L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, je n’avais pas prévu prendre la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-18. Toutefois, j’ai cru qu’il serait utile de faire un bref survol du mode de fonctionnement du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, afin que vous puissiez vous faire une idée de ses forces et de ses faiblesses. J’espère que ma petite contribution pourra enrichir la discussion. Je m’excuse à l’avance à tous ceux qui connaissent déjà le sujet.
J’ai intitulé mon discours « Les 12 choses à savoir sur le CRTC avant de se prononcer sur le projet de loi C-18 ».
Je terminerai mon discours en soulignant les lacunes du projet de loi qui, selon moi, mériteraient une attention particulière à l’étape de l’étude en comité.
Comme je déjà l’ai mentionné, j’ai occupé les fonctions de conseiller national du CRTC pendant six ans. C’est le genre d’organisation dont vous pouvez retirer une personne, mais que vous n’arriverez jamais à sortir de la personne. Le CRTC est une organisation fascinante dont les activités ont une incidence directe sur la vie quotidienne des Canadiens. Cela explique la longue liste d’anciens qui, comme moi, continuent de suivre ce qui s’y passe ou trouvent une façon de maintenir les liens.
Afin de garder le contact, j’ai enseigné la réglementation des médias à l’Université Carleton; j’ai été membre du Conseil canadien des normes de la radiotélévision, l’organisme sans but lucratif qui traite les plaintes concernant le contenu offensant diffusé à la radio et à la télévision; et il m’est arrivé de guider des personnes souhaitant participer au processus.
Voici les 12 points dont j’aimerais vous faire part :
Premièrement, le CRTC est établi en vertu de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qui décrit brièvement les objectifs et la structure de cet organisme quasi judiciaire. Les deux principales lois que cette agence est chargée de mettre en œuvre sont la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. Cette dernière sera englobée par le projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne, si celui-ci est adopté. Elle tient aussi compte d’autres mesures législatives, notamment la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur les langues officielles.
Deuxièmement, bien que le CRTC permette la nomination de 13 commissaires, les gouvernements Harper et Trudeau ont maintenu ce nombre à 9, soit un président, deux vice-présidents et six conseillers régionaux. Tous les membres sont nommés par le gouverneur en conseil, c’est-à-dire le Cabinet fédéral, à la suite d’un processus de candidature ouvert.
Les mandats sont d’une durée maximale de cinq ans, et les dates de nomination ont tendance à être échelonnées, de sorte qu’il y a à tout moment une combinaison de conseillers expérimentés et de nouveaux conseillers. Les conseillers viennent d’horizons divers et ont souvent une expérience dans certains domaines de la radiodiffusion ou des télécommunications. Une fois ces nominations effectuées, les conseillers et le conseil fonctionnent de manière indépendante du gouvernement, en suivant les directives de la loi applicable qu’ils doivent mettre en œuvre. La biographie et la durée du mandat de chaque conseiller sont publiées sur le site Web du CRTC.
Troisièmement, ayant mentionné l’indépendance, je dois mentionner que le Cabinet a le pouvoir d’émettre de temps à autre des directives générales au CRTC, comme il l’a fait plus tôt cette semaine en lui demandant de prendre une série de mesures pour favoriser la concurrence dans le domaine des télécommunications. Le Cabinet n’a toutefois pas le pouvoir, par exemple, d’accorder une licence à une entité particulière, ce qui nous ramène à la raison pour laquelle on a créé un organisme indépendant au départ. L’idée était de ne pas laisser les ministres du Cabinet choisir qui obtient une licence et qui ne l’obtient pas.
Quatrièmement, 650 fonctionnaires travaillent pour le conseil, et la plupart possèdent une expertise considérable dans les secteurs d’activité dont l’organisme est responsable. Certains sont des employés de longue date avec beaucoup d’expérience, et d’autres intervenants provenant de l’industrie ou de groupes de consommateurs sont sollicités afin d’obtenir des points de vue de l’extérieur.
