L’honorable Pierre J. Dalphond : Encore une fois aujourd’hui, avant de traiter du projet de loi C-16 dont nous sommes saisis, je me dois de dire quelques mots sur la situation dans les centres de soins de longue durée de la région montréalaise, mon coin de pays. J’en profite pour offrir toutes mes condoléances à la sénatrice Saint-Germain, qui a perdu son père, emporté par la COVID-19, comme des centaines d’autres personnes chaque jour.
La pandémie a mis en lumière non seulement l’importance du système de santé publique au Canada, qui nous permet de combattre la COVID-19 bien mieux que nos voisins du Sud, mais aussi les faiblesses des modèles d’intervention retenus relativement aux personnes âgées, aux personnes souffrant de problèmes cognitifs sérieux et aux personnes à mobilité réduite.
Dans une entrevue télédiffusée mercredi, Mme Pauline Marois, ancienne première ministre du Québec, a déclaré ce qui suit :
Je pense qu’on a fait fausse route. Et quand je dis qu’on a fait fausse route, ce n’est pas le gouvernement actuel. C’est l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé. On a fait fausse route et aujourd’hui on en paie le prix. Ce sont nos parents et grands-parents [qui paient].
Elle a ajouté ceci :
Concentrer [les aînés ensemble], même dans les résidences privées où les gens se paient des appartements souvent très coûteux, est-ce que c’est une bonne idée? Est-ce qu’on n’est pas en train de faire des ghettos? Ce serait normal de vivre avec nos enfants, avec les petits-enfants, des gens d’un âge différent.
Voilà des questions fort pertinentes qui interpelleront la société québécoise et, dans une moindre mesure, la société ontarienne au cours des mois et des années à venir. J’espère que le gouvernement fédéral sera attentif et prêt à collaborer par l’intermédiaire de diverses mesures, comme des incitatifs fiscaux pour encourager les ménages multigénérationnels et un meilleur financement en santé dirigé vers les soins à domicile.
L’importance du projet de loi C-16 n’est pas divulguée par sa longueur. En effet, il contient à peine un petit article de quatre lignes, un seul et court article qui augmente la capacité d’emprunt de la Commission canadienne du lait de 200 millions de dollars afin de la faire passer à un demi-milliard de dollars. Cette augmentation du pouvoir d’emprunt de la commission permettra à cette dernière d’acheter et d’entreposer temporairement davantage de produits laitiers afin de stabiliser le marché canadien du lait, qui en a bien besoin actuellement.
Comme sénateur québécois, je ne peux passer sous silence l’importance de l’industrie laitière, puisque j’ai grandi à la campagne, entouré de fermes laitières.
J’aimerais maintenant reprendre certaines des idées que la sénatrice Miville-Dechêne a explorées. Comme vous le savez sans doute, le Québec est le plus grand producteur de lait au Canada, puisque les vaches québécoises produisent en moyenne 40 % du lait canadien. En d’autres mots, on produit au Québec plus de 40 % des 92 millions d’hectolitres de lait canadien. Cela en fait des pintes de lait, comme on disait dans le temps!
Parmi les 18 805 emplois canadiens reliés à la production de lait et de crème, 9 425 se trouvent dans les 5 050 fermes laitières québécoises. C’est aussi au Québec que l’on trouve les plus grands transformateurs de lait au pays. On peut penser à la société Saputo et à la coopérative Agropur, deux entreprises qui appartiennent à des intérêts canadiens.
Le Québec est reconnu pour la qualité de ses fromages industriels et surtout artisanaux. C’est un réel plaisir de voyager à travers le Québec et de découvrir les fromages de chaque région. Ce secteur important de l’économie québécoise doit cependant s’adapter à un contexte nouveau, soit l’ouverture du marché canadien aux produits laitiers provenant de l’extérieur, notamment de l’Europe, de la région transpacifique et, bientôt, des États-Unis. En tout, c’est près de 10 % du marché canadien qui ne sera plus protégé. De plus, l’accès au marché pour les Américains augmentera, au cours des 13 prochaines années, de 1 % chaque année.
