L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, j’espère que, grâce à cette tablette, je serai aussi bon que le sénateur Tannas, qui a fait un excellent discours, et je l’en remercie.
Honorables sénateurs, je suis très heureux de prendre la parole pour amorcer la deuxième lecture du projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur les juges. Nous allons encore parler de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, mais dans un contexte peut-être moins excitant que celui du projet de loi C-15. Je sais que vous attendez impatiemment d’entendre mon discours depuis la semaine dernière; je ne vous ferai donc pas patienter plus longuement. Néanmoins, ce sera peut-être un discours plus technique, mais cela montre l’importance des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance judiciaire. J’espère que j’aurai votre attention et, surtout, votre soutien pour ce projet de loi.
Le projet de loi S-5 propose essentiellement de moderniser le cadre législatif du processus de plaintes qui s’applique aux juges de nomination fédérale. Le projet de loi vise aussi à garantir que le nouveau processus, avant la demande au Parlement de révoquer la nomination d’un juge d’une juridiction supérieure, est juste, efficace et digne de la confiance des Canadiens.
Permettez-moi de commencer par une mise en contexte de ces dispositions législatives. Les rédacteurs de la Constitution, soucieux de l’importance de l’indépendance de l’appareil judiciaire — un principe d’abord reconnu dans la Magna Carta —, ont tenu à s’assurer qu’après leur nomination, les juges ne pourraient pas être démis facilement de leurs fonctions par le gouvernement ou le Parlement. Aux États-Unis, c’est ce qui s’appelle la procédure de destitution d’un juge.
Ce principe est énoncé à l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui se lit comme suit :
[…] les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
En 1971, le Parlement a modifié la Loi sur les juges afin de créer le Conseil canadien de la magistrature, un organisme présidé par le juge en chef du Canada et composé de tous les juges en chef et juges en chef adjoints des cours supérieures du pays. Le conseil compte actuellement 41 membres.
Le conseil a pour mandat d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures du Canada, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. Dans le cadre d’un aspect essentiel de ce mandat, le conseil s’est vu accorder le pouvoir exclusif d’enquêter sur les allégations d’inconduite contre un juge d’une cour supérieure. Quand de telles allégations s’avèrent fondées et que le Conseil canadien de la magistrature détermine qu’elles sont si graves qu’il est justifié de destituer le juge, la loi demande au conseil de présenter un rapport au ministre de la Justice contenant la recommandation de destituer le juge en question.
Le ministre doit ensuite décider s’il soumet la question au Parlement, en invitant les deux Chambres à exercer leur pouvoir en vertu de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 de demander au gouverneur général de destituer le juge.
En imposant un processus par lequel il revient d’abord et avant tout à des juges de traiter des allégations d’inconduite formulées contre un juge, la Loi sur les juges met la magistrature à l’abri des actes d’intimidation ou de représailles de la part du pouvoir exécutif ou des justiciables. De plus, puisque la loi prévoit que les parlementaires peuvent exercer leur pouvoir constitutionnel de révoquer un juge uniquement après avoir reçu le rapport et la recommandation du conseil à cet effet, les Canadiens et les Canadiennes peuvent être assurés que cette mesure, voulue exceptionnelle, n’est prise que lorsqu’elle est véritablement justifiée. Depuis 1867, quatre juges se sont rendus très près d’une motion à la Chambre des communes et au Sénat visant à les retirer de leurs fonctions. C’est donc un processus qui n’est pas utilisé souvent.
Le processus mis en place en 1971 demeure l’un des meilleurs au monde, mais ses éléments principaux ont vieilli au point où les structures et les procédures actuelles ont besoin d’être revues et simplifiées afin d’éviter qu’elles donnent lieu à des situations qui minent la confiance du public.
Plusieurs problèmes se sont révélés être des sources de préoccupation. Je pense notamment à la durée du processus. Je pense aussi au coût du processus de discipline judiciaire. Au titre de la loi actuelle, les divers comités internes créés par le conseil pour traiter les plaintes sont considérés comme des tribunaux administratifs fédéraux, et leurs décisions peuvent donc faire l’objet d’une révision judiciaire, d’abord par la Cour fédérale, puis par la Cour d’appel fédérale et, enfin, sur autorisation, par la Cour suprême du Canada.
