L’honorable Pierre J. Dalphond propose que le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Chers collègues, à titre de parrain, j’ai aujourd’hui le privilège d’amorcer le débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.
Je rappelle qu’on y propose une modernisation du processus applicable à l’égard des plaintes reçues contre les juges de nomination fédérale.
Comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, la Loi sur les juges prévoit depuis 1971 que le Conseil canadien de la magistrature a le mandat de recevoir les plaintes contre les juges nommés par le gouvernement fédéral et de les traiter adéquatement.
Au passage, je rappelle qu’il y a au Canada près de 1 200 juges de nomination fédérale et plus de 1 000 juges nommés par les provinces, sans oublier les juges de paix et les juges administratifs, tant fédéraux que provinciaux. Ces milliers de personnes représentent le visage humain de la justice que rencontrent quotidiennement des dizaines de milliers de justiciables à travers le pays.
Contrairement aux États-Unis, tous les juges de nomination fédérale, y compris ceux qui siègent à la Cour suprême du Canada, peuvent faire l’objet d’une plainte et sont assujettis à la juridiction exclusive du conseil en matière de conduite. Quant aux juges provinciaux et administratifs, ils sont assujettis, en matière de conduite et de plaintes, à divers organismes provinciaux.
Le projet de loi C-9 a pour objectif de mettre en place un nouveau processus disciplinaire applicable uniquement aux 1 200 juges fédéraux.
Mon discours aura cinq parties : le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire et ce que cela implique; la nature particulière du projet de loi C-9 et notre rôle; le processus disciplinaire actuel et ses limites; les principaux éléments du processus proposé et leurs objectifs; en dernier lieu, les amendements proposés par le comité et leur impact sur les éléments et objectifs du projet de loi C-9.
L’indépendance judiciaire est cruciale dans une démocratie solide. Au Canada, l’indépendance des juges nommés à l’échelon fédéral est un principe clairement inscrit à la première phrase du préambule, et à la partie VII de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce principe est dérivé de la longue et parfois sinueuse évolution de la tradition au Royaume-Uni. L’indépendance est bénéfique non seulement pour les juges, mais aussi pour les gens qui doivent être jugés, c’est-à-dire les citoyens.
L’indépendance permet au juge d’agir comme un arbitre impartial qui applique les lois sans être influencé par le gouvernement en place, y compris le ministre de la Justice, ni par les institutions religieuses, les entreprises, les syndicats, les lobbyistes, les médias et les autres influenceurs.
Le droit d’être jugé par un juge indépendant est également inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui, à l’alinéa 11d), confère ce droit à tout inculpé qui comparaît devant un juge, qu’il s’agisse d’un juge d’une cour fédérale ou d’un juge d’une cour provinciale.
Par ailleurs, dans nombre d’instruments internationaux et d’arrêts de la Cour suprême du Canada, il est bien établi que l’indépendance des juges doit reposer sur trois éléments essentiels, soit la sécurité de mandat, la sécurité financière et l’indépendance administrative.
J’aimerais expliquer en quoi consiste chacun de ces éléments essentiels dans l’ordre inverse. L’indépendance administrative exige que le système judiciaire soit conçu de manière à ce que ce soit le juge lui-même qui rende la décision dans une affaire et qui gère les procédures judiciaires, et à ce qu’il reçoive suffisamment de ressources pour s’acquitter de ses fonctions.
Par ailleurs, le tribunal auquel un juge appartient doit jouir de la même indépendance par rapport au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, au public ou à toute autre source d’influence. C’est ce qu’on appelle l’indépendance institutionnelle. Ce principe s’applique à l’attribution des causes aux juges, à l’accès aux palais de justice et à la gestion des dossiers.
Cette indépendance institutionnelle s’applique au Conseil canadien de la magistrature dans l’exercice de ses fonctions, notamment pour le traitement des plaintes et la formation des juges fédéraux.
