L’honorable Tracy Muggli : Honorables sénateurs, je tiens moi aussi à commencer par une reconnaissance du territoire. Nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anashinaabe, et je suis heureuse de vivre sur le territoire où le chef Whitecap a recommandé à John Lake de fonder, en 1882, une colonie qui est devenue la ville de Saskatoon. Cette ville se trouve sur le territoire du Traité no 6, territoire traditionnel des Métis.
Je suis honorée d’être ici et reconnaissante envers l’ancien premier ministre Justin Trudeau et la gouverneure générale Mary Simon de m’avoir nommée à ce poste il y a à peine un an. J’ai hâte de servir notre pays avec vous tous.
Honorables collègues, nous avons tous été nommés pour représenter une région. Dans mon cas, il s’agit de la Saskatchewan. Je suis née à Humboldt et j’ai grandi sur une ferme céréalière qui se trouve entre Muenster et St. Gregor. Même si je n’ai pas toujours aimé la vie agricole, elle m’a appris l’importance du travail acharné, de la résolution de problèmes et de la persévérance, et elle m’a inculqué la conviction que, quand une personne est en difficulté, le reste de la collectivité doit intervenir. Cette éthique communautaire est au cœur de ma formation et me guide encore aujourd’hui.
Entre mon départ de la ferme et mon arrivée au Sénat, j’ai travaillé pendant 36 ans comme travailleuse sociale, tant sur le terrain que dans l’administration. Plus récemment, j’ai occupé le poste de directrice générale de l’hôpital St. Paul’s, où j’ai dirigé notre réponse à la pandémie et, parallèlement, les efforts de RéconciliACTION. Auparavant, j’étais directrice des services de santé mentale et de toxicomanie pour la direction de la santé publique de la Saskatchewan, un travail qui m’a permis de mieux comprendre que la santé est influencée par le revenu, l’environnement, l’inclusion et l’appartenance. J’ai vu comment les inégalités systémiques telles que le classisme, le racisme, l’homophobie, le capacitisme et le sexisme s’entrecroisent et touchent les plus vulnérables. Cela m’a montré à maintes reprises l’importance d’adopter une écoute active, d’accorder à chaque personne la dignité qui lui est due et de mettre mes privilèges au service de l’équité.
Je reste attachée à ces principes alors que j’entame mon parcours au Sénat.
Examiner des mesures législatives et en débattre n’est pas un exercice abstrait : il s’agit de comprendre comment nos décisions affectent l’ensemble de la population. Je pense qu’il est important de prendre en compte toute la diversité humaine, en veillant à ce que les expériences des Premières Nations, des femmes et des personnes de toutes les identités de genre, mais aussi des personnes de tous les âges et de toutes les capacités soient entendues et prises au sérieux.
Nous savons qu’en raison de ces inégalités, beaucoup de gens au Canada sont aux prises avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie. En Saskatchewan, j’ai travaillé de près avec des personnes aux prises avec ces difficultés dans le cadre de mon travail, tant sur le plan communautaire qu’hospitalier. J’ai constaté à quel point le manque de coordination et de volonté politique entrave souvent le rétablissement des personnes touchées.
Les jeunes sont particulièrement touchés. Un rapport de 2024 de l’organisme Saskatchewan Advocate For Children and Youth a mis en évidence une multiplication par cinq des problèmes de santé mentale et de toxicomanie signalés depuis 2020, ce qui montre à quel point des causes profondes comme la pauvreté, les traumatismes et les inégalités systémiques façonnent le bien-être mental. Je sais que je siège au milieu de collègues qui partagent ces préoccupations et qui sont motivés à trouver des solutions.
Dans les soins axés sur les solutions, la priorité doit être donnée aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, car ces groupes restent touchés de façon disproportionnée en raison d’inégalités systémiques de longue date.
