L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole à partir de Winnipeg, territoire du Traité no 1, les terres traditionnelles des Anishnabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dénés et des Dakotas, lieu de naissance de la nation métisse et cœur de la patrie de la nation métisse.
J’appuie le projet de loi C-228, Loi établissant un cadre fédéral visant à réduire la récidive.
J’attire votre attention sur l’alinéa 2(2)a) du projet de loi C-228, qui précise que le cadre doit « […] mettre sur pied des projets pilotes et élaborer des programmes normalisés et fondés sur des données probantes ayant comme objectif de réduire la récidive […] ».
Je veux aussi signaler que l’alinéa 2(2)e) prévoit que le cadre doit inclure des mesures visant à :
[…] évaluer et améliorer les instruments et les procédures d’évaluation des risques pour s’attaquer aux préjugés raciaux et culturels et veiller à ce que toutes les personnes qui sont incarcérées aient accès à des programmes adaptés qui permettent de réduire la récidive.
Toutes les organisations à but non lucratif et les organisations autochtones devraient recevoir de l’aide afin de pouvoir mettre en œuvre des programmes ayant une signification spirituelle et culturelle particulière pour les personnes concernées.
Vous avez entendu le mantra de mon regretté époux, soit que « nous nous portons tous mieux lorsque nous sommes tous prospères ». Ce mantra et mon travail dans le milieu des arts m’incitent à parler du projet de loi C-228. Je le fais en l’honneur de la Journée nationale des peuples autochtones et du travail et des cultures remarquables de tous les artistes. Sénatrice McCallum, le fait que vous portez sur vous une plume d’aigle est important. Je vous en remercie. Votre honnêteté et votre leadership culturel doivent être applaudis. Ils revêtent une grande importance tant pour les Autochtones que pour les non-Autochtones.
Pourquoi est-ce que je parle du projet de loi C-228? Parce que je crois que nous avons la responsabilité d’aller au-delà des raisons de ces incarcérations, de permettre aux gens de découvrir leur patrimoine créatif et de développer des outils qui encouragent une interaction communautaire positive et une vie saine et significative.
Les programmes d’arts en prison et ceux où des artistes professionnels dispensent une formation produisent des résultats positifs et réduisent les taux de récidive et de criminalité.
Les programmes d’éducation dans les prisons préparent les détenus à la vie en société et les dotent des compétences nécessaires pour prévenir la récidive. Nous savons que de tels programmes ont déjà donné de bons résultats à l’échelle nationale et internationale. Je crois que revitaliser des anciens programmes d’artistes en résidence dans nos prisons — centres de détention fédéraux, provinciaux, pour femmes, pour hommes et pour jeunes — contribuerait au mieux-être de notre société.
Pendant des années, j’ai suivi les programmes d’arts ayant pour but de prévenir la criminalité et de réduire la récidive. Certains programmes sont élaborés pour les adultes; d’autres pour les jeunes.
Au cours de mes nombreuses années de recherche sur les programmes parascolaires communautaires, j’ai pu voir des résultats vraiment encourageants. Un programme d’avant-garde a été mis sur pied à Fort Myers, Floride. Dans le rapport Coming Up Taller publié en 1996, il est fait état des résultats remarquables du programme après à peine quelques années d’existence :
Le service de police de Fort Myers enregistre une baisse de 28 % du nombre d’arrestations de mineurs depuis la mise en œuvre du programme STARS qui a été primé […]
Ce programme offre des activités récréatives et artistiques.
J. Weitz, du President’s Committee on the Arts and the Humanities, a souligné dans le même rapport :
La voie des arts, particulièrement le théâtre, constitue l’un des moyens les plus naturels et les plus efficaces pour aider les membres de bandes criminelles. De nouvelles valeurs émergent uniquement de nouvelles expériences, et les arts offrent un laboratoire unique où ils peuvent explorer en toute sécurité la vérité et les possibilités. Il est primordial de valider la sécurité émotionnelle.
Plus avant dans le rapport, on peut lire que le fait que les programmes artistiques permettent…
[…] aux jeunes d’accepter des responsabilités explique en partie l’efficacité de ces initiatives. “Les jeunes n’apprenent pas pour satisfaire une entité externe. Ils sont en charge du projet.”
