Deuxième lecture du projet de loi C-22, Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

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L’honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je voudrais tout d’abord reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

J’aimerais, d’entrée de jeu, vous dire pourquoi je tiens à prendre parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu. Même si je ne suis pas membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je voudrais souligner certains éléments sur lesquels je suis d’avis que le comité devrait se pencher.

Je voudrais ensuite faire un parallèle avec une période historique que le Canada a traversée durant la première moitié du XXe siècle et vous parler de certains points sur lesquels j’aimerais que le comité s’interroge en ce qui a trait au titre du projet de loi.

Pourquoi est-ce que je tiens tant à parler de ce projet de loi? C’est parce que le sujet m’interpelle en tant que parent. Je n’ai pas d’enfant handicapé, mais si j’en avais eu un, comment serais-je aujourd’hui? Je serais très angoissée par rapport à l’avenir. Ce projet de loi me réjouirait, parce que, comme l’a dit la sénatrice Petitclerc, il est plein d’espoir. Comme l’ont dit plusieurs d’entre vous, ce projet de loi est très imprécis. Je n’ai jamais vu de projet de loi comme celui-là. Il a comme objectif principal de réduire la pauvreté et de renforcer la sécurité financière. On n’a aucune idée du montant qui sera alloué et on n’a aucune idée de la manière dont la prestation sera versée. On laisse au Cabinet le pouvoir d’en décider, ce qui ne garantit aucunement la pérennité de la mesure ni l’uniformité des objectifs visés.

Ne craignez rien, je vais voter en faveur de ce projet de loi, mais je vais demander au comité de faire son travail, comme il l’a déjà fait par le passé.

C’est vraiment le discours de la sénatrice Seidman qui m’a interpellée quand je l’ai relu… En fait, j’ai lu plusieurs discours dans lesquels on mentionnait que le Sénat a dit, en 2008 ou en 2009 ainsi qu’en 2018, que pour régler le problème de pauvreté des personnes en situation de handicap au Canada, il faut un revenu de base, pas un supplément de revenu. Cela a remis toutes mes idées en place.

Quand j’ai lu ce discours avec la référence au professeur Prince, je suis allée lire ses travaux et mes idées sont devenues claires. Le Sénat doit mettre la main à la pâte. Pourquoi? Parce qu’en lisant les propos de la ministre, qui nous a expliqué ce qu’elle voulait faire, j’ai constaté que l’on mettait l’accent sur un supplément de revenu à l’aide sociale.

On ne peut pas interpréter cela autrement. La ministre veut créer une prestation qui serait un supplément aux prestations d’aide sociale que reçoivent les personnes handicapées en âge de travailler. Les personnes vivant avec un handicap ne reçoivent plus ou alors perçoivent peu d’aide sociale après l’âge de 65 ans. Si elles en reçoivent, c’est pour d’autres raisons. Au Québec, en général, après 65 ans, plus personne ne reçoit de prestations d’aide sociale. Pourquoi? Parce qu’il y a la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, qui sont deux programmes fédéraux.

Si on parle d’un supplément de revenu pour les personnes en situation de handicap, on pense que ces personnes en âge de travailler continueront de recevoir de l’aide sociale et que l’on va bonifier la prestation d’aide sociale. On va essayer de négocier avec les provinces pour ne pas qu’il y ait de récupération, mais elles vont encore bénéficier de l’aide de dernier recours. C’est là où il y a un malentendu, et j’espère que le comité va essayer de travailler sous cet angle. Les provinces ont pour mission d’assurer une aide de dernier recours. C’est en dernier recours qu’on se tourne vers la province. Le gouvernement fédéral ne peut pas se mettre dans une situation où il va suppléer l’aide de dernier recours. Il faut donc changer d’approche.

Comment peut-on sortir les personnes en situation de handicap de l’aide sociale et de la pauvreté, si on les maintient dans les programmes d’aide sociale? Poser la question, c’est y répondre.