Par conséquent, le juge faisant l’objet de la plainte et le Conseil de la magistrature ont la possibilité de demander une révision judiciaire pas moins de trois fois pour des décisions provisoires, ainsi que pour des décisions définitives. Les enquêtes sur la conduite d’un juge peuvent donc être retardées pendant des années.
Dans une affaire récente, un processus de plainte amorcé en 2012 a amené le conseil à recommander la destitution d’un juge. Le processus s’est terminé seulement en février 2021.
Chers collègues, vous ne le savez peut-être pas, mais pendant tout ce temps, tant que le gouverneur général n’a pas destitué le juge ou que le Parlement n’a pas adopté une motion demandant qu’il prenne volontairement sa retraite, la rémunération du juge continue de lui être versée et ses prestations de retraites continuent à s’accumuler. De plus, les frais juridiques que le Conseil de la magistrature et le juge doivent payer aux groupes du conseil et aux tribunaux sont assumés par les contribuables.
Le projet de loi S-5 comprend des dispositions pour que la pension d’un juge soit suspendue dès qu’un comité d’audience plénier détermine que la révocation du juge est justifiée. À moins que la décision soit annulée dans le cadre d’un appel, ou qu’elle soit rejetée par le ministre de la Justice ou par l’une des deux Chambres, le juge en question n’aura droit qu’à la pension accumulée jusqu’à la date où le comité d’audience plénier a conclu que sa révocation était justifiée. Cela permettra de raccourcir le processus de plusieurs années.
Vous le savez peut-être, le projet de loi d’exécution du budget comprend une disposition qui entrera en vigueur dès que le budget sera mis en œuvre. Cette disposition prévoit que les cotisations du juge seront suspendues dès que le conseil recommandera la révocation du juge. Par contre, le projet de loi à l’étude intègre cette mesure dans un tout nouveau processus.
Au sujet d’une affaire qui a traîné pendant environ neuf ans, après que la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision à l’été 2020, le Conseil canadien de la magistrature a écrit ce qui suit dans une lettre ouverte aux Canadiens :
Plus particulièrement, au cours de la dernière décennie, nous avons tous été témoins d’enquêtes publiques qui se sont éternisées et se sont avérées beaucoup trop coûteuses. Nous avons été témoins de demandes incalculables de contrôle judiciaire visant tous les aspects possibles du processus. Ces demandes ont été énormément onéreuses en temps, en argent et en efforts pour nos tribunaux fédéraux. De plus, tous ces coûts, y compris les dépenses occasionnées par le juge qui est au cœur de l’enquête, sont pris en charge par les contribuables. Le juge en cause continue de recevoir la totalité de son traitement et de ses prestations de retraite pendant que le temps s’écoule. Cela donne l’impression que le juge tire profit de ces délais. Le problème est systémique plutôt qu’individuel : problème systémique qui, disons-le franchement, va à l’encontre de l’intérêt public et de l’accès à la justice.
C’est un passage d’un communiqué du Conseil canadien de la magistrature, présidé par le juge en chef du Canada.
À la fin de tout ce processus, le 25 février 2021, huit années après le dépôt de la première plainte au sujet du juge concerné, le juge en chef du Canada, le très honorable Richard Wagner, a affirmé ceci :
À titre de Président du Conseil canadien de la magistrature, je réitère la nécessité d’adopter les réformes législatives que réclame le Conseil depuis longtemps déjà afin d’améliorer le processus de discipline judiciaire et ainsi maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice. Au nom de la magistrature et du public qu’elle dessert, j’accueille donc avec satisfaction l’engagement du ministre de la Justice et du Premier ministre de procéder aux dites réformes dans les meilleurs délais afin d’éviter que de telles sagas ne se répètent. Comme l’a déclaré le ministre de la Justice aujourd’hui même, « les Canadiens méritent mieux ».
Autre lacune du processus actuel, la Loi sur les juges donne seulement au conseil le pouvoir de recommander la révocation d’un juge ou de s’y opposer. Il ne peut pas imposer de sanctions moins sévères pour des cas d’inconduite qui ne répondent pas aux conditions nécessairement élevées qu’il faut remplir pour révoquer des juges. Par conséquent, des cas d’inconduite pourraient ne pas être sanctionnés parce qu’ils ne s’approchent manifestement pas de cette barre élevée.
