L’honorable Jim Munson : Revenons maintenant au projet de loi C-20.
Honorables sénateurs, bien que je soutienne ce projet de loi, j’ai de sérieuses réserves à propos de la partie consacrée au paiement pour les personnes handicapées. C’est au bout d’un chemin long et tortueux qu’on versera aux personnes handicapées du Canada le paiement qui leur est dû en ces temps étranges et incertains.
À propos de temps, honorables sénateurs, il a fallu beaucoup de temps, trop en fait, avant que ce projet de loi important n’arrive au Sénat. La politique sème souvent des embûches dans la vie des gens. Je tiens à faire écho aux sentiments exprimés par la sénatrice Petitclerc à propos des enjeux dont nous discutons aujourd’hui. Dix-huit semaines après avoir débattu de la Prestation canadienne d’urgence et l’avoir adoptée, nous sommes ici pour débattre des mesures de soutien d’urgence supplémentaires prévues par le projet de loi C-20; 18 semaines ont passé, et les Canadiens handicapés attendent toujours du soutien.
D’après Statistique Canada, alors qu’auparavant une personne sur cinq avait un handicap, cette proportion est maintenant d’une personne sur quatre. Cette communauté est en crise : les personnes handicapées se sentent oubliées et ont l’impression qu’on fait peu de cas de leurs préoccupations et de leurs difficultés.
Dans les faits, leurs besoins ne sont absolument pas pris en compte. Ce projet de loi les aidera peut-être à payer les factures, mais à mes yeux, il ne va pas assez loin. Les coûts continuent d’augmenter, et les personnes handicapées sont encore plus durement touchées que les autres. Je parle ici des dépenses supplémentaires qu’elles doivent assumer pour embaucher des aides personnels, pour acheter de l’équipement de protection individuelle, des fournitures médicales et des médicaments, pour se rendre là où on vend ces produits, pour prendre le taxi plus souvent ou pour se faire livrer l’épicerie et les médicaments, sans parler des effets de la solitude et de l’isolement extrêmes et de l’interruption des services.
Honorables sénateurs, rappelons-nous également que le racisme systémique a des effets démultiplicateurs et que les personnes racialisées doivent toujours surmonter des obstacles supplémentaires pour se prévaloir des différents programmes, y compris l’actuelle subvention salariale. Alors imaginez ce qu’il en est pour les personnes handicapées racialisées.
Le projet de loi C-20 va dans la bonne direction, mais il ne nous fait faire qu’un pas en avant; les personnes handicapées sont encore loin d’avoir accès à toutes les mesures de soutien d’urgence dont elles ont besoin.
Après avoir consulté le Groupe consultatif sur la COVID-19 en matière des personnes en situation de handicap, la ministre Qualtrough a remanié certaines des mesures prévues dans le projet de loi C-20 afin que les personnes qui touchent des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, du Régime de rentes du Québec ou du ministère des Anciens Combattants aient elles aussi droit à de l’argent. C’est une excellente nouvelle, car ce n’est plus 1,2, mais 1,7 million de Canadiens qui seront admissibles.
Le projet de loi C-20 tient compte du fait que le coût de la vie est plus élevé pour les personnes handicapées et prévoit des mécanismes visant, selon moi, à inclure de nombreux oubliés, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas droit au paiement unique aux personnes handicapées parce que leur demande de participation au programme de crédit d’impôt pour personnes handicapées n’a pas été approuvée. Si vous ne faites pas partie du programme de crédit d’impôt pour personnes handicapées, mieux vaut ne pas présenter de demande.
Le projet de loi C-20 donne l’occasion de corriger enfin les choses, en modifiant les critères d’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées afin de prévoir une période de 60 jours durant laquelle une personne admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées peut faire une demande, même si elle ne le reçoit pas encore. Je presse donc les ministres Qualtrough et Lebouthillier de collaborer et d’approuver les demandes de crédit d’impôt qui ont été refusées, surtout parce qu’il s’agit du seul mécanisme de prestation prévu dans le projet de loi.
Depuis des années, le milieu de l’autisme lutte pour que le crédit d’impôt pour personnes handicapées soit équitable. Le mois dernier, lorsque le projet de loi C-17 a été présenté, l’Alliance canadienne des troubles du spectre autistique, ou ACTSA, a réclamé de nouveau une refonte complète du crédit d’impôt pour personnes handicapées. Rebekah Kintzinger, qui siège au conseil d’administration de l’ACTSA et défend la cause de l’autisme, qui est aussi la sienne, explique les difficultés causées par l’utilisation du crédit d’impôt pour personnes handicapées pour la mise en œuvre du programme.
« En raison du langage employé dans la documentation et les formulaires sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées, il est extrêmement difficile pour les personnes autistes de demander ce crédit. Beaucoup de personnes auparavant admissibles se voient refuser un renouvellement, ce qui entraîne un long processus d’appels où il faut recourir à des médecins auxquels la personne handicapée n’a peut-être plus accès. »
Cela demande tout simplement beaucoup de temps et de paperasse.
