L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du rapport du Comité des affaires juridiques en tant que parrain du projet de loi S-256, Loi sur la sécurité des postes au Canada. Pour reprendre l’expression de l’ancien sénateur Baker, je serai bref.
Je remercie les membres du comité pour le processus d’étude et d’amendement très collaboratif dont le projet de loi a fait l’objet et qui a abouti au rapport dont nous sommes saisis. Je suis heureux que le rapport propose à la fois de simplifier et de renforcer le projet de loi, en réponse aux témoignages entendus par le comité.
Avant de passer aux amendements, je souligne que le projet de loi S-256 est un moyen de répondre à un aspect de l’épidémie d’opioïdes qui tue des Canadiens partout au pays. L’objectif du projet de loi est d’autoriser la police, si elle a un mandat, de « […] à fouiller, à saisir, à revendiquer ou à retenir les envois de Postes Canada en cours de transmission postale […] ». Cela aidera la police à interrompre la livraison de drogues mortelles comme le fentanyl par Postes Canada.
À cette fin, le projet de loi propose de modifier la Loi sur la Société canadienne des postes afin de supprimer ce qui est devenu, à mon avis et de l’avis de beaucoup d’autres, une restriction arbitraire et dépassée datant de 1867, qui ne s’applique qu’au courrier de la Société canadienne des postes.
Le paragraphe 40(3) de cette loi prévoit une restriction qui empêche actuellement les perquisitions et les saisies par la police, même avec un mandat. Des exceptions sont prévues par trois autres lois fédérales : la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, la Loi sur les douanes et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. En revanche, il n’y a pas d’exceptions prévues par des lois comme le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Par conséquent, le projet de loi S-256 cherche à s’assurer que les articles expédiés par Postes Canada sont traités de la même façon que ceux expédiés par des services de messagerie privés, tels que FedEx ou Purolator, qui peuvent faire l’objet d’un mandat de perquisition par la police. En effet, si elle est munie d’un mandat, la police peut actuellement fouiller les courriels, les documents enfermés dans un coffre-fort personnel, et les envois de Postes Canada avant ou après leur livraison, mais pas quand ces derniers sont en cours de transmission. Le changement proposé est donc très modeste et naturel, et il s’inscrit dans un contexte similaire.
L’idée du projet de loi est née d’un article publié dans le magazine Maclean’s le 7 mars 2019, où l’on pouvait lire que Postes Canada était la méthode de choix des trafiquants pour importer du fentanyl au Canada. On y précisait que les gens pouvaient acheter des drogues illicites sur le Web clandestin et les faire livrer facilement par Postes Canada.
En 2015, l’Association canadienne des chefs de police a recommandé la principale modification suggérée dans le projet de loi afin d’autoriser la police à fouiller, à l’aide d’un mandat, des envois en cours de transmission pour voir s’ils contiennent de la drogue. Nous n’aurions pas dû attendre 10 ans pour donner suite à cette recommandation, mais il n’est jamais trop tard pour faire ce qui s’impose et, espérons-le, sauver des vies.
Il ne faut pas oublier qu’une enveloppe format lettre de 30 grammes peut contenir 15 000 doses mortelles de fentanyl.
Cette modification à la Loi sur la Société canadienne des postes jouit de l’appui de l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 63 Premières Nations dans cette province, et du Conseil Mushkegowuk, qui représente 8 Premières Nations dans le Nord de l’Ontario.
Pourquoi appuient-ils ce changement? Parce que Postes Canada est la seule entité qui livre les colis dans ces régions éloignées, et c’est par l’intermédiaire de Postes Canada que les médicaments arrivent dans les réserves.
Le comité a entendu que le trafic de drogues par la poste dans les collectivités éloignées est un problème majeur que ce projet de loi peut aider à régler.
Je passe maintenant aux deux amendements importants proposés dans le rapport. L’un des amendements a pour effet de préciser que les perquisitions dans le courrier par la police ne s’appliquent qu’aux cas où elle obtient un mandat général ou son équivalent. Cette exigence signifie que la norme en matière de preuve serait celle des « motifs raisonnables de croire » dans tous les cas, comparativement à celle des « motifs raisonnables de soupçonner ».
L’expression « motifs raisonnables de croire » est la norme courante dans le Code criminel et dans la plupart des lois fédérales qui autorisent un mandat de perquisition au Canada. C’est la norme la plus stricte.