J’espère que le comité se penchera sur cette question.

Je me suis dit : « Va donc voir, Diane, ce que tu as écrit dans les années 1979 et 1980, quand tu préparais ta thèse de doctorat. » Je suis retournée à ma thèse de doctorat de 800 pages, qui portait sur l’évolution des programmes sociaux au Canada. Dans ma thèse, j’ai peu traité des personnes en situation de handicap, mais j’ai examiné avec beaucoup d’attention comment on a réussi à sortir de l’aide sociale les personnes âgées de plus de 70 ans et, aujourd’hui, celles de plus de 65 ans.

Vous savez, je ne m’en souvenais plus, mais je me suis rappelé que j’avais beaucoup regardé les travaux du Sénat pendant que je rédigeais ma thèse de doctorat. Le Sénat a joué un rôle majeur dans l’adoption des programmes visant à sortir les personnes âgées de l’aide sociale. Cela a commencé assez tôt. Pour résumer en capsule, très rapidement, le gouvernement fédéral, poussé par la théorie macroéconomique de Keynes, a décidé d’investir dans la sécurité du revenu pour les familles nombreuses afin de les sortir de l’aide sociale, et ce, grâce à la création de l’allocation familiale universelle en 1945.

En 1951, il a adopté la Loi sur la sécurité à la vieillesse pour sortir les personnes de 70 ans et plus qui dépendaient toutes de l’aide sociale. Cela a fait son temps. Au début, cela a fonctionné. Toutes les personnes de 70 ans et plus touchaient une pension universelle et, dans les années 1960, l’urbanisation a fait que les personnes âgées bénéficiaient encore de l’aide sociale.

Les gouvernements ont rapidement décidé d’adopter le Régime de rentes du Québec et le Régime de pensions du Canada. On se disait qu’avec ces régimes contributifs, on pourrait sortir les personnes âgées de l’aide sociale, mais qu’en attendant, avec les prestations de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, ces personnes pourraient avoir un revenu de base. Aujourd’hui, ce revenu de base se situe autour de 20 000 $ pour une personne ayant peu de revenus, ce qui permet d’échapper à la pauvreté.

Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de technologie, vous qui allez hériter de ce projet de loi, j’aimerais que vous regardiez plus en détail la possibilité de créer un programme et même de vous pencher sur cette question. Le gouvernement fédéral a déjà des mécanismes en place avec lesquels il pourrait travailler, dont le crédit d’impôt non remboursable pour les personnes en situation de handicap. En bonifiant ce crédit d’impôt et en le rendant remboursable, on pourrait permettre à toutes les personnes en situation de handicap sévère de toucher un revenu. Cela amène à la question suivante : comment allons-nous définir la situation de handicap? Je pense que le comité aura du travail à faire.

Je vous invite à examiner ce que font les provinces et le Québec à cet égard. Pendant longtemps, au Québec, on ne voulait pas définir les personnes en situation de handicap comme des personnes handicapées. On ne voulait pas non plus les traiter comme des personnes inaptes, alors on a adopté la notion de « personnes en âge de travailler avec des contraintes sévères ou légères à l’emploi ». Cela permet, du moins au Québec, aux personnes qui ont des contraintes sévères et permanentes à l’emploi de bénéficier du Programme de solidarité sociale et aux personnes ayant des contraintes légères et temporaires à l’emploi de bénéficier du Programme d’aide sociale. Les barèmes et les incitatifs à l’emploi sont différents pour ces deux programmes.

Je vous invite à examiner cette question et à étudier ce projet de loi sous l’angle du plan d’action formidable qu’a déposé la ministre Qualtrough en faveur de l’intégration à l’emploi des personnes en situation de handicap qui sont en âge de travailler. Le professeur Prince a proposé, lui aussi, un plan d’action qui rejoint ce que la ministre a proposé.

