L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice McCallum, la motion no 41 qui exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé. En effet, les cinq piliers existants ne protègent pas adéquatement les Canadiens racialisés. Des iniquités en matière de santé désavantagent les Autochtones et les Noirs au Canada et ceux-ci disent être victimes de racisme au sein du système de santé actuel. Ces communautés réclament un changement. L’ajout de l’antiracisme en tant que sixième pilier jetterait les fondements d’un changement systémique dont on a grandement besoin.
En bref, chers collègues, le racisme est mauvais pour la santé. Selon la Black Health Alliance, les personnes noires au Canada sont plus susceptibles que le reste des Canadiens de vivre dans la pauvreté et présentent un écart au chapitre de la santé par rapport au reste des Canadiens, notamment en ce qui a trait aux maladies chroniques telles que les maladies du cœur, le diabète et les problèmes de santé mentale.
Dans son étude sur la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a entendu de nombreux témoignages, dont celui de la Dre Josephine Etowa, racontant comme le racisme et les mauvais traitements au sein du système médical ont mené à des stérilisations forcées et contraintes. Le témoignage de la Dre Etowa a contribué à informer le rapport du comité, intitulé La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada, dans lequel on peut lire :
Comme dans le cas des communautés autochtones, le racisme structurel, la discrimination et l’exclusion de longue date au Canada créent des iniquités chez les Canadiens d’origine africaine sur les plans de la santé et du bien-être.
Quand s’ajoutent à la notion de race des notions de genre, de handicap, d’âge ou encore un statut d’immigrant, une personne se heurte à encore plus d’obstacles que les politiques et les pratiques par défaut ne permettent pas de franchir, si bien qu’une telle personne peut parfois sembler invisible.
Chers collègues, imaginez-vous, un instant, dans la peau de quelqu’un d’autre. Imaginez qu’en vous rendant au travail à pied, vous glissez sur une surface glacée. Plus tard ce soir-là, ressentant une vive douleur à la hanche et à l’épaule, vous vous présentez à l’urgence. Après 10 heures d’attente, après avoir à peine été examiné par le personnel médical, on vous envoie pour une radiographie. Lorsque le médecin de garde peut enfin vous voir, on ne vous demande pas d’enfiler une chemise d’hôpital et le médecin ne vous examine pas non plus. Il regarde simplement votre radiographie, vous dit que vous n’avez rien de cassé et vous dit de mettre de la glace, de prendre de l’ibuprofène et de l’acétaminophène. Il dit que vous irez mieux dans quelques jours. Au moment où vous quittez l’hôpital, la douleur que vous ressentez, sur une échelle de 1 à 10, atteint 12. Vous vous rendez alors compte que le médecin ne vous a même pas interrogé au sujet de votre douleur.
Vous continuez d’endurer la douleur, parce qu’on vous a dit de retourner travailler. Finalement, la douleur devient insupportable au point où vous ne pouvez plus vous habiller tout seul. Deux semaines plus tard, vous obtenez un deuxième avis et on diagnostique une fracture de l’épaule. Malheureusement, le mauvais diagnostic reçu au départ et le fait que vous n’ayez pas obtenu les traitements nécessaires ont aggravé la fracture et causé de multiples lésions à votre épaule. Même si vous avez essayé d’obtenir de l’aide médicale immédiatement après votre chute, votre douleur et votre santé n’ont pas été prises au sérieux, et c’est ce qui fait que vous continuez de souffrir.
Imaginez que, deux ans plus tard, votre épaule vous fait toujours souffrir et chaque jour vous rappelle qu’on ne s’est pas bien occupé de vous et qu’on a mal diagnostiqué votre problème. Vous êtes fâché et enragé et vous vous sentez impuissant, parce qu’une chute sur une plaque de glace ne devrait pas vous faire souffrir pendant deux ans. Imaginez maintenant qu’au lieu d’une chute, il s’agisse d’une maladie potentiellement mortelle ne vous laissant pas le temps d’obtenir un deuxième avis.
Chers collègues, ceci n’est pas de la fiction. C’est quelque chose qui m’est arrivé en avril 2019, et je continue à ressentir les effets de cet incident sur ma vie tous les jours. Je ne suis pas un cas isolé. Lorsque je raconte mon histoire à des Afro-Canadiens, ils acquiescent. Ils me comprennent parce qu’ils ont eux aussi été victimes de racisme et de discrimination dans le système médical canadien.
J’ai vu mon époux, d’autres membres de ma famille et d’autres communautés à travers le pays recevoir le même traitement : des problèmes différents et des médecins différents, mais le même système médical qui fait fi de notre souffrance. Ce type d’expérience est bien trop fréquent chez les Autochtones et les Noirs, en particulier pour ceux d’entre nous qui ont des identités qui se recoupent. On ne peut pas accepter qu’il y ait encore d’autres morts et une baisse générale du sentiment de bien-être dans nos collectivités.
En théorie, l’antiracisme devrait être intégré aux cinq autres piliers, mais comme mon histoire le montre bien, il n’est pas toujours vrai que ces piliers réussissent à « protéger, […] favoriser et […] améliorer le bien-être physique et mental », comme ils le devraient.
L’inclusion de l’antiracisme comme pilier vise à garantir l’équité en matière de santé pour les personnes victimes de racisme systémique. L’équité en matière de santé est une façon de reconnaître et de prendre en compte les obstacles qui existent, et de travailler en vue de les éliminer. L’accessibilité et l’universalité, deux des cinq piliers existants, ne sont pas garanties pour les personnes qui vivent en marge de la société.
Comme l’a demandé la sénatrice McCallum : « Comment peut-on affirmer que les soins de santé sont accessibles lorsque les gens ont peur de se rendre aux centres de santé en raison du racisme? » Tant que l’universalité et l’accessibilité ne seront pas garanties pour tous, nous devrons prendre des décisions et des mesures délibérées.
Honorables sénateurs, les Autochtones et les Noirs ne se sentent pas en sécurité au sein du système de santé actuel. Nous nous heurtons à des préjugés, et nous sommes victimes de déshumanisation. Certaines personnes racisées évitent les médecins à tout prix. Au Sénat, nous prenons nos décisions en nous fondant sur les recherches effectuées, et nous prenons en considération les expériences des Canadiens marginalisés. Par conséquent, j’appuie la motion no 41. J’espère que ma contribution à ce débat vous aidera à mieux comprendre les expériences vécues par les Autochtones, les Noirs et d’autres personnes marginalisées dans notre système de santé.
La motion à l’étude jettera les bases d’un avenir où tous les Canadiens auront un accès équitable à des soins de santé sûrs et adaptés à leur culture. Asante. Merci.