L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’appui du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, parrainée par la sénatrice McCallum.
Cet important projet de loi obligerait le ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse à déposer au Parlement, à l’égard de certains projets de loi, un énoncé décrivant les effets possibles du projet de loi sur les femmes, en particulier les femmes autochtones.
La sénatrice McCallum a amorcé le débat en lançant un puissant appel à l’égalité réelle pour les femmes autochtones, étant donné la discrimination et la violence terribles qu’elles endurent au sein de notre fédération. La sénatrice McPhedran a récemment donné son appui à ce projet de loi et fait part de son point de vue dans le cadre de la discussion. J’espère qu’il y aura d’autres interventions et que le projet de loi S-218 sera renvoyé au comité avec un sentiment d’urgence puisqu’il a été présenté en novembre 2021 ainsi qu’à deux occasions au cours de la législature précédente.
Chers collègues, pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire? Depuis l’adoption du projet de loi C-51 en 2019, la loi fédérale oblige le ministre de la Justice à fournir un énoncé de conformité avec la Charte pour chaque projet de loi d’initiative ministérielle dont le Parlement est saisi. Toutefois, le respect des exigences de la Charte en matière d’égalité n’est pas nécessairement synonyme d’un travail bien fait pour ce qui est d’envisager et de concevoir des politiques publiques qui établissent l’égalité et qui ouvrent la voie à toutes les femmes.
Comme la sénatrice McCallum nous l’a dit, c’est particulièrement le cas pour les femmes autochtones : une compréhension et des connaissances particulières sont souvent nécessaires pour réfléchir sérieusement au colonialisme, à la discrimination, à la violence, aux risques découlant de l’exploitation des ressources, aux droits issus de traités, aux droits constitutionnels ancestraux et aux droits inhérents confirmés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Compte tenu des nombreux désavantages créés par des injustices, le projet de loi vise à aider les femmes autochtones à accéder à la qualité de vie que tant d’autres tiennent pour acquise afin qu’elles exercent leurs droits individuels et collectifs et qu’elles en bénéficient.
Comme j’en parlerai, le concept de l’analyse comparative entre les sexes plus est également suffisamment vaste pour répondre aux préoccupations contextuelles d’autres groupes de femmes qui sont désavantagés, comme d’autres groupes racialisés. J’ai bon espoir que le comité se penchera sur ce point.
Plus précisément, le projet de loi S-218 exigerait qu’un rapport soit déposé sur l’analyse comparative entre les sexes pour tous les projets de loi du gouvernement, ainsi que pour les projets de loi d’initiative parlementaire de la Chambre des communes et les projets de loi d’intérêt public ou privé du Sénat qui atteignent l’étape de l’étude en comité.
Comme la sénatrice McCallum nous l’a dit, elle a choisi ce seuil parce que l’adoption à l’étape de la deuxième lecture indique qu’un projet de loi d’initiative parlementaire progresse bien au Parlement. Par ailleurs, un tel projet de loi exige le dépôt par le ministre d’un énoncé en réponse aux amendements adoptés par la Chambre où ce projet de loi a pris naissance, au cas où il y serait adopté, pour la gouverne de la deuxième Chambre. Cet élément du projet de loi S-218 est utile parce qu’il permet d’avoir une vue d’ensemble.
Honorables sénateurs, en exigeant dans la loi que les analyses comparatives entre les sexes soient accessibles au public, on peut accroître la valeur des lois fédérales pour les femmes, y compris les femmes autochtones. Ainsi, le projet de loi S-218 représente une progression naturelle des efforts déployés depuis des années pour que le gouvernement fédéral tienne compte des analyses comparatives entre les sexes, ainsi que de la réconciliation, lorsqu’il rédige des mesures législatives.
Cela n’a rien de nouveau. En effet, en 1995, le gouvernement du Canada s’est engagé, lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes des Nations unies, à baser ses décisions stratégiques sur des analyses comparatives entre les sexes. Malheureusement, des défis demeurent. En 2005, le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes a déposé un rapport soulignant l’application inégale de l’analyse comparative entre les sexes par les ministères, ce qui a donné lieu à la nomination d’un groupe d’expertes sur les mécanismes de responsabilisation pour l’égalité entre les sexes. Dans son rapport publié en 2005, le groupe a recommandé l’adoption d’une loi visant à assurer la mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes, la surveillance et l’obligation de faire rapport à ce sujet. Le projet de loi S-218 nous permettrait de donner suite à une recommandation formulée il y a 17 ans.
En 2009, la vérificatrice générale a publié un rapport au sujet de l’analyse comparative entre les sexes qui mentionnait que l’application de cet outil variait grandement d’un ministère à l’autre. En 2015, le vérificateur soulignait qu’il existait toujours des obstacles à l’utilisation de l’analyse comparative entre les sexes plus, l’ACS+, notamment en raison de l’absence d’une obligation pour le gouvernement d’y avoir recours dans la production des projets de loi. À ceux qui pourraient être néophytes dans ce domaine, le « + » dans « ACS+ » signifie que l’analyse comparative entre les sexes ne concerne pas seulement les différences entre les sexes. Elle concerne également les intersections avec des éléments liés à l’identité comme l’origine ethnique, la religion, l’âge, la langue, le revenu ou les handicaps. Il s’agit donc d’un concept qui respecte la diversité et l’inclusion.
