L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, non pas en ma qualité de leader du Groupe progressiste du Sénat, mais en tant que simple sénateur.
Le 18 novembre, le Comité des peuples autochtones a voté à 10 contre 1 pour l’amendement au projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, afin de retirer complètement la règle de l’exclusion après la deuxième génération et de la remplacer par la règle du parent unique. Cette décision n’a pas été prise en vase clos. Les témoins qui ont comparu devant le comité ont déclaré à plusieurs reprises que, sans amendements, le projet de loi S-2 corrigerait les préjudices liés à l’émancipation, mais laisserait intacte l’une des formes les plus persistantes et structurellement enracinées de cette discrimination, et ils ont été une majorité à réclamer des modifications.
Par exemple, le 22 octobre, la grande cheffe Kyra Wilson, de l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 63 Premières Nations, nous a expliqué ceci :
Je suis ici pour parler de la question qui menace la survie de nos nations, à savoir l’utilisation par le Canada du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens comme politique de génocide prévu par la loi.
La grande cheffe Wilson a explicitement demandé l’élimination immédiate du système à deux vitesses établi par l’article 6 de la Loi sur les Indiens au profit d’une règle du parent unique afin de remédier au préjudice infligé depuis plusieurs générations, y compris aux enfants comme sa fille, à des personnes qui se voient refuser non seulement leur statut et les droits et avantages qui y sont associés, mais aussi leur identité et leur sentiment d’appartenance.
De même, le 4 novembre, la grande cheffe Math’ieya Alatini du Conseil des Premières Nations du Yukon, qui s’est exprimée au nom de 14 Premières Nations, a lancé le même appel. Elle a expliqué que :
L’inadmissibilité de la seconde génération […] continu[e] de diviser nos familles en ceux qui ont le statut et ceux qui en sont privés. Ces règles techniques […] sont conçues pour réduire graduellement le nombre d’Indiens inscrits au fil du temps. Dans la pratique, elles divisent les cousins, rendent inadmissibles les petits-enfants aux programmes et services et transforment l’identité en formalités administratives.
La grande cheffe Alatini a ajouté :
Si le projet de loi S-2 vise vraiment la réconciliation, et n’est pas simplement un outil pour gérer les litiges, nous devons alors remédier à toutes les formes connues de discrimination maintenant, et non reporter cela. Un report n’est pas neutre, car chaque année écoulée veut dire que plus d’enfants sont privés de leur statut.
Chers collègues, le message qui a été communiqué de manière répétée et uniforme en comité était qu’il faut agir maintenant, et non plus tard.
En 2022, le Comité des peuples autochtones a publié un rapport intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, qui appelait, entre autres, à l’abrogation de la disposition d’exclusion de la deuxième génération au plus tard en juin 2023.
De nombreux témoins entendus dans le cadre de l’étude du projet de loi S-2 ont fait référence à ce rapport dans leur témoignage. Parmi eux figurait Marilyn Slett, conseillère en chef du Conseil tribal Heiltsuk et secrétaire-trésorière de l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, qui représente plus de 130 Premières Nations.
Le 1er octobre, elle a déclaré :
Ce comité a recommandé au Canada d’abroger toutes les dispositions discriminatoires, y compris le paragraphe 6(2), dans son rapport de 2022 intitulé C’est assez! […] Nous demandons au Sénat de continuer à plaider pour la suppression de toutes les dispositions discriminatoires de la Loi.
Ayant présidé le Comité des peuples autochtones en 2022, je suis fier que les membres aient voté de manière cohérente et conforme à leurs principes.
Si nous avions tourné le dos aux témoins et à tous ceux qui réclament depuis des décennies des changements urgents, je pense que notre comité aurait pris le mauvais parti, tant au regard des faits que de nos responsabilités. Au lieu de cela, nous avons une fois de plus pris le parti des Premières Nations — en particulier des femmes et des enfants — en appuyant fermement le rétablissement d’une égalité durable pour toutes les générations. J’espère que le Sénat suivra maintenant notre exemple.
