Le discours du Trône—Motion d’adoption de l’Adresse en réponse

Par: L'hon. Danièle Henkel

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Could wearing a Canadian flag, Toronto

L’honorable Danièle Henkel : Honorables sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous exprimer toute ma gratitude pour l’accueil bienveillant et la sollicitude que vous m’avez accordés depuis mon arrivée. Sachez que je suis fière et honorée de partager cette Chambre avec vous.

En franchissant les portes du Sénat pour la première fois, je n’entrais pas seule : m’accompagnaient l’immigrante que je suis et qui a dû repartir de rien, le père disparu avant ma naissance, les sacrifices d’une mère courageuse, le deuil d’un époux qui m’a tant épaulée, et la mémoire d’un pays quitté dans la peur. Devant moi, là-haut, dans la tribune, il y avait mon tableau vivant : mes enfants et mes petits-enfants qui me rappelaient que j’étais là pour participer à bâtir un Canada plus équitable, plus juste.

Je ne suis pas venue au Canada par goût de l’aventure. Le 8 janvier 1990, j’ai pris un billet sans retour. J’ai fui la peur; dans mes valises, presque rien. Dans mon cœur, une certitude : mes enfants devaient avoir un futur. J’avais foi en une promesse; elle s’appelait le Canada.

Or, une fois arrivés, une autre réalité nous attendait. Derrière cet accueil chaleureux se cachaient des portes closes. Le Canada semblait nous dire : « Attendez. Recommencez à zéro. Faites vos preuves encore et encore. » Par exemple, mon ex-mari, Ahmed, avait deux diplômes d’ingénieur, l’un en météorologie et l’autre en traitement de l’eau. Bien qu’il ait été choisi comme expert par l’Organisation mondiale de la santé pour diriger son bureau à Lausanne, au Canada, ses diplômes ont été considérés comme de simples bouts de papier sans valeur. Il a fini par vendre des rideaux au salaire minimum. Pour un homme de sa génération, qui s’était toujours considéré comme le pilier de la famille, cela a infligé une profonde blessure à sa dignité qui n’a jamais guéri.

Quant à moi, je parlais quatre langues, j’avais étudié en relations internationales, et j’avais occupé plusieurs fonctions de direction. J’avais servi à l’ambassade des États-Unis en Algérie durant 10 ans. En 1989, le département d’État américain m’a désignée employée de l’année parmi toutes les ambassades du monde.

Pourtant, à mon arrivée, je n’ai eu accès qu’à de petits boulots : de la vente à domicile, des ménages et du secrétariat. Comprenez-moi bien, il n’y a rien de déshonorant dans ces métiers, c’était juste un énorme gâchis de compétences.

Après 35 ans, une question me hante encore : comment notre pays peut-il laisser dépérir les talents dont il a tant besoin?

La question de la reconnaissance des titres de compétences ne peut plus attendre. Nous connaissons tous des chirurgiens qui sont maintenant chauffeurs de taxi et des ingénieurs qui sont désormais vendeurs de chaussures. Cette main-d’œuvre qualifiée, dont notre économie a désespérément besoin, est ici même, mais nous continuons à ne pas en tenir compte.

Selon Statistique Canada, parmi les immigrants récents titulaires d’un diplôme universitaire, un sur quatre occupe un emploi qui ne correspond pas à ses qualifications. C’est plus du double du taux observé chez les Canadiens nés au pays. Même après 10 ans de résidence, un sur cinq occupe toujours un emploi pour lequel il est surqualifié. C’est insensé.

Dans le discours du Trône, le roi lui-même a réaffirmé la détermination du gouvernement à attirer des talents du monde entier pour soutenir l’économie. Cependant, si ces talents se heurtent à des portes closes une fois arrivés, à quoi bon les attirer ici?

Nous créons nos propres blocages. L’OCDE rappelle que les mosaïques d’ordres professionnels, entre autres, et les barrières administratives limitent la mobilité, réduisent la concurrence et freinent l’innovation. En un mot, tout cela étouffe et ralentit notre économie.

Quand il m’a fallu tout recommencer, j’ai découvert une vérité simple : la dignité repose sur l’accès à un toit et à un emploi. Sans toit, chaque nuit devient une inquiétude. Sans emploi, chaque matin devient une humiliation. C’est pourquoi je soutiendrai toujours les politiques qui répondent à ces besoins fondamentaux.

Confrontée au refus de reconnaître mes compétences, j’ai dû créer mon propre emploi. Je suis donc devenue entrepreneure, non par rêve, mais par nécessité.

Vous comprendrez donc que je continuerai à porter ici, avec toute la passion qu’on me connaît, la voix des petites et moyennes entreprises, parce qu’elles sont l’oxygène de notre économie. Elles représentent 98 % des entreprises, et la moitié des emplois et du PIB. Pourtant, elles sont encore trop souvent écartées des grands projets, freinées par la bureaucratie et le manque de financement.

Que dire des entreprises dirigées par des femmes? Les obstacles sont encore beaucoup plus grands. Je le sais, je l’ai vécu. Aujourd’hui encore, tandis qu’on demande à un homme sa vision de la croissance., on demande à une femme si elle a un garant ou comment elle va concilier travail et famille. Quelle humiliation, dans un pays qui se veut champion de l’inclusion, de l’équité et de la diversité.

C’est pour cela que depuis 30 ans, je m’engage, à travers le Canada et à l’international, comme conférencière et conseillère stratégique afin de partager mon expérience, mais aussi mes outils, notamment avec les femmes et les populations marginalisées, pour les encourager à persévérer, à continuer de croire, de se former et d’innover.

