L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, aujourd’hui, je veux ajouter ma voix au débat sur le projet de loi C-32.
J’ai été un peu surprise par le débat que nous avons eu sur le Fonds de croissance; surprise, oui, mais pas tout à fait, dans le fond. Je veux partager avec vous également certaines craintes quant au Fonds de croissance du Canada, mais je voudrais plutôt le situer dans son contexte.
Tout d’abord, quand j’ai étudié le projet de loi C-32, j’ai trouvé qu’il contenait un ensemble de très bonnes mesures et qu’il était très important qu’elles soient adoptées. Je cite en exemple les mesures qui s’adressent aux étudiants et celles qui concernent l’accession à la propriété.
Dans la loi américaine intitulée Inflation Reduction Act, on trouve un ensemble de mesures visant à stimuler l’investissement des entreprises dans le contexte de la transition vers une économie plus verte. Il s’agit de près de 400 milliards de dollars, sans compter les effets de levier que ces mesures cherchent à réaliser.
Je m’y suis intéressée davantage quand j’ai regardé le projet de loi sur le Fonds de croissance du Canada parce que je m’étais penchée sur l’Inflation Reduction Act of 2022, qui a été déposée aux États-Unis à l’automne dernier. Celle-ci prévoit un ensemble de mesures qui visent notamment à réduire l’impact de l’inflation sur les Américains, mais aussi des mesures permettant de stimuler les investissements américains, pour favoriser la transition verte et augmenter la productivité tout en générant une croissance qui mènera à une réduction du déficit. C’est tout un ensemble de défis que l’Inflation Reduction Act cherche à relever.
En même temps, quand on regarde cette loi, il y a près de 400 milliards de dollars qui sont versés aux entreprises sous forme de crédits d’impôt et de prêts. J’ai vu davantage de crédits d’impôt que de prêts, mais le ministère des Finances y a vu plus de prêts que de crédits d’impôt, cela dépend de l’interprétation dont ont fait de la loi américaine.
Je comprends que le gouvernement du Canada, à la suite du dépôt de cette loi américaine, se soit senti interpellé et que, dans le projet de loi dont nous sommes saisis, il y ait une mesure qui s’appelle le Fonds de croissance du Canada. Quand la ministre est venue témoigner au comité — je n’y étais pas, mais j’ai lu les témoignages —, il était évident qu’elle plaidait l’urgence d’agir pour créer un fonds qui atteindra jusqu’à 15 milliards de dollars et qui avait été annoncé. Elle l’a inséré dans ce projet de loi pour amorcer tout de suite des investissements possibles aux entreprises.
Il est vrai que cela soulève beaucoup de questions, parce que le projet de loi est relativement succinct, qu’il prévoit une somme de 2 milliards de dollars pour l’acquisition d’actions par le gouvernement et que celui-ci s’en remettra à la Corporation de développement des investissements du Canada pour entreprendre éventuellement des investissements et pour assurer la transition.
Évidemment, beaucoup de sénateurs ont posé des questions au sein du comité. La sénatrice Marshall a posé des questions très intéressantes, ainsi que le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Galvez, la sénatrice Moncion et le sénateur Cardozo, qui ont tous été interpellés par ce fonds et par le peu d’information dont nous disposions, nous ne pouvons pas le nier.
Cela dit, on en apprend un peu plus quand on regarde le document technique lié au Fonds de croissance du Canada et les objectifs visés par le gouvernement dans cette mesure.
Je vais vous en lire des extraits. Vous verrez, mon but n’est pas tant de défendre cette mesure que d’essayer de suggérer au gouvernement des éléments à prévoir dans la prochaine mouture du projet de loi, où il y aura plus de renseignements sur l’institution qui sera créée. Je pense qu’il s’agit ici d’une bonne occasion pour dire au gouvernement de prévoir ces éléments dans la prochaine mouture. C’est pour cette raison que je vous lis les objectifs du fonds :
Étant donné que la prospérité économique du Canada repose traditionnellement sur les ressources naturelles et d’autres industries à forte intensité d’émissions, il faudra une transformation importante de la base industrielle pour que le pays atteigne ses objectifs climatiques et assure une prospérité à long terme pour les Canadiennes et les Canadiens. Le Canada doit créer les technologies, les infrastructures et les entreprises nécessaires pour réduire sa dépendance au carbone; il n’y arrivera pas sans faire croître rapidement et sans maintenir ensuite l’investissement privé dans des activités et des secteurs qui renforcent la position du Canada en tant que chef de file de l’économie à faibles émissions de carbone.
Le texte se poursuit ainsi :
Le FCC, conçu pour atténuer les risques qui limitent actuellement l’investissement de capital privé, permettra de débloquer les capitaux nationaux et étrangers dont le Canada a besoin.
Ce sont là les objectifs que le fonds vise à atteindre, donc la transition, et ce, à une échelle assez grande.
On apprend également dans tout le débat qu’il y a une urgence en la demeure. Dans les journaux également, on constate qu’il y a des entreprises qui avaient commencé à faire des investissements, des investissements risqués, et qui peuvent décider d’aller investir aux États-Unis sans subir trop de pénalités. Le fonds permet donc un peu — c’est comme cela que je l’interprète — de défendre la stratégie canadienne et de dire aux entreprises : « On va vous aider également dans les technologies et les secteurs qui sont plus à risques. »
L’argument n’est pas convaincant comme tel, mais le document technique nous permet aussi de voir l’ampleur et la complexité de la problématique. Dans le document technique, on apprend notamment quels sont les risques que ce fonds essaie d’atténuer pour les entreprises. Ce ne sont pas de petits risques, ce sont de gros risques.