La sécurité financière signifie que les juges fédéraux ont le droit d’être rémunérés par le Trésor fédéral. L’article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit expressément que les traitements, les indemnités et les pensions des juges des cours supérieures sont fixés et assurés par le Parlement du Canada.
La sécurité financière signifie que les juges fédéraux ont droit à une rémunération fixée par le Parlement tant qu’ils sont juges.
Pour cette raison, si un juge fait l’objet d’une plainte, il n’a pas à payer l’avocat engagé pour l’assister dans le processus de révision de sa conduite, y compris pour toute procédure devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada.
En outre, de nombreux juges et juristes sont d’avis qu’une suspension sans traitement n’est pas possible puisque la seule façon constitutionnelle de mettre fin au paiement de la rémunération garantie est de démettre le juge de ses fonctions.
Il est vrai que, dans certaines provinces, une sanction intermédiaire possible est la suspension sans solde. Par exemple, la loi ontarienne régissant les juges de nomination provinciale prévoit la possibilité d’une suspension sans solde d’au plus 30 jours. La constitutionnalité d’une telle sanction n’a jamais été contestée en Ontario, où elle est rarement imposée. En fait, on y a eu recours moins dans moins de cinq cas. Toutefois, je peux vous assurer que l’inclusion d’une telle disposition dans la loi fédérale sur les juges donnera lieu à une contestation de la constitutionnalité.
J’ajouterais que depuis le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Valente, il est bien établi que les juges des cours provinciales ne jouissent pas des mêmes garanties constitutionnelles en matière de salaire et de pension que les juges des cours supérieures. Par conséquent, nous devons éviter de comparer ce qui est prévu pour les juges de nomination provinciale à ce qui est prévu pour les juges de nomination fédérale.
De plus, la Cour suprême a décidé que la rémunération prescrite par la loi doit être adéquate, conformément à ce que détermine une commission indépendante et non le ministre de la Justice, le gouvernement ou le Parlement.
La Cour suprême a également conclu que ni le gouvernement ni le Parlement ne peuvent se servir de leur contrôle du Trésor public pour réduire arbitrairement cette rémunération. En fait, toute réduction de rémunération envisagée doit s’appliquer à l’ensemble de la magistrature, et non à un seul juge, et doit être approuvée par la commission indépendante avant d’entrer en vigueur.
Le troisième élément est l’inamovibilité. Cela signifie qu’un juge ne peut être révoqué qu’en cas d’inconduite grave, comme le prévoit l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La Cour suprême du Canada, guidée par des principes internationaux, a conclu que la détermination d’une inconduite grave doit être le résultat d’un processus contrôlé par les juges et non par l’exécutif. Cela est nécessaire pour éviter toute forme d’ingérence politique ou de pression publique, et pour éviter toute atteinte à l’indépendance judiciaire.
Pour cette raison, la détermination de l’inconduite et de la sanction appropriée doit être faite par un système composé uniquement de juges ou, du moins, d’une majorité de juges.
Dans les cas où ce processus aboutit à la conclusion que la révocation est la sanction appropriée, la décision du Conseil canadien de la magistrature n’est pas considérée comme suffisante.
En effet, l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que les juges nommés par le gouvernement fédéral ne peuvent être révoqués que par le gouverneur général sur une adresse commune de la Chambre des communes et du Sénat. Il est clair que les auteurs de la Constitution voulaient que les juges nommés par le gouvernement fédéral jouissent de la plus grande inamovibilité possible au Canada.
Je passe maintenant au second point : la nature particulière du projet de loi C-9 et le rôle du Sénat à l’égard de cette mesure législative. Il faut se rappeler que le processus d’examen de la conduite des juges ne peut faire l’objet d’une modification constitutionnelle et que toute modification doit respecter les trois principes fondamentaux de l’indépendance judiciaire dont je viens de parler. Comme le processus d’examen de la conduite des juges relève du pouvoir judiciaire et non du pouvoir exécutif ou du Parlement, toute proposition législative visant à modifier le système actuel doit, en pratique, faire suite à une demande du pouvoir judiciaire.