Il existe également un risque que les juges soient exposés à une enquête publique complète et à la stigmatisation qui y est rattachée, pour des comportements qui pourraient être corrigés de manière plus raisonnable par d’autres procédures et des sanctions moins sévères.
Les amendements visant à corriger ces lacunes permettront non seulement de rendre le déroulement des audiences plus souple et mieux adapté aux allégations qui les entraînent, mais aussi d’offrir davantage de possibilités de règlement rapide et de réserver les audiences les plus coûteuses et les plus complexes pour les cas les plus graves.
Enfin, la Loi sur les juges exige que la recommandation concernant la révocation d’un juge soit présentée au ministre de la Justice par le conseil lui-même, plutôt que par le comité d’enquête constitué pour examiner la conduite d’un juge donné. Ainsi, une fois que le comité d’enquête a tiré ses conclusions, le conseil doit délibérer — en présence d’au moins 17 membres — et préparer un rapport et une recommandation à l’intention du ministre. Cette façon de faire va au-delà de ce qu’exige l’équité procédurale et impose un fardeau important en termes de temps et d’énergie sur au moins 17 juges en chef et juges en chef adjoints, sans parler de la traduction de la preuve — parfois des milliers de pages du rapport du comité — qui a été faite devant le comité d’enquête. Comme le conseil lui-même le reconnaît, cette façon de faire est inefficace et contraire à l’intérêt du public à ce que les ressources judiciaires, y compris les tribunaux et les juges en autorité, soient utilisées de manière optimale.
Ce projet de loi a été préparé après une consultation publique sur la réforme du processus disciplinaire menée par le gouvernement en 2016, ce qui a permis de constater un fort appui en faveur de l’élaboration d’un processus disciplinaire plus transparent et plus facilement accessible au public, notamment en raison de l’accroissement des possibilités, pour les membres du grand public qui n’ont pas de formation juridique, de participer au processus.
Le gouvernement a ensuite bénéficié de discussions soutenues avec les représentants du Conseil de la magistrature, ainsi qu’avec ceux de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, une association qui représente plus de 1 000 juges des cours supérieures, au sujet de leurs préoccupations et de leur vision respectives quant à la réforme du processus disciplinaire. Je reviendrai sur l’importance de ces consultations à la fin de mon allocution.
Pour le moment, il suffit de noter qu’à peu près tous les intervenants appuient les modifications proposées dans le projet de loi S-5, lesquelles amélioreront l’efficacité, la souplesse et la transparence du processus disciplinaire applicable aux juges, tout en respectant les principes de l’équité et de l’indépendance judiciaire. Voilà les objectifs du projet de loi. Je vais maintenant décrire certains de ses éléments clés.
Le projet de loi à l’étude améliorera la souplesse du processus. Après la réalisation d’un premier contrôle par les agents que le conseil a désignés, les plaintes qu’on n’estime pas être dénuées de tout fondement seront renvoyées à un comité d’examen composé de représentants de la magistrature et d’un membre du public. Après avoir examiné la plainte en se fondant uniquement sur les arguments écrits lui ayant été présentés, le comité d’examen pourra imposer des mesures de réparation, à l’exception de la révocation du juge en cause. Par exemple, le comité d’examen pourrait ordonner que le juge suive un cours de perfectionnement professionnel ou qu’il présente des excuses. Cela permettrait de régler rapidement, efficacement et équitablement les cas d’inconduite n’exigeant pas la tenue d’une audience publique en bonne et due forme.
Si le comité d’examen décide qu’une allégation contre un juge pourrait justifier sa révocation, le projet de loi exige que la question soit débattue lors d’une audience publique. Ces audiences se dérouleront différemment de celles des comités d’enquête actuels du conseil. Premièrement, les membres du comité d’audience comprendront un membre du public qui n’est pas juriste, de même qu’un juriste et des juges. Un avocat sera nommé pour présenter la preuve contre le juge, tout comme le ferait un procureur. Le juge continuera de pouvoir soumettre des éléments de preuve et d’interroger des témoins, tout cela avec l’aide de son propre avocat. Bref, le processus sera structuré comme une audience contradictoire, ce qui reflète bien la gravité des accusations portées contre le juge et renforce la confiance du public dans l’intégrité du système de justice.