Avant de poursuivre, je tiens à souligner que je ne me souviens que de deux autres cas où le Sénat a rejeté l’adoption du rapport d’un comité sur un projet de loi comportant des amendements. La décision de revenir à la version antérieure d’un projet de loi est suffisamment rare pour ne pas être prise à la légère. L’intégrité, l’indépendance et la crédibilité du comité et de ses membres doivent être préservées, sauf s’il existe une raison claire et impérieuse.
Tous les gens qui comparaissent devant un comité le font dans l’espoir que leur contribution sera non seulement respectée, mais qu’elle servira à façonner et à renforcer notre travail. Si nous n’agissons pas en conséquence, nous risquons de nuire à notre réputation collective.
Une Chambre de second examen objectif ne peut fonctionner efficacement que si elle est disposée et capable d’apporter des modifications aux mesures législatives, au besoin. C’est ainsi que nous contrebalançons le pouvoir exécutif et celui de la majorité élue dans le but, entre autres, de protéger les populations vulnérables qui ont été historiquement exclues, ignorées et lésées par le Canada et, plus particulièrement, par le Sénat.
Je m’inquiète franchement de ce que les témoins pourraient comprendre en voyant que nous rejetons le rapport. Je vais donc profiter de cette occasion pour faire la lumière sur ceux à qui le Sénat tournerait le dos en agissant ainsi. C’est quelque chose que je ne peux tout simplement pas me résoudre à faire, et que je ne ferai donc pas.
Chers collègues, la semaine dernière, le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Pierre Moreau, a demandé au Sénat de rejeter le rapport. Je veux saisir l’occasion pour examiner les principaux arguments avancés à l’appui de cette demande et les réfuter. Ce faisant, j’espère expliquer clairement pourquoi j’ai l’intention de voter pour l’adoption du rapport et encourager tous les sénateurs à faire de même.
Commençons par l’un des principaux arguments avancés la semaine dernière pour défendre le rejet du rapport : l’affirmation selon laquelle les amendements au projet de loi contredisent son objectif plutôt que de le renforcer. Jeudi dernier, le sénateur Moreau a réitéré à plusieurs reprises que l’intention principale du projet de loi S-2 est de répondre à une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Nicholas. Il a fait valoir que le gouvernement fédéral ne s’oppose pas à ce que l’on s’attaque aux inégalités plus générales dans la Loi sur les Indiens, mais qu’il n’est pas favorable à ce que cela se fasse dans le cadre de ce projet de loi.
De plus, le sénateur Moreau a laissé entendre que les amendements proposés par le comité dépassent la portée initiale du projet de loi, mais le gouvernement fédéral s’est abstenu de contester leur recevabilité afin de ne pas paraître froidement technocratique. Ces préoccupations sont-elles fondées? Je ne le crois pas.
Dans l’affaire Nicholas, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a donné raison au Canada en estimant que l’article 6 de la Loi sur les Indiens, pris dans son ensemble, perpétue la discrimination en limitant à la fois le droit d’être inscrit comme Indien et le droit de transmettre ce statut à ses descendants. La cour a confirmé que cette structure législative crée des distinctions juridiques fondées sur la race ou l’origine ethnique qui portent atteinte de manière injustifiée aux droits à l’égalité garantis par l’article 15.
Dans son mémoire, le Canada a reconnu que les personnes sans antécédents familiaux d’émancipation sont généralement inscrites conformément au paragraphe 6(1), ce qui leur donne la pleine capacité de transmettre leur statut à leurs enfants. En revanche, les descendants de personnes émancipées sont généralement inscrits conformément au paragraphe 6(2), qui limite leur capacité de transmettre leur statut à la génération suivante.
Ce déni d’égalité en matière d’inscription et de transmission traite en réalité les personnes concernées comme étant « moins indiennes », ce qui leur confère un statut inférieur, voire aucun statut, de manière prématurée et injuste, uniquement en raison de l’émancipation.
