Les Canadiens et les marchés financiers sont souvent fébriles le jour où le gouverneur de la banque centrale annonce le taux directeur. Ce n’est pas surprenant étant donné les conséquences financières dans le portefeuille des gens et l’effet de cette décision sur l’économie. Sait-on vraiment comment se prend cette décision ?
Techniquement, c’est le gouverneur qui décide du taux directeur, huit fois par année, dans le contexte de la politique monétaire. Il est appuyé par son comité directeur, composé de sous-gouverneurs qu’il a choisis et qui travaillent pour la Banque du Canada. Depuis quelques mois, un sous-gouverneur externe, non dirigeant, s’est joint au comité. Néanmoins, le gouverneur et son équipe peuvent toujours se tromper, et la loi ne leur procure aucune assistance.
La loi qui crée la Banque du Canada a reçu la sanction royale en 1935, un an avant la parution de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, de John Maynard Keynes. Elle a été modifiée depuis, et révisée en 1985, mais jamais on n’y a inclus de mandat précis ni de dispositions concernant la politique monétaire, ni même formulé des objectifs pour la Banque du Canada. On lit dans le préambule une liste d’objectifs que la banque centrale interprète comment étant de « favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». À cet effet, elle accorde au gouverneur les pleins pouvoirs d’agir, et ce, comme il l’entend, sans prévoir d’obligations de transparence ni de reddition de comptes.
Depuis 1991, le cadre de sa politique monétaire est précisé dans une entente quinquennale, que la Banque du Canada prépare et conclut avec le gouvernement à travers le ministre des Finances. Cette entente prévoit les cibles de la politique monétaire sans prévoir les délais pour les atteindre. Depuis trente ans, et renouvelée en décembre 2021, l’entente vise une augmentation de 2 % sur 12 mois de l’indice des prix à la consommation (IPC).
Cette entente est déposée au Parlement et n’y fait l’objet d’aucune approbation ni reddition de comptes. Ce document, qui n’a aucune valeur juridique, permet au gouverneur de hausser le taux d’intérêt directeur tant et aussi longtemps que l’augmentation de l’indice des prix est supérieure à 2 %. Cette politique est très simple pour un problème qui ne l’est pas.
Au XXIe siècle, l’inflation est devenue un phénomène plus complexe qu’au siècle précédent. La crise climatique, les incertitudes politiques mondiales, la démondialisation et le vieillissement de la main-d’oeuvre sont tous susceptibles de créer des chocs inflationnistes liés à la chaîne d’approvisionnement. Comme l’affirment de nombreux experts, la cible de 2 % n’est plus réaliste dans le contexte macroéconomique actuel. La poursuite de cette cible pourrait même mettre de l’huile sur le feu.
Selon un vieux dicton, « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Or, la hausse des taux d’intérêt réduira avec certitude la consommation, l’investissement, la croissance et l’emploi, en plus de faire ralentir l’économie. Et cela, pour une réduction incertaine de la hausse du coût de la vie. Il y a certainement d’autres stratégies à explorer.
L’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement fédéral la responsabilité de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada dans le domaine des banques, de l’émission du papier, de l’intérêt et du cours légal. Bref, sur le plan juridique, si la loi confère beaucoup d’autonomie à la Banque du Canada, cette dernière n’est pas au-dessus du Parlement. Elle doit expliquer comment sa politique permet de réduire l’inflation, et à quel coût.
Le gouverneur explique sa position dans les comités parlementaires et dans les médias. Depuis quelques mois, la banque centrale publie les comptes rendus des discussions entourant les décisions sur le taux directeur. Elle publie quatre fois par année une revue de contexte économique général.
Mais là s’arrête la transparence de la Banque du Canada. Elle ne présente pas les coûts économiques ni financiers de cette stratégie pour les particuliers, les entreprises et les gouvernements, ni les effets redistributifs, les effets sur les investissements, la productivité, ni les indicateurs spécifiques à la base des décisions. Une évaluation constante des coûts et des avantages de la stratégie s’impose.
Le gouverneur de la Banque du Canada a d’énormes pouvoirs, comparativement à celui d’autres banques centrales, comme celles des États-Unis, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et même de l’Angleterre, qui ont soit un comité de la politique monétaire auquel participent des membres externes pouvant présenter des visions autres, soit un double mandat dans le cadre duquel la poursuite de la stabilité des prix ne peut se faire en créant une récession et du chômage.
Si les chocs dans les chaînes d’approvisionnement deviennent réguliers, la politique monétaire ne devrait-elle pas en tenir compte ? En cherchant à réduire la demande par des hausses répétées de taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation, la Banque du Canada compromet l’avenir en nuisant à la création d’entreprises, à la construction de logements, à la transition climatique et à l’investissement tangible et intangible, tel le capital humain.
Le temps est venu d’exiger plus de transparence sur les conséquences véritables de la politique monétaire, et de modifier la Loi sur la Banque du Canada en conséquence.