L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, mes observations d’aujourd’hui font suite à l’intervention que le sénateur Harder a faite dans cette enceinte le 11 mai au sujet d’un plan pour créer une prospérité durable, inclusive et partagée partout au Canada. Le sénateur Harder s’est concentré sur le budget fédéral de 2022 et a mis en lumière certaines recommandations tirées du rapport du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité publié l’automne dernier. Une de ces recommandations consiste à mettre sur pied un conseil de la prospérité qui serait un organisme indépendant dont le rôle consisterait à soutenir et à faciliter la collaboration fédérale-provinciale.
En tant que sénateur de la Saskatchewan et homme d’affaires, je me concentrerai aujourd’hui sur la nécessité d’accroître la collaboration entre le fédéral, les provinces et les Autochtones au Canada dans les secteurs de l’énergie, de l’environnement et de la réconciliation économique. Je me pencherai sur la proposition que le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a faite en juin aux tables régionales de concertation sur l’énergie et les ressources et, ensuite, sur la Stratégie économique nationale pour les Autochtone annoncée en juin par une coalition d’organisations autochtones. Je conclurai en soulignant comment un conseil de la prospérité, comme l’a indiqué le sénateur Harder, pourrait favoriser la collaboration et améliorer le partage de la prospérité au sein de la fédération canadienne.
D’entrée de jeu, en examinant le paysage économique canadien, je reconnais la nécessité de juguler l’inflation, un problème mondial dont les causes sont complexes et au nombre desquelles figure la guerre en Ukraine. Au pays, la Banque du Canada joue un rôle clé qui consiste à gérer l’inflation en rajustant son taux directeur. Le Sénat et le milieu des affaires canadiens respectent l’indépendance de cette institution publique. Toutefois, comme on reconnaît la nécessité de s’attaquer à l’inflation au moyen de la politique monétaire, je ne pense pas que l’histoire se souviendra de l’inflation comme du principal enjeu économique de notre époque. Ce sera plutôt le changement climatique.
Cet été, les vagues de chaleur et les inondations ont poussé les populations et les pays à bout. Il n’est pas difficile de trouver des exemples dans le monde et au Canada. Nous sommes de tout cœur avec le peuple pakistanais à la suite de l’inondation du tiers de son pays, qui a touché environ 16 millions d’enfants. Le changement climatique favorisant les phénomènes météorologiques violents, le Canada atlantique a dû faire face à des tempêtes dévastatrices comme l’ouragan Fiona. L’Ouest canadien a connu une sécheresse extrême et des températures dangereusement élevées. Les générations futures pourraient considérer cette période comme la dernière occasion pour l’humanité d’éviter les pires conséquences du changement climatique.
Le Parlement et le gouvernement du Canada ont pris certaines mesures, mais celles-ci sont insuffisantes pour réduire les émissions ou démontrer un leadership à l’échelle mondiale. Notre fenêtre de temps se ferme relativement vite. La bonne nouvelle, c’est que le Canada dispose des ressources nécessaires pour aider le monde à réussir la transition vers la carboneutralité. Par exemple, notre industrie minière profite d’une rare occasion que lui procurent les minéraux critiques tels que ceux utilisés dans les batteries. Nous avons d’énormes débouchés dans les secteurs du lithium, du graphite, du nickel, du cobalt, du cuivre et des terres rares. Une transition énergétique n’est pas possible sans ces minéraux critiques; la demande de lithium et de cobalt devrait augmenter de 4 000 % d’ici 2050.
Dans ma province, le Saskatchewan Research Council et l’entreprise Vital Metals Inc. sont deux entités qui collaborent au développement d’installations spécialisées dans le traitement des terres rares à Saskatoon, une première dans ce secteur en Amérique du Nord. Le Canada peut générer une grande prospérité tout en renforçant la protection de l’environnement. Parallèlement, nous pouvons continuer d’approvisionner les pays du monde libre en pétrole et en gaz pendant la période de transition. Je pense que c’est une situation qui peut être gagnant-gagnant, mais seulement si nous sommes sérieux dans notre démarche pour renverser le courant par rapport aux changements climatiques.