D’abord, il y a les risques liés à la demande, compte tenu de l’incertitude entourant la valeur marchande finale; les risques liés aux politiques, en raison de l’incertitude entourant la réglementation en matière de lutte contre les changements climatiques — comme le prix du carbone ou les normes relatives aux carburants propres —; les risques réglementaires, qui sont importants et qui concernent ce que les provinces peuvent faire en ce qui a trait à l’évaluation des projets et à l’octroi de permis pour les projets de construction; les risques d’exécution qui découlent de la création de produits commercialisés et d’entreprises de pointe.
Tout cela est un jargon pour dire que nos entreprises font face à des risques majeurs. En ce sens, le gouvernement tentera, grâce à ce fonds, de trouver des instruments financiers qui lui permettront en même temps de recevoir des rendements sur investissement et d’atténuer les risques de toutes sortes à l’échelle des entreprises.
C’est ce que le gouvernement veut faire avec ce projet, mais pour l’instant, dans le texte de loi, il n’y a pas grand-chose qui décrit la mesure, sinon les renseignements que contient le document technique.
À mon avis, le gouvernement aurait dû présenter des résultats à atteindre dans le projet de loi. Il aurait été assez simple de proposer des résultats concrets en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces résultats visés, ainsi que les éléments et les critères qui les définissent, apparaissent aussi dans le document technique à la dernière page. Il y en a plusieurs et je ne vous les lirai pas tous, mais on aurait pu indiquer dans le document que l’objectif principal est de réduire rapidement et sensiblement les émissions de GES et de contribuer à atteindre les cibles climatiques du Canada.
Il faudrait aussi inclure dans le projet de loi des paramètres de rendement possible, par exemple la réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre grâce aux investissements du fonds dans des projets liés à l’amélioration de la technologie et aux investissements du fonds dans les entreprises.
Cela dit, je pense qu’on doit donner la chance au coureur et attendre le prochain projet de loi du gouvernement. Il faut dire au gouvernement que l’on souhaite voir trois choses dans son projet de loi : des objectifs de résultats, des cibles visant à atteindre des résultats concrets et une gouvernance beaucoup plus large que celle qui a été prévue et décrite au comité.
Au comité, le ministère a mentionné qu’il avait prévu une gouvernance assurée par des experts, des financiers qui seront capables d’adopter les meilleurs instruments pour réduire les risques d’investissement pour les entreprises. Malheureusement, je ne suis pas certaine que ce soit suffisant.
D’ailleurs, des témoins ont présenté des idées fort intéressantes sur la gouvernance du fonds. Je songe à M. Gil McGowan, qui est président de la Fédération du travail de l’Alberta. C’est un syndicaliste qui est venu présenter les éléments d’un rapport que la Fédération du travail de l’Alberta a produit, qui s’intitule Skate to Where the Puck is Going, ce qui signifie patiner où va la rondelle en français. Dans son rapport, la Fédération du travail de l’Alberta a prévu pour l’Alberta des éléments de transition et une stratégie industrielle. M. McGowan a affirmé au comité qu’il manque une vision au Fonds de croissance du Canada, et que le gouvernement devrait en avoir une. Il a proposé, ce qui est fort intéressant, une gestion bicamérale du Fonds de croissance du Canada. Je vais vous lire un extrait de ce qu’il a dit, parce que c’est plus clair si je le lis en anglais :
J’ai transmis le rapport à la greffière, alors je vous encourage à examiner les sept voies que nous avons retenues. Il y a un élément du Fonds de croissance que je tiens à soulever, et j’en ai fait mention dans mon allocution d’ouverture. C’est une question de gouvernance. Au lieu de se contenter de créer une organisation sans lien de dépendance qui serait dirigée par des directeurs des placements, nous suggérons d’établir une structure bicamérale où il y aurait un conseil des intervenants au sommet, chargé de déterminer les orientations, et un conseil d’exploitation, chargé de gérer les investissements.
En Alberta, les principaux régimes de pension ont une structure bicamérale semblable. J’ai occupé les fonctions de président de ce qu’on appelle un conseil de parrainage, chargé d’établir les politiques générales. Il y avait aussi un conseil d’exploitation distinct.
On suggère donc au gouvernement, dans sa prochaine version du projet de loi qui devrait arriver bientôt, une structure de gouvernance de cette nature, pour s’assurer que les projets qui seront choisis assureront une transition plus macroéconomique, et non pas la réalisation de petits projets spécialisés.
Par ailleurs, tout ceci m’a inspiré un autre commentaire en comparant la situation à l’expérience du Québec. En effet, il y a eu au Québec un Fonds vert; il y avait une loi, qui a depuis été modifiée, il y avait une structure un peu bicamérale et il y avait des objectifs de résultats. Toutefois, il faut du temps avant d’avoir de la clarté dans tout cela, parce que la question est relativement complexe. À mon avis, il manque quelque chose au Canada pour être capable de faire cette transition si nécessaire : nous avons des fonds et nous savons ce que nous devons faire, mais il n’y a pas de concertation entre les principaux acteurs économiques. Chaque gouvernement veut faire les choses conformément à ce que le gouvernement en place décide.
À mon avis, la problématique macroéconomique exigerait de créer non pas juste un fonds, mais un conseil canadien de la prospérité. Il faudrait institutionnaliser un conseil auquel siégeraient les provinces, le gouvernement fédéral ainsi que les représentants de l’économie, soit les entreprises et la main-d’œuvre.
Le défi est colossal. Si l’on créait un tel conseil, on pourrait lui donner la vision nécessaire pour dépenser les fonds que nous avons partout. Il y a des fonds au Québec; nous allons en recevoir. C’est ce que je souhaite que le gouvernement fasse : établir des objectifs de résultats, assurer une gouvernance bicamérale et créer un conseil de la prospérité.
Merci beaucoup.