Ces projets sont présentés à la collectivité, qui peut les voir et échanger […] les jeunes sont responsables de leur succès.
D’autres publications tirent des conclusions similaires. Je songe notamment au rapport de l’organisme Youth on Youth qui conclut que l’art :
[…] permet aux jeunes de s’exprimer, de créer leur propre identité au lieu qu’elle soit modelée par de grandes institutions […] Aucun résultat particulier n’est attendu, et rien n’est bien ou mal.
C’est particulièrement important pour les jeunes à risque qui sont marginalisés d’emblée.
Je devrais maintenant dire que je préfère parler non pas de jeunes à risque, mais de jeunes au potentiel encore inexploité.
Selon la vaste étude intitulée Making the Case for Youth Recreation menée en 2003 par la Dre Gina Browne, il ressort principalement que les programmes culturels et récréatifs peuvent réduire le coût des services sociaux et des services de police, ce qui tend à indiquer que les services faciles d’accès semblent s’autofinancer grâce à l’utilisation réduite des services sociaux et des services de santé comme la pédopsychologie, le travail social, les services de police et les services de probation. « On évalue l’économie à 500 $ par famille, sans compter que le nombre d’assistés sociaux est réduit de moitié! »
Une proposition de programme d’arts dans un centre de détention pour jeunes de Winnipeg a malheureusement été rejetée il y a quelques années. On m’a dit que si les jeunes créaient une œuvre artistique ensemble, cela pourrait « encourager des comportements négatifs ». Toutefois, le chef spirituel des Premières Nations de l’époque dans ce centre a dit que la création artistique était essentielle pour ces jeunes. Il m’a montré des tiroirs remplis d’œuvres que des jeunes avaient créées, mais qui n’avaient jamais été exposées. J’espère que l’on comprendra la grande importance de ces programmes. Dans ce cas précis, j’avais en coulisse des donateurs privés prêts à assurer le financement.
La Graffiti Gallery de Winnipeg est une source d’inspiration. Elle a été fondée en 1998 par Steve Wilson, qui n’est pas un artiste, mais un ancien agent de détention de l’Établissement de Stony Mountain qui détient un diplôme en travail social. Il savait qu’il y avait une meilleure façon de s’occuper des jeunes en difficulté; alors, grâce au pouvoir de la créativité positive, il a fondé un endroit unique à Winnipeg : un centre d’arts communautaire sans but lucratif pour les jeunes qui a pour but d’accroître le bien-être culturel de la collectivité et qui se concentre sur les programmes artistiques et les peintures murales ayant un thème juridique.
Les jeunes artistes se réunissent, travaillent, font de la recherche, échangent des idées, acquièrent des compétences et exposent leurs œuvres dans un climat propice, où les gens voient la valeur de leur travail. Il s’agit d’un outil puissant de développement communautaire, de changement social et de croissance personnelle. Sur le site Web des murales de Winnipeg, on commente le travail de cet ancien agent correctionnel :
Bien des jeunes qu’il rencontre ont de graves problèmes de confiance, surtout à l’égard des adultes ou des personnes qui sont dans une certaine position d’autorité. Certains d’entre eux ont peut-être eu des démêlés avec la justice ou ont été dépeints par d’autres comme des personnes qui s’en sont pris à leur collectivité.
J’ai parlé avec M. Wilson la semaine dernière. Il a dit ceci :
[…] Ces jeunes s’en prennent à la collectivité parce que c’est tout ce qu’ils savent faire. C’est parce que, à un très jeune âge, ils se faisaient attaquer par leurs concitoyens. […] Quand ils deviennent un peu plus âgés, il n’est donc pas surprenant qu’ils commencent à avoir des problèmes. Premièrement, ils tentent de s’éloigner des personnes qui les maltraitent et, deuxièmement, ils cherchent à établir des liens qui peuvent durer.
La Graffiti Gallery a travaillé avec diligence pour :
[…] rompre ce cycle et enseigner quelques techniques de peinture murale à des jeunes possédant déjà une certaine habileté. […] Les peintures murales sont l’une des meilleures façons de réintégrer dans la société des jeunes adultes et des jeunes à risque. […] Une telle expérience leur procure un sentiment d’accomplissement et leur donne confiance en eux-mêmes. De plus, les jeunes doivent s’affranchir des influences néfastes dans leur vie et se reprendre en main pour réaliser ce travail qui laissera un héritage durable dans le voisinage.