Voilà ce qui différencie le projet de loi C-9 d’autres mesures législatives d’initiative ministérielle. Généralement, lorsque le gouvernement présente un projet de loi c’est pour mettre en place une nouvelle politique qu’il considère dans l’intérêt des Canadiens. En pratique, le gouvernement peut élaborer le projet de loi à sa guise, à condition de respecter la Charte canadienne des droits et libertés et la division des pouvoirs prévue dans la Constitution.
Le ministre, le représentant du Conseil canadien de la magistrature et d’autres témoins ont indiqué au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles que le projet de loi C-9 fait suite à de vastes consultations entreprises par le Conseil canadien de la magistrature, que présidait alors la juge en chef Beverley McLaughlin. Il n’est donc pas étonnant que le projet de loi C-9 jouisse de l’appui du Conseil canadien de la magistrature, notamment de l’ensemble des juges en chef et des juges en chef adjoints nommés par le gouvernement fédéral. Le Conseil canadien de la magistrature est l’entité au cœur même du processus d’examen de la conduite des juges.
Le projet de loi C-9 bénéficie également de l’appui de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, qui représente la presque totalité des 1 200 juges des cours supérieures visés par ce processus. J’ai eu le plaisir de présider cette association pendant de nombreuses années.
Dans ce contexte, il est compréhensible que les membres du comité aient pu se poser des questions et rechercher des précisions. C’est pourquoi j’ai contacté le représentant du Conseil canadien de la magistrature pour demander s’ils accepteraient de revenir devant le comité plutôt que le ministre. Ils ont accepté de venir et de répondre aux questions des membres du comité.
Face à un tel projet de loi, en tant que législateurs, nous sommes appelés à veiller à ce que le cadre législatif qui permet à la magistrature des cours supérieures du Canada de surveiller la conduite de ses membres soit à la hauteur de la tâche et respectueux des principes constitutionnels que je viens d’expliquer, dont l’indépendance judiciaire, un élément fondamental au maintien de la confiance des Canadiens dans notre système de justice. Il faut notamment résister à toute tentative de miner l’indépendance judiciaire, qu’elle vienne du gouvernement ou de groupes de pression.
Comme le disait souvent le sénateur Joyal, ancien président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et bien d’autres sénateurs qui siègent encore ici aujourd’hui, nous sommes les gardiens de la Constitution et de ses institutions, et nous devons rester vigilants. Sur ce point, permettez-moi de citer la Société des plaideurs, que l’on appelle en anglais The Advocates’ Society, qui a dit ce qui suit dans une publication récente :
Comme les autres fondements de la démocratie, l’indépendance judiciaire est vulnérable aux menaces. La société en général et le milieu juridique doivent se prémunir contre toute atteinte à ce principe, aussi minime soit-elle.
À ce titre, je suis particulièrement fier du travail qu’a accompli le Sénat à l’égard du projet de loi Ambrose, il y a déjà plus de quatre ans. En effet, dans une première version adoptée par l’autre endroit, bien que l’objectif poursuivi ait été très louable, le projet de loi omettait de respecter l’indépendance judiciaire, en tentant de dicter le contenu de la formation à donner aux juges, de contrôler les assignations des juges par les juges en chef en matière de dossiers d’infractions sexuelles, d’exiger la communication de diverses informations relatives au traitement des dossiers dans les palais de justice et d’imposer d’autres mesures qui montraient une méconnaissance ou une mécompréhension de l’indépendance judiciaire.
C’est grâce au Sénat et à la quinzaine d’amendements qu’il a proposés que le gouvernement a repris ensuite le projet de loi Ambrose et en a fait un projet de loi du gouvernement en y incorporant tous les changements qui avaient été proposés par le Sénat. Aujourd’hui, cette loi est en vigueur, et ce, dans le plus grand respect de l’indépendance judiciaire.