C’est une réalité que j’ai découverte au début de ma carrière d’intervenante en services d’aide sociale à l’enfance, en 1988. À 22 ans, j’étais une nouvelle travailleuse sociale — blanche — et un de mes premiers appels concernait une demande faite par un garçon de 6 ans qui avait signalé au directeur de son école qu’il fallait s’occuper de ses trois sœurs. Les adultes qui en étaient responsables étaient ivres et n’avaient aucune réaction, et les enfants vivaient dans des conditions qu’aucun enfant ne devrait subir : tous étaient atteints d’impétigo et avaient des poux; le bébé avait un retard de croissance et les trois filles étaient souillées d’urine. Le bébé était silencieux, allongé sur un lit; la fillette de 2 ans et demi a été trouvée gémissante dans un placard et celle de 5 ans se trouvait dans une fourgonnette stationnée dans l’entrée. Quand j’ai ouvert la porte, la mère est tombée par terre.
J’ai conduit les enfants dans un foyer d’accueil, j’ai aidé toute la journée à les nettoyer, les nourrir et les soigner, puis je suis rentrée chez moi en pleurant presque tout le long du trajet. Je savais au fond de mon cœur et de mon âme qu’aucune mère ne souhaiterait de telles conditions pour ses enfants. Que lui était-il arrivé pour en arriver là?
Bien sûr, après avoir noué une relation avec elle, j’ai appris qu’elle avait subi de nombreux traumatismes et j’ai su à quel point elle aimait ses enfants. C’était il y a 36 ans. Qu’avons-nous appris et qu’avons-nous fait pour changer les circonstances? Pas assez.
Rien qu’en 2023, 48 jeunes pris en charge par les services provinciaux en Saskatchewan ont tenté de se suicider, d’après les informations dont nous disposons. Le Canada doit améliorer le soutien apporté aux enfants qui ont besoin d’être pris en charge et protégés, mettre en place des interventions plus efficaces et garantir un accès fiable à des services de santé mentale complets, rapides et adaptés à la culture.
La santé mentale et la toxicomanie sont inévitablement liées, et la crise des drogues toxiques continue de ravager les collectivités. De janvier 2016 à septembre 2022, plus de 34 000 personnes sont décédées au Canada des suites d’une intoxication aux opioïdes. En Saskatchewan, les surdoses, dont le nombre ne cesse d’augmenter, et la toxicité croissante des drogues de rue continuent de faire des victimes.
Dans le cadre de mes anciennes fonctions à l’hôpital St. Paul’s, j’ai personnellement vu le personnel des urgences réanimer et traiter des centaines de patients en état de surdose en l’espace de quelques semaines. Le personnel est épuisé, il part en larmes, beaucoup ont besoin d’un congé pour cause de stress pour faire face à la situation. C’est une réalité nationale. Cette crise exige une approche de santé publique compatissante et globale, ancrée dans les piliers clés de l’application de la loi, de la réduction des méfaits, de la prévention, du traitement et des mesures de rétablissement, étayée par des données probantes et soutenue par des investissements et des politiques adaptées à la culture.
Permettez-moi de dire ceci maintenant, pour la première fois en tant que sénatrice, mais certainement pas la dernière : dans un pays comme le Canada, l’accès à des soins de qualité ne doit jamais dépendre de la race, du revenu, de l’orientation sexuelle, de la capacité ou de la géographie. De plus, nous ne pouvons atteindre l’équité sans une véritable réconciliation. Cela signifie la cocréation de systèmes et la création de solutions dirigées par les Autochtones dans les domaines de la santé, de l’éducation et du développement économique qui respectent la souveraineté et le leadership des autochtones.
L’adoption unanime par le Sénat du projet de loi C-51 en 2023, qui a promulgué le traité de gouvernance entre le gouvernement du Canada et la Première Nation dakota de Whitecap, a reconnu Whitecap en tant que nation autonome en établissant une nouvelle relation de gouvernement à gouvernement. La Première Nation dakota de Whitecap est à l’origine de véritables réussites, comme en témoigne l’annonce récente d’un carrefour virtuel de la santé dirigé par des Autochtones, qui est en cours d’aménagement au sein de la Première Nation dakota de Whitecap et qui bénéficie d’un financement fédéral récemment annoncé. Il s’agit de la première initiative du genre au Canada, et elle utilisera la technologie de la téléprésence pour apporter des soins de santé directement aux communautés rurales et autochtones.