Bien que le crédit d’impôt pour personnes handicapées demeure un mécanisme de prestation mal adapté à ce programme, en accordant 60 jours supplémentaires pour présenter une demande, ce projet de loi offre enfin une possibilité — aussi limitée soit-elle — de faire les choses comme il faut et d’inclure les personnes qui se battent pour l’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées depuis bien avant la pandémie de COVID-19.
J’ai déjà indiqué au Sénat que le Groupe consultatif sur la COVID-19 en matière de personnes en situation de handicap ne comprend aucun représentant des personnes autistes. C’est tout simplement inacceptable, honorables sénateurs. Une personne autiste devrait jouir des mêmes droits que les autres personnes vivant avec un handicap.
Si la ministre avait accepté la recommandation de l’Alliance canadienne des troubles du spectre autistique d’inclure Rebekah dans le groupe consultatif, à la suite de sa comparution devant le comité plénier, le 1er mai, l’aide d’urgence proposée dans le projet de loi C-20 aurait pu mieux refléter les besoins des personnes autistes. À ce moment-là, la ministre avait accueilli favorablement la proposition d’inclure un représentant des personnes autistes dans le groupe consultatif. Encore une fois, je l’exhorte à améliorer la composition du comité en y incluant un représentant des personnes autistes.
Il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il en va du respect des droits de la personne au Canada.
Un thème se dégage de tous les dossiers problématiques que j’ai énumérés : le refus des gouvernements et des fournisseurs de services de reconnaître les besoins propres aux personnes handicapées et d’y répondre. Trop souvent, les recommandations ou les politiques sont présentées sans tenir compte des répercussions possibles pour les personnes handicapées. Dans bien des cas, les gouvernements et les fournisseurs de services n’ont pas établi un juste équilibre entre la nécessité de prévenir la propagation de la COVID-19 et le droit des personnes handicapées d’avoir un accès égal aux services de santé, à l’éducation et à l’information.
Récemment, les sénateurs ont participé à une conférence téléphonique avec le secrétaire parlementaire et des fonctionnaires pour parler de l’argent qui est versé à ceux qui en ont besoin. J’ai posé des questions sans obtenir de réponses. Qui a établi le montant de 600 $? Quelle analyse a été effectuée pour déterminer que les personnes handicapées méritaient toutes un paiement unique de 600 $? Les bénéficiaires de la PCU reçoivent 2 000 $ par mois. Que peut-on payer avec 600 $ si on vit dans une petite localité ou une grande ville au Canada? Je serais curieux de le savoir. J’aimerais qu’un jour quelqu’un puisse répondre à cette question : qui est arrivé à 600 $? C’est une aide de 600 $, mais elle est insuffisante. On peut toujours faire valoir que c’est n’est jamais assez, mais c’est un montant qui paraît ridiculement faible.
Je suis également tenté à ce stade, parce que je suis très déçu, de présenter un amendement. Je ne le ferai pas parce que je viens de regarder la sénatrice Moncion, et elle a failli s’évanouir. Mais si je le faisais, qu’est-ce qui se passerait? Ce ne serait pas juste pour les millions d’autres personnes handicapées. Pourquoi? Parce que la mesure législative retournerait à la Chambre avec un amendement, y serait débattue puis reviendrait ici. Ce serait une sorte de ping-pong politique. C’est faire de la politique en jouant avec la vie des gens, encore une fois.
Je suis extrêmement contrarié par cela. Il me reste moins d’un an dans cette enceinte et je veux continuer à me battre pendant les 12 prochains mois pour les droits des personnes handicapées. Nous semblons voir cela comme si nous faisions quelque chose de spécial pour ceux qui sont en fauteuil roulant ou qui sont autistes. Cela n’a rien à voir avec le fait d’être spécial. Il s’agit de droits de la personne. Un Canadien sur quatre est concerné. C’est aussi simple que cela. En vieillissant, croyez-moi, certains d’entre nous verront peut-être cela d’une manière très personnelle. C’est une chose à laquelle nous devons vraiment prêter attention.
En terminant, l’ARCH Disability Law Centre ajoute que ces droits sont protégés par la Charte et les lois provinciales et fédérales sur les droits de la personne. Ils constituent des valeurs fondamentales de la société canadienne et ne doivent pas être oubliés, surtout en cas d’urgence et de pandémie.
Nous avons entamé les débats sur les mesures législatives d’urgence au mois de mars. Nous sommes maintenant rendus en plein cœur de l’été, mais les personnes handicapées sont toujours laissées pour compte.
Le projet de loi sera adopté — c’est une bonne chose — et il allégera le fardeau de certaines personnes. Je me réjouis à la perspective de débattre de la façon d’affecter des ressources aux personnes handicapées afin qu’elles ne soient pas contraintes de vivre dans la pauvreté.
Comme je l’ai dit au début de mon intervention, ce projet de loi aurait dû être adopté il y a des mois. Il aurait fallu en faire une priorité. Nous voici maintenant au milieu de l’été, et nous obtenons finalement l’autorisation d’aller de l’avant avec une mesure qui aurait dû être approuvée dès le départ.
Une voix : Bravo!
Le sénateur Munson : Au bout du compte, les faits sont là : un Canadien sur quatre vit avec un handicap, mais nous traitons ces concitoyens comme des personnes sans importance. C’est inacceptable. Merci.