Les progrès de ces jeunes sont remarquables :
[Ils] proposent d’offrir quelque chose en retour à leur communauté pour l’aider à guérir par l’entremise d’une forme d’art public. Au final, un jeune qui était hostile à sa communauté est de retour pour peindre une fresque qui embellit son environnement tout en donnant à l’artiste un sentiment de fierté retrouvée […] C’est une expérience positive tant pour l’artiste que pour la communauté, et cela peut engendrer d’autres changements.
Exposer leurs œuvres à la Graffiti Gallery leur permettent d’améliorer leur confiance en eux et leurs liens avec la communauté. Les jeunes artistes l’ont constaté et m’ont dit :
Eh bien, je peux faire autre chose à part enfreindre la loi; je peux attirer l’attention de manière positive avec mon art.
Depuis lors, un certain nombre d’autres programmes ont vu le jour, la plupart étant dirigés par des diplômés de l’Université du Manitoba. Ils promeuvent la compréhension culturelle par des vecteurs comme la broderie perlée, les fresques, les tambours et la peinture auprès de ces jeunes gens, et il s’avère que cela réduit les taux d’incarcération et de récidive.
J’ai récemment participé à un certain nombre de discussions concernant des projets d’exposition d’œuvres d’art créées par des détenus, et j’espère qu’ils obtiendront l’aide nécessaire. De telles expositions permettent à l’artiste de mettre ses idées à l’épreuve, de gagner de la confiance en soi et de donner au public l’occasion de comprendre les problèmes et les points de vue des détenus, de l’intérieur comme de l’extérieur, ainsi que leurs situations personnelles. Nous avons besoin de ces voix du changement. Nous devons comprendre que les projets d’art dans les espaces publics peuvent amener les personnes et les communautés à changer. C’est particulièrement important maintenant.
Lors de l’élaboration de la politique sur l’art public de Winnipeg, un policier de Winnipeg m’a appelé. Il voulait se joindre au comité de l’art public, non pas parce qu’il s’y connaissait en art — il a dit qu’il ne s’y connaissait pas — mais parce qu’il savait que l’art public permet de réduire la criminalité puisqu’il contribue à la fierté civique et que la plupart des gens respectent le travail créatif des autres. Il a contribué de manière significative à l’élaboration de la politique et, par la suite, il a continué d’être utile comme membre du comité de l’art public.
Les auteurs d’une étude américaine portant sur un programme de réinsertion réduisant la récidive en prison ont tiré des conclusions intéressantes :
Lorsqu’un organisme à but non lucratif du domaine des arts affirme avoir mis au point un programme de réinsertion des prisonniers qui réduit le taux de récidive à moins de 5 %, les experts en justice pénale se montrent incrédules. C’est pourtant ce qu’a fait Rehabilitation Through the Arts (RTA), un organisme à but non lucratif de l’État de New York. Son programme a permis d’améliorer le moral et la sécurité dans les prisons, d’amener la population carcérale à se comporter de manière plus respectueuse et à travailler de manière plus coopérative et d’aider les personnes incarcérées à acquérir les compétences nécessaires pour réussir leur réinsertion.
Le Department of Corrections and Community Supervision de l’État de New York a publié de manière indépendante des recherches montrant « […] que les participants au programme commettaient moins d’infractions et qu’un grand nombre d’entre eux reprenaient leurs études. »
En 2017, le Bridge Prison Ministry de Brampton a exposé des œuvres d’art réalisées par des condamnés, notamment d’anciens condamnés. Les œuvres que j’ai vues sont impressionnantes, vraiment émouvantes, et traduisent une profonde souffrance, mais incarnent aussi l’espoir et l’humanité. Chers collègues, lorsque j’étais directeur de la galerie d’art du Grand Victoria, les prisonniers d’Albert Head nous ont aidés à construire des scènes et certaines installations. Certains prisonniers ont assisté au vernissage d’une exposition dans laquelle ils étaient les sujets d’un portraitiste vedette. Le même soir, nous avons inauguré une exposition de Jack Bush, un grand artiste canadien. Le président du conseil d’administration et le PDG de la banque commanditaire étaient présents. Un tambour d’harmonie avait été installé et, tout au long de la soirée, des cadres d’entreprise ont joué du tambour sans savoir qu’ils jouaient en compagnie de prisonniers, dont certains avaient été incarcérés pour vol de banque.
