L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables collègues, je prends la parole pour souligner l’importance du projet de loi C-42, qui invite fermement les provinces et les territoires à emboîter le pas et à mettre en place des régimes de transparence similaires en ce qui concerne la propriété effective.
Beaucoup d’entre vous ne le savent peut-être pas, mais, dans une vie antérieure, j’étais associé en droit des sociétés dans un cabinet d’avocats d’envergure nationale. Ainsi, ce projet de loi m’intéresse au plus haut point, et il me rappelle de nombreux souvenirs. Aujourd’hui, j’aimerais attirer votre attention sur la législation québécoise, qui constitue un modèle que chaque province et territoire devrait envisager.
Comme le parrain et le porte-parole l’ont souligné à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi — et le parrain encore une fois à l’occasion de la troisième lecture aujourd’hui —, cette mesure législative s’appliquera à environ 500 000 sociétés, c’est-à-dire celles qui sont constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Je remercie d’ailleurs le parrain et le porte-parole pour leurs excellentes observations.
Vous pensez peut-être que, 500 000, c’est beaucoup, mais ce n’est pas le cas. En fait, cela ne représente que 15 % des entreprises canadiennes. Les 85 % qui restent sont des personnes morales constituées en vertu d’une loi provinciale ou étrangère.
En outre, au Canada, de nombreuses entreprises fonctionnent par l’intermédiaire d’une fiducie, d’une société en nom collectif, d’une société en commandite, d’une coopérative ou d’une coentreprise, ou encore elles sont exploitées par une ou plusieurs personnes physiques. Toutes ces entreprises sont réglementées par les provinces et les territoires. En fait, en vertu de la Constitution, la plupart des entreprises, qu’elles soient ou non constituées en société, sont régies par des lois provinciales.
Pour mettre fin au blanchiment d’argent et au recyclage des produits de la criminalité, il est urgent que toutes les provinces du Canada adoptent des mesures législatives visant l’accès public à l’information sur le propriétaire bénéficiaire réel ou ultime.
Au cours des 10 dernières années, toutes les provinces, à l’exception de l’Alberta, ont adopté des lois afin d’assurer la tenue d’un registre des véritables propriétaires de sociétés par actions incorporées en vertu de leur législation sur les compagnies.
La plupart de ces lois exigent que chaque société par actions tienne un registre interne des bénéficiaires ultimes et communique au directeur des sociétés de la province pertinente des renseignements sur les personnes qui contrôlent, de fait, chaque société par actions.
Il faut cependant souligner que ces renseignements ne sont pas accessibles au public, sauf en Colombie-Britannique et au Québec. En Colombie-Britannique, le registre des entreprises provinciales est en vigueur depuis le 1er octobre 2020 pour les entreprises privées, alors que le registre couvrant les personnes qui ont un contrôle important est en vigueur depuis le milieu de l’année 2019. Le registre complet de la Colombie-Britannique sera en vigueur en 2025.
Au Québec, un projet de loi intitulé Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises a été présenté le 8 décembre 2020. Ce projet de loi a été adopté le 8 juin 2021 et est entré en vigueur il y a sept mois, soit le 31 mars 2023.
Me Paul Martel, qui est une sommité en droit corporatif québécois et un ami à moi, décrit ainsi la nouvelle loi québécoise dans son traité intitulé La société par actions au Québec, et je cite :
Cette nouvelle loi a pour objet la modification de la Loi sur la publicité légale des entreprises pour principalement instaurer un nouveau régime d’information sur les bénéficiaires ultimes des entreprises et élargir le rôle du Registraire des entreprises de manière à optimiser la fiabilité des informations inscrites au registre des entreprises, favoriser la transparence des entreprises et inscrire le Québec dans la mouvance internationale pour lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption.
