L’honorable Diane Bellemare : Chers collègues, je précise que je prononce ce discours à partir des territoires ancestraux non cédés du peuple algonquin anishinabe.
Je souhaite aujourd’hui me prononcer en faveur du projet de loi C-50 à l’étape de la deuxième lecture. Le titre abrégé du projet de loi est la Loi canadienne sur les emplois durables.
Je n’ai aucune réserve sur les principes de ce projet de loi, et je crois que qu’il s’agit d’un projet de loi majeur et qu’on doit assurer une transition sur le marché du travail. Toutefois, j’ai plusieurs questions sur certains détails, et ne dit-on pas d’ailleurs que « le diable est dans les détails »? Je me le suis fait dire bien souvent.
Le projet de loi C-50 propose essentiellement l’adoption d’un plan d’action pour des emplois durables. Il propose également la création du Conseil du partenariat pour des emplois durables et du Secrétariat pour des emplois durables, qui visent à appuyer la mise en œuvre de la loi.
Si le projet de loi est adopté, le Conseil du partenariat pour des emplois durables sera composé de 13 membres. Il aura pour fonction de conseiller le ministre responsable de l’application de la loi ainsi que des ministres responsables. Les portefeuilles de l’ensemble des ministres de même que leur nombre total ne sont pas précisés par la loi, et on ne sait pas de quels ministres il s’agit. Leur désignation se fera plus tard par le gouvernement. Pour sa part, le ministre responsable doit établir un plan d’action d’ici le 31 décembre 2025 au plus tard et doit présenter un nouveau plan au moins tous les cinq ans. Ces plans seront déposés dans les deux Chambres du Parlement.
Le projet de loi C-50 détaille de manière très spécifique le contenu du plan d’action pour des emplois durables. Il s’agit d’un plan en faveur de la transition verte qui met l’accent sur le marché du travail face aux changements climatiques.
Il va sans dire que je partage l’avis de la Chambre de commerce du Canada et du Congrès du travail du Canada, qui appuient l’adoption d’un plan de transition pour le marché du travail. On ne peut pas s’inscrire contre ce principe.
La question est plutôt de savoir si le projet de loi C-50 permettra de développer et de mettre en œuvre un tel plan dans des délais raisonnables et avec des résultats observables au chapitre des emplois durables.
Rappelons aussi — parce que je vais y revenir — que le régime d’assurance-emploi demeure, au Canada et dans chacune des administrations, la principale source de financement des interventions publiques sur le marché du travail. Il est essentiel d’en tenir compte dans le cadre de gouvernance du plan d’action pour des emplois durables. Ce sont essentiellement les propos que je livrerai dans mon discours : le lien entre le projet de loi C-50 et l’assurance-emploi.
D’abord, qu’est-ce qu’un plan d’action pour assurer une transition verte sur le marché du travail? Un plan d’action pour une transition verte sur le marché du travail découle avant tout d’un plan de lutte aux changements climatiques qui dépend directement des cibles et des stratégies identifiées dans ce dernier. Il doit donc tenir compte des échéanciers et des cibles de réduction des gaz à effet de serre et des moyens identifiés pour les atteindre.
Au Canada, c’est la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, adoptée en 2020, qui fournit le cadre pour l’établissement des cibles et des moyens et le Plan de réduction des émissions pour 2030, produit en 2022, qui fournit la feuille de route pour les actualiser. C’est le ministre de l’Environnement et du Changement climatique qui rend des comptes au Parlement sur la réduction des émissions.
Les principales composantes de ce plan reposent notamment sur la tarification du carbone, le plafond pour le secteur pétrolier et gazier, la norme sur l’électricité propre, la norme sur les combustibles propres et les réductions d’émissions associées à l’utilisation des terres.
Ce plan ambitieux est un plan de société qui implique tous les acteurs provinciaux et territoriaux. La mise en œuvre de tous ces efforts en vue de réduire les gaz à effet de serre crée nécessairement des impacts sur le marché du travail — d’où le projet de loi sur les emplois durables, qui vise à faciliter la transition sur le marché du travail des personnes affectées.