En terminant, je voudrais citer un article du Tyee au sujet du programme de l’Université de la Colombie-Britannique où des universitaires autochtones faisaient de la recherche dans le domaine des arts et de la culture pour des détenus. Ils remettaient des œuvres d’art et des trousses pour la tenue d’un journal aux Autochtones des prisons et des maisons de transition afin « […] d’alléger l’impact combiné qu’ont l’incarcération et la pandémie sur la santé mentale », ce qui montre :
[…] l’importance des relations entre les communautés des Premières Nations et les détenus autochtones face à la surreprésentation de ces derniers dans les prisons de la Colombie-Britannique.
En décembre dernier, Emily van der Meulen et Jackie Omstead ont publié un rapport concernant une refonte des programmes d’arts dans les prisons. Le rapport affirmait ceci :
L’offre de programmes d’arts et d’autres programmes dans les prisons canadiennes est au mieux limitée. Même l’enquêteur correctionnel, l’ombudsman des prisonniers, s’est fait critique quant à la quantité limitée d’options intéressantes pour les prisonniers. Les programmes actuels sont surtout fondés sur la logique de la réadaptation et ont pour objectif de réduire le récidivisme.
Le travail lié à la production de ce rapport comprenait une évaluation d’un programme en arts de neuf semaines dans une prison pour femmes, programme qui a été couronné de succès.
Chers collègues, il y a beaucoup de travail à faire. Je suis pour les programmes dans les prisons et les programmes communautaires qui visent à réduire le récidivisme et à bâtir l’estime de soi, la confiance en soi et les compétences. Au fil des ans, de magnifiques œuvres d’art ont été produites dans les prisons et l’art peut contribuer à empêcher la criminalité. Faisons en sorte que le talent créatif soit utilisé à des fins constructives. Ces programmes sont essentiels, ils portent leurs fruits et ont de vastes retombées. Par conséquent, j’appuie ce projet de loi. Merci.
Son Honneur le Président : Sénatrice Bovey, le sénateur Dagenais souhaite vous poser une question. Accepteriez-vous d’y répondre?
La sénatrice Bovey : Oui, si j’ai assez de temps.
L’honorable Jean-Guy Dagenais : Sénatrice Bovey, vous savez comme moi que, depuis un certain temps, il y a une augmentation des féminicides et que l’on fait tout pour empêcher l’augmentation de ces féminicides. Malheureusement, on sait qu’une majorité de ces féminicides est le fait de récidivistes. Je pense à ce qui s’est passé à Sainte-Foy, l’année dernière; je pense aussi à cette femme qui a été poignardée dans le cou, rue Monkland à Montréal, par un récidiviste qui venait de sortir de prison. Je songe également à M. André Livernoche, dont le fils a été assassiné par un prédateur sexuel qui venait de sortir de prison.
Que dit-on à ces familles quand on souhaite appuyer un projet de loi qui permet la réhabilitation des meurtriers, et ce, surtout maintenant, alors qu’il est impossible de nier qu’il y a une augmentation tragique des féminicides, et que ceux-ci sont souvent le fait de gens qui ont eu des démêlés avec la justice?
Que dit-on à ces familles?
Son Honneur le Président : Sénatrice Bovey, vous n’avez que 40 secondes pour répondre à la question.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie de votre question. C’est une grande question et, en toute honnêteté, je ne pense pas que je puisse vraiment y répondre dans le temps de parole qu’il me reste. Je me contenterai de souligner ce que Steve Wilson m’a souvent dit : beaucoup de ces personnes qui ont pour la première fois des démêlés avec la justice le font en raison de l’éducation qu’elles ont reçue ou qu’elles n’ont pas reçue et des leçons qu’elles ont apprises ou tirées pendant leur jeunesse. C’est pourquoi ces programmes avec lesquels il travaille ont connu tant de succès. Je pense qu’il nous en faut davantage.