L’avenir de CBC/Radio-Canada—Interpellation

Par: L'hon. Amina Gerba

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Whale tail breaching water, Newfoundland

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, je suis heureuse de pouvoir participer à mon tour à l’excellent débat lancé par notre collègue le sénateur Cardozo sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

Les précédentes contributions ont été très riches. Elles ont déjà abordé avec pertinence un grand nombre de sujets. Pour ma part, je souhaite aborder la question du réseau international de notre diffuseur public et, compte tenu des mutations du monde, le positionnement global qu’il devrait occuper.

En premier lieu, à l’inverse de certaines voix que l’on peut entendre, je ne pense pas qu’il faille réduire le financement de cette institution centrale pour notre pays. Au contraire, je pense que son budget devrait être réévalué en tenant compte de ses mandats au pays et dans le monde.

Comme l’a rappelé le sénateur Forest, le Japon dépense 68 $ par année par habitant pour son diffuseur public, la France, 79 $ et l’Allemagne, 149 $. Pour le Canada, ce montant s’établit à 33 $ par personne. On peut difficilement nous accuser d’être trop dépensiers dans ce domaine.

Vous l’aurez compris, je ne crois pas que la suppression de CBC/Radio-Canada soit une perspective envisageable. Mettre fin à l’existence de notre diffuseur public tel que nous le connaissons constituerait une faute politique majeure et la perte d’un des liens les plus essentiels à la connaissance continue des évènements du pays continental que nous sommes.

De plus, cette position créerait un déséquilibre entre les services offerts dans les deux langues officielles du pays. Dans ce cas, comme pour toutes les institutions canadiennes majeures, ce bris serait insupportable, comme il l’est quand la langue française est ignorée par ces institutions.

Par ailleurs, je suis aussi d’avis que le mandat de CBC/Radio-Canada oblige notre société d’État à donner à nos cultures un levier devenu indispensable à l’ère des GAFA et des réseaux sociaux. Voilà ce qui est attendu de notre diffuseur public.

Cette attente est-elle comblée par les programmations actuelles et les aires de diffusion au pays et dans le monde? La question mérite d’être posée. Vous ne serez pas surpris, chers collègues, que j’insiste sur la dimension internationale du mandat de notre diffuseur public.

C’est à la fois ce qu’il nous dit sur le monde et ce qu’il dit au monde sur ce que nous sommes. Nos intérêts nationaux sont en cause. Je crois qu’il doit y avoir un regard canadien sur les événements du monde. Je crois aussi que le monde a le droit de connaître nos positions en matière de paix et de sécurité, de développement des institutions internationales et de leurs politiques. Plus spécifiquement, on doit connaître la nature de nos politiques environnementales, sociales et culturelles. Or, ces dernières années, CBC/Radio-Canada a fermé un nombre considérable de ses bureaux dans le monde : Moscou et Pékin ont tous deux fermé en 2022 en raison de décisions des autorités locales, tout comme Mexico, Dakar, Nairobi et Rio de Janeiro, auxquels il faut ajouter la diminution considérable des ressources à Londres et à Paris. Quelqu’un, quelque part, doit porter un regard responsable sur ce repli considérable, ce quasi-abandon de la dimension internationale de son mandat par la société d’État. En clair, le réseau international de notre radiodiffuseur public est devenu presque inexistant dans le monde, et absolument inexistant sur le continent africain.

Pire encore, certains continents sont totalement privés de correspondants permanents, à l’image du continent africain. Ainsi, un continent qui compte de plus de 1,3 milliard d’habitants n’est plus couvert par notre radiodiffuseur public qui, en français, se contente de reprendre les dépêches de l’Agence France-Presse (AFP) et sa vision tronquée et néocoloniale de l’actualité du continent. Résultat : il n’y a plus sur nos écrans que l’Afrique des guerres, des famines et de la pauvreté. Il s’agit ici de plus qu’une erreur; il s’agit d’une désinformation systématique et intolérable. Qui, dans cette distinguée Chambre, a entendu dire que le Kenya avait réussi à produire 90 % de son électricité nationale à partir de sources renouvelables en 2024? Que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) prévoit de mobiliser un milliard de dollars pour établir des carrefours technologiques à travers l’Afrique et soutenir 10 000 jeunes entreprises innovantes? Ou encore que, dans un environnement économique mondial contrarié, le FMI annonce un taux de croissance de 3,8 % en Afrique subsaharienne pour 2024? Si l’absence de correspondants locaux nous empêche d’avoir une compréhension pleine et entière de la réalité du continent, elle est aussi un obstacle à une projection efficace de la vision canadienne en Afrique.

Chers collègues, la présence de CBC/Radio-Canada sur le continent africain aurait de nombreux avantages. Elle servirait indéniablement à promouvoir des valeurs communes sur le plan de la gouvernance démocratique ainsi que des droits et des libertés, y compris l’égalité des genres, et contribuerait à la promotion des nos liens économiques et commerciaux, ainsi qu’à la diffusion de nos productions scientifiques et culturelles.

Enfin, une présence de CBC/Radio-Canada en Afrique apporterait une dimension canadienne aux débats idéologiques qui, comme vous le savez, dominent aujourd’hui toutes les perspectives relatives à l’avenir du continent. La Chine a considérablement renforcé sa présence médiatique sur le continent. Sa chaîne CGTN Africa — China Global Television Network Africa — est diffusée dorénavant dans plus d’une trentaine de pays. Plus encore, la Chine forme maintenant des journalistes africains sur son sol et dispose aussi d’un siège au Kenya et des bureaux aux quatre coins de l’Afrique, notamment au Nigeria, en Égypte et en Afrique du Sud. La Russie n’est pas en reste. Ses réseaux Sputnik Africa et Russia Today connaissent un succès gigantesque grandissant, en particulier dans l’espace francophone.

CBC/Radio-Canada doit apprendre comment parler au reste du monde et diffuser des valeurs qui sont chères à notre pays, des valeurs qui nous définissent et que nous souhaitons partager avec nos partenaires de l’Afrique et d’ailleurs dans le monde.

En ce moment, soyons clairs. Sur le plan médiatique, nous avons abandonné cette formidable responsabilité.

CBC/Radio-Canada doit se projeter à nouveau en Afrique, autant pour restituer une image fidèle du continent au pays que pour diffuser et promouvoir les valeurs du Canada et sa vision du monde auprès des auditeurs africains. L’avenir de CBC/Radio-Canada passe aussi par une présence accrue sur les plateformes en ligne. En effet, c’est là que les nouvelles générations s’informent aujourd’hui et que les débats d’opinions ont lieu. Cet état de fait est également africain. Selon les Nations unies, et je cite :

La population des jeunes Africains devrait atteindre plus de 830 millions de personnes d’ici à 2050, et leur participation est essentielle pour façonner un avenir durable et inclusif.

L’âge médian du continent n’est que de 19,7 ans, ce qui en fait le plus jeune du monde.

Selon l’Union internationale des télécommunications, le taux d’utilisation d’Internet en Afrique a plus que doublé en 10 ans, atteignant maintenant près de 40 % de la population africaine. Voilà une autre bonne nouvelle que vous n’avez évidemment probablement pas eu la chance d’entendre dans nos médias.

Chers collègues, je voudrais réaffirmer la nécessité pour notre pays de bénéficier d’un diffuseur public qui remplit intégralement ses mandats, y compris en ce qui concerne notre rapport au monde. Cette question mérite un examen très attentif.

Je vous remercie de votre attention.

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