Des mandats généraux sont prévus à l’article 487.01 du Code criminel, et d’autres mesures équivalentes sont prévues, par exemple, à l’article 11 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Cet amendement répondait à l’excellent témoignage du professeur de droit Steve Coughlan, qui est maintenant à l’Université Dalhousie. M. Coughlan est un ancien étudiant du sénateur Cotter — qui hoche la tête pour dire qu’il était un bon étudiant. Il a abordé des préoccupations potentielles en matière de protection de la vie privée pouvant découler du projet de loi. La sénatrice Simons est celle qui a organisé sa comparution en tant que témoin.
Je suis très reconnaissant envers nos collègues les sénatrices Simons et Clement pour leurs contributions à ce sujet. Nous avons tous des motifs raisonnables de croire que ces efforts permettent d’assurer une protection appropriée de la vie privée. Je me réjouis également que l’amendement et certaines des suppressions rendent le projet de loi beaucoup plus simple.
Le deuxième amendement important apporté au projet de loi a été demandé par le Conseil Mushkegowuk dans son témoignage convaincant et son mémoire. Plus précisément, son avocate a demandé qu’une disposition soit ajoutée à la Loi sur la Société canadienne des postes pour permettre à Postes Canada d’effectuer des contrôles non intrusifs de dépistage de drogues illégales sur tout le courrier destiné à une Première Nation lorsqu’une loi ou un règlement de cette Première Nation l’y autorise.
Il est important de noter que le contrôle n’inclut pas l’ouverture ou la lecture du courrier, mais peut inclure l’utilisation d’un scanneur, d’un chien renifleur ou d’autres moyens non intrusifs.
Comme nous l’avons entendu, ce type de contrôle préliminaire a déjà lieu dans les aéroports, dans les palais de justice et dans les salles de courrier partout au Canada. Sa légalité a également été confirmée par les tribunaux dans le contexte de la fouille des bagages par les Premières Nations à l’arrivée des passagers.
En outre, dans les communautés de Mushkegowuk — huit Premières Nations du Nord de l’Ontario —, nous avons appris qu’en 2023, le taux d’overdoses mortelles était trois fois plus élevé que la moyenne de l’Ontario. En 2021, le taux de visites à l’hôpital liées à des intoxications aux opioïdes y était neuf fois plus élevé. Il s’agit d’un véritable problème pour ces communautés éloignées.
De plus, un représentant de l’Assemblée des chefs du Manitoba a confirmé son appui à un tel amendement visant à encourager les contrôles par Postes Canada, si une Première Nation l’y autorise, pour déceler la présence de drogues illégales.
Avec de tels témoignages, je crois que le Sénat a la responsabilité d’agir. Le comité a donc adopté un amendement fondé sur le texte fourni par les représentants du Conseil Mushkegowuk, applicable à tout organisme autochtone qui détient des droits constitutionnels reconnus par l’article 35, pour encourager, de sa propre initiative, le contrôle par des inspecteurs de Postes Canada du courrier destiné à un endroit situé sur le territoire de l’autorité compétente. Cela pourrait inclure une réserve ou des terres autochtones prescrites par un règlement pris en application de la Loi sur la Société canadienne des postes.
Au comité, les sénateurs ont également adopté des sous-amendements à cette proposition. Ces sous-amendements ont été proposés par le sénateur Carignan et la sénatrice Oudar, et ils ont précisé le libellé proposé, dans l’esprit de la proposition du Conseil Mushkegowuk.
Il est important de comprendre que cet amendement vise à encourager Postes Canada et les services de police à prendre au sérieux les compétences et les lois autochtones, à respecter l’autodétermination et à faire progresser la réconciliation, y compris la réconciliation juridique.
Le comité a été informé qu’il peut être difficile de faire respecter les lois autochtones, notamment dans les commentaires des sénateurs McCallum et Prosper. La sénatrice McCallum a également soulevé ces questions relativement au projet de loi S-271, concernant la GRC, et au projet de loi S-272, concernant le directeur des poursuites publiques.
L’amendement au projet de loi S-256 dont nous sommes saisis n’oblige aucun groupe ou communauté autochtone à adopter des lois qui autorisent les contrôles. Il s’agit d’une mesure législative permissive qui laisse la décision à l’entière discrétion de ces autorités. Toutefois, si ces autorités le font pour des raisons de santé et de sécurité, Postes Canada aura le devoir moral de s’asseoir avec elles et d’envisager des moyens de procéder à des contrôles dans le cadre de son processus d’inspection.
Honorables sénateurs, je remercie à nouveau les membres du comité de leur contribution très précieuse et appréciée. Je pense que le projet de loi S-256 revêt une certaine urgence en tant qu’élément d’une vaste réponse collective à l’épidémie d’opioïdes.
Je vous demande, chers collègues, d’adopter le rapport et de passer à l’étape de la troisième lecture dès que possible.
Merci, meegwetch, wela’lin.
Des voix : Bravo!