Tout comme les autres provinces et territoires au Canada, ma province est touchée par la hausse des températures. Parmi les autres points que nous avons en commun, il y a l’inflation, les impôts, la péréquation, la diversité et la Constitution canadienne. Par contre, nous ne sommes pas toujours du même avis en ce qui concerne les décisions politiques, surtout à propos des objectifs stratégiques et des dépenses, mais nous reconnaissons que nous formons un pays démocratique où le gouvernement est élu par la population et où règne le respect de la primauté du droit.
De nombreux facteurs font de la Saskatchewan une province unique. Comme toutes les autres régions du Canada, la Saskatchewan possède des forces qui peuvent service d’assises, des avantages concurrentiels à mettre à profit et des défis à relever avec courage. Cela dit, en tant que fédération, nous sommes plus forts collectivement et plus compétitifs sur les marchés internationaux. Nous avons un énorme potentiel de prospérité, surtout quand les hautes sphères du gouvernement, les industries et les nations autochtones se consultent et collaborent.
Selon mon expérience dans les domaines des affaires, du développement économique régional et du Parlement — et compte tenu des valeurs et des défis communs à tout le Canada —, le leadership collaboratif est ce qui nous servira le mieux. Au fil des décennies, ce que j’ai appris concernant les projets de développement économique — en particulier les gros projets — est le fait que le gouvernement fédéral ne veut pas les réaliser seul et que les provinces ne peuvent pas les réaliser seules.
J’en suis aussi venu à croire que la consultation préalable et la collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires sont primordiales pour faire avancer les choses et que les nombreux défis auxquels nous devons faire face en tant que fédération exigent une approche pancanadienne.
Par exemple, la Saskatchewan devrait profiter d’une approche consultative et collaborative entre le gouvernement fédéral et la Saskatchewan à la table de concertation régionale sur l’énergie et les ressources, laquelle est l’endroit idéal pour que la Saskatchewan définisse notre avenir dans une économie en évolution et collabore, idéalement, avec le gouvernement fédéral pour établir et faire avancer une liste commune de deux ou quatre priorités majeures en matière de croissance économique à aborder et à prendre en charge ensemble. Une consultation et une collaboration actives, ainsi que la recherche d’un terrain d’entente, pourraient permettre la réussite dans trois domaines connexes qui sont essentiels et d’intérêt mutuel pour la prospérité et le bien-être de la Saskatchewan et du Canada, à savoir l’énergie, l’environnement et la réconciliation économique avec les peuples autochtones.
Alors que les Saskatchewanais ont des discussions animées sur l’autonomie, nous ne devrions pas rater notre chance de tirer profit des possibilités qui nous sont offertes et de faire fond sur notre réputation de gens travaillants, novateurs et patriotes. La Saskatchewan a toujours trouvé des façons de simplifier des situations complexes pour les autres en élaborant des solutions saskatchewanaises. Nous avons ce que la planète veut, et nous pouvons répondre à la demande en travaillant avec des partenaires à l’échelle du pays. En cette période où chacun reste campé sur ses positions, le centre du fédéralisme canadien peut et doit résister, notamment en ce qui concerne le respect des champs de compétence du fédéral, des provinces, des territoires et des gouvernements autochtones, des institutions publiques et des valeurs inscrites dans la Charte.
Compte tenu de cette nécessité, qu’est-ce que les provinces peuvent tirer d’une collaboration? Une avancée est déjà en train de se concrétiser : la création de services de garde abordables à la suite de l’entente fédérale-provinciale de 2021. Cette entente permettra à de nombreux enfants d’avoir un meilleur départ dans la vie et aidera de nombreux parents à mieux concilier la famille, la vie professionnelle et les activités sociales. Cet exemple de leadership de collaboration est tout à l’honneur des deux ordres de gouvernement et un modèle à suivre pour s’attaquer à d’autres défis.