De même, lorsque le gouvernement a proposé une loi qui aurait traité les juges comme les députés et les sénateurs en matière de communication publique des dépenses individuelles, c’est le Sénat qui a fait reculer le gouvernement en proposant des amendements qui permettaient d’assurer une transparence en matière d’utilisation des fonds publics tout en respectant l’autonomie administrative des juges et des tribunaux. Notre message a été accepté par le gouvernement et appuyé par l’autre endroit.
J’en arrive à mon troisième point, le processus disciplinaire et ses limites.
L’indépendance judiciaire ne veut pas dire que les juges ne sont pas responsables de leurs décisions et de leur conduite dans les palais de justice ou ailleurs. Leurs décisions peuvent donc être révisées en appel et leurs écarts de conduite peuvent donner lieu à une plainte, puis à une enquête du Conseil canadien de la magistrature.
Le régime actuel, qui est modifié de temps à autre, est essentiellement régi par les règles adoptées par le Conseil de la magistrature. Ces règles prévoient une analyse préalable de la plainte par le directeur général. C’est à cette étape que la grande majorité des plaintes sont rejetées parce qu’elles dépassent le mandat du Conseil. De nombreuses plaintes concernent, par exemple, un juge provincial, un procureur de la Couronne, un policier, un auxiliaire de justice, et cetera. Une bonne partie des plaintes portent sur l’interprétation de la loi ou des faits par le juge, ce qui relève des tribunaux d’appel.
Si la plainte cadre avec le mandat du conseil, elle est alors soumise à un premier examen par un membre du conseil. Ce juge en chef peut alors rejeter la plainte ou, si elle est suffisamment grave pour justifier la révocation d’un juge, la renvoyer au comité chargé de l’étudier en profondeur. Si l’inconduite est de moindre gravité, une mesure corrective peut être négociée avec le juge.
Si le comité d’examen conclut que la gravité de l’inconduite est suffisante pour justifier une révocation, une enquête publique sera menée par un comité de trois ou cinq personnes, dont la plupart seront des juges et un ou deux seront des juristes nommés par le ministre de la Justice. Le rapport de ce comité devra être présenté au conseil aux fins de décision par au moins 17 juges en chef ou simples juges.
Dans le système actuel, beaucoup de ces décisions peuvent être contestées devant la Cour fédérale au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Le juge en cause peut interjeter appel de plein droit du jugement de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale et ensuite, sur autorisation, devant la Cour suprême du Canada.
Le processus, lorsqu’il est poursuivi jusqu’au bout, peut durer de nombreuses années et s’avérer extrêmement coûteux. Par exemple, une affaire a duré plus de sept ans et a coûté plus de 5,5 millions de dollars aux contribuables en frais juridiques.
Le juge en chef du Canada et de nombreux autres juges en chef se disent préoccupés par la tendance à entreprendre des procédures plus longues et plus coûteuses. Ils craignent que le public ne perde confiance dans la procédure et ils se soucient de l’utilisation des fonds publics.
Je passe maintenant à mon quatrième point, le projet de loi C-9 et les principales caractéristiques du nouveau processus relatif à la conduite qui est proposé, sous la forme adoptée à l’unanimité par l’autre endroit.
L’objectif du projet de loi est de mettre en place une nouvelle procédure qui comprend des représentants du public et des juges autres que des juges en chef — que je pourrais appeler des juges non en autorité — aux étapes critiques, réduit le nombre d’étapes possibles et assure un meilleur contrôle des coûts de défense du juge visé, le tout dans le but de réduire les délais et les coûts et de maintenir, au bout du compte, la confiance du public envers la magistrature et son système de discipline.