À la fin de ces audiences publiques, un comité d’audience déterminera si un juge devrait être révoqué ou non. Son rapport ne devra plus être confirmé par le conseil pour entrer en vigueur. Cela supprimera une étape qui est mal définie, et qui entraîne souvent des retards et des coûts importants.
À la fin du processus d’audiences et avant qu’un rapport sur la révocation ne soit remis au ministre, le juge dont la conduite est examinée et l’avocat chargé de présenter la cause contre le juge auront le droit de faire appel du résultat devant un comité. Ce mécanisme d’appel remplacera le recours actuel à la révision judiciaire par les tribunaux fédéraux. En d’autres termes, plutôt que de soumettre le rapport du conseil à un examen externe à plusieurs niveaux, avec les coûts et les retards qui en découlent, le nouveau processus comprendra un mécanisme d’appel spécialisé interne au processus lui-même.
Un comité d’appel de cinq juges, composé de juges en autorité et de juges puînés, tiendra des audiences publiques semblables à celles d’une cour d’appel et disposera de tous les pouvoirs nécessaires pour remédier efficacement aux lacunes du processus du comité d’audience. Une fois sa décision rendue, le seul recours restant pour le juge ou l’avocat qui présente la demande sera de demander l’autorisation de la Cour suprême du Canada. Confier la surveillance du processus à la Cour suprême renforcera la confiance du public et évitera des années de procédures de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.
Le nouveau processus d’appel devra respecter des délais stricts, et les résultats obtenus seront intégrés au rapport et aux recommandations qui seront finalement présentés au ministre de la Justice.
Le nouveau processus de plainte proposé devrait permettre de réduire la durée des procédures de plusieurs années en réduisant considérablement le nombre total d’étapes potentielles et, bien sûr, les coûts associés.
Pour garder la confiance du public, le processus disciplinaire applicable aux juges doit donner des résultats non seulement dans un délai raisonnable, mais à un coût raisonnable pour le Trésor public. Les coûts devraient être aussi transparents que possible et assujettis à de solides contrôles financiers. Le projet de loi prévoit donc des dispositions pour faire en sorte que les coûts liés au processus soient assujettis à des règlements du gouvernement et aux directives du commissaire à la magistrature.
Pour l’heure, le nombre d’enquêtes disciplinaires applicables aux juges varie d’année en année. Cela fait en sorte qu’il est impossible d’établir un budget précis des coûts pour une année donnée, ce qui oblige les gestionnaires à recourir à des mécanismes lourds pour obtenir le financement nécessaire de façon ponctuelle et aux différentes étapes.
Pour remédier au problème, le projet de loi diviserait les coûts du processus en deux volets. Le financement requis pour les coûts stables et prévisibles — ceux qui sont associés à l’examen des plaintes et aux enquêtes au jour le jour — continueront de faire l’objet de demandes pendant le cycle budgétaire ordinaire du conseil.
Quant au deuxième volet, qui concerne les coûts très changeants et imprévisibles associés aux affaires qui donnent lieu à des audiences publiques — ce qui comprend notamment les honoraires de l’avocat qui agit comme procureur et de l’avocat du juge — il sera financé au moyen de crédits législatifs ciblés prévus par le projet de loi. Autrement dit, les paiements nécessaires pour couvrir les coûts associés au processus d’audiences publiques proviendront directement du Trésor public.
Rappelons que les audiences publiques en question sont une obligation constitutionnelle. Pour qu’un juge puisse être révoqué, il faut que sa conduite fasse l’objet d’une audience dirigée par un juge. Il est donc approprié qu’une telle dépense non discrétionnaire, engagée dans l’intérêt public et afin de respecter une obligation constitutionnelle, soit couverte grâce à un accès stable et effectif au Trésor public.
Cela dit, le Parlement doit avoir l’assurance que la portée de ces crédits législatifs est clairement définie. Les différents types de dépenses liées au processus, de même que des lignes directrices quant aux montants permis, doivent être clairement établis. Il faut une reddition de comptes et de la transparence pour que le Parlement et les Canadiens puissent bien voir que les fonds publics sont gérés prudemment.