Or, les études sur les impacts de la transition verte sur le marché du travail soulignent que le succès des plans repose étroitement sur la capacité de la main-d’œuvre à les réaliser. Les organisations syndicales comme le Congrès du travail du Canada et les entreprises réunies au sein de la Chambre de commerce du Canada sont enthousiastes par rapport aux objectifs du projet de loi C-50. Ils sont aussi conscients que le succès de l’opération repose sur la disponibilité d’une main-d’œuvre dont les compétences sont adéquates.
Dans un récent rapport intitulé Building Canada’s Net-Zero Workforce, on peut lire ceci — et je cite un extrait du rapport de la Chambre de commerce :
Une étude récente passant en revue 48 pays a révélé que seul un travailleur sur huit possède les compétences nécessaires à une économie carboneutre. Cette étude a également conclu qu’il existe une demande croissante de travailleurs ayant des compétences carboneutralité, et que cette demande n’est pas satisfaite par la main-d’œuvre actuelle.
C’est dans le but de relever les défis liés à une main-d’œuvre qui n’a pas les compétences adéquates que la Chambre de commerce dit également ce qui suit, et c’est un point important :
L’exploitation des relations existantes entre le gouvernement et les syndicats et les chefs d’entreprise des secteurs de l’énergie et des ressources naturelles sera essentielle pour la requalification et la formation de la main-d’œuvre dans ces secteurs. Cela est d’autant plus important que ces secteurs sont susceptibles de connaître des problèmes de main-d’œuvre plus aigus étant donné qu’ils devront moderniser leurs opérations pour répondre aux exigences en matière de faibles émissions de carbone et que de nouvelles industries émergent dans le cadre d’une économie carboneutre.
Si les syndicats ont un rôle important à jouer dans la représentation des intérêts des travailleurs et la défense d’emplois décents, ils ont également un rôle unique à jouer dans le renforcement des capacités au moyen de formations accessibles et de l’amélioration des compétences. Des efforts sont déjà en cours au sein des syndicats pour évaluer la portée et l’exécution des programmes de formation pour une variété d’apprentissages, et pour intégrer les compétences et les connaissances en carboneutralité dans les parcours professionnels.
Peut-être doit-on vous remercier, sénateur Yussuff, parce que vous êtes peut-être un peu à l’origine de ces initiatives syndicales.
La transition verte va créer de nouveaux emplois, mais elle transformera également les emplois existants. Il ne faut pas ignorer cette réalité. Les compétences vertes seront de plus en plus nécessaires dans un grand nombre de professions, comme l’a souligné le Centre d’études et de recherches sur les qualifications européen, le Céreq, qui parle de l’écologisation progressive des professions, soit l’intégration des préoccupations environnementales dans toutes les activités liées au travail, tous secteurs confondus.
Il faut dire que les défis posés par les changements climatiques s’additionnent aux défis causés par les avancées technologiques, comme l’intelligence artificielle, ainsi qu’aux aspects démographiques, comme le vieillissement et l’intégration des immigrants.
Tous ces changements feront que certains emplois disparaîtront et que de nouveaux emplois seront créés, alors que les tâches seront largement affectées.
Chose certaine, les gains pour les Canadiens, sur le plan du niveau de vie, seront proportionnels au succès de la transition verte et aux efforts d’adaptation.
Cette transition aux multiples facettes exigera d’importants investissements dans l’adaptation de la main-d’œuvre, le relèvement des compétences, le recyclage et le soutien du revenu des travailleurs et des travailleuses sur le marché du travail. C’est là qu’il faut se féliciter de l’entrée en jeu du Plan pour des emplois durables de Ressources naturelles Canada. Lancé avant tout pour faire face aux défis dans le secteur des ressources naturelles, le Plan pour des emplois durables développera des moyens et des initiatives qui seront sans doute favorables pour d’autres secteurs de l’économie, car l’ensemble de l’économie canadienne est affectée par tous ces changements qui s’accélèrent, qu’ils soient climatiques, technologiques ou démographiques.