Plus spécifiquement, le projet de loi propose les principales mesures suivantes : la création d’agents de contrôle pour effectuer l’examen préalable des plaintes, qui seront, dans les faits, des avocats engagés à cette fin et donc spécialisés, plutôt que le directeur général du conseil; l’ajout d’un représentant du public au comité d’audience qui entend la preuve et décide de la destitution ou non du juge, l’étape la plus importante du processus pouvant mener à une destitution, alors que jusqu’à maintenant on n’y trouvait que des juges et des juristes; l’ajout de juges non en autorité à toutes les étapes; la possibilité d’ordonner au juge des mesures correctives intermédiaires lorsque la méconduite ne justifie pas un renvoi, alors qu’elle repose actuellement sur une entente avec le juge; le caractère définitif de la décision du comité d’audience, qui devient le rapport final du conseil, sans la nécessité d’obtenir une décision par au moins 17 juges en chef membres du conseil — donc l’abolition d’une étape assez lourde; plus de transparence dans le processus, notamment au moyen d’un rapport annuel et de la communication d’informations aux plaignants à toutes les étapes; des règles strictes applicables aux honoraires des avocats des juges faisant l’objet de plaintes ou agissant en poursuite; le remplacement de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale par un comité d’appel composé de cinq juges — donc, une autre étape de moins dans le processus, ce qui signifie une seule étape plutôt que deux; enfin, le maintien de la possibilité d’un dernier appel sur permission à la Cour suprême du Canada.
En résumé, le projet de loi propose d’assurer une plus grande participation de non-juristes et de juges non en autorité et donne la possibilité d’imposer des sanctions intermédiaires avec ou sans l’accord du juge concerné, le tout dans des délais moindres et à des coûts plus contrôlés.
Je passe au cinquième et avant-dernier point de mon discours, soit les six amendements proposés dans le rapport du comité et leurs conséquences sur les objectifs du projet de loi.
Comme vous l’avez peut-être remarqué hier, le rapport du comité n’a pas fait l’objet d’un long débat, puis il a été adopté avec dissidence. Je vais expliquer, dans quelques minutes, pourquoi je ne peux me rallier à ces amendements, à l’exception de deux d’entre eux.
D’abord, je tiens à souligner le travail et le grand intérêt des sept membres du comité qui ont assisté aux neuf heures de réunions que le comité a consacrées aux témoignages et des deux autres sénateurs qui ont participé à la plupart de ces réunions. À mes neuf collègues, je dis merci.
Ensuite, je crois utile de préciser que, au moment de l’étude article par article, qui a duré pratiquement cinq heures, pour le premier vote, la composition du comité est passée à 13 membres, dont 4 nouvelles figures. Si l’on peut se réjouir de ce regain d’intérêt pour les travaux du comité, il reste que nous nous retrouvons maintenant avec des amendements qui ont été adoptés sans hésitation avec l’appui de nos nouvelles recrues, dont l’objectif, pour certains, semblait de renvoyer le projet de loi à l’autre endroit.
Les deux amendements que j’appuie sont les suivants : l’un vise à préciser qu’un agent de contrôle ne peut rejeter une plainte lorsqu’elle contient une allégation d’inconduite sexuelle.
Le projet de loi prévoit déjà qu’une plainte contenant une allégation de harcèlement sexuel ne peut être rejetée par un agent de contrôle. À l’origine, notre collègue la sénatrice Clement proposait de remplacer les mots « harcèlement sexuel » par les mots « inconduite sexuelle ». Il est ressorti des discussions au sein du comité que l’on proposait de substituer à un terme bien défini en droit un autre concept plutôt vague.
Dans ce contexte, la sénatrice a accepté de modifier sa proposition pour en faire un cas additionnel d’exclusion de possibilité de rejet. À mon avis, cela respecte l’objectif de la disposition et me semble tout à fait acceptable.
L’autre amendement consiste à supprimer les mots « dans la mesure du possible » à l’égard de l’obligation du conseil de préparer une liste de non-juristes et une liste de juges puînés qui reflètent la diversité canadienne. Il faut comprendre ici que les non-juristes doivent répondre à un appel de candidatures, satisfaire aux critères énoncés et être prêtes à servir plutôt bénévolement le comité d’examen et le comité d’audience publique, qui sont les deux instances qui évaluent le comportement des juges faisant l’objet de plaintes et qui peuvent leur imposer soit une sanction intermédiaire, soit la destitution. Quant aux juges non en autorité, ils sont proposés par l’Association canadienne des juges des cours supérieures, que j’ai eu l’honneur de présider quelques années, et non sélectionnés librement par le conseil, au sein de toute la magistrature fédérale.