C’est pourquoi les dispositions portant sur la création de crédits indiquent clairement que seules les dépenses nécessaires à la tenue d’audiences publiques sont incluses. De plus, ces dépenses seront assujetties à des règlements pris par le gouverneur en conseil. Les règlements prévus comprennent des limites quant aux honoraires que les avocats participant au processus peuvent facturer, et ils prévoient que le juge en cause peut avoir un seul avocat principal, et non deux ou trois.
Le projet de loi exige également que le commissaire à la magistrature fédérale établisse des lignes directrices fixant les dépenses et les honoraires à rembourser et les indemnités à verser qui ne sont pas précisément traitées dans les règlements gouvernementaux. Ces lignes directrices doivent être conformes à celles du Conseil du Trésor concernant des dépenses similaires, et toute différence doit être justifiée.
Je signale que le commissaire à la magistrature fédérale, qui est responsable d’administrer ces coûts, est administrateur général et agent comptable, et doit donc rendre des comptes aux comités parlementaires.
Enfin, le projet de loi rend obligatoire tous les cinq ans un examen indépendant de toutes les dépenses payées à même le crédit législatif. L’examinateur indépendant fera rapport au ministre de la Justice, au commissaire et au président du Conseil canadien de la magistrature. Son rapport évaluera l’efficacité de toutes les politiques applicables aux contrôles financiers et sera rendu public.
L’ensemble de ces mesures relèvera le niveau de responsabilité financière concernant les coûts relatifs à la discipline judiciaire, tout en remplaçant l’approche de financement lourde et improvisée qui est en place. Il s’agit d’u complément nécessaire aux réformes procédurales. L’efficacité procédurale et la responsabilité financière concernant les dépenses publiques sont nécessaires pour assurer la confiance du public.
Lors de l’élaboration des réformes, le gouvernement a accordé une attention particulière aux commentaires de la population qui ont été recueillis au moyen d’un sondage en ligne, ainsi qu’à ceux d’un certain nombre d’intervenants juridiques clés, comme l’Association du Barreau canadien, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, les provinces et les territoires.
Notamment, comme je l’ai mentionné précédemment, le Conseil canadien de la magistrature et l’Association canadienne des juges des cours supérieures ont été consultés. L’association regroupe environ 95 % des juges des cours supérieures du Canada. L’apport des représentants du conseil et de l’association était non seulement approprié, mais aussi nécessaire, car il s’agit d’un processus qui, selon la Constitution, doit être dirigé et administré en grande partie par les juges. En consultant le conseil, le gouvernement a pu bénéficier du point de vue de ceux qui sont directement responsables de l’administration du processus disciplinaire applicable aux juges. De plus, en consultant l’association, le gouvernement a pu entendre directement les représentants de ceux qui sont assujettis à ce processus.
À titre d’ancien président de l’Association canadienne des juges des cours supérieures et d’ex-membre de divers comités du Conseil canadien de la magistrature, j’ai suivi de très près ce dossier. Je suis heureux que ce projet de loi jouisse de l’appui du conseil et de l’association. D’ailleurs, dans un communiqué de presse publié le 27 mai 2021, le conseil a déclaré ce qui suit :
Le Conseil canadien de la magistrature accueille favorablement le nouveau projet de loi, déposé par le gouvernement mardi au Parlement, qui vise à réformer le processus de discipline des juges.
Dans le même communiqué, le très honorable Richard Wagner, juge en chef du Canada, a déclaré ceci, et je cite :
« Au cours des dernières années, le Conseil n’a cessé de réclamer le dépôt d’une nouvelle loi afin d’améliorer le processus d’examen de la conduite des juges. Les efforts des membres du Conseil pour élaborer des propositions à cet égard ont été fructueux et nous apprécions l’ouverture dont le ministre de la Justice a fait preuve dans ses consultations avec le Conseil. » […] « Bien que le Conseil prendra le temps requis pour examiner attentivement les modifications proposées, nous sommes confiants que ces réformes apporteront l’efficacité et la transparence essentielles au processus d’examen de la conduite des juges. »
Je souligne que le 9 juin dernier, le Conseil canadien de la magistrature a rendu publique une nouvelle version des Principes de déontologie judiciaire. Cette publication est le phare qui guide les juges au quotidien dans l’exercice de leurs fonctions, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des palais de justice. Cette importante mise à jour des normes de conduite qui sont suggérées aux juges de nomination fédérale s’inscrit dans le processus de modernisation du cadre disciplinaire des juges et de leur comportement.
