https://youtu.be/pfEk-kH0Er8
L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour faire état de mon questionnement par rapport au projet de loi C-234.
Par le passé, j’ai beaucoup réfléchi sur le rôle du Sénat par rapport aux projets de loi qui nous viennent de l’extérieur, pour déterminer quelle doit être notre lentille. J’ai toujours pensé qu’il était important de respecter d’abord ce que l’autre endroit avait adopté et de respecter la situation problématique des provinces par rapport à celle du gouvernement fédéral.
Dans le cadre d’un projet de loi particulier, on avait le choix de promouvoir et de respecter les préoccupations des provinces ou de défendre les intérêts du gouvernement fédéral. Dans les faits, le Sénat a été créé pour défendre les intérêts des provinces par rapport à une volonté fédérale qui aurait pu — ou qui pourrait — être centralisatrice.
Dans le cadre du projet de loi C-234, compte tenu de toutes les préoccupations politiques qui ont été soulevées, je me disais que le Sénat devrait adopter ce projet de loi.
Pour ce qui est d’adopter un projet de loi qui vient de l’autre endroit, est-ce qu’on doit l’adopter uniquement parce qu’il vient des Communes et qu’il répond à des préoccupations provinciales, sans vraiment mettre en doute le bien-fondé de tous ses articles?
À cette question, je réponds non, parce qu’en fait, lorsqu’on reçoit un projet de loi du gouvernement, en général, il a été étudié avec une certaine rigueur par le ministère de la Justice ou par les ministères concernés, ce qui n’est pas toujours le cas d’un projet de loi d’intérêt public.
Dans le cas du projet de loi C-234, les amendements proposés sont justifiés et permettront peut-être de tenir un débat à l’autre endroit à la suite du renvoi d’un projet de loi qui aura été modifié. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est important d’adopter le projet de loi une fois qu’il aura été modifié.
Toutefois, mon appréciation de ce projet de loi a changé lorsque j’ai lu le communiqué de presse que l’Association des producteurs de grain du Québec a publié le 28 novembre dernier. Dans ce communiqué, l’Association des producteurs de grain du Québec a fait part de ses préoccupations au gouvernement du Québec, en disant que ses considérations économiques dans le secteur agricole québécois allaient changer dans le cas d’une exemption supplémentaire sur le propane et le gaz naturel, et que les agriculteurs québécois sont actuellement pénalisés par le fait que l’essence et le diésel sont exemptés dans le reste du Canada.
Plus on exempte ailleurs dans le secteur agricole, plus on crée des pressions au Québec pour fragiliser le système de tarification des émissions de gaz à effet de serre. Cela m’a fait réfléchir, et je me suis dit que, dans un contexte canadien où nous avons une responsabilité constitutionnelle partagée entre les provinces et le gouvernement fédéral, un dialogue est fondamental pour établir le cadre d’une stratégie efficace — et surtout équitable — de lutte contre le changement climatique et de réduction des gaz à effet de serre. Cela m’a amenée à proposer une motion que vous recevrez dans votre courrier et dont nous pourrons discuter.
Lorsque j’ai examiné la situation actuelle du Canada par rapport aux autres pays de l’OCDE, j’ai été surprise de constater que le Canada est le cinquième pays sur 71 dont un pourcentage des émissions de gaz à effet de serre est couvert par une tarification sur le carbone. Le Canada couvre environ 84 % de ses émissions de GES par le biais d’une tarification sur le carbone. Il arrive en cinquième position derrière l’Islande, la Corée, le Luxembourg et l’Allemagne.
À titre de comparaison, la moyenne des pays de l’OCDE qui adoptent aussi des stratégies de tarification couvre à peu près 40 % de leurs émissions de GES par la tarification. Donc, le Canada, avec 84 % par opposition à 40 % pour les autres pays de l’OCDE, a une stratégie qui est quand même très vaste.
Cependant, il y a différentes questions que l’on peut se poser par rapport à cela. Au Canada, la tarification des gaz à effet de serre de grand pourcentage provient en grande partie de la taxe sur le carbone. Le Québec a un système différent, soit un système d’échange de quotas d’émissions. En Europe, c’est le système de quotas d’émission qui est largement utilisé pour imposer un tarif sur le carbone. C’est très différent comme système, et il est vrai que la taxe sur le carbone est plus simple et permet au gouvernement de retirer les produits de la taxe pour les redistribuer ensuite sous forme de bénéfices.
Au Québec, nous avons un système de vente de permis d’émissions. Ce système existe depuis 2013. Chaque année, le gouvernement du Québec émet gratuitement des permis, mais il en vend également.
Il y a des portions gratuites et il y a des portions vendues à l’encan. Ces encans ont lieu quatre fois par année; le gouvernement doit vendre les droits d’émission et chaque année, le nombre ou le pourcentage de droits d’émission diminue. Cela fera en sorte qu’il y en aura de moins en moins et que les prix augmenteront.
Le gouvernement du Québec, grâce à la vente des droits, a pu récolter jusqu’à maintenant environ 8 milliards de dollars. Cet argent est déposé dans un fonds d’électrification et il servira à subventionner des solutions qui favoriseront la carboneutralité.
Donc, nous avons deux systèmes complètement différents.
Nous avons un marché, par exemple le secteur agricole, où les prix sont fixés à l’international. Donc, l’impact du système sur la concurrence est important et est un élément majeur à considérer pour l’avenir, d’autant plus que le prix du carbone augmentera et que l’impact économique dans notre secteur agricole augmentera. Il y aura deux types d’impact complètement différents pour le Québec et pour le reste du Canada, d’où l’importance d’avoir un dialogue entre les provinces et le gouvernement fédéral pour adopter une stratégie de tarification du carbone efficace et équitable.
Je voudrais ajouter aussi — à la suite de mes lectures sur l’OCDE — que la tarification du carbone est largement utilisée, mais que ce n’est pas la seule mesure. Même si la tarification du carbone représente une stratégie nécessaire, elle n’est pas suffisante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas suffisant, parce que ce sont des incitatifs de prix, mais les modèles nous disent que la tarification est efficace. Cependant, elle est efficace lorsque tout est égal. Cependant, dans la vie, les choses ne sont pas toutes égales, de sorte que les incitatifs de prix peuvent avoir parfois des effets contraires à ce que l’on souhaite.
J’ajouterais à cela que la situation économique des dernières années — l’inflation, entre autres — a amené plusieurs pays de l’OCDE à réduire les taxes sur le carbone, parce que les prix augmentaient, que l’épicerie coûtait plus cher et que les gens se plaignaient.
Donc, la tarification est une bonne mesure. Est-ce que ce sera un système intéressant pour l’avenir? Sûrement, mais cette stratégie devra être accompagnée d’autres mécanismes, comme des normes et, surtout, des subventions à l’investissement. On ne peut pas penser que le mécanisme de prix permettra d’assurer par magie la transition de toute l’économie aussi rapidement qu’on le souhaite.
En conclusion, le projet de loi C-234 témoigne de l’insatisfaction à l’égard de ce système, puisqu’il est différent d’une province à l’autre — différent de celui du Québec, à tout le moins. Comme le secteur agricole est aussi différent d’une province à l’autre, cela crée des situations problématiques auxquelles nous devrons nous attaquer d’une manière ou d’une autre.
Je suis d’accord pour que l’on vote en faveur de ce projet de loi modifié, en espérant qu’il suscite une conversation à l’autre endroit pour trouver certains aménagements. Je vous remercie.