L’honorable Jim Munson : Merci, Votre Honneur, et merci, madame la sénatrice Moodie, d’avoir proposé la tenue de ce débat. Il s’impose depuis longtemps. Ce sujet nous concerne tous.
Je me suis mis à penser, ce soir. J’ai grandi dans le Nord du Nouveau-Brunswick. Dans les années 1950, j’étais un jeune garçon de 12 ou 13 ans qui avait plein de héros dans son cœur. Même si nous n’avions pas de télévisions à cette époque, cela ne nous empêchait pas d’avoir des héros dans la Ligue nationale de hockey. On ne parlait pas tant de Gordie Howe et de Maurice « Le Rocket » Richard au Nouveau-Brunswick. Nous avions un héros différent, et je me suis souvenu de lui ce soir pendant notre pause de deux heures. Je pensais à Willie O’Ree. Je me demande combien de sénateurs ici se souviennent de lui. Voilà un nom fait pour un athlète. Impossible de ne pas devenir un sportif avec un nom comme celui-là.
Willie était originaire de Fredericton, et il était Noir. Quand on est enfant, ce genre de détail nous échappe, surtout quand la personne dont il s’agit est un joueur dans la Ligue nationale de hockey. En 1957-1958, même s’il est aveugle d’un œil, il parvient à se tailler une place au sein des Bruins de Boston. Il a marqué deux superbes buts. C’était un excellent joueur de hockey.
Puis, tout d’un coup, il ne joue plus dans la Ligue nationale de hockey. Il est revenu quatre ans plus tard. Je veux qu’on puisse lire dans le compte rendu qu’il était considéré comme le Jackie Robinson de la LNH parce qu’il avait réussi à atteindre le niveau professionnel. Comme il l’a raconté, en ce qui concerne le racisme systémique, le racisme flagrant et les actes de racisme sur les patinoires, il en a surtout été victime dans les villes américaines. C’était moins le cas à Montréal et à Toronto. Cela dit, la ligue comptait alors six équipes. Les centres canadiens ne lui causaient pas trop d’embêtements, mais dans les conseils d’administration de la Ligue nationale de hockey, Willie ne semblait pas pouvoir rester plus de deux saisons pour une raison quelconque. Il marquait des buts. Il a joué pour les As de Québec, la même équipe qui a compté Jean Béliveau dans ses rangs. Willie n’y était plus toutefois.
Aujourd’hui, à l’âge de 84 ans, Willie O’Ree est un ambassadeur de la diversité au sein de la Ligue nationale de hockey. De nos jours, de nombreux exemples d’entraîneurs qui ont parfois détruit le rêve de jeunes noirs d’être recrutés dans la LNH ont fait surface — ce n’était peut-être pas en raison de préjugés inconscients, mais de préjugés tout court. Il faut se rappeler que ces jeunes doivent gravir tous les échelons, de pee-wee, en passant par bantam et junior, jusqu’au plus haut niveau. Il y a eu des cas très sérieux. Plus tôt aujourd’hui, dans mon intervention en faveur de ce débat d’urgence, j’ai parlé de ce qui se passe. Certaines choses ne se voient pas nécessairement.
Malgré tout, Willie a persévéré. J’espère que son histoire rappellera au milieu du sport ce que nous fait subir depuis si longtemps le racisme systémique. Tout le monde pense se tirer d’affaire avec un système de quotas ou une autre mesure semblable. Là n’est pas la question. Le problème va beaucoup plus loin que ça. Lorsqu’un enfant voit une personne comme Willie O’Ree, il ne voit pas sa couleur de peau; il voit simplement un joueur de hockey. Cet homme aurait dû jouer une quinzaine de saisons dans la Ligue nationale de hockey. Or, cela ne s’est pas produit. Revoyez l’histoire.
J’aimerais d’abord remercier la sénatrice Moodie de son leadership. Comme elle le fait remarquer avec raison, et il vaut la peine de le mentionner encore, il est dans l’intérêt public de tenir ce dialogue. Si l’on n’accorde pas une attention immédiate à la question, des Canadiens continueront de souffrir.
Le racisme est très intersectionnel au pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles la pandémie de COVID-19 expose l’abondance de failles importantes dans la façon dont le Canada fonctionne. Nous attendons toujours les statistiques qui brosseront un tableau complet des conséquences de la pandémie, notamment ses effets particulièrement marqués en temps réel sur les communautés racialisées, la perte de revenu, l’accroissement de la violence familiale et le manque d’accès à des soins médicaux. Voilà une chose dont nous devons tenir compte pour la suite des choses.
Il faudra poursuivre nos efforts en ce sens après la pandémie. Il est clair que la pandémie a une incidence disproportionnée sur les Canadiens racialisés. Beaucoup de personnes ont déjà perdu la vie. Le racisme envers les Canadiens d’origine africaine ou asiatique ainsi qu’envers les Canadiens autochtones est à la hausse. Oui, la COVID-19 aggrave la situation, mais il est important de nous rappeler qu’il y avait des inégalités frappantes avant la pandémie.
Prenons connaissance des données que nous avons en main pour trouver des solutions. Les Canadiens noirs risquent davantage que ceux de n’importe quel autre groupe racialisé d’être victimes de crimes de haine. C’est ce qui ressort des données rapportées par les services de police en 2018. N’oubliez pas qu’il ne s’agit là que des crimes qui ont été rapportés. La plupart du temps, appeler la police ne fait qu’empirer la situation pour les groupes racialisés. Nous le savons.