Afin de satisfaire à la réparation constitutionnelle minimale exigée par la cour, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi S-2, et auparavant le projet de loi C-38, afin que les descendants des personnes émancipées obtiennent le même droit au statut d’Indien et à la transmission de ce statut que toutes les autres personnes ayant la même ascendance. En conséquence, les familles émancipées sont traitées « sur un pied d’égalité », mais uniquement dans le cadre d’un système qui continue de légiférer sur leur extinction éventuelle, comme pour tous les Indiens. Leurs descendants restent sur la voie de la disparition totale en raison de la règle de l’exclusion après la deuxième génération.
Les amendements que propose le comité portent sur une autre manifestation de la même discrimination dont parle la cour. En 1985, la Loi sur les Indiens a été modifiée dans le but avoué de rendre les dispositions relatives à l’inscription conformes au droit à l’égalité que garantit l’article 15 de la Charte. On a alors mis fin à la procédure judiciaire de l’émancipation, qui était déjà l’un des principaux outils d’assimilation des Premières Nations avant même la création du Canada. Or, la discrimination se poursuit sous la forme de la règle d’exclusion après la deuxième génération, qui a été instaurée en 1985 dans le but d’empêcher les enfants d’hériter du statut d’Indien, ainsi que des avantages et droits connexes, après deux générations successives où l’un des parents n’a pas le droit de s’inscrire.
En lieu et place de l’exclusion immédiate, le Canada compte actuellement sur l’exclusion différée pour réduire progressivement le nombre d’Indiens inscrits. Aucun autre peuple du Canada ne fait ainsi l’objet d’un mécanisme législatif favorisant sa disparition.
Le 29 octobre, l’un des commissaires de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Wilton Littlechild, a parlé d’une loi d’ « assimilation forcée », ce qui cadre avec la définition même de génocide.
De même, dans un mémoire, Pam Palmater a cité l’analyse juridique du génocide préparée par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui concluait que le déni systématique du statut et de l’appartenance en vertu de la Loi sur les Indiens s’inscrivait dans un schéma de politiques coloniales qui répondait à la définition juridique du génocide. Elle a fait valoir que l’élimination de l’exclusion après la deuxième génération était essentielle, car il ne s’agit pas simplement d’une règle administrative, mais de la poursuite de politiques du passé qui visaient à mettre fin à l’existence juridique des « Indiens » au fil du temps — les Indiens envers qui le Canada a des obligations précises.
Notre comité a renforcé et enrichi la fonction réparatrice qui sous-tend le projet de loi S-2. Plus précisément, nous avons modifié l’article 6 de la Loi sur les Indiens, car il continue de séparer arbitrairement les familles entre les générations. Ce faisant, nous avons tenté de faire en sorte que le statut d’Indien cesse de se transmettre différemment selon que la personne est née avant ou après le 17 avril 1985.
Actuellement, il y a des frères et sœurs issus des mêmes parents qui peuvent se retrouver dans des catégories d’enregistrement différentes simplement à cause de leur date de naissance. Le comité a aussi proposé de faire passer l’exigence relative au droit et à la transmission de deux parents à un seul parent afin de mettre fin au système à deux vitesses pour le statut d’Indien. Ce changement met fin à l’ère de l’extinction par la loi.
Parallèlement, le comité a tenté de se pencher sur la question de la paternité non déclarée. Mary Eberts, docteure en droit constitutionnel, a fait valoir que la règle d’exclusion après la deuxième génération confère un avantage biologique aux hommes. Il est beaucoup plus facile pour un homme de nommer la mère que pour une femme de nommer le père en toute sécurité. Il y a de nombreuses raisons à cela, notamment la violence familiale et les agressions sexuelles. Par conséquent, Mme Eberts a fait valoir que la règle d’exclusion après la deuxième génération n’est pas neutre. Elle perpétue les discriminations historiques fondées sur le sexe et la race inscrites dans la Loi sur les Indiens. Elle viole donc l’article 15 et ne peut être justifiée.