Le nouveau régime québécois innove à deux égards par rapport à la plupart des autres juridictions canadiennes. D’abord, il s’applique à toutes les formes d’entreprises qui font affaire au Québec, quelle que soit leur juridiction constitutive, y compris les sociétés incorporées au fédéral. À ce jour, les sociétés incorporées au fédéral qui exercent des activités au Québec doivent fournir et rendre publiques des informations concernant les actionnaires ultimes de leur société. Ce projet de loi ne changera donc rien pour les sociétés qui exercent des activités au Québec.
En d’autres mots, la loi québécoise s’applique non seulement aux entreprises qui sont constituées en vertu du droit québécois, mais aussi aux sociétés par actions fédérales et à celles qui ont été créées en vertu d’une loi d’une autre province ou même d’un État étranger, aux sociétés de personnes, aux sociétés en commandite, aux fiducies et aux individus qui exploitent des entreprises au Québec.
La définition de « bénéficiaire ultime » est semblable à celle que l’on retrouve dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, que nous modifions aujourd’hui au moyen du projet de loi C-42. Il s’agit essentiellement d’une personne physique qui contrôle ou détient même indirectement ou est bénéficiaire de 25 % ou plus des actions d’une société, des droits de vote ou des unités d’une fiducie ou d’une société de personnes, ce qu’on appelle en anglais un partnership, ou des personnes qui agissent comme prête-nom pour une autre personne ou une entreprise.
La loi québécoise prévoit aussi que l’entreprise a l’obligation de prendre les moyens nécessaires — par opposition à des moyens raisonnables dans la loi fédérale — pour identifier ses bénéficiaires ultimes, assurer leur identité et mettre à jour les informations.
De plus, des preuves doivent être transmises au Registraire des entreprises de l’identité des administrateurs en fournissant un document émanant d’une autorité gouvernementale et confirmant le nom, l’adresse et la date de naissance, comme un passeport, un permis de conduire ou une carte d’assurance-maladie. L’information fournie est vérifiée.
Par la suite, cette information est accessible au grand public. Le Québec suit ainsi l’exemple du Royaume-Uni et de la plupart des pays membres de l’Union européenne, qui rendent accessibles au public les informations sur les bénéficiaires effectifs, non seulement des sociétés par actions, mais de toutes les entreprises qui font affaire au Québec.
Je précise cependant que la date de naissance n’est pas rendue publique et qu’une personne peut fournir, outre son adresse résidentielle, une adresse d’affaires. Dans ce cas, seule cette dernière sera rendue publique.
Enfin, à compter du 31 mars 2024, le Registraire des entreprises pourra fournir à toute personne intéressée un regroupement d’informations basé sur le nom et l’adresse d’une personne physique, du moment que ce regroupement ne contienne pas une information qui ne peut être consultée en vertu de la loi, notamment l’adresse personnelle d’une personne pour laquelle une adresse professionnelle a été déclarée ou sa date de naissance. Par conséquent, il sera possible, en fouillant dans le registre des entreprises québécoises, de découvrir toutes les sociétés qui sont liées à cette même personne. Il s’agit, en l’espèce, d’une mesure visant à pousser la transparence à un plus haut degré. La non-divulgation de renseignements personnels, comme la date de naissance et l’adresse, vise à protéger la vie privée et à empêcher le vol d’identité.
En conclusion, nous adoptons aujourd’hui des modifications importantes à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. J’espère qu’à l’instar des mesures que nous avons mises en place pour que chaque entreprise tienne un registre interne sur le propriétaire bénéficiaire, ces modifications importantes à la Loi canadienne sur les sociétés par actions seront aussi adoptées par l’ensemble des provinces et des territoires afin d’assurer la transparence en ce qui a trait aux propriétaires bénéficiaires des sociétés constituées en vertu de leurs lois. Je les invite également à faire de même à l’égard des partenariats, des associations et des fiducies, comme l’a fait le Québec.
Enfin, j’espère que les autres provinces considéreront le Québec comme un modèle intéressant à suivre pour accroître la transparence non seulement pour les entités constituées en vertu d’une loi provinciale, mais aussi pour toutes les autres entités qui ont l’habitude de faire des affaires dans leurs provinces.
Merci, meegwetch.