Le fait que le projet de loi S-218 soit plus particulièrement axé sur les femmes autochtones ne mène certainement pas à l’exclusion d’autres groupes de femmes lorsque la prise en compte du contexte social est importante, par exemple dans le cas d’autres groupes racialisés ou marginalisés. Encore une fois, le comité pourra se pencher sur ces détails.
En 2015 et en 2017, les lettres de mandat des ministres de la Condition féminine demandaient qu’on priorise le renforcement du recours à l’analyse comparative entre les sexes. En 2017, un rapport de Femmes et Égalité de genres soulignait que le gouvernement fédéral avait rendu l’utilisation de l’ACS+ obligatoire pour tous les mémoires au cabinet et pour toutes les présentations au Conseil du Trésor.
C’est un pas dans la bonne direction. Par contre, les analyses ne sont pas rendues publiques. Ce manque de transparence est le premier problème de la situation actuelle que le projet de loi S-218 viendrait régler en exigeant le dépôt de ces analyses.
Le projet de loi S-218 réglerait également un deuxième problème. Comme l’a dit la sénatrice McCallum, « n’importe quel gouvernement futur peut mettre fin à la pratique à tout moment. » En inscrivant cette analyse et ces exigences relatives aux femmes dans la loi, il serait difficile de mettre fin à une telle pratique autrement qu’en abrogeant la loi dans le contexte d’un examen démocratique.
Le projet de loi S-218 s’attaquerait également à un troisième problème lié à la situation actuelle, à savoir que l’analyse comparative entre les sexes n’est pas toujours appliquée aux projets de loi qui n’émanent pas du gouvernement, mais qui ont de bonnes chances d’être adoptés. Chers collègues, nous devons bien entendu traiter tout projet de modification législative avec toute la diligence nécessaire, que cette mesure émane du gouvernement ou d’un parlementaire. En fait, La procédure du Sénat en pratique indique que la distinction entre les affaires du gouvernement et les autres affaires n’existe que depuis 1991, date à laquelle les modifications apportées au Règlement du Sénat ont donné la priorité aux affaires émanant du gouvernement.
À l’heure actuelle, quelques lois fédérales, comme la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et la Loi sur l’évaluation d’impact, exigent que leur application fasse l’objet d’une analyse comparative entre les sexes. Ces exemples montrent l’utilité d’inscrire ces exigences dans la loi, comme cela a été le cas du projet de loi C-51 qui exigeait des déclarations de conformité à la Charte et d’autres exemples d’exigences en matière de rapports au Parlement. Cependant, les travaux législatifs à l’échelon fédéral ne font toujours pas l’objet d’une obligation de faire rapport sur les effets possibles d’un projet de loi donné sur les femmes. En modifiant cet état de fait, le projet de loi S-218 fera en sorte que les nouvelles lois qui seront adoptées bénéficieront à toutes les femmes du Canada.
Des débats récents dans cette enceinte ont confirmé qu’il est possible de faire mieux. Lors du débat sur le projet de loi C-30 — un projet de loi qui a amélioré le crédit pour la TPS — les sénatrices Dupuis et Bellemare ont souligné les lacunes du gouvernement concernant l’analyse comparative entre les sexes plus. Nous avons appris que, bien que le gouvernement mette parfois à la disposition des sénateurs un résumé de l’analyse comparative entre les sexes plus, comme l’a dit la sénatrice Dupuis :
Cette pratique devrait être étendue à tous les projets de loi, et le résumé de cette analyse devrait être déposé devant tous les comités du Sénat. Cette pratique devrait être automatique et ne pas être laissée au bon vouloir de chaque ministre.
Honorables sénateurs, lors d’une réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le 27 octobre dernier, la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et de la Jeunesse, l’honorable Marci Ien, a parlé de la valeur de l’analyse comparative entre les sexes plus et de l’engagement du gouvernement envers cette approche. Sa détermination mérite d’être saluée. Toutefois, le sénateur Patterson a fait remarquer qu’un rapport de 2022 du vérificateur général indiquait ce qui suit :
[…] seulement 39 % des ministères et des organismes fédéraux sondés effectuaient l’ACS Plus à cette étape cruciale de définition de problème plus de 60 % du temps. Cela signifie que la majorité des ministères et des organismes sondés n’appliquaient pas toujours l’ACS Plus à l’étape initiale de conception des politiques, des programmes et des initiatives, ce qui réduit la mesure dans laquelle l’ACS Plus pourrait éliminer ou éviter les inégalités vécues par différents groupes d’hommes, de femmes et de personnes de diverses identités de genre.