Chers collègues, le prochain sujet sur lequel je souhaite m’attarder est celui de la consultation. La semaine dernière, il a été suggéré que les amendements adoptés par le comité ne tiennent pas compte de l’obligation constitutionnelle de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les peuples autochtones en vertu de l’article 35 de la Constitution. En fait, le sénateur Moreau a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le gouvernement fédéral ne peut se soustraire à son obligation de consulter les personnes touchées par les mesures qu’il souhaite mettre en œuvre et qui pourraient porter atteinte à leurs droits. Ces arguments sont difficiles à concilier avec les faits établis.
La semaine dernière, la sénatrice Michèle Audette, qui est la marraine du projet de loi S-2, a demandé au sénateur Moreau s’il connaissait l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada de 2018, dans laquelle la Cour suprême du Canada a donné raison au Canada en statuant qu’il n’y avait aucune obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones lors de l’élaboration, de la rédaction ou du dépôt d’un projet de loi. Il a répondu qu’il connaissait cette décision.
La ministre Mandy Gull-Masty et le sénateur Moreau ont insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il existe une obligation légale et constitutionnelle de consulter avant de modifier la Loi sur les Indiens. Cependant, c’est un gouvernement libéral, sous la direction du premier ministre Justin Trudeau, qui s’est battu avec vigueur pour s’assurer qu’il n’y ait aucune obligation du genre. En juin dernier, ce fait n’est devenu que trop évident après l’adoption en urgence du projet de loi C-5 pour accorder au gouvernement fédéral de vastes pouvoirs lui permettant de contourner les lois et règlements existants afin d’accélérer les projets « d’intérêt national ».
Par conséquent, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi il est acceptable d’adopter une loi sans consultation ni engagement, malgré les importantes préoccupations concernant son impact sur les droits des peuples autochtones. Cela semble pour le moins extrêmement sélectif. Cette incohérence donne l’impression que les consultations ne sont rien d’autre qu’un outil politique.
Le sénateur Moreau a suggéré que les modifications à la Loi sur les Indiens devraient être mises sur la glace jusqu’à ce que le processus de collaboration sur l’exclusion après la deuxième génération et les seuils de vote soit achevé, en décembre 2025. Il est également d’avis que la question centrale derrière le processus collaboratif n’est pas de savoir s’il faut éliminer la discrimination, mais comment le faire, et que cette réponse devrait venir d’un consensus des Premières Nations. Ce seuil élevé n’est imposé à aucun autre groupe au Canada.
Il n’y a pas de seuil clair, pas de paramètres clairs et pas d’échéancier précis sur la fin de la discrimination causée par l’exclusion après la deuxième génération. En fait, nous avons entendu quelques déclarations contradictoires. Il y a eu une promesse initiale de présenter un projet de loi distinct dans les mois à venir, qui a été rapidement retirée. Nous avons également entendu dire que le processus de consultation avait été lancé, pour apprendre plus tard que ce n’était pas vrai. À l’heure actuelle, nous n’avons aucune garantie concrète que l’on remédiera à l’exclusion après la deuxième génération et aux inégalités qui y sont liées à un moment ou à un autre.
L’un des points primordiaux soulevés lors des travaux du comité est le fait que, après plus de quatre décennies, les promesses politiques sont tout simplement insuffisantes. Il ne s’agit pas d’une attaque contre la ministre Mandy Gull-Masty. Nous ne nous concentrons pas sur les personnes. Nous nous concentrons sur la « machine » gouvernementale dans son ensemble.
Zoë Craig-Sparrow, vice-présidente de Justice pour les filles, a approfondi ce point :
Même si cette ministre est une femme autochtone — ce qui est merveilleux et inspirant —, elle représente toujours le gouvernement et doit agir en tant que ministre, et non à titre personnel. Elle a fait une promesse que nous connaissons, et elle sait qu’elle ne pourra peut-être pas la tenir. Justice Canada conseille la ministre et elle doit suivre ses directives.
