L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je tiens à reconnaître, tout d’abord, que je prends la parole sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Aujourd’hui, à titre de président du Comité des peuples autochtones, j’ai l’honneur de prendre la parole au sujet du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
En bref, ce projet de loi vise à répondre à l’appel à l’action no 53 du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui demande au Parlement du Canada d’adopter, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, des dispositions législatives visant à mettre sur pied un conseil national de réconciliation. Plus précisément, le projet de loi propose la création d’un organisme national de surveillance permanent et indépendant, constitué en organisme sans but lucratif et chargé, entre autres, d’observer et d’évaluer les progrès accomplis en matière de réconciliation ainsi que d’en rendre compte.
Le projet de loi jette également les bases des appels à l’action nos 55 et 56, qui précisent les fonds qui devraient être affectés au conseil et les données et les renseignements dont il a besoin de la part des différents ordres de gouvernement. De plus, le premier ministre du Canada serait tenu de répondre officiellement au rapport annuel du conseil, — qui décrirait les progrès accomplis par tous les gouvernements et tous les secteurs au pays et formulerait des recommandations —, en publiant un rapport annuel sur la situation des Autochtones et les plans du gouvernement du Canada pour faire progresser la réconciliation.
Je souhaite maintenant me pencher sur l’étude du projet de loi C-29 au Comité des peuples autochtones. Au total, nous avons tenu 12 réunions totalisant plus de 20 heures. Dans le cadre de cette étude, nous avons entendu plus de 50 témoins et reçu 23 mémoires, dont 7 réponses à des questions en suspens.
Je remercie les membres du comité d’avoir abordé ce travail de façon respectueuse et productive. Par exemple, pour élaborer et finaliser un plan de travail solide, nous avons demandé aux membres et aux non-membres de proposer des témoins et nous avons essayé d’accorder les places de façon juste et équitable.
Afin d’entendre le plus grand nombre de personnes et de groupes possible, nous avons également lancé un appel ouvert pour obtenir des mémoires et nous avons encouragé nos collègues à diffuser l’invitation dans leurs réseaux.
Bien qu’ils soient loin d’être exhaustifs, je crois que les témoignages entendus par le comité sont représentatifs des divers points de vue des Autochtones et d’autres à l’égard du conseil national de réconciliation.
Jeudi dernier, le 26 octobre, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a présenté son quinzième rapport sur le projet de loi C-29 avec des amendements et des observations, que j’ai l’intention de résumer ici.
En ce qui concerne les amendements, le comité a modifié l’article 2, qui définit les termes utilisés dans le projet de loi. Nous avons modifié le terme « gouvernements » et ajouté l’expression « corps dirigeant autochtone », qui englobe le leadership et la structure organisationnelle choisis par les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Le comité a également modifié l’article 6 afin qu’il indique plus clairement que le conseil a pour mission de faire progresser la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones. Cet amendement vise à souligner le fait que la réconciliation s’étend à tous les pouvoirs publics et à toute la société. Elle est en outre la responsabilité commune des différentes populations autochtones et non autochtones qui composent le Canada.
L’article 7, qui énonce les attributions du conseil, a également été amendé.
Conformément au libellé de l’appel à l’action no 53, l’accent est mis sur la surveillance, l’évaluation et la production de rapports. Nous avons également ajouté au plan d’action national pluriannuel des éléments relatifs à l’élaboration de politiques et aux programmes de sensibilisation destinés au public. Enfin, nous avons précisé que le conseil doit encourager le dialogue, ainsi que les partenariats entre les organismes des secteurs public et privé et des initiatives visant la réconciliation.
Le comité a ajouté de nouveaux articles, les articles 7.1 et 7.2, qui répondent à plusieurs préoccupations soulevées par l’Inuit Tapiriit Kanatami et par d’autres témoins. En plus de l’amendement à l’article 2, il est indiqué explicitement que la loi n’a pas pour effet d’autoriser le conseil à agir au nom d’un corps dirigeant autochtone ou à en représenter les intérêts. Le fait de consulter le conseil ne libérerait pas un gouvernement, ou une autre entité, de son obligation de consulter.
En outre, il est indiqué que le conseil ne devrait pas s’ingérer dans les mécanismes bilatéraux actuels ou futurs établis entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits ou les Métis, comme le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne.
Il y a aussi un amendement à l’article 16, qui porte sur la communication de renseignements. Dans le projet de loi, les paragraphes 16(1) et 16(2) obligent le ministre à élaborer, en collaboration avec le conseil, un protocole pour la communication de renseignements afin que le conseil puisse remplir sa mission. Si des renseignements pertinents ne sont pas communiqués, le paragraphe 16(3) ajoute que le conseil peut déposer un recours devant la Cour fédérale. Je souligne que le mot utilisé est « peut », et non « doit ». Autrement dit, ce n’est qu’une des diverses options que le conseil peut choisir.