Au sujet de l’énergie et de l’environnement, le 1er juin, le ministre fédéral des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson — qui a grandi, étudié et travaillé en Saskatchewan —, a lancé les premières tables de concertation régionales sur l’énergie et les ressources. Il s’agit d’une approche constructive visant à réunir le fédéral, les gouvernements provinciaux, les peuples autochtones, les chefs d’entreprise, les groupes de l’industrie, les syndicats et d’autres parties prenantes pour faire progresser les grandes priorités dans le secteur des ressources naturelles.
En juillet, le ministre Wilkinson a souligné de nombreuses possibilités émergentes dans un discours prononcé devant la Chambre de commerce du district de Regina et la Chambre de commerce de la Saskatchewan. Les tables de concertation régionales sont notamment chargées d’entamer, de manière progressive, des discussions au niveau opérationnel avec les provinces. Lorsque le moment sera venu d’entamer ces discussions avec la Saskatchewan, je m’attends à ce que nous participions pleinement à celles-ci et à ce que nous prenions la place qui nous revient à la table pour décider de notre avenir dans une économie en évolution et pour collaborer avec le gouvernement fédéral afin de définir deux ou quatre grandes priorités communes en matière de croissance économique et accélérer leur mise en œuvre.
La Saskatchewan a beaucoup à apporter à une économie plus verte. Nos points forts sont les technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone, avec le centre de recherche en technologie pétrolière de l’Université de Regina; la protection contre les effets des inondations et des sécheresses grâce au projet d’expansion de la capacité d’irrigation du lac Diefenbaker, ce qui débouchera simultanément sur une agriculture et une transformation alimentaire durables, jetant les bases d’un secteur agroalimentaire florissant et progressivement renouvelé, et donc de la sécurité alimentaire; la Supergrappe canadienne des industries des protéines; Soileos, un nouvel engrais à micronutriments durable, non polluant et favorable au climat, qui aide les agriculteurs à accroître leurs rendements tout en recyclant le carbone dans le sol et en réduisant leurs besoins d’engrais azotés dans les années à venir; les biocarburants, notamment pour l’aviation; les minéraux critiques, dont l’uranium provenant des gisements à teneur élevée les plus importants au monde pour alimenter les réacteurs régionaux et autres; et les petits réacteurs modulaires.
À ce sujet, SaskPower étudie actuellement les régions d’Estevan et d’Elbow pour y installer éventuellement des petits réacteurs modulaires. En tant que chef de file dans le secteur de l’énergie au pays, la Saskatchewan possède déjà le savoir-faire nécessaire pour piloter une transition. Il y a beaucoup de compétences et de connaissances qui sont transférables. Les Saskatchewanais sont ouverts aux occasions de contribuer à l’atteinte des objectifs environnementaux du Canada fondés sur la science en vue d’une transition juste et équitable si ces occasions mettent à profit leurs forces et créent de la prospérité.
D’ailleurs, en ce qui concerne la justice et l’équité, tous ces efforts doivent favoriser la réconciliation économique avec les peuples autochtones. Si je parle de la nécessité d’un leadership collaboratif, c’est que nous savons que les peuples autochtones ont souvent été victimes d’ententes à sens unique conclues sous la menace, de l’exclusion du milieu des affaires et des violations de leurs droits en matière de territoire et de ressources.
Le 6 juin 2022, une coalition de plus de 25 organisations autochtones a présenté une nouvelle Stratégie économique nationale pour les Autochtones au Canada comportant quatre voies stratégiques : la population, les terres, les infrastructures et les finances. La stratégie compte 107 appels à la prospérité économique, qui pourraient redonner une impulsion et une orientation aux discussions entre les ordres de gouvernement et qui pourraient contribuer au plan d’action de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Autant dans le secteur public que dans le secteur privé, les Canadiens ont la responsabilité fondamentale de reconnaître les droits autochtones et d’éliminer des obstacles, ce qui ouvrira des possibilités de croissance et profitera à toute la population. Le rapport de juin de la Banque Royale du Canada est une ressource utile; il s’intitule 92 à zéro : Comment la réconciliation économique peut contribuer à la réalisation des objectifs climatiques du Canada.