L’objectif est de former une nouvelle génération de travailleurs de la santé, dont beaucoup sont autochtones, afin qu’ils puissent offrir des soins dans leur propre communauté et ailleurs, de manière à améliorer l’accès aux soins et à réduire les déplacements coûteux et perturbateurs. Dirigé par le chef Darcy Bear et le Dr Ivar Mendez, le projet est déjà en cours et sera pleinement opérationnel d’ici 2026.
Il s’agit d’une innovation incroyable, qui montre aux Canadiens comment les solutions proposées par les Autochtones peuvent apporter des avantages durables à tous. Le traité est un modèle d’autodétermination des Autochtones, et j’ai hâte que le gouvernement donne suite au projet de loi C-51 et qu’il transforme ce cadre en une action durable.
Je voudrais maintenant parler de la Saskatchewan et des perspectives économiques de ma province natale. En hommage à mon enfance passée dans une ferme, je commencerai par l’agriculture.
En 2024, les exportations à l’international de produits agricoles de la Saskatchewan ont totalisé plus de 18 milliards de dollars. Les exportations agricoles ont augmenté de plus de 32 % depuis 2014, représentant 41 % des exportations totales de la province en 2024.
La province est le premier exportateur mondial de cultures clés telles que les lentilles, les pois secs, l’huile de canola et le blé dur, et nous expédions nos produits dans plus de 160 pays. Parallèlement, nous développons l’agriculture à valeur ajoutée, avec plus de 300 entreprises de transformation employant 6 000 personnes, un secteur qui devrait générer 10 milliards de dollars de revenus d’ici 2030. La Saskatchewan est également un chef de file mondial dans le domaine des pratiques agricoles durables telles que l’agriculture sans labour ou avec un travail minimal du sol, ce qui signifie que notre canola a une empreinte carbone inférieure de 67 % à la moyenne mondiale.
Je tire une grande fierté du fait que mon père et ses frères ont été parmi les premiers agriculteurs des environs de Muenster à acquérir un semoir pneumatique il y a 45 ans, diminuant ainsi les risques de labours excessifs.
De nombreuses institutions, par exemple l’Université de la Saskatchewan, avec son centre de développement des cultures et son centre d’excellence du bétail et des cultures fourragères, contribuent à stimuler l’innovation en réalisant des percées dans les pratiques durables pour les diverses cultures et élevages.
Parmi les autres histoires de réussite propres à la Saskatchewan, mentionnons l’Institut de machinerie agricole des Prairies. Cette institution fondée en 1975 à Humboldt, ma ville d’origine, a joué un rôle de premier plan dans l’innovation et le développement du secteur canadien de l’agriculture. Je lui souhaite d’ailleurs un joyeux 50e anniversaire.
En effet, pendant près de cinq décennies, toutes ces institutions ont aidé la Saskatchewan en fournissant des conseils d’expert en matière d’agriculture, d’exploitation minière, de transports et de défense, ce qui a mené à une vaste gamme de solutions d’ingénierie et de services de mise à l’essai servant de catalyseur à l’innovation et à la croissance économique. Le secteur scientifique des Prairies est un moteur qui propulse l’innovation dans l’agriculture canadienne et qui joue un rôle primordial pour promouvoir la sécurité alimentaire, le bien-être animalier et la durabilité environnementale, à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle internationale.
Toutefois, les fruits de la recherche et de l’innovation de la Saskatchewan dépassent le monde agricole.
Le Centre canadien de rayonnement synchrotron, ou CCRS, seule installation synchrotron au Canada, se trouve également à Saskatoon. Cette incroyable structure produit une lumière extrêmement intense qui permet d’analyser les matériaux à l’échelle moléculaire et atomique. Au CCRS, on examine tout, des cellules cancéreuses aux batteries de véhicules électriques, en passant par des artefacts anciens. Ceux qui utilisent la technologie du CCRS ont à leur actif plus de 4 600 publications évaluées par des pairs, ce qui place le Canada à l’avant-garde de la recherche scientifique mondiale tout en créant des débouchés locaux et en favorisant l’innovation dans les Prairies.