J’ai commencé ce discours en indiquant que, en tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de bien défendre nos institutions fondamentales, y compris en défendant l’indépendance de la magistrature. Il y a plus de 50 ans, le Parlement a eu la prévoyance de mettre en place un processus de discipline judiciaire pour éliminer toute possibilité d’ingérence politique en permettant à la magistrature d’exercer un contrôle réel sur les enquêtes visant ses membres.
Soulignons que, dans le cas des États-Unis, le processus de destitution bien connu à l’égard du président des États-Unis s’applique aussi aux juges fédéraux. Environ tous les quatre ans, un juge ou deux sont soumis à ce processus et sont destitués. Heureusement, il n’y a pas de processus politique semblable au Canada, en raison de la loi promulguée par le Parlement en 1970.
Aujourd’hui cette forme de leadership judiciaire est bien établie et respectée. C’est un signe de respect pour l’indépendance de la magistrature garantie par la Constitution, et cela aide le public à avoir confiance dans les institutions du système de justice qui sont là pour le servir.
Nous devons maintenant renouveler cet engagement en modernisant le processus de discipline judiciaire. Pour ce faire, nous devons fournir aux gardiens du système judiciaire un cadre législatif moderne offrant tous les outils nécessaires pour maintenir et même accroître la confiance du public. Ces outils visent notamment à accroître l’efficacité, à assurer la transparence, à rendre des comptes, à apporter de la souplesse et à faire respecter les normes les plus rigoureuses en matière d’équité procédurale. Je ne saurais donc trop vous recommander d’adopter le projet de loi dont vous être saisis. Merci, meegwetch.
Son Honneur le Président : Sénateur Dalphond, acceptez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Dalphond : Oui. J’en serai ravi.
L’honorable Denise Batters : Je vous remercie, sénateur Dalphond. J’ai assisté à la séance d’information technique sur le projet de loi S-5 que le gouvernement a organisée la semaine dernière. J’y ai posé quelques questions auxquelles le gouvernement ne m’a pas donné de réponse et j’aimerais maintenant vous poser ces questions.
Tout d’abord, pourquoi le gouvernement présente-t-il le projet de loi S-5 au Sénat?
Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, c’est la première d’une série de questions. Je vous remercie. Bien franchement, je crois que, par respect pour le processus, qui se doit d’être apolitique, le gouvernement a décidé de présenter le projet de loi au Sénat, où le processus est moins politique qu’à la Chambre des communes, et où il est soumis à des personnes qui disposent de plus de temps pour se pencher sur les principes fondamentaux qui sont en jeu.
La sénatrice Batters : Je vous remercie. Dans cette optique, pose-t-il problème qu’un projet de loi présenté au Sénat propose de dépenser des fonds publics en prévoyant des avocats financés par le public pour les juges qui font face à une procédure disciplinaire ou de révocation?
Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, vous demandez s’il est problématique que des dépenses budgétaires soient proposées au Sénat. C’est une bonne question. Puisqu’il s’agit d’un projet de loi d’initiative ministérielle, il est assorti d’un mandat du gouverneur général. Il ne s’agit pas d’un projet de loi d’initiative parlementaire, mais d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat, présenté par un sénateur, qui ne bénéficie pas, bien entendu, de la recommandation royale. Ce projet de loi émane donc du gouvernement et il est présenté avec les fonds appropriés, qui seront suivis par des crédits dans le prochain budget.
La sénatrice Batters : Merci. À cet égard, nous nous sommes retrouvés dans une situation semblable dernièrement avec le projet de loi S-4. Le projet de loi S-4 était aussi un projet de loi du gouvernement, et il incluait une disposition sur l’affectation de crédits, si je ne m’abuse.
Par ailleurs, sénateur Dalphond, la séance d’information technique de la semaine dernière a été organisée par le gouvernement, au moyen d’une conférence téléphonique, sur un projet de loi du gouvernement. Or, il n’y avait pas de services de traduction dans le cadre de cette longue séance d’information technique. Je ne doute pas que vous pensez comme moi qu’une telle situation est inacceptable pour une séance à l’intention de parlementaires sur un projet de loi du gouvernement. Il y a environ cinq ans, j’ai participé à une séance de ce type où il y avait des problèmes importants de traduction. La séance avait été suspendue jusqu’à ce que les problèmes soient résolus.
