L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention d’intervenir à ce sujet aujourd’hui, mais beaucoup de choses ont été dites et j’ai beaucoup aimé entendre les commentaires de part et d’autre. J’ai remarqué qu’ultimement, tout se résume en bien peu de choses. D’une part, on parle de principes d’interprétation.
Certaines personnes, qui ne sont pas des juristes, nous disent que les principes d’interprétation veulent que l’exception ait préséance sur la règle. J’aimerais vous rappeler, chers collègues, que l’article 12-2 du Règlement, qui tire son origine de l’article 60, a été adopté en 1982, soit il y a plus de 40 ans. Cet article est clair. L’article 12-5, auquel le sénateur Woo s’accroche pour écarter les membres de son comité qui ne font pas son affaire, n’a été adopté qu’en 1983, soit 18 mois plus tard que la règle principale.
Cette règle principale, c’est celle qui nous guide. Pourquoi est-elle la règle principale? Parce que le Comité de sélection, lorsqu’il est nommé, a pour mission de recommander des hommes et des femmes, membres de cette Chambre, pour siéger au sein des différents comités du Sénat. Lorsqu’ils ont été nommés… Ils ne sont pas nommés par le Comité de sélection ni par les groupes qui sont allés faire des représentations au Comité de sélection. Ils sont nommés parce que le rapport du Comité de sélection a été déposé ici, dans cette Chambre, et qu’il a été adopté par le Sénat. L’article 12-2 le dit en toutes lettres :
Les sénateurs restent en fonction pour la durée de la session. Un sénateur est nommé par le Sénat parce que le Sénat juge qu’il est capable de faire le travail au comité en question. Le sénateur doit alors rester en fonction jusqu’à la fin de la session. Normalement, les sessions ne durent pas quatre ans comme dans la législature précédente, mais c’est la règle.
Ce n’est pas le groupe qui nomme un sénateur à un comité. En fait, je suis choqué d’entendre ce genre de propos. Le sénateur Woo a affirmé que les sièges sont obtenus par l’entremise des groupes. Non, sénateur Woo, ce n’est pas le cas. Leur attribution passe peut-être par le mécanisme des groupes, mais ce n’est pas vous ou votre groupe qui les distribue. Les sièges sont attribués par le Sénat dans son ensemble, le Sénat en tant qu’institution. C’est le Sénat qui accorde sa confiance et qui peut la retirer, et non pas les leaders des groupes. C’est le principe de base de l’article 12-2 du Règlement.
D’ailleurs, on peut considérer le mode de fonctionnement de l’autre endroit, qui compte de nombreux partis. Saviez-vous que dans l’autre endroit, le chef de votre parti ne peut pas vous renvoyer d’un comité une fois que vous y êtes nommé par la Chambre des communes? Vous pouvez être remplacé, mais il s’agit d’un remplacement temporaire, et une fois que vous êtes en mesure de reprendre vos fonctions — que vous aviez quittées en raison d’une absence, d’une maladie ou d’un autre motif — vous reprenez votre siège. Seule la Chambre des communes peut prendre la décision de vous remplacer, mais seulement après qu’elle aura été saisie d’un rapport rédigé par le comité en question et qu’elle aura passé aux voix. Nous le savons.
Il est arrivé que des députés changent de parti. L’une est passée du Parti libéral au Parti conservateur. Je suis convaincu que cela en a réjoui quelques-uns. À l’époque du gouvernement Martin, une autre a quitté les conservateurs pour se joindre aux libéraux. Je suppose que cela en a réjoui d’autres. Je peux vous nommer un député de Repentigny qui a abandonné le NPD pour se rallier au Bloc québécois. Ces députés ont gardé leur place aux comités où ils siégeaient pendant encore six semaines, un mois et trois mois, jusqu’à ce qu’un rapport du comité de sélection de la Chambre des communes propose qu’ils soient remplacés, que ce rapport soit mis aux voix par la Chambre des communes et adopté. Voilà le principe.
Or, ici, motivés par le désir de s’emparer de la plus grande partie du pouvoir, certains leaders considèrent que l’exception prévue dans le Règlement constitue le principe directeur. C’est une perversion totale du libellé.
L’article 12-2(3) du Règlement est le principe, et c’est ce principe que je défends aujourd’hui. Ce principe repose sur l’idée que, lorsque cet endroit nomme une personne à un comité, il investit sa confiance en cette personne, et seul cet endroit peut lui retirer cette confiance — pas les leaders ni les groupes.