Les rédacteurs du projet de loi ont donc cru bon d’ajouter les mots « dans la mesure du possible », car les bassins limités d’où sont tirées les listes pourraient empêcher le conseil d’y faire refléter adéquatement la diversité canadienne. Toutefois, puisqu’en droit nul n’est jamais tenu à l’impossible et que, d’autre part, la sénatrice Clement a su me convaincre que le message politique est beaucoup plus fort si l’on supprime ces mots, cet amendement me semble tout à fait acceptable et conforme aux objectifs du projet de loi en matière de diversité.
Je partage également la philosophie de la sénatrice Pate dans son amendement en ce qui concerne la collecte de données et je suis d’accord avec l’objectif qu’elle poursuit. Toutefois, je crains que la formulation ne soit trop prescriptive. Comme je l’ai mentionné précédemment, le conseil jouit d’un degré élevé d’indépendance administrative. Dans le respect total de cette indépendance, je préfère m’appuyer sur les engagements pris par le conseil devant le comité en ce qui concerne l’amélioration de la collecte et de la divulgation des données, y compris des données désagrégées. Je ne vois pas l’intérêt de codifier ces obligations de manière aussi rigide dans la législation, même si je conviens que le résultat est d’une importance vitale.
Malheureusement, certains des autres amendements présentés au comité semblent soulever des questions similaires en raison de leur nature trop normative concernant l’indépendance judiciaire, y compris en ce qui concerne la gestion des agents de contrôle.
Ces personnes sont des employés du conseil mandatés pour exécuter une tâche purement administrative et ne sont pas autorisées à se prononcer sur le bien-fondé de ce qui apparaît de prime abord comme une plainte concernant la conduite d’un juge.
En ce qui concerne la divulgation de détails relatifs au traitement précoce des plaintes par les agents de contrôle et le comité d’examen ou l’un de ses membres, le processus doit tenir compte de la possibilité qu’un préjudice injuste soit porté à la réputation d’un juge à un stade aussi précoce de la procédure et de la manière dont cela peut affecter sa capacité à exercer ses fonctions, ainsi que la réputation générale de la magistrature.
De plus, j’attire votre attention sur le point no 17 des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature des Nations unies, qui se lit comme suit :
17. Toute accusation ou plainte portée contre un juge dans l’exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Le juge a le droit de répondre, sa cause doit être entendue équitablement. La phase initiale de l’affaire doit rester confidentielle, à moins que le juge ne demande qu’il en soit autrement.
Passons maintenant aux deux amendements restants.
Tout d’abord, le comité a cherché à inclure une personne non-juriste dans le comité d’appel. Dans le cadre de la nouvelle procédure, le comité d’appel serait chargé d’exercer des fonctions qui incombent normalement à un tribunal d’appel intermédiaire comme la Cour d’appel de l’Ontario ou la Cour d’appel fédérale. Le projet de loi confère à ce comité d’appel les pouvoirs d’une cour d’appel. Autrement dit, le rôle du comité d’appel serait de s’assurer que le comité d’audience a bien appliqué la loi et de corriger au besoin toute erreur pouvant faire l’objet d’un examen. C’est pourquoi il devait être composé de cinq juges en exercice, soit trois juges en chef, et deux juges.
Aux termes de l’amendement, ce seraient plutôt deux juges en chef, un juge, un avocat et un non-juriste. Légalement, un non-juriste est une personne qui n’a aucune formation en droit. En tout respect, cela serait contraire à ce que le projet de loi vise à accomplir à cette étape-ci, soit de s’assurer que la composition et les pouvoirs du comité d’appel sont comparables à ceux d’une cour d’appel en vue d’une efficience similaire. Je ne peux donc pas appuyer l’amendement.