L’article 16.1, qui porte sur le rapport annuel du premier ministre, a été modifié pour préciser que la fin de l’exercice est le 31 mars.
Enfin, l’article 17.1 a été ajouté. Il s’agit d’une modification corrélative qui permet une harmonisation avec les nouvelles exigences en matière de rapports prévus à l’article 7.
Le comité a également formulé six observations au sujet du projet de loi C-29.
Premièrement, nous avons observé que l’établissement du conseil s’inscrit dans le contexte des répercussions intergénérationnelles accablantes des politiques assimilationnistes du gouvernement fédéral, notamment les pensionnats indiens, qui ont eu de graves répercussions négatives sur le bien-être des peuples autochtones, et qu’il met en lumière la nécessité d’un organisme indépendant géré par les Autochtones qui peut mesurer les progrès réalisés en vue d’éliminer les inégalités entre les Autochtones et les non-Autochtones. Les aînés, les survivants et leurs descendants doivent éclairer et orienter ces efforts.
Deuxièmement, pour remplir son vaste mandat, le comité a ajouté que le conseil doit disposer d’un accès rapide et sans entrave à l’information de tous les ordres de gouvernement.
Troisièmement, compte tenu des difficultés constantes auxquelles sont confrontés d’autres organismes, comme le Centre national pour la vérité et la réconciliation, le comité a également fait remarquer qu’un mécanisme de règlement des plaintes devrait être établi en même temps que le protocole pour la communication de renseignements décrit au paragraphe 16(1) du projet de loi C-29.
Quatrièmement, le comité a également recommandé que le conseil d’administration s’efforce d’inclure une plus grande représentation des Autochtones que celle prévue dans la loi.
Plus précisément, il doit refléter la diversité, les origines et les expériences des Autochtones, peu importe où ils vivent. Tout en évitant d’être trop prescriptive, cette observation souligne la nécessité d’une représentation et d’une mobilisation inclusives.
Cinquièmement, pour tenir compte de l’importance primordiale des mécanismes bilatéraux établis entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis, le comité a amendé le projet de loi et a précisé explicitement que le conseil ne devrait pas s’ingérer dans ces mécanismes.
Sixièmement, tout en se réjouissant que le gouvernement du Canada ait affecté un fonds de dotation de 126,5 millions de dollars, le comité a convenu, comme les témoins, que ce montant était insuffisant.
Afin de s’acquitter de son vaste mandat, le conseil doit bénéficier d’un financement pluriannuel à long terme afin qu’il puisse disposer des ressources financières, humaines et techniques nécessaires à la conduite de ses travaux. C’est pourquoi nous recommandons fortement que le gouvernement augmente le financement à un niveau plus approprié, du moins à un niveau proportionnel à celui de la Fondation autochtone de guérison qui, comme l’a dit le professeur David MacDonald, est devenue un organisme autosuffisant grâce à un financement total de 515 millions de dollars. Cette observation fait ressortir une préoccupation selon laquelle, en raison d’une insuffisance de fonds, le conseil pourrait manquer des ressources financières, humaines et techniques nécessaires.
Ce point a été souligné par Marie Wilson, une des trois commissaires de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui a déclaré :
[…] sans l’argent et les moyens, tout peut devenir politisé et fragile alors qu’il faut que ce soit permanent et stable […]
Cela ne peut être perçu comme un autre organisme démuni qui tente d’accomplir des miracles avec les moyens du bord.
Chers collègues, avant de conclure, j’aimerais faire quelques brefs commentaires.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi C-29, certains ont émis des préoccupations au sujet du manque de consultation. Je respecte ces arguments et je comprends d’où ils viennent.
Il est toutefois important de se rappeler que la Commission de vérité et réconciliation, dont les travaux étaient fondés sur la recherche ainsi que des documents et des témoignages recueillis entre 2008 et 2015, a recommandé la création d’un conseil national de réconciliation.
Cette opinion était partagée par Marie Wilson, qui a déclaré ceci :
Je sais que ce que je vais dire ne fera pas l’affaire de tout le monde, mais j’ai l’impression que la [Commission de vérité et de réconciliation] était en soi un vaste exercice de consultation. C’était la première fois dans l’histoire qu’autant de peuples autochtones se réunissaient pour mener des consultations qui portaient en principe sur les pensionnats, mais au cours desquelles les participants ont partagé des pans beaucoup plus larges de leur vie. C’est pourquoi les appels à l’action débordent largement ce qui s’est passé dans ces écoles et les solutions à apporter. Les appels sont beaucoup plus vastes parce que les conséquences vont bien au-delà.