Sénateurs, le projet de loi S-218 offre la possibilité au gouvernement fédéral de prendre appui sur les progrès réalisés à ce jour en matière d’analyse comparative entre les sexes plus. Comme la sénatrice McPhedran nous l’a dit, il est important que des analyses comparatives entre les sexes plus soient menées dans tous les secteurs, y compris dans les secteurs des pêches, de la défense nationale et des infrastructures. Il serait dont approprié que nous renvoyions le projet de loi S-218 au comité pour que celui-ci étudie le changement durable proposé par la sénatrice McCallum.
Honorables sénateurs, j’aimerais m’exprimer brièvement sur l’importance d’accorder une attention politique particulière aux femmes autochtones, en appui à la mention spéciale que la sénatrice McCallum suggère d’inclure dans le projet de loi S-218. Selon moi, parmi les raisons valables, il y a le contexte historique du colonialisme, qui a jeté les bases de la discrimination et de la violence à grande échelle que nous constatons de nos jours. Je pense aussi aux cadres juridiques distincts qui s’appliquent aux femmes autochtones conformément aux droits constitutionnels prévus à l’article 35 et à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Voici un extrait du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, paru en 2019 :
La violence dénoncée tout au long de l’Enquête nationale représente une pratique sociale génocidaire, délibérée et raciale visant les peuples autochtones, y compris les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ciblant tout particulièrement les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA. Ces massacres sont les fruits des affirmations coloniales de souveraineté sur les territoires et les peuples autochtones, comme en témoignent la Loi sur les Indiens, la rafle des années 1960, les pensionnats indiens, les atteintes aux droits de la personne et aux droits des Autochtones, de même que les politiques actuelles, qui marginalisent ces derniers et entraînent une augmentation directe de l’incidence de la violence, des décès et du suicide chez leurs populations.
Honorables sénateurs, le travail que nous accomplissons au Sénat vise à régler cette situation, et il reste beaucoup à faire. À titre d’exemple, les Célèbres six, un groupe de femmes autochtones qui comprend notamment la sénatrice Lovelace Nicholas et l’ancienne sénatrice Dyck, a déployé d’immenses efforts afin d’éliminer la discrimination fondée sur le genre pour l’inscription au registre des Indiens. Comme le Comité des peuples autochtones l’a expliqué dans le rapport C’est assez! publié en juin, et comme la sénatrice Lovelace Nicholas et le sénateur Francis l’ont écrit dans le journal The Guardian de Charlottetown en juillet, le gouvernement ne respecte toujours pas le principe de la non-discrimination en matière de statut.
Voici un deuxième exemple. La sénatrice Boyer et le Comité sénatorial permanent des droits de la personne jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre la stérilisation forcée au Canada. Le rapport publié par le comité l’an dernier montre que cette pratique touche de façon disproportionnée les femmes autochtones et d’autres groupes vulnérables et marginalisés. Cette année, la sénatrice Boyer a présenté le projet de loi S-250, qui créerait une infraction relative à la stérilisation dans le Code criminel.
Chers collègues, le fait que ce projet de loi soit nécessaire montre que les femmes autochtones du Canada sont encore confrontées à des situations terribles.
Voici un troisième exemple. Nous connaissons le travail qu’a accompli la sénatrice Audette à titre de commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que les appels à la justice. Nous nous réjouissons que le Comité des peuples autochtones demande des comptes au gouvernement au sujet des appels à la justice dans son rapport intitulé Il faut agir pour les FFADA : Ce n’est pas juste l’intention qui compte, publié en juin.
Le comité conclut qu’il peut contribuer, par sa vigilance, à faire en sorte que l’on réponde à l’appel à la justice 1.7, concernant un ombudsman et un tribunal autochtones nationaux des droits de la personne et des droits des Autochtones, et à l’appel à la justice 1.10, concernant un mécanisme indépendant de rapport annuel au Parlement.
Sénateurs, en accordant aux femmes autochtones une attention particulière grâce au projet de loi S-218, nous reconnaissons leur situation juridique distincte en vertu des droits inscrits à l’article 35 de la Charte canadienne des droits libertés et dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont la mise en œuvre doit se faire selon le plan d’action qui est prévu. Les articles 21 et 22 de la Déclaration prévoient ce qui suit :
Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins particuliers des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones.
Puisque la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones fait désormais partie intégrante de la législation fédérale, le principe que je viens d’énoncer nécessite l’attention du législateur, comme le propose le projet de loi S-218.
En conclusion, le gouvernement, le Parlement et les Canadiens doivent faire davantage pour aborder les politiques publiques dans une optique de défense des femmes et de réconciliation. Nous devons faire plus pour construire une meilleure société pour toutes les femmes, y compris les femmes autochtones. Cette loi y contribuera. Chers collègues, je vous demande de vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi S-218 afin qu’il soit rapidement renvoyé au comité. Merci, hiy kitatamîhin.