L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole pour prononcer un dernier et bref discours sur le projet de loi C-9.
Dans mes discours précédents, j’ai expliqué que l’objectif du projet de loi est de moderniser le processus de plaintes et de mesures disciplinaires pour les juges nommés par le gouvernement fédéral afin de maintenir la confiance du public dans le système judiciaire. Le projet de loi vise à simplifier la procédure disciplinaire, à garantir la participation de non-juristes aux étapes cruciales de détermination des faits, à apporter plus de transparence et à réduire les coûts pour les contribuables tout en maintenant la plus grande équité pour le juge faisant l’objet d’une plainte.
Aujourd’hui, nous devons traiter le message reçu de l’autre endroit après l’examen par les députés des amendements proposés, avec dissidence, par le Sénat.
Dans mon discours en troisième lecture, j’ai invité le gouvernement et l’autre endroit à accepter deux de ces amendements et à considérer les autres avec un regard plutôt critique pour les raisons que j’ai exposées.
Comme le gouvernement, dans l’autre endroit, est arrivé à la même conclusion, je pourrais simplement dire que je souscris entièrement au message. Toutefois, comme je l’ai expliqué en avril, en réponse à une question du sénateur Cardozo pendant le débat sur le message de l’autre endroit concernant le projet de loi C-11, le fait d’être d’accord ou non concernant le message n’est pas déterminant quant à la façon dont nous devrions voter en tenant compte du rôle constitutionnel complémentaire du Sénat à l’égard du processus législatif et de l’autre endroit.
J’ai plutôt proposé cinq critères que les sénateurs pourraient juger utile d’appliquer pour déterminer quand le Sénat doit insister sur un amendement qui a été rejeté par la Chambre élue. Ces critères reposent sur le principe de déférence envers la Chambre élue du Parlement.
Les critères visent à garantir que nous faisons preuve de modération dans nos relations avec l’autre endroit, pour reprendre un thème abordé par le sénateur Shugart hier dans son impressionnant premier discours.
Je passe maintenant aux cinq critères. Premièrement, le rejet d’un amendement, s’il est accepté, entraînera-t-il l’adoption d’une loi qui constituera une violation manifeste ou très probable de la Constitution ou de la Charte des droits et libertés? Dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, j’ai expliqué pourquoi les amendements rejetés ne respectaient pas l’indépendance judiciaire du Conseil canadien de la magistrature dans son administration de la procédure de plainte requise par notre Constitution.
Deuxièmement, l’objet du projet de loi a-t-il été un enjeu de la campagne électorale pour le gouvernement, ou s’agit-il plutôt d’une question extrêmement controversée pour laquelle le gouvernement n’a pas reçu de mandat lors des dernières élections? Comme je l’ai dit dans mon intervention précédente, le contenu du projet de loi a été proposé trois fois au cours des quatre dernières années et fait l’objet d’un vaste consensus. Comme l’a dit porte-parole conservateur pour le projet de loi à la Chambre des communes, jeudi dernier, cette mesure législative prête relativement peu à la controverse.
Troisièmement, la preuve faite devant les deux Chambres démontre-t-elle que les assises pour rejeter un amendement sont clairement mal fondées et que le message reçu est manifestement déraisonnable sur ce point? En ce qui concerne le projet de loi C-9, le message repose sur des principes constitutionnels valables et reflète un large consensus parmi les parties intéressées.
Quatrièmement, le rejet de l’amendement démontre-t-il que la majorité des députés veut porter atteinte aux droits d’une ou de plusieurs minorités? Démontre-t-il un mépris des droits linguistiques ou favorise-t-il une région au détriment d’une autre? Ce n’est manifestement pas le cas ici.
Cinquièmement, la réponse de l’autre endroit écarte-t-elle un amendement visant à prévenir des torts irréparables à l’intérêt national? Manifestement, une fois de plus, ce n’est pas le cas ici.
