L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, dans cinq courtes années, les adeptes de soccer de partout dans le monde viendront au Canada et projetteront les espoirs de leur pays sur un événement sportif que seuls les Jeux olympiques dépassent en popularité. La Coupe du monde de soccer de la FIFA, dont le Canada sera l’hôte conjointement avec les États-Unis et le Mexique en 2026, sera un événement phare pour notre pays comme il l’a été pour d’autres pays hôtes. Il a aussi généré des retombées économiques à hauteur de milliards de dollars pour les pays hôtes précédents. Comme nous le savons tous, l’argent peut aussi attirer des acteurs sans scrupules qui exploitent les événements en trichant et, dans le cas des sports, en truquant les matches. Ce serait vraiment dommage si une telle chose venait entacher la Coupe du monde ici, au Canada. Cependant, selon des experts, c’est une possibilité que nous devons nous efforcer d’éviter.
Cela est pertinent au projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, lequel permettrait aux Canadiens de parier sur des épreuves sportives uniques. D’entrée de jeu, je veux dire que j’appuie l’intention du projet de loi. Je crois que, dans un certain sens, il est inévitable, car l’argent joué par les Canadiens va et ira ailleurs, là où on est plus avancé que nous en matière de paris sur les épreuves sportives.
C’est aussi une mesure qui, une fois mise en œuvre, aiderait probablement de nombreux organismes sportifs partout au pays, qui en ont bien besoin. J’ai cependant des préoccupations, la principale étant la possibilité de trucage des matchs. Dans un livre blanc produit en octobre 2019 par un symposium national sur le sujet, les auteurs préviennent que les changements rapides de technologie et la popularité croissante des plateformes de jeux en ligne posent un risque accru de trucage des matchs au Canada. En outre, les tentatives de corruption d’athlètes augmentent. Ce livre blanc dit : « Cette menace peut potentiellement porter gravement atteinte à l’intégrité des sports les plus populaires au Canada ». Le hockey, la Ligue canadienne de football, ainsi que de nombreux autres sports ont été identifiés comme comportant des risques.
Ce livre blanc poursuit ainsi :
[…] comme le Canada organise la Coupe du monde de la FIFA 2019 avec les États-Unis et le Mexique, il incombe au gouvernement de s’attaquer à ce problème afin d’éviter des dommages à la réputation […]
L’ampleur de ces dommages pourrait égaler celle de la saga Ben Johnson. De plus :
Alors que le Canada est maintenant considéré comme un chef de file de la lutte contre le dopage […] il est essentiel d’adopter une position proactive sur la question de la manipulation de matchs.
Vous vous souviendrez peut-être que Ben Johnson est ce sprinter canadien qui s’est fait prendre pour avoir utilisé des substances interdites durant les Jeux olympiques de Séoul en 1988. Il nous a fallu du temps pour nous remettre de ce choc porté à notre réputation de franc-jeu. Comme je l’ai dit, je crois à l’intention de ce projet de loi, mais j’émettrais deux mises en garde.
Premièrement, le projet de loi devrait exiger que des ententes soient conclues entre les sociétés provinciales des jeux de hasard et les diverses organisations sportives pour autoriser l’organisation de paris sur les matchs des organisations.
Deuxièmement, nous devrons tôt ou tard régler le problème du trucage des matchs dont j’ai parlé plus tôt. Les matchs truqués des ligues majeures font souvent les manchettes, mais dans bien des cas, la pratique est plus grave et plus risquée lorsqu’elle touche les ligues mineures et les gens qui sont moins bien payés.
Par exemple, nous avons tous lu des reportages sur des athlètes de niveau collégial, plus particulièrement aux États-Unis, qui sont démunis, qui ne sont pas rémunérés pour leur participation à des compétitions sportives et qui finissent par accepter un pot-de-vin pour fournir des renseignements sur la stratégie de l’équipe ou pour saboter un match. Cette pratique ne touche pas que nos voisins. Cela se passe aussi chez nous.
Par exemple, en 2015, un reportage publié dans un journal britannique a révélé que l’ensemble des 12 équipes d’une ligue de soccer canadienne avaient été impliquées dans une forme de trucage de matchs à au moins trois occasions. Selon un autre reportage de CBC publié en 2012, un joueur de la même ligue a accepté un pot-de-vin pour truquer un match en 2009.
Ce type de conduite provoque un sentiment de trahison chez les partisans. Si on légalise les paris sur une seule épreuve sportive sans corriger le problème de la manipulation des matchs, cela pourrait aussi dissuader les personnes de déposer des paris. À quoi cela sert-il si on ne peut pas avoir la certitude que les dés ne sont pas pipés?
Contrairement aux États-Unis, le Canada autorise uniquement les paris progressifs, qui exigent que les gens parient correctement sur au moins deux épreuves pour gagner quelque chose. Comme leur nom le dit, dans les paris sur une épreuve, le joueur doit seulement parier sur une épreuve, ce qui signifie que les gens qui truquent les matchs n’ont qu’à manipuler les résultats d’une épreuve ou d’une partie d’une épreuve.
Les experts de l’intégrité du sport proposent de nombreuses solutions pour éviter de tels abus, y compris la mise sur pied d’une commission fédérale, une sensibilisation accrue des athlètes, des entraîneurs, des officiels et des organisations sportives, et la création d’une unité indépendante de l’intégrité du sport au Canada.
Une autre recommandation faite au symposium, dont on a parlé plus tôt, est que le Canada devienne un signataire de la Convention sur la manipulation de compétitions sportives du Conseil de l’Europe. Je crois que c’est une recommandation à laquelle nous devrions donner suite.
L’objectif du traité multilatéral est simple. Il vise à prévenir, à repérer et à punir la manipulation de matchs. C’est un outil et un guide essentiel qui fournit une structure qui permet aux signataires de mieux harmoniser leurs efforts et coordonner leurs actions dans la lutte contre la manipulation de matchs. Ces actions comprennent la coordination des activités et des projets internationaux, la prestation d’aide et de conseils aux autorités publiques et la tenue de débats thématiques sur les gouvernements, les responsables des jeux et des loteries, les organismes chargés de l’application de la loi et les organisations sportives, entre autres. Le traité a été signé ou ratifié par 37 pays, mais pas par le Canada.
Compte tenu du besoin de protéger l’intégrité du Canada, en tant que nation sportive, et les citoyens qui prendront part à cette nouvelle activité, je suis tout à fait d’accord avec l’observation formulée par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à savoir qu’il faut encourager le gouvernement à signer la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives. Je remercie les sénateurs Klyne et Cotter d’avoir veillé à ce que de telles observations figurent clairement dans le rapport du comité dont le Sénat est saisi. Je prends la parole ce soir pour souligner cette observation dans l’espoir que le gouvernement y donnera suite une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale.
Merci.
Des voix : Bravo!