Je fais un petit aparté, parce que, malgré tous ces changements, la bonne nouvelle, c’est que les Canadiens sont très conscients des défis à relever et qu’ils veulent améliorer leurs compétences. L’amélioration des compétences est à la base du succès de la transition. J’ai déjà parlé d’un sondage effectué par Nanos en décembre 2023 auprès de 1 069 Canadiens, que j’ai commandé avec mon bureau. Ce sondage faisait un peu le même questionnement que j’avais fait avant la pandémie et il donne un aperçu des perceptions canadiennes concernant les impacts anticipés des changements climatiques et technologiques sur le marché du travail et les besoins en formation qui permettrons d’y faire face.
Ce sondage, que nous dit-il? Il dit que 20 % des répondants qui ont un emploi — on peut donc dire 20 % des Canadiens à l’emploi — estiment qu’il est probable ou plutôt probable que tous ces changements menacent leur emploi. Une proportion encore plus forte, soit 37 %, croit que les changements climatiques et les technologies affecteront leurs tâches de travail et exigeront une formation supplémentaire. Ce sont des chiffres astronomiques qui sont mis en évidence, car ce dernier chiffre de 37 % représente pas moins de 8 millions de Canadiens.
Ces perceptions des Canadiens concordent avec les résultats d’études effectuées par des organismes internationaux, dont l’OCDE. Les jeunes Canadiens sont particulièrement conscients des défis. En effet, 42 % des 18 à 34 ans estiment que les changements technologiques et climatiques affecteront leurs tâches de travail.
Pour remédier à cela, les Canadiens sont prêts à se former. Ils sont 9,6 millions qui disent vouloir améliorer leurs compétences, notamment dans le secteur numérique et les compétences professionnelles.
Cela étant dit, l’assurance-emploi — je reviens à l’assurance-emploi et au projet de loi C-50 — continuera de jouer un rôle primordial pour relever le défi du développement de la main-d’œuvre pour le Canada et les provinces. On sait tous que l’assurance-emploi est financée exclusivement à partir des cotisations des employeurs et des employés au régime. Ce régime soutient le revenu pendant la transition en cas de perte d’emploi, mais il est aussi la principale source de financement de la formation pour la transition vers un autre emploi, dans le cadre des ententes avec les provinces.
Le régime finance les comités sectoriels et les initiatives de partenariats de toutes sortes. En somme, le régime de l’assurance-emploi est l’épine dorsale de l’intervention publique sur le marché du travail canadien.
Dans les documents que j’ai consultés sur le financement de toutes les mesures qui seront adoptées au moyen du plan d’action pour des emplois durables, l’assurance-emploi est identifiée comme étant l’une des principales sources de financement.
L’assurance-emploi n’est pas dans le périmètre comptable des ressources naturelles du Canada ni dans celui d’Environnement et Changement climatique Canada. Nous nous posons une question importante par rapport au mode de fonctionnement de ce conseil et du partenariat.
Le plan pour des emplois durables compte largement sur l’assurance-emploi. Or, selon l’application du principe « pas d’imposition sans représentation », les représentants des entreprises et de la main-d’œuvre doivent être associés au plan pour les emplois durables, et ils le seront.
Cependant, ce qui m’inquiète, c’est bien évidemment d’associer directement à la prise de décisions les acteurs du marché du travail par l’entremise de représentants des associations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatifs. Ces personnes doivent être nommées à ce titre, et non pas à titre individuel ou personnel. Or, dans le projet de loi, on ne fait pas la distinction. Être syndiqué est suffisant pour être nommé au conseil.
Je le répète : la nomination des membres du Conseil du partenariat pour des emplois durables doit se faire sur la base des associations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives, et non pas à titre individuel ou personnel. C’est là une lacune du projet de loi. En outre, comme le plan d’action reposera sur l’utilisation de l’assurance-emploi, les commissaires des travailleurs et des employeurs de l’assurance-emploi doivent aussi siéger au conseil, compte tenu de l’importance du régime dans le financement des transitions sur le marché du travail.
Les principales associations de travailleurs et d’employeurs au Canada ont affirmé vouloir relever les défis que posent les transitions climatiques, technologiques et démographiques. Ils l’ont fait à l’occasion du forum sur l’emploi et la compétence que nous avons tenu. Le sénateur Yussuff et la sénatrice Ross y étaient. Cette affirmation était bien claire.
En résumé, un plan d’action pour la transition climatique est indispensable, notamment en ce qui a trait au marché du travail. À cet effet, les représentants des travailleurs et des entreprises des plus importantes associations ainsi que les commissaires de l’assurance-emploi doivent impérativement y être associés.