Sénateur Dalphond, pourquoi n’y avait-il pas de services de traduction à la séance d’information technique du gouvernement de la semaine dernière?
Le sénateur Dalphond : C’est une autre excellente question. Cela dit, je n’ai malheureusement pas participé à la planification. Je peux dire que c’était inattendu et que des services de traduction devaient être offerts. La situation n’a duré que quelques minutes. Comme vous vous en souviendrez, la réunion a commencé 10 ou 12 minutes en retard. Je reconnais donc qu’il y avait des problèmes.
Le processus a été un peu laborieux pour offrir l’ensemble des exposés. Au début, j’ai dit quelques mots en français, puis en anglais, et tous les fonctionnaires du ministère de la Justice ont utilisé des fichiers PowerPoint en français, puis ont répété le contenu en anglais. Il y avait donc une traduction, mais elle n’était pas simultanée. Nous avons eu recours à la traduction consécutive. Dans le contexte d’un procès criminel, ce serait problématique; il y a des jugements à cet effet. La traduction aurait dû être simultanée, et non consécutive. Nous avons toutefois tout fait pour que les exposés soient présentés dans les deux langues officielles, au moyen des deux versions des fichiers PowerPoint.
La sénatrice Batters : Les responsables présents ont certainement fait de vaillants efforts. J’attire simplement votre attention et celle du sénateur Gold sur le fait que cet incident est inacceptable et j’espère qu’il ne se reproduira plus jamais.
Ma dernière question porte sur l’article 140 du projet de loi qui prévoit que le ministre de la Justice doit répondre publiquement à un rapport du comité d’audience plénier traitant de la révocation d’un juge. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas inclus un délai dans lequel le ministre doit répondre publiquement? Le projet de loi a pour objectif de fournir une plus grande transparence et, comme nous l’avons souvent vu, le gouvernement fédéral a souvent été en retard dans des situations où la rapidité et la transparence peuvent être une question très importante. Pourquoi n’y a-t-il pas de délai pour la réponse du ministre?
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie de la question. Premièrement, j’aimerais ajouter une chose en réponse à la question précédente. Je présente très poliment quelques suggestions au représentant du gouvernement, mais nous devrions peut-être également tenter d’organiser une présentation par vidéoconférence pour ces séances d’information technique plutôt qu’une téléconférence. Je pense qu’il serait bon de voir les participants. Nous tenons toutes ces réunions de comité par vidéoconférence. Je ne comprends pas pourquoi les séances d’information ne se font pas par vidéoconférence. Cela dit, je suis convaincu qu’il doit y avoir des raisons techniques à cela.
Pour en venir à votre question, une fois l’audience publique terminée, si l’on recommande le retrait, alors le processus fera intervenir le ministre, et le ministre aura encore des décisions à prendre. Doit-il assurer un suivi à l’égard du rapport? Oui. S’il approuve le rapport, il devra d’abord en informer le Cabinet, puis les deux Chambres.
Entretemps, une fois que le rapport est public et que l’on a recommandé le retrait du juge, l’avocat tenant lieu de procureur aura mené à bien le mandat. Toutefois, le juge peut décider qu’il vaut la peine de faire appel. Le processus d’appel, que j’ai décrit au sein de la structure globale, sera là. Le rapport sera envoyé au ministre, mais le ministre ne peut intervenir tant et aussi longtemps qu’il n’a pas reçu le rapport et la décision du processus d’appel interne. Il est difficile de savoir à l’avance combien de semaines, de jours ou de mois il faudra pour épuiser le nouveau processus d’appel intégré à la structure.
La sénatrice Batters : Toutefois, une partie du problème, c’est que le délai commence à courir à partir du moment où le ministre reçoit le rapport, et tout le processus doit être terminé pour qu’il puisse répondre. Voici ce que je demandais : pourquoi n’y a-t-il pas un délai pour que le ministre réponde une fois que le processus est terminé?
Le sénateur Dalphond : Il y a un délai pour permettre au juge d’appeler de la décision du comité d’audience proposant qu’il soit révoqué. Il faut donc attendre que ce délai soit écoulé pour savoir si le juge décide de se prévaloir de la procédure d’appel. Le ministre ne commencera pas son travail tant que les recours en appel n’ont pas été épuisés.