Vous m’avez déjà entendue parler des Global Water Futures Observatories, ou GWFO, lancés en 2023 en tant que premier réseau national de recherche sur l’eau douce au Canada. Avec 64 sites d’observation répartis dans divers écosystèmes, les GWFO soutiennent des stratégies adaptatives pour la sécurité de l’eau, la gestion des inondations et des sécheresses et la planification à long terme afin de préserver notre eau douce pour les générations futures.
Les travaux menés par les GWFO sous-tendent le projet de loi C-241, présenté hier à l’autre endroit, qui établira une approche nationale coordonnée en matière de prévision des inondations et des sécheresses. C’est une cause à laquelle je crois fermement et que j’ai l’intention de défendre au Sénat.
Chers collègues, en terminant, permettez-moi de dire quelques mots sur le Sénat et sur ma place au sein de cette institution. C’est sans prétention que je me présente ici. Toutefois, je crois fermement en l’importance de la collaboration, au rôle de cette institution et à notre mandat qui consiste à représenter les Canadiens marginalisés. J’ai déjà eu l’honneur d’être élue présidente du Groupe progressiste du Sénat, ou GPS, et j’ai l’intention d’approfondir rapidement ma compréhension de nos pratiques et procédures. Je me tournerai vers bon nombre d’entre vous pour qu’ils me servent de mentors.
Je suis reconnaissante envers la sénatrice Boyer, qui était à mes côtés quand j’ai prêté serment dans cette enceinte, ainsi qu’envers mes collègues du Groupe progressiste du Sénat, des législateurs talentueux et perspicaces qui savent aussi trouver le temps de s’amuser un peu. Je me réjouis de travailler avec tous les groupes pour améliorer la vie des collectivités que nous représentons. Le Sénat évolue. Pour citer une fois de plus le sénateur Harder — j’aimerais qu’il soit ici, et je paraphrase peut-être un peu ses propos :
L’indépendance et l’absence de partisanerie ne sont pas des fins en soi. Elles se traduisent par la nécessité pour les sénateurs d’assumer leurs responsabilités, de rendre des comptes et de s’engager à examiner en profondeur les projets de loi. Nous ne sommes pas là pour rivaliser avec la Chambre des communes, mais pour la compléter; nous ne sommes pas là pour livrer des phrases-chocs, mais pour assurer un contrôle réfléchi. Nous devons donc veiller à ce que les débats soient opportuns, les décisions transparentes et la collaboration entre les groupes réelle, afin d’éviter que les bonnes idées soient mises de côté en raison d’habitudes partisanes dépassées et d’empêcher les mauvaises idées sans mérite ou sans base factuelle de progresser.
J’interviens ici en tant que sénatrice représentant le Saskatchewan. Au cours de mes 36 années comme travailleuse sociale, j’ai été témoin des horreurs de la violence familiale, du racisme dans les organismes de protection de la jeunesse, des effets dévastateurs de la toxicomanie et des troubles mentaux, ainsi que des répercussions intergénérationnelles du colonialisme et des traumatismes qui en ont découlé. J’ai aussi été témoin de la profonde compassion des gens et du vrai sens de la solidarité lorsque j’ai codirigé l’Intervention en santé mentale auprès des personnes touchées par la tragédie qui a frappé les Broncos de Humboldt. De plus, j’ai vu l’extraordinaire compassion offerte aux personnes recevant des soins de fin de vie, dans le cadre des fonctions que j’ai exercées à la direction de l’hôpital St. Paul et de son centre communautaire de soins palliatifs. Enfin, j’ai été témoin d’une véritable motivation et j’ai vu des résultats significatifs dans le cadre des efforts conjoints qui ont abouti à la réconciliACTION.
Je suis une sénatrice déterminée à proposer des mesures législatives qui favorisent le bien-être de tous, l’équité et l’autodétermination des Autochtones, de même que des politiques qui stimulent la croissance économique et l’excellence scientifique.
Chers collègues, je suis remplie d’espoir. Je me réjouis à la perspective de poursuivre le travail avec vous tous pour bâtir un Canada où chaque personne dans chaque région et territoire visé par un traité a une véritable possibilité de réussir.
Merci, meegwetch, marsee.