L’honorable Pierre J. Dalphond propose que le projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour amorcer la troisième lecture du projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime).
À titre de rappel, ce projet de loi n’émane pas du gouvernement. Il est issu de l’initiative de la députée de Dorval—Lachine—LaSalle, Anju Dhillon, avocate en droit familial et pénal. Elle est appuyée par la députée d’Oakville-Nord—Burlington, Pam Damoff, secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique et par la députée de York-Centre, Ya’ara Saks, secrétaire parlementaire de la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social.
Ces trois femmes dévouées ont réussi à faire adopter cette loi à l’unanimité à l’autre endroit. Je suis fier de travailler avec ces députées sur le projet de loi. Je crois que le système judiciaire a ignoré les signes de violence familiale pendant trop longtemps. Cette situation est attribuable au fait que l’on comprend mal les impacts à long terme de la violence familiale sur l’autre conjoint et les enfants, y compris les risques pour leur santé, leur développement et même leur vie.
Je tiens aussi à vous remercier, chers collègues, de votre soutien et à souligner les contributions de certains d’entre vous.
Premièrement, je remercie le porte-parole, le sénateur Manning, qui a rempli son rôle de façon amicale. Soit dit en passant, j’appuie son projet de loi S-249, qui propose d’établir une stratégie nationale pour lutter contre la violence entre partenaires intimes.
Deuxièmement, je remercie la sénatrice Hartling de son discours à l’étape de la deuxième lecture et de ses réflexions sur les questions difficiles de la violence entre partenaires intimes, de la violence familiale et du contrôle coercitif dans les contextes familiaux.
Troisièmement, je remercie les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, qui ont accepté d’examiner rapidement le projet de loi après l’examen du projet de loi S-205 du sénateur Boisvenu. Ce projet de loi propose également de modifier le Code criminel afin de promouvoir l’utilisation de dispositifs de surveillance à distance dans les cas de violence entre partenaires intimes.
Enfin, je tiens à rendre hommage à la Dre Jennifer Kagan-Viater et à son conjoint Philip Viater, avocat. Ils consacrent tous deux énormément de temps et d’énergie à changer les idées préconçues dans notre système judiciaire afin d’empêcher, dans la mesure du possible, des tragédies comme celle qu’ils ont vécue le 9 février 2020.
Ce jour-là, la fille de la Dre Kagan-Viater, Keira, âgée de quatre ans, a perdu la vie alors qu’elle passait du temps avec son père, un individu considéré comme violent et dominateur. L’accès avait été accordé malgré les nombreuses tentatives de sa mère d’avertir du danger tous les intervenants dans leur procédure de divorce, notamment plusieurs juges.
Grâce au projet de loi C-233, nous enverrons à la société canadienne le message suivant, en mémoire de la petite Keira : Un mari violent et dominateur représente toujours un danger pour sa conjointe et ses enfants.
Comme la sénatrice Hartling l’a déclaré : « Tout acte de violence contre un partenaire intime est un acte de violence contre toute la famille de cette personne, plus particulièrement ses enfants […] »
Les intervenants du système judiciaire n’ont pas tenu compte de cette violence, car ils n’étaient pas formés aux risques associés à la violence familiale.
On peut espérer que ce projet de loi ainsi que les dernières modifications apportées à la Loi sur le divorce permettront de changer les mentalités à l’égard de la violence familiale au sein du système judiciaire. Ce changement de mentalité devrait permettre de prévenir ou du moins de réduire considérablement le nombre de tragédies liées à la violence familiale.
Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant parler brièvement du contenu du projet de loi C-233.
Je rappelle que ce projet de loi s’articule autour de deux propositions de modifications législatives.
Tout d’abord, le projet de loi propose de modifier la Loi sur les juges afin d’inviter fortement le Conseil canadien de la magistrature à offrir de la formation sur les questions liées à la violence entre partenaires intimes et au contrôle coercitif.
L’objectif ultime est d’avoir des juges formés et sensibilisés à la nécessité de prendre en compte des indices de violence lors d’une décision touchant la garde ou les droits d’accès d’un enfant.
Cette partie du projet de loi C-233 est souvent désignée « Loi Keira » à la mémoire de cette fillette dont j’ai brièvement parlé tantôt et qui est morte il y a plus de trois ans.
Cette partie du projet de loi C-233, qui modifie la Loi sur les juges, concerne spécifiquement les juges nommés par le gouvernement fédéral, pas ceux nommés par les provinces. La Loi sur les juges, comme vous le savez maintenant, porte sur la rémunération, les avantages et la formation des juges. Elle porte aussi sur la façon de traiter les plaintes concernant la conduite des juges nommés par le gouvernement fédéral, comme je l’ai expliqué lorsque j’ai pris la parole au sujet du projet de loi C-9 et, plus tôt aujourd’hui, lorsque le sénateur Cotter a pris la parole au sujet de ce projet de loi.
Évidemment, les juges nommés par le gouvernement fédéral ne représentent qu’un élément du système juridique, un élément qu’on pourrait en quelque sorte qualifier de mineur.
En vérité, la violence familiale est un problème avec lequel les policiers, les travailleurs sociaux, les thérapeutes matrimoniaux et familiaux, les juges provinciaux et les procureurs de la Couronne sont souvent aux prises. Or, ils sont tous assujettis aux lois des provinces.