En parallèle, les exportations canadiennes connaissent une croissance assez lente. En 2019, la valeur des importations canadiennes a augmenté d’un peu plus de 20 %, alors que les exportations ont diminué d’à peu près 6 % par rapport à 2018. En somme, en 2019, la valeur des produits laitiers importés a atteint pratiquement un milliard de dollars, alors que nos exportations n’ont même pas atteint 500 millions de dollars. L’écart, depuis quelques années, semble donc se creuser.
Avec l’entrée en vigueur de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, qui limite les exportations canadiennes de poudre de lait écrémé et de lait maternisé, on ne risque pas de réduire cet écart. Après la signature des derniers accords de libre-échange, le gouvernement canadien s’est engagé à indemniser les pertes de parts de marché de l’industrie, à l’aider financièrement à devenir plus compétitive et à mieux tirer son épingle du jeu en ce qui a trait à l’exportation. Je crois comprendre que les premières formes d’aide financière ou d’indemnités ont commencé à être versées. Il reste toutefois beaucoup à faire.
Alors que l’industrie fait face à des défis importants, voilà que la pandémie frappe. Les écoles ferment, et c’est la fin des petits déjeuners pour les enfants défavorisés, qui comprennent des produits laitiers. Les restaurants et les hôtels ferment leurs portes, et c’est la fin de l’utilisation de divers produits laitiers pour les plats, les desserts, sans parler des fameuses assiettes de fromage. En d’autres mots, la pandémie frappe à un bien mauvais moment. On voit des producteurs laitiers obligés de jeter des millions de litres de lait aux égouts. Près de 30 millions de litres auraient été jetés ainsi entre la fin mars et la mi-avril. Aucun producteur ne veut gaspiller du lait de cette manière. Nombreux sont ceux qui, au Québec et ailleurs, ont multiplié leurs dons de produits laitiers aux banques alimentaires. Toutefois, cela ne suffit pas à éliminer l’excédent de lait, et surtout de produits laitiers.
Aujourd’hui, on peut se réjouir du fait que la Commission canadienne du lait sera en mesure d’acheter plus de produits laitiers pour les entreposer temporairement pour ainsi stabiliser le marché et, ultimement, le prix du lait et du gras payé aux producteurs. On évite donc une dégringolade des revenus pour les producteurs laitiers, qui pourrait même entraîner leur faillite.
La production laitière n’est pas facile et requiert des investissements importants. Les fermes d’antan que j’ai connues, qui comptaient une quarantaine de vaches, n’existent plus. Aujourd’hui, ce sont des fermes de centaines de têtes.
Il ne faut pas décourager la relève en ouvrant toutes grandes les vannes de la compétition étrangère et de la déréglementation. Les producteurs de lait du Québec ont accueilli positivement cette modification au pouvoir d’emprunt de la Commission canadienne du lait. Par contre, ils ont fait valoir que cette mesure, à elle seule, est insuffisante pour le secteur laitier, comme les autres mesures mises en place pour l’ensemble du secteur agricole. C’est un pas dans la bonne direction, mais rien de plus. D’autres gestes doivent être posés.
Les producteurs laitiers du Canada ont, eux aussi, accueilli favorablement la mesure que nous allons adopter aujourd’hui, de même que le financement supplémentaire, grâce au cadre Agri-relance, accordé pour mettre sur pied un programme de mise en retrait qui inclurait les vaches de réforme laitières. Il s’agit d’un projet qui permettrait de retirer du marché les vaches qui ne sont plus productives pour les transformer en viande. Le marché actuel n’étant pas très bon, il faut les garder plus longtemps sur les fermes, et donc subventionner les agriculteurs. Le programme indemnisera les producteurs pour les coûts associés au maintien de vaches moins productives dans le cheptel pendant une plus longue période. Cependant, je le répète, cela ne suffira pas.
En terminant, j’invite le gouvernement à aller plus loin dans le soutien à l’adaptation des producteurs laitiers. J’invite aussi mes concitoyens d’un océan à l’autre à consommer des produits laitiers canadiens, qui n’ont rien à envier et qui sont produits dans des conditions supérieures à ce que l’on voit dans beaucoup d’autres pays. Ce sont des produits de grande qualité et ils sont bons pour la santé. Je bois mon litre de lait presque tous les jours et je m’en porte très bien.
Merci, meegwetch.