L’honorable Michèle Audette : [Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu-aimun.]
Que j’avais hâte de vous partager mon amour, mes émotions, mais aussi mon expérience en tant que sénatrice devant un projet de loi, le projet de loi C-13, visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada.
J’ai remarqué en vous beaucoup de passion pour ceux et celle qui vivent en situation de vulnérabilité, dans des régions où on ne voit pas du tout le français dans les centres-villes. Dans les affiches, on ne voit que la langue anglaise. Mon fils habite Vancouver et je veux qu’il continue à parler français, et ma petite-fille aussi. Toutefois, c’est plus compliqué.
Je vois des choses partout au Canada, mais je les ai vues ici aussi : la passion, la détermination, mais surtout la peur de perdre, et cela, je le comprends. J’ai essayé de faire en sorte de ne pas vous faire peur, mais je suis restée fidèle à moi-même, fidèle dans mon approche et mes propos. On a tous voyagé, on a tous caressé d’autres territoires. À chaque endroit où nous allons, la langue, c’est la première chose que l’on entend. Parfois, on remarque la différence. C’est la langue qui fait que nous avons une identité, une culture, une relation avec le territoire et aussi des droits, des responsabilités, une histoire, une vie contemporaine, mais aussi des aspirations pour demain.
C’est la même chose ici au Canada. C’est la même chose ici, dans cette belle grande Chambre. Vous avez certainement entendu le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, quand il est arrivé avec son projet de loi, en 2018, pour faire reconnaître l’inuktitut comme une langue officielle.
Cela n’a pas fonctionné; c’est devenu une loi pour les langues autochtones. Toutefois, pour ce peuple, c’était important. Ce sont eux qui habitent le Nord mais qui sont partout au Canada, mais il s’en est décidé autrement.
Vous comprendrez que j’essaie de parler anglais aussi — des fois c’est du « franglais ». Merci d’être patients avec les mots que j’invente, quand je vois dans vos yeux que vous ne comprenez pas ce que j’ai dit; mais vous êtes patients. Sinon je demande à quelqu’un —
« Pouvez-vous répéter ce que vous dites? »
C’est cela, ma réalité au quotidien; mais je parle aussi français. Je l’ai appris. Comme je l’ai déjà dit, mon papa, c’est le plus beau Québécois, mais ma mère est une Innue. Vous comprendrez que je porte les deux identités. J’ai cette responsabilité. Chaque fois qu’un projet de loi va parler des langues, vous allez m’entendre vous dire que l’innu-aimun, c’est aussi une langue officielle. Cependant, je ne suis pas allée en cour encore; je n’ai pas trouvé d’avocat encore, même si je suis entourée d’avocats. Ce n’est pas à moi de faire cela, c’est à ma nation, aux autres nations, mais aussi à vous.
La communauté internationale aussi va le dire, l’UNESCO va le dire : les langues autochtones, partout dans le monde, même au Canada, sont celles qui sont en situation de vulnérabilité. On va même les classer comme étant à risque, vulnérables, sérieusement en danger, ou tout simplement en situation critique.
Alors, je vous comprends, je vous comprends. J’ai senti que vous me comprenez, mais on n’a pas les mêmes droits. C’est là où on se demande, à l’occasion, comment on va trouver les ponts et les façons de faire afin que nos droits puissent éventuellement se connecter.
Je n’ai pas envie de toujours devoir aller en cour pour que ça arrive. De toute façon, je n’ai pas les moyens, encore moins ma nation. On a trop de causes devant les tribunaux.
C’est aussi la dualité qui m’habite quand je regarde le projet de loi, parce qu’on va défendre le français qui est très important. Je vais remarquer aussi, pour la situation anglophone, la situation de la minorité, c’est la même chose pour les Naskapis, les Inuits, les Cris, à qui on a imposé l’anglais. Mary May Simon, on lui impose l’anglais, et elle n’a pas pu étudier en français, et avec ce qui se passe au Québec, cela devient une autre barrière juridique et systémique. Voilà une autre crainte qui s’ajoute.
Je n’arrête pas de poser la question, confirmez-le-moi, parce qu’on entend l’expression « Charte de la langue française », que ce ne sera pas un outil juridique pour empêcher les nations qui sont en train de constater cela devant les tribunaux au Québec. On me dit non; on me dit oui. Alors, dans les études, ou dans les analyses, ce sera important de s’assurer que cet angle, on l’ajoute, pour être sûr que parfois, on fait des choses, alors que c’est plus tard qu’on réalise qu’on doit s’ajuster. Vous ne pouvez pas me contredire là-dessus. Toutefois, je sais que c’est précieux lorsqu’on est en situation de danger ou de précarité.