Cependant, en adoptant cette modification à la Loi sur les juges, le Parlement ne se contentera pas de souligner l’importance de la formation continue pour les juges nommés par le gouvernement fédéral en matière de violence familiale et de contrôle coercitif exercé dans les relations entre partenaires intimes et les relations familiales; il enverra un puissant signal aux provinces, aux territoires et à tous ceux qui gravitent autour du système juridique leur indiquant qu’ils doivent aller dans la même direction. Nous ne pouvons plus ignorer la violence familiale et les effets dévastateurs qu’elle a sur les enfants.
D’ailleurs, la Dre Kagan-Viater, M. Viater et de nombreux groupes concernés par la violence familiale font campagne pour demander aux provinces d’adopter des mesures. La Dre Kagan-Viater m’a dit que Queen’s Park envisageait de modifier les lois de la province afin que les juges que cette dernière nomme, les procureurs de la Couronne et les policiers reçoivent de la formation.
Ensuite, le projet de loi C-233 ajoute à l’article 515 du Code criminel une disposition qui invite expressément les juges et les avocats, dans le cadre d’une ordonnance de remise en liberté avant procès d’un prévenu inculpé d’une infraction contre son partenaire intime, à devoir considérer, pour la sécurité de la victime alléguée, l’imposition à l’accusé du port d’un dispositif de surveillance à distance.
Bien sûr, l’imposition du port d’un dispositif de surveillance n’est possible que si un tel appareil est disponible dans la région concernée.
Comme je l’ai mentionné lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, il faut souligner les développements récents en cette matière dans plusieurs provinces. Au Québec, par exemple, des modifications législatives et réglementaires récentes et l’octroi d’un financement pour cinq ans ont permis de mettre progressivement en place un système de fourniture d’équipement et de surveillance continue de personnes accusées ou condamnées pour des infractions en matière de violence entre partenaires intimes.
Je rappelle que les 18 premiers mois de la séparation constituent le terreau le plus fertile aux manifestations de violence et parfois même au féminicide. C’est justement cette période à haut risque qui est visée par l’ajout proposé à l’article 515 du Code criminel. Cette modification prévoit que le tribunal, à la demande du procureur général de la province, peut imposer, comme condition de remise en liberté d’une personne accusée d’une infraction liée à la violence envers un partenaire intime, le port d’un dispositif de surveillance électronique. Il peut s’agir d’un dispositif de contrôle des mouvements, afin de s’assurer que l’accusé se trouve bien dans le lieu où il a été confiné, ou d’un dispositif de géolocalisation afin de s’assurer que l’accusé respecte en tout temps les modalités de l’ordonnance d’interdiction de contact que le tribunal lui a imposée.
Comme l’a justement souligné la sénatrice Boniface, la violence entre partenaires intimes en milieu rural et en milieu urbain pose des défis précis et impose la mise en place d’un accès adéquat à Internet ou à tout autre moyen de communication approprié.
Au-delà de l’accès à des moyens de communication pour assurer la surveillance, il faut aussi, comme l’a dit le sénateur Boisvenu, donner aux hommes violents les moyens d’avoir accès à des soins et s’engager dans la prévention.
Comme d’autres sénateurs l’ont mentionné, dont la sénatrice Pate, il faut surtout s’attaquer aux causes de cette violence.
Je peux ainsi reprendre l’image qu’avait utilisée la sénatrice Hartling. Comme elle l’a si bien dit, l’éradication de la violence entre partenaires intimes s’apparente à la construction d’une maison. Nous avons besoin de fondations, mais aussi de murs et d’un toit.
Il nous faut une stratégie globale axée sur la prévention, le dépistage et l’intervention rapide.
Ainsi, ce projet de loi représente une avancée et un pas supplémentaire dans la bonne direction. Il est peut-être incomplet, mais très utile.
Conscients que cette approche globale est nécessaire, les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ont joint à leur rapport l’observation suivante :
Conformément aux témoignages concernant l’urgence de s’attaquer à ce problème dans notre société, le comité encourage le gouvernement à investir davantage de ressources dans des initiatives visant à améliorer les soutiens financiers, sociaux et sanitaires qui contribuent à assurer : la capacité et les ressources pour les soutiens émancipateurs contre la violence, les centres, y compris les refuges pour femmes, les soutiens financiers, un traitement plus réceptif et respectueux des victimes par la police et les autorités chargées des poursuites, et des interventions efficaces pour interrompre et traiter la violence misogyne et raciste, y compris avec les agresseurs.
Pour concevoir une approche globale de la violence entre partenaires intimes et de la violence familiale, les gouvernements du Canada, des provinces et des territoires devraient sérieusement étudier le modèle espagnol. J’y ai fait longuement référence lors de mon discours de deuxième lecture.
Ce modèle comprend notamment des tribunaux spécialisés, des policiers formés à cet effet, une campagne efficace de sensibilisation du public à la violence domestique, une plateforme de renseignements gérée par les policiers et les différentes institutions qui s’occupent des femmes victimes de violence, et un centre de commandement de surveillance électronique relié à ce qui était alors appelé le ministère espagnol de la Santé, des Services sociaux et de l’Égalité, qui est chargé de contrôler 24 heures sur 24 les bracelets utilisés en Espagne.
Honorables sénateurs, je sais à quel point cette Chambre a à cœur de faire avancer les choses sur la question si sensible de la violence entre partenaires intimes et de la violence familiale.
Je vous invite donc à adopter ce projet de loi avec diligence, afin que sa mise en œuvre se fasse le plus rapidement possible, ce qui permettra de sauver des vies. Il ne doit pas y avoir d’autre Keira.
Merci de votre attention, meegwetch.