Par exemple, le rapport indique que la transition vers la carboneutralité :
[…] reposera sur des sources cruciales de capitaux conservés par les nations autochtones. RBC estime que le Canada aura besoin d’environ 2 billions de dollars de capitaux au cours des 25 prochaines années, une grande partie de ces fonds provenant de sources autochtones, ou de partenariats autochtones, notamment de propriétés autochtones.
Le rapport énonce quatre sources de capitaux conservés par les nations autochtones : le capital naturel, dont 56 % des nouveaux projets de mines de minéraux critiques, 35 % des meilleurs sites solaires et 44 % des sites éoliens; le capital financier, c’est-à-dire le patrimoine croissant des nations autochtones, qui comprend environ 120 milliards de dollars de biens en fiducie et de revendications territoriales et autres; le capital intellectuel, c’est-à-dire la prise en compte du savoir et des valeurs traditionnelles autochtones; et le capital humain, notamment les jeunes leaders et entrepreneurs autochtones ainsi que les membres autochtones de la population active.
Je m’attarde sur ce dernier point. Nous avons au pays une pénurie massive de main-d’œuvre qualifiée dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. La population autochtone s’accroît deux fois plus rapidement que la population non autochtone. Si l’on donne aux jeunes autochtones des chances équitables d’acquérir ces qualifications, ils peuvent apporter de précieuses contributions à notre future prospérité. Il suffit de leur donner cette chance.
En préparant le rapport du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité l’an dernier, nous avons entendu parler de la réconciliation économique de la part de représentants du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, du Conseil national de développement économique des Autochtones, de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement, de Cando, des Premières Nations côtières, et de l’Université de la Saskatchewan.
Nous avons entendu qu’actuellement, la contribution des entreprises autochtones à l’économie canadienne se chiffre à environ 32 milliards de dollars et que les dirigeants d’entreprise autochtones se sont fixé l’objectif de rendement ambitieux de faire passer cette contribution à plus de 100 milliards de dollars. Faisons en sorte que cela se concrétise.
Le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité a pour objectif de proposer des idées dans le but d’atteindre une prospérité durable et inclusive. Je terminerai en présentant une idée qui pourrait favoriser la collaboration entre les administrations. À cette fin, je répète l’appel du sénateur Harder à créer un nouveau conseil de la prospérité. Il s’agissait d’une recommandation clé de notre rapport, dont l’objectif était de créer un organisme neutre et indépendant pour coordonner et soutenir l’engagement fédéral-provincial. Un conseil de la prospérité pourrait aider en publiant des recherches, en organisant des réunions, en favorisant le dialogue entre les gouvernements et les parties prenantes, en étudiant les options et les occasions stratégiques et en mesurant les objectifs. Dans l’immédiat, l’un des objectifs pourrait être la mise en œuvre du libre-échange interprovincial, dans le prolongement de l’Accord de libre-échange canadien de 2017.
Le libre-échange interprovincial était un objectif défini dans le budget 2022. Selon le Fonds monétaire international, le Canada pourrait augmenter son PIB par habitant de 4 % grâce à la libre circulation des biens entre les provinces. Qu’attendons-nous?
Les entreprises canadiennes peuvent également prouver aux Canadiens que le fait de travailler ensemble présente d’énormes avantages. Notre pays ne devrait pas être aussi polarisé, et nous devons repousser les incitations partisanes visant à éviter la collaboration fédérale-provinciale.
Le Sénat peut contribuer à tempérer les esprits et à maintenir l’attention sur les valeurs et les intérêts communs des Canadiens. Nous avons beaucoup plus en commun que ne le laissent entendre les voix partisanes.
Unissons nos forces pour réussir ensemble, notamment en Saskatchewan et dans tout le pays. J’invite les sénateurs à se joindre au débat, et à chercher des possibilités de changer les choses.
Merci, Hiy kitatamîhin.