Cinquièmement, le CRTC prend habituellement environ 400 décisions par année. Lorsque j’en faisais partie, il y a une vingtaine d’années, il prenait environ 1 000 décisions par année, ce qui indique la réussite des efforts pour réduire la réglementation, donner plus de flexibilité et déléguer des pouvoirs aux employés du conseil afin qu’ils puissent rendre plus de décisions administratives. À mon avis, si beaucoup de problèmes mineurs ont été résolus, les gros problèmes deviennent plus importants et plus complexes.
Sixièmement, les neuf commissaires prennent les décisions de concert, après des délibérations en ligne — que j’appellerais des « délibérations par écrit » — menées avec la population, sauf dans les cas où un groupe plus petit de commissaires est formé en vue de la tenue d’audiences en personne. Ces audiences n’ont lieu que lorsqu’il est question des politiques, d’enjeux plus importants ou de concurrence et elles ne représentent peut-être que 1 % des décisions rendues par le CRTC. Dans la plupart des cas, l’ensemble des commissaires prend une décision à partir des délibérations par écrit.
Septièmement, presque tous les jours de la semaine, le conseil fait deux types d’annonces sur la page intitulée « Nouvelles du jour ». Tout d’abord, le public est invité à formuler des commentaires sur les demandes soumises, puis les décisions rendues sont communiquées. Je pense que ces annonces font de ce site Web l’un des plus actifs du gouvernement du Canada.
Huitièmement, chaque décision est prise en fonction d’un processus public, ce qui signifie que les demandeurs doivent tout exposer au public. De plus, tous les commentaires, qu’ils soient favorables ou non au demandeur, doivent être rendus publics. Le conseil peut seulement utiliser des renseignements du domaine public pour prendre une décision.
Je dois vous dire que, au début, j’ai eu du mal à m’habituer à ce processus parce que, habituellement, je m’empare de toute l’information que je peux trouver. Cependant, dans le cadre de ce processus, si je veux insérer quelque chose, je dois le divulguer publiquement dès le début.
Il arrive parfois que le conseil inclue des recherches internes ou externes préparées pour une affaire particulière ou renvoyant à d’autres renseignements accessibles au public. Tout cela vise à éviter les discussions privées ou les tractations occultes avec les demandeurs. À de rares occasions, des renseignements commerciaux de nature concurrentielle peuvent demeurer confidentiels.
Cela dit, les discussions entre les conseillers et le personnel pour rendre la décision, une fois que l’audience est terminée, sont toutes confidentielles ou ont lieu à huis clos. J’imagine que c’est pour permettre à tous les participants de parler ouvertement et franchement, un peu comme les discussions du Cabinet ou celles qui portent sur des documents juridiques. Voici comment fonctionne le processus : le personnel prépare une analyse des enjeux et recommande une ou des décisions aux membres du conseil. Tantôt ces derniers acceptent les recommandations, tantôt ils en acceptent une partie ou les rejettent complètement pour aller dans une autre direction. Le personnel fournit tout de même des renseignements et des analyses très professionnels aux conseillers. C’est la responsabilité des conseillers de prendre la décision ultime.
Je dois vous dire que ces documents internes étaient parmi les documents les plus analytiques, les plus professionnels et les plus intéressants que j’aie lus quand j’y travaillais — ou peut-être de ma vie — et je regrette qu’ils ne puissent pas être exposés au grand jour, à l’extérieur de l’édifice du conseil.
Par conséquent, ma suggestion serait de rendre ces documents entièrement ou partiellement publics à la suite de la prise de décision, afin que le public puisse prendre connaissance de ces analyses très complètes, ce qui améliorerait la transparence de la prise de décision.
Le dixième point consiste à offrir une aide financière aux intervenants, qu’il s’agisse de particuliers ou d’organismes sans but lucratif, ce qui permettrait au CRTC de rétablir un équilibre entre les interventions bien financées des grandes sociétés et les voix des Canadiens ordinaires.
