savons évidemment qu’Alice Munro a reçu le prix Nobel de littérature, que Margaret Atwood est célébrée dans le monde entier et que l’adaptation cinématographique du livre primé de Mariam Toews, Ce qu’elles disent, a remporté un Oscar cette année. Un Canadien de l’île de Vancouver, Aaron Watkin, a récemment été nommé directeur artistique désigné de l’English National Ballet, et Naomi Woo, fille du sénateur Woo, s’apprête à déménager en Europe pour y poursuivre sa carrière de cheffe d’orchestre compte tenu des nombreuses invitations qu’elle a reçues.

Honorables collègues, nos créateurs sont respectés au-delà de nos frontières, même si, selon moi, ils ne reçoivent pas le soutien qui leur est dû.

Nous ne devrions pas cacher les créateurs qui disent au monde qui nous sommes. C’est surtout la culture qui fait rayonner le Canada à l’étranger. Comme c’était déjà le cas pendant des décennies avant les compressions dans la culture, ce quatrième pilier de la diplomatie, les investissements du gouvernement seront bien modestes comparativement aux multiples retombées économiques positives de ce secteur. Grâce à la diplomatie culturelle, les créateurs de renommée internationale qui font notre fierté devraient nous aider à nous démarquer, et ce, en tant que Canadiens et non en tant qu’Américains.

Je vous prie d’appuyer l’inscription de ce rapport à l’ordre du jour afin que nous puissions obtenir une réponse du gouvernement et veiller à ce que des mesures concrètes soient prises et à ce que ce genre de formation puisse se poursuivre. Merci.

Des voix : Bravo!

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