Je comprends votre question et je constate que vous avez lu très attentivement le projet de loi. Je suis heureux que vous soyez la porte-parole pour le projet de loi parce que vous connaissez très bien le sujet et que vous avez déjà fait beaucoup de travail. Je crois que le processus a été conçu pour être souple parce qu’on n’arrivait pas à prévoir le temps qu’il faudrait pour terminer le processus. Toutefois, il est évident qu’il faudra des années de moins qu’avec le processus actuel.
Son Honneur le Président : Sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis aimerait vous poser une question. Accepteriez-vous de répondre à une autre question?
Le sénateur Dalphond : Avec plaisir.
L’honorable Renée Dupuis : Sénateur Dalphond, dans les cas où un comité d’examen veut imposer des sanctions, on prévoit quatre possibilités : la réprimande, une demande d’excuses, prendre des mesures équivalentes, et il y a aussi une autre possibilité, qui est de prendre d’autres mesures avec le consentement du juge. J’ai de la difficulté à comprendre comment le comité d’examen pourrait négocier avec un juge la sanction qu’il devrait imposer dans le cas où la révocation n’est pas en cause. Est-ce qu’on ne vient pas lier les mains du comité d’examen, qui devrait avoir l’entière autorité de décider des sanctions, et non pas prendre des mesures avec le consentement du juge qui est visé par la sanction?
Le sénateur Dalphond : Je disais, un peu à la blague, que je savais que tout le monde était intéressé par le projet de loi, mais je suis heureux de voir que c’est vrai. La sénatrice Dupuis pose une excellente question. En réalité, le processus intermédiaire, pour les cas les moins graves, ne permet pas au comité de suspendre le paiement du salaire. Il n’y a pas de sanctions financières possibles. Cependant, on peut convenir d’une mesure avec le juge. Je ne veux nommer personne, mais j’ai vu par le passé un juge soupçonné d’avoir un problème d’alcool ou d’utilisation de médicaments et qui, pour cette raison, a eu des comportements à la cour qui ont entraîné une plainte. Dans le cadre d’un processus, on pourrait proposer au juge de faire une cure de désintoxication, par exemple. C’est le genre de mesures qui sont envisagées. Il y a un cas, qui est public, d’un juge qui est connu pour sa difficulté à rendre ses décisions et qui excède souvent la période de six mois qui lui est impartie. Dans ce cas, on a prévu que le juge en chef assisterait le juge ou qu’un juge d’une autre province serait assigné à titre de compagnon pour aider le juge en question à développer des techniques de rédaction et de prise de notes plus efficaces, pour être en mesure de rendre ses jugements plus rapidement. Vous seriez surprise de voir à quel point les gens sont créatifs. La raison pour laquelle nous avons prévu que le juge soit impliqué, c’est que, dans des affaires de cette nature, où il s’agit plutôt de problèmes personnels, on ne veut pas empêcher le juge de proposer lui-même une solution au comité. Je ne sais pas si cela répond bien à votre question.
La sénatrice Dupuis : Cela ne répond pas à ma question en ce qui concerne le consentement du juge. Le comité peut en venir à la conclusion qu’il faut imposer des mesures particulières. Je ne comprends pas pourquoi on assujettit le comité. Dans les exemples que vous avez cités, on peut très bien imaginer qu’un juge ne consentirait pas à ce genre de mesures. Cela signifie donc que cela lierait les mains du comité.
Le sénateur Dalphond : C’est un excellent commentaire. La réalité, c’est que le juge va proposer quelque chose pour éviter une lettre de réprimande dans son dossier ou autre chose. Il pourrait s’agir d’une lettre d’excuses à l’égard d’un témoin ou d’une partie sur lesquels le ou la juge a fait des commentaires inappropriés, par exemple. Dans ce cas-là, on essaiera peut-être de lui faire suivre un cours sur la sensibilité par rapport à un groupe spécifique de personnes, par exemple. Il peut être difficile de forcer quelqu’un à suivre un cours. On peut lui parler et, s’il y consent, évidemment, cela fait partie du processus, mais on n’a pas besoin de son consentement pour imposer d’autres mesures.