Malgré tout, dans votre rapport C’est assez! et la loi, il n’est pas dit : « Attendez qu’il y ait un ministre autochtone. » Même si cette ministre répète la même chose que tous ses prédécesseurs, on nous laisse entendre que : « Cette fois-ci, parce qu’elle est autochtone, croyez-la et patientez encore un peu. » Non. Ce qui est dit c’est que cela doit cesser maintenant. L’obligation d’égalité est une obligation immédiate en droit international. Nous avons attendu assez longtemps.
Je crois que la ministre Mandy Gull-Masty est sincère. Ce point n’a jamais été remis en question. Cependant, une promesse politique n’est pas juridiquement contraignante. Rien ne garantit que le gouvernement fédéral, avec ses systèmes, ses structures et ses processus, y donnera suite. Même si nous voulions lui faire confiance, nous ne pouvons pas ignorer que les gouvernements fédéraux minoritaires ont tendance à avoir une espérance de vie plus courte.
Le premier budget du premier ministre Mark Carney a été adopté par 170 voix contre 168. Nous avons évité de justesse de nouvelles élections, mais rien n’est encore joué.
Selon moi, le parti qui est au pouvoir ne fait aucune différence. L’approche demeure la même : le Canada ne prend des mesures correctives limitées que lorsqu’il y est contraint par les tribunaux. Je doute que cette tendance de longue date change de sitôt. Ainsi, pourquoi passerions-nous à côté d’une rare occasion d’agir dès maintenant pour mettre fin à une discrimination plus large? Le Parlement est prié, voire tenu, d’aller plus loin.
Chers collègues, je ne suis pas avocat et je ne prétendrai jamais l’être. Cela dit, je comprends que le Canada ne peut invoquer des consultations en cours pour justifier le fait qu’il continue de violer la Constitution, dont l’article 15 de la Charte.
L’obligation de garantir le droit à l’égalité n’est pas facultative. Pourtant, on a laissé entendre à plusieurs reprises que l’obligation de consulter occupait une place plus importante dans la hiérarchie. Toutefois, je crois que la Charte passe avant tout.
Selon la décision Andrews c. Law Society of British Columbia de 1989, toutes les lois fédérales et provinciales doivent se conformer à l’article 15 sur le droit à l’égalité. La cour avait alors déclaré ceci :
L’article 15 prévoit lui-même que le droit à l’égalité devant la loi et dans la loi ainsi que les droits à la même protection et au même bénéfice de la loi qu’il confère doivent exister indépendamment de toute discrimination. La discrimination est inacceptable dans une société démocratique parce qu’elle incarne les pires effets de la dénégation de l’égalité et la discrimination consacrée par la loi est particulièrement répugnante. La pire forme d’oppression résulte de mesures discriminatoires ayant force de loi. C’est une garantie contre ce mal que fournit l’art. 15.
Autrement dit, le Canada ne peut continuer à dire : « Nous savons que la discrimination existe, mais veuillez continuer à patienter tandis que les consultations se poursuivent pendant 2, 5, 10 ans, voire plus, avant que nous y mettions un terme. »
Les témoins que nous avons entendus étaient d’accord. Par exemple, le 5 novembre, nous avons entendu le témoignage de la cheffe Barbara Cote, de la bande Shuswap. Elle a comparu au nom de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Elle a déclaré :
La ministre a déclaré au Sénat qu’il ne pouvait y avoir de solution universelle pour régler la question de l’exclusion après la deuxième génération, mais, sénateurs, l’article 15 de la Charte est universel. Il affirme l’égalité. L’article 15 de la Charte stipule qu’il est interdit de discriminer sur la base du sexe ou de la race, et cela s’applique à tous. L’égalité est pour tout le monde.
La ministre a également déclaré que les réponses doivent venir des communautés. La réponse des communautés de la Colombie-Britannique est claire : 204 des 630 Premières Nations du Canada disent qu’il faut éliminer dès maintenant l’exclusion après la deuxième génération. Cela représente un tiers de toutes les Premières Nations.
