L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à mes grands-parents : Peter et Elizabeth Tiessen et le révérend Abram Harder et Anna Harder.
Mes collègues se souviendront peut-être que, en mai 2019, j’ai pris la parole à l’occasion du centenaire du décret visant à empêcher mes grands-parents, mes parents, leurs frères et sœurs et des milliers d’autres mennonites qui avaient présenté une demande pour venir au Canada de quitter l’Union soviétique. Selon le libellé du décret : « Ces gens ne pourront probablement pas s’assimiler aisément ou assumer les devoirs liés à la citoyenneté canadienne […] »
En juin 2022, j’ai pris la parole à l’occasion du centenaire d’un événement bien plus heureux : lorsqu’un gouvernement nouvellement élu au Canada a annulé ce décret. En conséquence, quelque 20 000 personnes — un sixième de la population russe mennonite — ont pu quitter l’Union soviétique en direction du Canada dans ce qu’on a appelé l’exode mennonite. Aujourd’hui, je prends la parole pour célébrer ce centenaire.
Il y a 100 ans ce mois-ci, la famille Tiessen, puis la famille Harder ont quitté la station de train de Lichtenau avec tous leurs biens. Le train comptait plus de 50 wagons de marchandises, et bien plus de 20 personnes s’entassaient dans chacun d’entre eux. Toutes venaient des mêmes villages. C’était un départ mémorable.
Lorsque le dernier wagon a passé le fameux « rideau de fer » à la frontière de l’Union soviétique, les passagers ont tous entonné d’une seule voix la chanson « Now Thank We All Our God » dans une harmonie à quatre.
La famille Harder a quitté Southampton et traversé l’océan Atlantique à bord du SS Empress of France. En remontant le fleuve Saint-Laurent, mon grand-père Harder a écrit ce qui suit dans son journal :
Enfin, mes années d’espoir et de rêve sont sur le point de se réaliser. Encore quelques heures de navigation et nous toucherons le sol canadien au Québec. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. J’ai 45 ans et je m’écrie en citant les mots du Psalmiste : « Je marcherai au large, car je recherche tes ordonnances (Psaumes 119:45). » Le jour de ma naissance, ma mère m’a déposé dans un berceau à Kleefeld, dans la province de Taurien, en Russie. Aujourd’hui, les vagues du destin me bercent doucement jusqu’aux rivages de l’Amérique [du Nord]. Où vais-je trouver un foyer pour moi et ma famille nombreuse? Où trouverons-nous un foyer pour nos activités quotidiennes? Combien de jours me reste-t-il à vivre dans ce pays étranger? Avec des sentiments et des émotions contradictoires, mais avec la conviction profonde que j’ai fait le bon choix, je m’écrie : « Mon Dieu, mon espoir est en vous. »
Maintenant, 100 ans plus tard, le plus jeune de ses petits-enfants peut intervenir dans cette enceinte pour exprimer la reconnaissance de ses descendants, le remercier et lui dire qu’il a effectivement fait le bon choix.
Comme dans le cas de toutes les histoires d’immigration et de migration, cela n’aurait pas été possible sans le soutien de coreligionnaires au Canada qui ont fait pression sur le gouvernement du Canada pour qu’il autorise cette migration et qui ont négocié un « prêt de voyage » considérable auprès du chemin de fer Canadien Pacifique pour payer les frais de voyage, ni sans les nombreuses familles mennonites — d’abord à Kitchener-Waterloo, puis au Manitoba — qui ont accueilli dans leur foyer mes familles Tiessen et Harder. Au mois d’août, les petits-enfants et arrière-petits-enfants et arrière-arrière-petits-enfants d’Abram et Anna Harder se rassembleront à Vineland, en Ontario, pour échanger leurs récits et exprimer leur reconnaissance.
Je prends la parole pour nous inviter tous à redoubler d’efforts pour faire du Canada un symbole permanent de protection des réfugiés, une terre d’accueil pour les immigrants, une célébration du pluralisme et un rempart contre les mensonges et d’autres formes de discrimination raciale ou religieuse.