Étant donné que la réponse aux cinq questions est négative, je n’ai aucune hésitation à appuyer la motion d’adoption du message présentée par le sénateur Gold.
J’en viens maintenant à mon dernier point, c’est-à-dire les commentaires et les engagements formulés par le juge en chef du Canada au début du mois lors d’un point de presse et ceux formulés par la représentante du Conseil canadien de la magistrature devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.
Le 13 juin, le très honorable Richard Wagner, qui préside le Conseil canadien de la magistrature, a commenté le projet de loi :
Depuis que je suis devenu juge en chef en 2018, j’ai compris qu’il y avait des choses à corriger au sein du comité de déontologie judiciaire. Le processus disciplinaire de la magistrature était […] opaque. Il était trop long, trop coûteux et […] ce n’était pas possible […] pour le public, de lui faire confiance […] J’étais heureux de voir que le gouvernement avait décidé de légiférer sur cet enjeu, afin d’être plus transparent et moins coûteux.
En somme, afin de préserver la confiance du public, le processus administré par le conseil doit faire preuve de plus de transparence et les juges doivent rester responsables de leur conduite, comme le reconnaît d’ailleurs le conseil sur son site Web et dans ses rapports annuels.
Dans le respect de l’indépendance judiciaire dont bénéficie le conseil, je l’invite à donner suite sans délai aux engagements pris devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles par ses représentants en matière de transparence quant aux divers aspects du traitement des plaintes, y compris des données désagrégées, premièrement, sur le nombre de documents dits de plaintes reçues par le Conseil canadien de la magistrature; deuxièmement, sur les caractéristiques des personnes qui ont logé ces plaintes, comme le sexe, l’appartenance à un groupe identifiable, l’absence de représentation par avocats lors de l’événement donnant lieu à la plainte, la nature des procédures ou de la médiation et ainsi de suite — à cette fin, le formulaire de plainte disponible devrait contenir une section réservée pour l’autodéclaration de leurs caractéristiques par les personnes qui le souhaitent; troisièmement, sur le nombre de demandes de reconsidération et les caractéristiques de ces personnes, si elles sont connues.
Quatrièmement, le conseil devra fournir des données sur le nombre de plaintes qui ont fait l’objet d’un rejet préliminaire par un agent de contrôle, en précisant le nombre pour chacun des motifs indiqués à l’article 90 de la Loi sur les juges, tel qu’elle a été amendée par le projet de loi C-9, et les caractéristiques des plaignants, de même que le nombre de désistements; cinquièmement, sur le nombre de plaintes qui ont été confiées à un examinateur, leur nature et le résultat de cet examen et, dans le cas d’un rejet, les motifs à l’appui; sixièmement, sur le nombre de plaintes qui ont été confiées à un comité d’examen, leur nature, le résultat de cet examen, dont les mesures imposées advenant le cas, et les motifs justifiant ce résultat.
Septièmement, des données sur le nombre de plaintes qui ont fait ensuite l’objet de procédures devant un comité d’audience restreint, la nature de celles-ci et la décision du comité restreint et les motifs à l’appui; huitièmement, le nombre de plaintes qui ont été confiées à un comité d’audience plénier, la nature de celles-ci et la décision du comité et les motifs à l’appui; neuvièmement, le nombre de dossiers qui font l’objet de procédures devant un comité d’appel, la nature de ceux-ci et la décision du comité d’appel et les motifs à l’appui.
J’invite aussi le Conseil canadien de la magistrature à rendre public un résumé de chaque plainte qui a fait l’objet d’une revue par le comité d’examen. À cet égard, le CCM peut s’inspirer de la pratique du Conseil de la magistrature de l’Ontario et de sa propre pratique avant 2015.
En conclusion, je vous invite à accepter le message de l’autre endroit et, ainsi, à assurer la mise en place d’un nouveau processus de traitement des plaintes concernant le comportement des juges de nomination fédérale qui sera plus efficace, plus transparent et moins coûteux.
Merci. Meegwetch. Tshinashkumitin.