Je crois que, si nous voulons procéder à la modernisation du Sénat, nous devrions opter pour plus d’indépendance. On m’a demandé de devenir sénateur. Il m’a fallu du temps avant d’accepter la nomination, parce que j’avais certains doutes concernant le Sénat. Je m’interrogeais sur ses pratiques archaïques et sur le vieux duopole et je me demandais s’il n’était pas temps de réformer le Sénat. J’ai pris une semaine avant de dire au premier ministre que j’acceptais. Je ne sais pas si ce fut la même chose pour la plupart d’entre vous, mais il m’a fallu une semaine. En fin de compte, j’ai dit oui, j’accepte, parce que je crois que le Sénat peut être réformé, parce qu’il a un rôle à jouer qu’il n’a pas joué par le passé en raison du duopole, de la dictature des deux principaux partis.
Il ne devrait pas en être ainsi. Il faut que cela cesse. L’indépendance de chacun des sénateurs est vitale à la survie de cette institution. Ce que la direction du Groupe des sénateurs indépendants propose est contraire à ce que nous cherchons à accomplir dans notre réforme.
Je suis vraiment déçu de voir que la direction du Groupe des sénateurs indépendants s’en remet aux habitudes des anciens conservateurs. C’est surprenant de voir ce groupe se transformer en un groupe qui dit vouloir s’opposer aux conservateurs, mais qui choisit de fonctionner comme eux.
Le temps est venu pour nous tous de faire un choix. Croyons-nous aux changements? Si oui, nous devons appuyer l’amendement proposé par la sénatrice Bellemare. Merci.
Son Honneur le Président : Sénateur Plett, vous avez une question?
Le sénateur Plett : Sénateur Dalphond, vous avez été très clair sur le fait que personne ne vous avait nommé à un comité lorsque vous étiez membre du Groupe des sénateurs indépendants, que le sénateur Woo ne l’a pas fait. En fait, le sénateur Woo a dit qu’il y avait des élections. Voilà un argument valable, j’imagine.
Est-ce qu’au départ le Groupe progressiste du Sénat tient des élections pour déterminer qui pourra siéger à tel ou tel comité? Nous comprenons que vous voulez avoir le droit de conserver ce siège, mais comment faites-vous pour l’obtenir? Avez-vous aussi le droit d’en exiger un? Est-ce que c’est plutôt quelqu’un qui suggère que vous deveniez membre d’un comité donné? Je suppose que c’est le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, mais ce n’est peut-être pas le cas. Est-ce une nomination? Comment arrivez-vous à être membre du comité?
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie de vos questions, sénateur Plett. Je suis désolé de constater que vous n’avez pas lu la lettre d’opinion de Jane Cordy, notre leader. Elle a expliqué clairement que nous avons, comme tous les groupes devraient avoir, un type de mécanisme qui permet de déterminer qui s’intéresse à quoi et de suivre la liste lorsque nous faisons nos propositions au Comité de sélection. Il ne s’agit toutefois pas d’un mécanisme de sélection. Nous avons l’avantage d’être un petit groupe, ce qui nous permet de décider collégialement qui veut faire partie de quel comité. C’est peut-être plus difficile quand votre groupe compte 20 ou 44 membres. Je comprends que cela fait partie du mécanisme interne, mais il n’en reste pas moins que ce n’est qu’un mécanisme interne. Il ne fait pas de nominations. Il sert vraiment à formuler des recommandations. C’est le Sénat qui fait les nominations.
Le sénateur Plett : Vous avez aussi clairement indiqué que vous voulez être complètement autonome. Vous ne voulez être redevable à personne. Vous ne voulez pas qu’on vous dise quoi faire. Pourtant, vous avez décidé de faire partie d’un groupe. Si vous ne pouviez pas vous entendre avec le Groupe des sénateurs indépendants, pourquoi n’avez-vous pas fait ce que vous prétendiez vouloir faire en siégeant comme non affilié? Vous avez plutôt décidé de vous joindre à un groupe.
Je le répète, au sein d’un groupe, il règne un certain — je ne sais pas, mais c’est plus que de la camaraderie — ordre, comme dans toute organisation. En tant que juriste et que juge, vous convenez sûrement qu’il est nécessaire d’avoir un peu d’ordre. Je présume que c’est peut-être pour cette raison que vous avez voulu vous joindre au Groupe progressiste du Sénat. Toutefois, si vous vouliez être complètement autonome, pourquoi ne pas simplement siéger comme non affilié? Ainsi, personne ne pourrait vous donner de directives.
Le sénateur Dalphond : Je ne suis pas certain de voir le lien avec la motion d’amendement dont nous sommes saisis, mais je peux vous dire que, dans notre groupe, ce n’est pas un problème. Je me sens très à l’aise de donner mon point de vue à mes collègues, et ils en font de même. Nous ne sommes soumis à aucune discipline de parti, et ce n’est pas un problème.
Veuillez appuyer ici pour lire ce débat dans son intégralité