C’était une vaste consultation. […] C’est assez injuste de dire que personne n’a été consulté. Tout cela n’est pas venu de nulle part. C’est venu de quelque part.
On a également accordé beaucoup d’attention à la composition du conseil d’administration. Certains témoins s’opposaient à la nomination de personnes non autochtones. D’autres étaient d’accord avec l’idée, mais voulaient qu’on en nomme moins. Il y a également eu des débats pour déterminer quels gouvernements ou organisations autochtones devraient pouvoir nommer un membre du conseil d’administration. Toutefois, la réalité, c’est qu’avec 9 ou 13 membres, on ne pourra pas représenter toutes les communautés autochtones.
Michael DeGagné, l’un des membres du Comité de transition du Conseil national pour la réconciliation qui participera à la nomination du premier conseil d’administration, nous a dit ceci :
En intégrant un groupe, vous en intégrez peut-être quatre, puis encore un autre, et avant de vous en rendre compte, vous vous retrouvez avec l’Organisation des Nations unies.
Il a ajouté ceci :
[…] je suis très réservé quant au fait d’intégrer tel ou tel groupe comme si la seule façon d’avoir voix au chapitre dans cette structure n’était pas par le dialogue, mais en siégeant au conseil. Nous qui formons le Comité de transition, nous allons soigneusement sélectionner des gens qui ont déjà une expérience de la réconciliation au Canada. Nous sommes à la recherche de techniciens. Nous ne cherchons pas à créer une organisation politique de plus qui s’interposera entre la population et le gouvernement. Ce n’est pas ce qui nous intéresse.
Je tiens également à faire remarquer que certaines des discussions sur la représentation au sein du conseil d’administration sont liées à des débats plus larges sur l’identité autochtone.
C’est aux peuples autochtones, et non aux parlementaires, qu’il appartient de décider qui doit ou peut nous représenter ou prendre des décisions en notre nom. Étant donné que nous ne sommes pas monolithiques, il n’est pas surprenant qu’il y ait divers points de vue sur ces questions. Il faut tenir compte du contexte historique et contemporain et de nombreux problèmes demeurent non résolus, notamment en ce qui concerne les personnes qui ont été coupées de leur famille et de leur communauté à la suite d’une assimilation forcée.
Les peuples autochtones ont besoin d’un espace non seulement pour gérer ces tensions, mais aussi pour guérir et nous réconcilier. Ce point a été souligné avec éloquence par le témoin Jay Launière-Mathias de Puamun Meshkenu. En parlant de l’importance de la réconciliation entre les peuples autochtones, il a dit :
On parle souvent de la réconciliation entre les Autochtones et les institutions, que ce soit le gouvernement canadien, les ministères, les municipalités et les gouvernements provinciaux; il y a cette réconciliation que l’on doit faire et dans laquelle on chemine présentement.
Il y a également la réconciliation entre les personnes autochtones et la population canadienne; on continue de la faire aussi. Par contre, dans le projet de loi, je vois moins la réconciliation entre les Autochtones. Pour moi, cette réconciliation est importante et primordiale. En tant que jeune Autochtone, je dois me réconcilier avec mon histoire, avec les blessures du passé, avec les traumas intergénérationnels qui continuent d’être transmis, et on a aussi besoin de se réconcilier entre nous.
Quand on lui a demandé de fournir plus de détails, voici ce que M. Launière-Mathias a dit :
Ensuite, dans les communautés, on le voit, il y a beaucoup de racisme entre les Autochtones eux-mêmes et entre les différentes nations, entre les Autochtones d’une même communauté, entre ceux qui vivent en réserve et ceux qui vivent en milieu urbain. On doit se réconcilier là aussi. […] On ne peut pas changer le passé, et la création d’un comité national ne va rien changer au passé. Par contre, ce qu’on peut faire, c’est de veiller à ce que dans le futur, il y ait des choses qui ne se reproduisent plus, de prendre conscience de ce qu’on peut faire ensemble pour se réconcilier. […]
Le clivage entre les communautés, une dynamique qui n’existait pas avant la colonisation, est très dommageable pour les peuples autochtones et cela leur cause une profonde souffrance. Alors que nous poursuivons nos discussions sur ce projet de loi, nous devons faire attention de ne pas alimenter la division ni la violence latérale entre les peuples autochtones. Wela’lin. Merci.