Je rappelle que le projet de loi prévoit l’inclusion de non-juristes dans les deux principales étapes d’enquête — le comité d’examen et le comité d’audience plénier — lors desquelles on cherche à savoir : Le juge a-t-il commis une inconduite? Le cas échéant, quelles sanctions seraient justifiées? Ce n’est pas la même chose au moment du processus d’appel, qui doit remplacer la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale.
Le dernier amendement, également proposé par la sénatrice Batters, a pour objectif d’ajouter un droit d’appel à la Cour d’appel fédérale concernant toutes les décisions du comité d’appel. Il faut savoir que les décisions de ce comité pourront être interlocutoires ou finales.
Il est intéressant de souligner qu’un amendement semblable a été proposé au comité de l’autre endroit et que la présidence a jugé qu’il dépassait la portée du projet de loi — décision qui a été contestée par les députés conservateurs, mais qui a été validée par la majorité des membres du comité.
Surtout, nous devons réaliser que l’ajout d’un appel devant la Cour d’appel fédérale au processus simplifié prévu signifie que la durée des procédures judiciaires devant la Cour d’appel fédérale ajoutera au moins un an ou un an et demi aux procédures pour chaque appel interjeté devant cette cour. Cela se produirait chaque fois qu’une décision du comité d’appel est portée en appel. Comme je l’ai dit, il est possible de faire appel de plus d’une décision du comité d’appel dans un même dossier.
Pendant ces années, les honoraires de l’avocat du juge seront entièrement payés par les contribuables, le salaire du juge continuera d’être versé et de nombreux juges de la Cour d’appel fédérale devront participer au processus. Je soutiens qu’il ne s’agit pas d’un bon usage de l’argent des contribuables, compte tenu du fait que le comité d’appel accomplit le travail d’une cour d’appel composée de cinq juges.
L’objectif du projet de loi C-9 est de réduire les délais et les coûts inacceptables tout en respectant l’indépendance judiciaire et en assurant un processus équitable pour le juge qui fait l’objet de la plainte. L’amendement va à l’encontre de cet objectif.
La révocation d’un juge est une affaire grave et l’inamovibilité d’un juge est quelque chose qui requiert d’importantes mesures de protection. Toutefois, les protections prévues dans ce projet de loi tel qu’il nous a été présenté à l’origine sont suffisantes. Elles sont justes et équilibrées, et elles garantissent au juge — après un contrôle et un examen interne — l’équivalent d’un procès juste et transparent, suivi d’un appel de plein droit et de la possibilité de demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada.
Autrement dit, on a garanti aux juges accusés d’inconduite grave l’accès au même processus équitable que tous les autres Canadiens, et même plus, et tout cela gratuitement. Ajouter au processus un autre tribunal et un autre comité de juges était totalement injustifié et fait preuve d’un grave manque de confiance dans les capacités de la Cour suprême du Canada, la plus haute instance de notre pays et un pilier fondamental de notre société démocratique.
Au comité, on a appris que la Cour suprême n’accède pas à beaucoup de demandes d’appel, et qu’elle rejette en fait entre 95 % et 99 % d’entre elles. Lorsqu’on examine les documents sur le site Web de la Cour suprême, on constate qu’il y a de temps à autre des décisions disciplinaires ou liées au salaire des juges. Lorsque la Cour suprême estime devoir se prononcer au sujet des juges, elle le fait.
Pour ces raisons, je crois que l’autre endroit doit rejeter les deux derniers amendements. Il devrait procéder au second examen objectif qui, peut-être, n’a pas eu lieu.
Merci, chers collègues, de votre attention. Maintenant, je vous demande respectueusement de renvoyer le projet de loi à l’autre endroit pour un examen plus approfondi, en gardant à l’esprit qu’il nous reste très peu de temps avant la pause estivale pour adopter un message de l’autre endroit et rendre ensuite notre décision. Merci, meegwetch.