La cheffe Barbara Cote a également affirmé ceci :
La BCAFN fait partie du processus de collaboration de Services aux Autochtones Canada, et on nous a consultés à ce sujet depuis des décennies. Compte tenu du calendrier prévu pour le processus, il faudra attendre quatre ou cinq ans avant que la nouvelle loi supprimant l’exclusion après la deuxième génération puisse entrer en vigueur. Et cela dépendra en plus de la réélection des libéraux.
Sénateurs, nous subissons actuelllement les conséquences de l’exclusion après la deuxième génération. Elle doit être immédiatement supprimée, car 27 % de tous les membres des Premières Nations de la Colombie-Britannique sont visés par l’article 6(2). À Shuswap, 40 % des membres sont visés par l’article 6(2). Nos enfants et petits-enfants sont exclus maintenant, pas dans un avenir lointain.
Quant à savoir s’il faut plus de consultations, Pam Palmater nous a rappelé la chose suivante le 7 octobre :
[I]l y a certaines choses sur lesquelles le gouvernement ne peut pas tenir de consultations, que ce soit la discrimination fondée sur la race ou le sexe, le maintien de l’extinction législative des droits ancestraux ou sa contribution à un génocide. Donc, vous ne pouvez pas le faire.
Toutefois, vous pouvez mener des consultations sur la façon de soutenir les Premières Nations, sur la façon de soutenir les gens qui viennent d’être inscrits au registre et sur la façon dont vous veillez à ce qu’il y ait assez de logements et d’infrastructures.
Sans surprise, après quatre décennies d’attente pour que le Canada prenne des mesures décisives afin de remédier à l’exclusion après la deuxième génération, il existe un doute généralisé et justifié que le Canada utilise à nouveau la consultation comme tactique dilatoire, perpétuant ainsi la discrimination et l’inégalité sous le couvert du dialogue.
La Cour suprême a rejeté à plusieurs reprises l’idée selon laquelle l’égalité ne peut pas être progressive. Dans l’arrêt Vriend c. Alberta, en 1998, elle a déclaré ceci :
Si on tolère que les atteintes aux droits et aux libertés de ces groupes se poursuivent pendant que les gouvernements négligent de prendre des mesures diligentes pour réaliser l’égalité, les garanties inscrites dans la Charte ne seront guère plus que des vœux pieux.
Qu’on me comprenne bien : je ne m’oppose pas à une consultation sérieuse. En tant qu’ancien chef, j’ai pu constater de mes propres yeux ses forces et ses faiblesses.
Ce à quoi je m’oppose, c’est l’utilisation de la consultation comme tactique pour prolonger les inégalités. Le Canada doit remédier aux préjudices graves, persistants et irréparables qu’il a fait subir au moyen de la Loi sur les Indiens. Or, tous les progrès réalisés à ce jour ont été âprement disputés au cours des quatre dernières décennies.
Donc, pendant que vous délibérez de l’adoption ou de rejet du rapport, je vous exhorte à ne pas oublier que la décision de ne pas remédier à la discrimination au sens plus large n’est pas neutre. Le moindre délai ne fait qu’aggraver, que prolonger et que multiplier les torts.
Chers collègues, j’en arrive maintenant à mon dernier point. Selon certains, accepter les amendements reviendrait à retarder les mesures correctives pour les plus de 3 500 personnes touchées par la discrimination constatée dans l’affaire Nicholas.
Le sénateur Moreau a fait valoir que la Chambre des communes rejetterait probablement les amendements. Le sous-entendu était que l’adoption du rapport permettrait au Parlement de respecter la date limite du 30 avril 2026 pour modifier la Loi sur les Indiens afin de la rendre conforme à la Charte.