Le onzième point est de doter le CRTC d’un éventail de politiques et de types de décisions. J’intitule ce point « Que fait le CRTC? Que publie-t-il? » En matière de radiodiffusion, il prend des décisions pour créer un train de politiques traitant, par exemple, de la télédiffusion au Canada, de la radio de campus, de la concurrence au pays et dans les petits marchés, de la radiodiffusion francophone, de la représentation non sexiste des personnes, de la représentation de la diversité, de la radiodiffusion autochtone et de la diffusion en ligne. Il publie également ses décisions à l’issue du processus de traitement des demandes de licence.
En matière de télécommunications, les décisions portent sur l’efficacité des services de téléphonie, Internet, la concurrence, l’abordabilité et les droits des consommateurs. De plus, le CRTC prend ses propres règlements sur un éventail de sujets.
Enfin, passons au douzième point. Le CRTC a aussi délégué à l’externe une partie de ses responsabilités tout en assurant une supervision afin que l’industrie ou les collectivités puissent intervenir directement. C’est notamment le cas pour la gestion des fonds destinés au développement d’émissions, qui sont financés par des entreprises de câblodistribution et de communication par satellite, par exemple, et qui sont gérés par des organismes à but non lucratif, comme le Fonds des médias du Canada. Ces acteurs fonctionnent de manière indépendante par rapport au CRTC, mais mettent en œuvre les lignes directrices générales pour promouvoir le contenu produit au Canada, ce qui est souvent appelé le « contenu canadien ». Je préfère toutefois parler de « contenu produit au Canada » parce qu’il s’agit dans les faits d’une politique touchant la culture, les emplois et l’industrie.
En ce qui concerne les plaintes, le CRTC a autorisé des processus d’autoréglementation : les entreprises de radiodiffusion peuvent ainsi gérer les plaintes du public à propos du contenu offensant, et les entreprises de télécommunications ont accès à un processus pour gérer les problèmes liés aux prix et aux coûts.
En toute transparence, je suis bénévole au Conseil canadien des normes de la radiotélévision depuis plusieurs années, et je suis en ce moment membre des comités décideurs et président du comité des nominations. Je signale que j’ai demandé au conseiller sénatorial en éthique s’il était approprié que je continue à jouer ce rôle. Encore une fois, je souligne que j’occupe ces fonctions à titre de bénévole. Je n’ai aucun lien avec des sociétés de radiodiffusion et je n’en détiens aucune.
Je pourrais évidemment en dire beaucoup plus sur le CRTC et son travail, mais je crois que ces 12 points sont les plus pertinents, directement et indirectement, dans le cadre de notre examen du projet de loi C-18.
Permettez-moi maintenant de faire quelques observations sur le projet de loi. Comme beaucoup d’autres, ce projet de loi présente une énigme, ce qui n’est peut-être pas inhabituel dans l’élaboration des lois. J’ai déjà été chargé de la réglementation, comme je viens de le dire, et je crois fermement aux avantages que la réglementation peut apporter, mais je suis également bien conscient qu’il y des règlements inutiles ou de la surréglementation.
Cela dit, je pense que le risque de ne rien faire pour aider les journaux dans ce nouveau monde de médias en ligne puissants et omniprésents est plutôt préoccupant. Beaucoup trop de journaux ont déjà cessé leurs activités, et l’avenir de ce moyen de communication est sur la corde raide.
Il s’agit du droit des gens à être informés et divertis par et au sujet des Canadiens. Il s’agit de la démocratie. Tout comme nous avons souligné le Jour du drapeau hier, je suis fier de la radiodiffusion canadienne, des services canadiens et des entreprises canadiennes, qui risquent toujours d’être engloutis par des entreprises étatsuniennes ou internationales.
À mon avis, ceux qui ne sont pas d’accord avec le projet de loi doivent expliquer ce qui se passera sans lui, ou alors ils doivent proposer une solution de rechange réaliste. Jusqu’à présent, je n’en ai entendu aucune, mais je suis certainement tout ouïe.
J’aimerais également que le CRTC nous en dise plus sur la manière dont il va appliquer cette loi, qui constituera, d’ailleurs, un nouveau secteur d’activité pour l’organisme.
Sur ce, chers collègues, je dirai que je suis favorable au projet de loi C-18, mais que je garde l’esprit ouvert à ce stade. Je vous remercie.