J’espère que le comité qui étudiera ce projet de loi s’interrogera sur ces questions ainsi que sur la mise en œuvre de ce plan dans les plus brefs délais. En effet, ultimement, les changements climatiques sont en cours et on ne peut trop tarder à entreprendre les transitions nécessaires.
Je vous invite à adopter rapidement ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture pour le renvoyer en comité. Merci.
Des voix : Bravo!
Son Honneur la Présidente : Il y a deux sénateurs qui veulent poser des questions. Est-ce que vous aimeriez avoir plus de temps, parce que votre temps de parole est écoulé?
La sénatrice Bellemare : Oui.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Cuzner : L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Bellemare : Absolument.
Le sénateur Cuzner : Nous savons que le changement exerce une pression sur la main-d’œuvre. L’invention des clôtures a enlevé leur travail à bien des bergers. Le développement des technologies marines et des aides à la navigation a rendu plus rares les postes de gardien de phare.
J’avais été très impressionné par la venue du sénateur Yussuff et du Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes dans ma région au Cap-Breton. Le sénateur MacDonald et la sénatrice Cordy pourraient vous en parler, mais, à une certaine époque, au Cap-Breton, le charbon était roi. Il y avait 6 000 mineurs. Je sais qu’ils auraient aimé avoir accès à un tel programme.
Je sais que vous avez travaillé dans le secteur syndical. Je crois qu’il est essentiel d’adopter une approche tripartite pour l’élaboration des politiques et des programmes. Madame la sénatrice, avez-vous l’assurance que ce type d’approche a été employé pour l’élaboration du projet de loi à l’étude et qu’on a respecté les principes de l’approche tripartite?
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie de cette question importante, sénateur. J’y répondrai après l’étude du comité. D’après ce que je sais des meilleures pratiques tripartites, celle-ci est quelque peu différente, en particulier sur un point — et c’est celui que je souligne —, à savoir que les employeurs et les travailleurs ne proviennent pas nécessairement des associations les plus représentatives. Avec le tripartisme dans la société, il faut que les plus grandes associations soient les plus représentatives. Il ne peut y avoir de nominations individuelles. Il est important que les institutions participent. Ce projet de loi ne respecte pas cette caractéristique.
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénatrice Bellemare, accepteriez-vous de répondre à une question?
La sénatrice Bellemare : Absolument.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais reprendre un peu les propos de mon collègue. Vous êtes du Québec; vous avez organisé toutes sortes de forums sur les questions de la main-d’œuvre et vous y avez participé. Comment croyez-vous qu’un organisme où il manque une table de concertation et où le Québec et l’Alberta sont absents peut fonctionner, étant donné l’importance des provinces dans les questions liées à la main-d’œuvre?
La sénatrice Bellemare : Je dois dire que, dans ce cas d’organisation de la main-d’œuvre, il y a une façon indirecte de prévoir une participation des provinces. C’est toujours par l’intermédiaire des associations patronales et des organisations syndicales. C’est par ce corridor que le tam-tam descend et remonte. C’est par l’intermédiaire des associations les plus représentatives, que ce soit les chambres de commerce en lien avec la Chambre de commerce du Québec et de l’Alberta, ou le Congrès du travail du Canada en lien avec la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et avec les fédérations des travailleurs de l’Ontario et de l’Alberta, que les liens et les connexions peuvent se faire.
Je ne suis pas certaine de la manière d’associer les provinces à ce stade, mais dans les études que j’ai faites, pour ce qui est de l’assurance-emploi, il est très clair dans mon esprit que le conseil doit être composé surtout de représentants des acteurs du marché du travail qui peuvent discuter avec les provinces. Les associations patronales et syndicales, je le répète, ce sont des créneaux et des liens. Heureusement, dans ces secteurs, ces associations ne changent pas nécessairement leur discours tout le temps. La logique du marché du travail chez les syndicats et les entreprises est convergente et ne change pas à cause de la couleur des idéologies, parce que l’objectif est de créer de bons emplois. C’est pour cette raison que c’est un corridor et que c’est un très bon lien avec les provinces.