Cependant, dans l’affaire Nicholas, la juge Fitzpatrick a reconnu que le tribunal règle un problème constitutionnel de la façon la plus ciblée possible sans toutefois limiter la capacité du Parlement d’élaborer d’autres modifications législatives qu’il pourrait juger appropriées. Elle a également ajouté qu’elle resterait « saisie » de l’affaire, c’est-à-dire qu’elle resterait compétente pour prolonger la suspension, au besoin.
Ce ne serait pas la première fois qu’une prolongation serait nécessaire. Cela s’est déjà produit, par exemple, dans l’affaire Descheneaux, lors de la dernière modification de la Loi sur les Indiens. Rien n’empêche donc le Canada de demander une prolongation pour, entre autres, régler la question de l’exclusion après la deuxième génération et d’autres injustices. Cela dit, je ne crois pas qu’une prolongation soit absolument nécessaire.
Le prédécesseur du projet de loi S-2, le projet de loi C-38, nous a montré ce qui se passe quand il y a un manque de volonté et d’engagement sincères. Cependant, le gouvernement fédéral est tout à fait capable d’accélérer le processus quand il le juge nécessaire. C’est exactement ce qui s’est produit il y a quelques semaines avec le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025). Tout est une question de volonté politique.
Dans la décision Descheneaux, la juge Masse demandait au Parlement, afin de respecter la Constitution, de régler toutes les situations discriminatoires que le problème soulevé pourrait causer, et pas seulement celui dont le tribunal était saisi à ce moment-là. Elle écrivait aussi ceci :
Lorsque le législateur choisit d’omettre de considérer les implications plus larges des décisions judiciaires en restreignant la portée de celles-ci à leur strict minimum, une certaine abdication du pouvoir législatif aux mains du pouvoir judiciaire est susceptible de prendre place. Les détenteurs du pouvoir législatif se contenteraient alors d’attendre que les tribunaux se prononcent au cas par cas avant d’agir et que leurs décisions forcent progressivement la modification des lois afin que celles-ci soient, finalement, conformes à la Constitution.
À l’instar de la juge Masse, la juge Fitzpatrick a aussi reconnu, dans l’affaire Nicholas, que le tribunal réglait un problème constitutionnel de la façon la plus ciblée possible sans toutefois limiter la capacité du Parlement d’élaborer d’autres modifications législatives qu’il pourrait juger appropriées.
Ces jugements semblent étayer l’argument voulant que les vastes correctifs apportés au projet de loi S-2 soient légitimes.
Le Comité des peuples autochtones a admis que la solution exigée par le tribunal ne constituait pas un maximum, mais bien un minium. Nous avons donc essayé de perfectionner le projet de loi. Le Sénat n’existe pas seulement pour adopter des lois, mais aussi pour effectuer un second examen objectif. Autrement dit, nous avons l’obligation de voir à ce que les mesures législatives règlent vraiment le problème juridique qu’elles sont censées régler. Dans un contexte de violations répétées de l’article 15 de la Charte, il est particulièrement nécessaire de nous acquitter de notre mandat, qui consiste à veiller à ce que le Parlement n’adopte pas de mesures législatives incomplètes qui ne changent rien aux mécanismes structurels de discrimination qui risquent de donner lieu à d’autres litiges.
Chers collègues, la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est celle-ci : voulons-nous continuer de refuser l’égalité aux Premières Nations, et plus particulièrement aux femmes et aux enfants, une égalité qui leur est pourtant due depuis longtemps? Je n’ai pas encore entendu d’argument convaincant comme quoi nous ne devrions pas mettre fin dès maintenant à la discrimination. L’adoption du rapport ferait très clairement comprendre que l’ère de l’extinction entérinée par la loi doit cesser dès maintenant. Je vous prie instamment de voter en faveur du rapport.
Beaucoup de gens observent le Sénat. Les peuples autochtones, qui attendent l’égalité et la justice depuis des dizaines d’années, nous surveillent. Plusieurs membres des Premières Nations sont d’ailleurs parmi nous. Ne les laissons pas tomber. Wela’lin, je vous remercie.