Imaginez ce que c’est d’avoir peur d’appeler la police, d’être terrifié d’appeler la police ou d’être inconfortable à l’idée de le faire; c’est le genre de réalité à laquelle il faut réfléchir. Il faut bien comprendre ce qui se passe au Canada. C’est le quotidien des Noirs et ils n’ont pas le privilège de seulement imaginer ce que ce peut être de vivre une telle situation.
Honorables sénateurs, il y a une corrélation entre le racisme systémique, le sexe, la religion, l’âge, les handicaps et même l’emploi. Les données du recensement de 2016 indiquent que le taux de chômage des Canadiens noirs se situe à 12,5 %, comparativement à 7,3 % chez les minorités non visibles. Cela signifie des milliers d’emplois, dont des emplois bien rémunérés.
Je voudrais également parler du rapport publié en 2019 par le Centre canadien des politiques alternatives intitulé Écarts de revenus au Canada : une inégalité économique racialisée. De sérieux écarts en matière d’emploi et de revenus subsistent.
Honorables sénateurs, d’autres formes de discrimination envers les femmes racialisées persistent. Selon cette étude, les femmes racialisées gagnaient seulement 59 ¢ pour chaque dollar gagné par les hommes non racialisés. Chez les hommes racialisés, c’était 78 ¢ pour chaque dollar gagné par les hommes non racialisés.
L’exemple du racisme sur le marché du travail n’est qu’un des signes visibles du racisme répandu auquel nous devons nous attaquer. Comme je l’ai mentionné plus tôt pour appuyer la tenue de ce débat, ce que nous faisons ici aujourd’hui est un bon point de départ. Nous n’en sommes qu’au début d’une démarche axée sur les solutions face au problème du racisme systémique. Nous avons beaucoup de travail à faire.
Je sais que nous siégeons ici, mais notre autre enceinte, l’enceinte historique de l’édifice du Centre, avait quelque chose de spécial. Je n’y retournerai jamais, mais peut-être que certains d’entre vous le feront. Je l’espère. J’espère que vous écouterez l’écho des voix de ces sénateurs d’il y a longtemps — il n’y a pas si longtemps pour moi — qui ont abordé le problème du racisme sans qu’on les écoute vraiment.
L’un d’eux est mon ami conservateur, Don Oliver. La contribution politique de Don Oliver pour la Nouvelle-Écosse peut se comparer à celle de Willie O’Ree pour le Nouveau-Brunswick. Je me rappelle des discours que Don Oliver a livrés dans l’ancienne enceinte du Sénat au sujet du racisme systémique, lorsque je lisais ses rapports, lorsque j’écoutais ses envolées passionnées pendant les réunions de comités dont je faisais partie. Il parlait de la fonction publique devant des hauts fonctionnaires. Je pense qu’il est important de lire ce qu’il avait à dire au sujet de notre propre histoire. Le combat qu’il a mené est louable. J’ai parfois eu l’impression qu’il devait se sentir très seul. L’image du Sénat change progressivement, et j’espère qu’elle est le reflet d’une plus grande égalité. J’aimerais que tous les sénateurs prennent un moment pour réfléchir aux changements que l’ancien sénateur Don Oliver s’est toujours efforcé d’instaurer. Je pense qu’à cet égard, nous devons continuer d’agir, nous devons continuer de défendre cette juste cause.
En conclusion, plus tôt cette semaine, le Caucus des parlementaires noirs a publié une déclaration proposant des mesures initiales pouvant être prises dès maintenant. Le gouvernement peut prendre ces mesures. On ne peut repousser cette intervention à plus tard. Au début de la semaine, j’ai été très ébranlé de découvrir le traitement réservé à nos concitoyens autochtones de même qu’à d’autres minorités. Néanmoins, lorsqu’on prend la peine d’examiner ce qui se passe chez nous depuis longtemps, on constate la richesse de l’histoire des Noirs au Canada. Les Canadiens d’ascendance africaine ont contribué à forger le tissu social de ce pays autant que nos concitoyens d’ascendance asiatique et tous ceux qui sont arrivés ici par le chemin de fer clandestin. Il est extrêmement important de nous rappeler l’histoire des Noirs au Canada. J’estime qu’on ne l’étudie pas suffisamment. Les gens du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse la connaissent parce qu’ils en ont été témoins. En tout cas, il en était question à la maison pendant mon enfance à Campbellton, au Nouveau-Brunswick.
Dans sa déclaration, le caucus noir parle des mesures suivantes. Je les répète de nouveau pour que nous et nos collaborateurs en prenions pleinement conscience : rendre obligatoire la collecte de données sur l’appartenance ethnique, solliciter des propositions auprès des associations d’entreprises noires et les soutenir, investir dans des programmes axés sur des initiatives communautaires, veiller à ce que les Canadiens d’ascendance africaine aient une chance égale de travailler dans le secteur public et mettre en œuvre des programmes de formation pour prévenir les préjugés inconscients dans l’ensemble des institutions gouvernementales.
Honorables sénateurs, voilà comment il est possible d’amorcer un vrai changement. En tant que sénateurs, il nous incombe de faire en sorte que le Canada soit un pays meilleur et plus sûr. Merci.
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