Vous avez entendu le sénateur Downe qui trouvait qu’on ratait un moment historique pour ajouter les langues autochtones dans le préambule, ou pour en faire mention à titre de langues fondatrices. Qu’est-ce que cela leur aurait fait? J’ai juste 60 amendements pour vous ce soir là-dessus — c’est une blague innue.
Tout cela pour vous dire que je suis convaincue que dans 10 ans, on va l’ajouter. Il a quelque chose qui me dit qu’on va faire en sorte qu’on va l’attacher. Il y a la Loi sur les langues autochtones, mais elle n’a pas du tout le même mordant que la Loi sur les langues officielles. Les commissaires n’ont pas du tout les mêmes pouvoirs.
Vous allez me dire que ce n’est pas pareil, mais pour moi, c’est pareil. Parce que je suis celle qui a mis fin à l’innu-aimun dans la famille. Cela a fait mal. Il a fallu une enquête sur les femmes et les filles autochtones pour dire, encore une fois : « Allez! Il faut que les provinces, les territoires et le Canada ajoutent dans leur grand livre des langues officielles nos langues autochtones. »
Peut-être que je vais le voir quand je serai un esprit fantôme au Sénat, mais j’aimerais le voir avant. Immédiatement après avoir été nommée, j’ai rencontré la ministre et pendant nos échanges, je lui ai souhaité bonne chance. On a discuté, c’était fort agréable et sympathique, mais il y a quand même quatre choses que je lui ai dites : « Faites en sorte qu’on en parle dans le préambule. C’est important. Les mots sont importants. Les mots font des paragraphes, les paragraphes font des projets de loi, etc. »
Ensuite, elle doit passer le test de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce n’est pas évident encore, je ne suis pas sûre, on verra pour ce qui est de l’analyse.
Ensuite, j’ai dit à la ministre : « J’espère que vous vous engagerez, avec votre équipe, avec les gardiens, les linguistes, les technolinguistes et les juristes. Allez les voir et dites-leur où on peut créer des ponts afin de donner plus de dents et s’assurer que quand je vais dans un organisme fédéral, je peux entendre ce qui se passe dans ma langue autochtone, et bien sûr aussi l’anglais ou le français. »
Ce n’est pas arrivé. On me dit que cela devrait être dans la Loi sur les langues autochtones. Je suis convaincue qu’il y aurait eu moyen de créer un équilibre, si on avait eu le temps. On m’a dit qu’ici, nous avons le temps. J’en ai du temps — jusqu’en 2040 —, on aura le temps d’analyser cela en profondeur. Cependant, je vous dis que pour celui-là, c’est arrivé vite — trop vite. À un tel point qu’émotivement, cela a brassé entre amis et collègues. J’ai eu de la difficulté avec cette situation, mais je m’en suis remise après 24 ou 48 heures.
Assurons-nous que lorsqu’on se lève et qu’on parle de réconciliation, qu’on parle de commission royale d’enquête, qu’on parle de commission d’enquête sur les femmes autochtones, de Commission de vérité et réconciliation, les Canadiens et le gouvernement ont ordonné de faire ces choses pour nous donner des projets de société, notamment en matière de langues. Comment harmoniser, comment cohabiter, comment faire en sorte qu’aujourd’hui j’ai 17 ans — même si j’ai 51 ans à cause d’une loi sur les Indiens — et que je puisse aussi avoir ces droits et ces protections qu’on va donner aux communautés minoritaires linguistiques?
J’ai confiance, je suis patiente, mais parfois, je ne le suis pas; mais je ne lâcherai pas, je ne lâcherai pas. Certains de vous me connaissent, si vous ne me connaissez pas, maintenant vous le savez, je ne lâcherai pas.
Alors pour moi, le fait de dire à M. Marc Miller ou au prochain ministre qui a des relations avec les Autochtones, ou au prochain ministre qui a des responsabilités en matière de santé des Autochtones ou de développement économique, qu’on refuse de traduire en langue autochtone une réussite entre la nation et le gouvernement, le succès d’un ministère fédéral, je pense que dans ce cas aussi, il faut l’ajouter dans l’étude pour être sûr que quelqu’un en prend la responsabilité. Si je peux un jour dénoncer quelque chose auprès d’un commissaire, que le commissaire a du poids pour faire de bonnes recommandations, faire en sorte qu’on ne se fasse pas peur quand on veut amender ou donner plus de mordant à cette loi.
J’espère que vous allez revenir. Dites-moi qu’un jour, on va réussir à faire en sorte que les peuples autochtones auront droit à 5 % de musique aux yeux du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qu’elle ne sera pas considérée comme de la musique étrangère, alors que c’est moi qui vous ai accueillis quand vous êtes arrivés.
[Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu-aimun.]Des voix : Bravo!