Dans un grand pays comme le nôtre, personne ne devrait être abandonné, car tout le monde est important et mérite une place dans notre société. Être des citoyens responsables ne peut que nous rendre plus forts et plus fiers.

C’est dans cet esprit que j’ai été choisie comme première lieutenante-colonelle honoraire du Régiment de Maisonneuve. Ces réservistes sont des citoyens-soldats. Ils jouent un rôle crucial dans notre protection civile en intervenant dans des situations comme les inondations, les incendies et les pandémies. Cependant, ils sont peu reconnus et peu soutenus. Derrière chaque réserviste se cache une famille qui doit s’adapter et une entreprise qui doit gérer cette double réalité. Je salue ces employeurs et demande que leur engagement social soit récompensé et soutenu.

Pour moi, l’armée représente bien plus. C’est d’ailleurs le seul lien tangible avec ce père militaire que je n’ai pas connu et que j’ai cherché toute ma vie. L’absence est devenue héritage.

En juin 2025, en acceptant de devenir la première femme capitaine honoraire de la Garde côtière canadienne, j’ai voulu envoyer un autre message, particulièrement aux femmes : elles peuvent —et doivent —continuer de briser les plafonds de verre et d’occuper les fonctions auxquelles elles aspirent.

Chaque jour, je mesure le dévouement de ces femmes et de ces hommes qui veillent sur notre sécurité et je les en remercie.

Cependant, notre sécurité, chers collègues, ne se joue pas seulement là; elle se joue aussi en ligne.

Usurpation d’identité, ingérence étrangère, cyberattaques, vols de données : les menaces explosent. En juillet dernier, j’ai été victime d’une vidéo truquée générée par l’intelligence artificielle. Une imitation presque parfaite de mon image et de ma voix incitait à investir dans des produits frauduleux. C’est à ce moment que j’ai mesuré le grand vide juridique et la faiblesse des moyens de protection des citoyens et des entreprises.

D’ailleurs, la vérificatrice générale l’a rappelé en 2024 : le Canada accuse un retard stratégique et opérationnel en cybersécurité et en lutte contre la fraude. Pourtant nous ne manquons ni d’experts ni de talents.

Ce qui fait défaut, c’est la coordination, la volonté politique et la rapidité d’exécution. Les anciens projets de loi C-26, C-27 et C-63 doivent être mis à jour et redéposés d’urgence. L’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Australie ont déjà mis en place des modèles efficaces. Pourquoi pas nous? Qu’attendons-nous? Il ne s’agit pas seulement d’enjeux techniques, mais bien de souveraineté politique et économique.

En ce qui concerne la souveraineté économique, nous devons avoir le courage de nous pencher sur nos propres incohérences. Comment pouvons-nous parler de souveraineté quand il y a moins de restrictions au commerce avec les États-Unis qu’entre nos propres provinces et territoires? L’Union européenne a réussi à créer un seul marché qui couvre 27 pays et 24 langues, tandis que nous, les Canadiens, avons divisé notre pays en 13 petits marchés étroits. Selon des études récentes, c’est comme si nous imposions un droit de douane de 7 % aux entreprises qui font du commerce à l’extérieur de leur province ou de leur territoire. Je le répète : c’est insensé.

Il est grand temps que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux mettent de côté leur partisanerie et exploitent le potentiel de notre économie.

L’ouverture de nos marchés intérieurs ne suffit plus : nous devons aussi déployer notre diplomatie économique. La Francophonie, par exemple, est une passerelle sans pareille vers de nouveaux marchés, du Québec aux Prairies, de l’Acadie aux territoires du Nord —comme à l’international. Sortons donc cette Francophonie du folklore!

Puisque j’ai été ambassadrice de la francophonie économique durant trois ans, j’ai vu ce potentiel, qui représente un accès à un marché de 320 millions de personnes où nos entrepreneurs peuvent prospérer.

Rien de tout cela ne portera ses fruits si nous ne faisons pas de l’éducation une priorité nationale. Nous devons rester à la pointe de la technologie et investir massivement dans le recyclage professionnel. Comme l’a dit John F. Kennedy : « Nos progrès en tant que nation dépendront de nos progrès en matière d’éducation ». Il a également dit : « L’esprit humain est notre ressource fondamentale. »

Les gouvernements, les entreprises, les citoyens, tout le monde doit avancer dans la même direction. Il faut aussi envoyer un message clair à la prochaine génération : votre talent est notre plus grand atout. Nous avons besoin de vous et nous croyons en vous.

Chers collègues, le chemin qui m’a menée ici a été long. Quitter mon pays a été un choix douloureux, mais je ne l’ai jamais regretté. Le Canada m’a accueillie, mais il m’a aussi mise à l’épreuve. Ici, j’ai connu l’insécurité, le doute et l’exil intérieur. Pourtant, petit à petit, à force de résilience, de sacrifices, d’échecs et de succès, j’ai retrouvé ma dignité et j’ai gagné la confiance de communautés et de mes pairs. Je les en remercie. Je continuerai humblement à faire de mon mieux pour faire entendre leur voix.

Soyons lucides sur les défis d’aujourd’hui et de demain. C’est à nous tous, citoyens, gouvernements et entreprises, peu importe nos allégeances, d’y faire face ensemble.

Chers collègues, toutes mes actions, si différentes semblent-elles, ne sont que les branches d’un même arbre, portées par une même sève : celle d’un Canada qui permet à tous de participer à une œuvre commune, plus grande que nous-mêmes.

C’est avec vous que je souhaite la faire grandir.

Merci.

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