Je vous invite à examiner le problème sous un autre angle. En effet, rappelez-vous que l’angle d’un supplément à l’aide sociale veut dire que les personnes restent à l’aide sociale.

Le deuxième point dont je voulais parler est le suivant : évidemment, la collaboration fédérale-provinciale sera nécessaire pour se doter d’un plan qui ne fournit pas seulement une aide financière, mais qui assure également une intégration. Ce n’est peut-être pas l’objectif du projet de loi, mais, de toute manière, il s’agit d’une occasion d’agir pour atteindre un objectif commun. Par ailleurs, qui peut s’opposer à cet objectif de réduire la pauvreté pour les personnes en situation de handicap? Je pense qu’aucune province ne pourrait faire cela. Le gouvernement a peut-être ici la possibilité de tenir des rencontres plus régulières avec les provinces pour réaliser un objectif commun.

C’est gros comme proposition; ce n’est peut-être pas aux membres du comité de le faire, mais je tenais à le dire, car voilà une occasion de créer des institutions fédérales-provinciales qui pourront instaurer un fédéralisme plus collaboratif en matière sociale.

Mon dernier point a trait au changement du titre. Pourquoi changer le titre? Parce que, comme il n’est pas acceptable en anglais de parler de handicapped people, il n’est pas plus acceptable en français, dans le langage courant, de parler de personnes handicapées. Pourtant, on trouve ces mots dans la traduction du projet de loi. Cela m’a surprise. Quand j’ai lu le plan d’action de la ministre, on ne parle nulle part en français de personnes handicapées; on parle de personnes en situation de handicap. Il s’agit donc de quelque chose d’important.

En terminant, sur la question du titre du projet de loi, j’ai deux éléments à mentionner pour vous faire rire. J’ai oublié de vous lire quelque chose. Il s’agit d’un rapport du Sénat qui, en 1963, parlait des personnes âgées; vous pourrez faire un parallèle avec les personnes en situation de handicap. Le rapport du Sénat, présidé par le sénateur Croll, disait ce qui suit :

Après étude, le Comité est d’avis que le point de vue de ceux qui préconisent le revenu garanti face au problème du revenu des personnes âgées est très bien fondé. En plus de sa simplicité administrative (par comparaison avec l’assistance publique) et du niveau peu considérable des dépenses publiques que cela supposerait (par comparaison avec une augmentation équivalente de la pension de sécurité de la vieillesse), la proposition, selon nous, a deux grands avantages : elle évite l’évaluation des besoins qui n’est guère prisée et à laquelle nous n’aimerions pas astreindre plusieurs centaines de milliers de personnes à la retraite et, bien plus, elle comporte les moyens les plus efficaces que nous ayons trouvé pour remédier à l’inégalité avec laquelle nous traitons actuellement ceux qui sont déjà à la retraite ou qui sont sur le point de prendre leur retraite; c’est un point qui nous a causé beaucoup de soucis.

Je voulais le mentionner. Je voulais aussi vous lire une petite note de traduction de Renée Canuel-Ouellet.

Son Honneur le Président : Sénatrice Bellemare, votre temps de parole est écoulé; demandez-vous cinq minutes de plus pour terminer?

La sénatrice Bellemare : Oui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

La sénatrice Bellemare : Merci.

Je poursuis avec la citation de la note de traduction :

L’expression person with a disability a le fâcheux effet de semer le désarroi chez les traducteurs appelés à la rendre en français. La crainte d’offusquer en ne respectant pas la terminologie politiquement correcte est bien sûr à l’origine de ce sentiment, du reste fort compréhensible. Au fait, doit-on parler de personnes handicapées? À moins qu’il ne faille dire personnes ayant une incapacité… ou une déficience? Comment faire pour démêler toutes ces notions? C’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui vient à notre rescousse. Sa Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps propose trois définitions […]

Je vous laisse avec ceci; j’espère que le comité pourra étudier cette question, parce que je pense qu’elle mérite notre considération.

Merci beaucoup.

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