L’honorable Michèle Audette : Honorables sénateurs, je n’aurais jamais imaginé que nous nous retrouverions un jour dans cette enceinte quand nos mères — Dawn, ma belle — se sont dressées contre le gouvernement, contre la Loi sur les Indiens, mais aussi contre de nombreux hommes qui étaient chefs à l’époque. Il est très important de parler de ce chapitre.
Nous ressentons encore cette amertume, mais la beauté, la guérison et la force que je constate aujourd’hui — cette salle était et est toujours remplie de chefs qui exigent que nous allions plus loin que ce que propose le projet de loi S-2 concernant l’exclusion après la deuxième génération. C’est ce que les chefs demandent.
Pour ma part, j’essaie de contrôler mes émotions et de remettre leur expression à plus tard, mais le carcajou qui sommeille en moi veut que j’honore ce que votre mère a accompli, toute seule, en s’adressant à la Cour suprême du Canada et en ouvrant la voie à d’autres femmes, comme l’ancienne sénatrice Lovelace Nicholas, notre collègue du Sénat, et ainsi de suite. Qui a payé pour cela? Je suppose que ce sont ces femmes. C’était ardu.
Il est donc très important pour moi de reconnaître également qu’au bout du compte, il y a des hommes, il y a des femmes, d’anciens chefs, des chefs élus et des amis qui disent : « Faites avancer le projet de loi autant que vous le pouvez, car il est sur une lancée en ce moment. »
Nous sommes le résultat de cette expérience vécue, alors ne l’oublions pas. Nous essayons, comme les Cinq femmes célèbres du Canada, d’entrer au Parlement. Encore aujourd’hui, c’est toujours le cas pour nous, pour les femmes touchées par la Loi sur les Indiens. J’essaie de sourire. J’essaie de marcher ici avec dignité et de dire : oui, c’est dans mon sang, mais, pour moi, je reste forte aujourd’hui parce que je crois que ce rapport, qui contient l’amendement présenté par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, devrait être adopté, pour ensuite passer à la troisième lecture.
C’est ce que je crois. Jamais je n’aurais pensé que nous aurions à débattre de cette question ici, au Canada. Jamais. Ce n’était pas dans mon discours, mais je tenais à le dire.
Il est très important de souligner que, lorsque le projet de loi est arrivé, le délai était court. La cour de la Colombie-Britannique n’avait pas le même échéancier que celui que nous avons aujourd’hui. Elle a fait preuve d’une grande transparence et d’une grande honnêteté. Si des amendements sont proposés pour améliorer le projet de loi et si la volonté est là, je suis prête à les accepter. Vous pouvez me citer. C’est dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture. Toutefois, aujourd’hui, nous avons plus de temps. Les deux chambres ont jusqu’en avril.
Le Comité et moi-même, en tant que marraine du projet de loi, avons veillé à respecter cette échéance, ce report. Nous avons veillé à ce qu’il y ait une diversité de témoins, peu importe qu’ils soient d’accord ou en désaccord, qu’ils soient favorables ou non à un amendement ou à un autre, ou encore qu’ils n’aiment pas du tout le projet de loi S-2. Nous nous sommes exprimés d’une seule voix, et il est important pour moi de vous en faire part.
Cependant, il est tout aussi important pour moi de rappeler à tous mes collègues ce qu’ils ont dit sur l’obligation de consulter. Je vais le formuler en français, car chaque minute compte.
La consultation est une obligation constitutionnelle. Je vais citer un extrait tiré de la section II de la partie A des Lignes directrices actualisées à l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter de mars 2011 du gouvernement fédéral :
L’obligation de consulter découlant de la common law est fondée sur l’interprétation judiciaire des obligations de la Couronne […] dans le contexte des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou potentiels, des peuples autochtones au Canada, reconnus et confirmés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Dans l’esprit d’un renouvellement en 2022-2023 et présenté dans un rapport, on retrouve ce paragraphe comme étant l’une des lignes directrices provisoires.
Il est important de dire les vraies choses : elles n’ont pas encore été officiellement adoptées. La partie concernant les femmes dans ce processus de consultation est de s’assurer que lorsqu’on parle de traités modernes et d’autonomie gouvernementale, il y ait une analyse différenciée selon les sexes. On en a débattu.
Depuis des décennies, les tribunaux nous rappellent une distinction essentielle. Le paragraphe 35(1) prévoit ce qui suit : « Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. »
Je vais me permettre de partager avec vous ce qu’on entend moins souvent. Toujours à l’article 35, au paragraphe 4 cette fois, on parle de l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes :
Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.
Ce point est important pour moi, parce que dans les protocoles de nos nations, les femmes ont une place. Le colonialisme a ébranlé cette notion, mais nous savons que les femmes ont une place. Cet argument permet aussi de rappeler à nos consœurs et confrères que nous reprenons notre place dans un contexte contemporain.
J’ai participé aux débats tenus aux Nations unies sur tous les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La salle était pleine de gens qui parlaient en espagnol dans le but d’avoir une langue commune à tous les pays. Dans le cadre d’un événement parallèle onusien, on tenait un débat sur les articles de la déclaration des Nations unies. J’ai alors demandé à ma voisine :
« Pourriez-vous me traduire cela en espagnol, s’il vous plaît? » En effet, nous étions en plein débat sur les articles à adopter, la langue à utiliser et les parenthèses à supprimer ou à conserver. Elle m’a répondu : « D’accord. » Je me suis alors adressée à cette grande foule d’autochtones venus du monde entier comme suit :
Savez-vous que ce que vous faites ici est très important? Toutefois, je veux lire, je veux voir et je veux m’assurer que les femmes sont également incluses dans cette déclaration, que tout ce qui est dit dans ces articles s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes.
Ils ont applaudi. J’ai pensé que c’était un signe de consentement. Puis j’ai senti une tape sur mon épaule. Qu’un m’a demandé en anglais de l’accompagner dehors. À cette époque, mon anglais était moins bon; je ne maîtrisais pas encore la langue. J’ai dû me disputer avec un chef, car on avait l’impression que si nous parlions des « femmes », cela allait affaiblir la déclaration. C’était il y a bien longtemps.
Toutefois, ces mots figurent également dans cette déclaration aujourd’hui, et je suis convaincue que si nous menons un processus réel et sincère auprès des Premières Nations du Canada, nous garderons en tête et à l’esprit de nombreux protocoles de nos nations, de la Constitution et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Ce sont des outils extrêmement puissants et nécessaires. Pourquoi donc cela devient-il problématique pendant les débats que nous tenons depuis quelque temps? Je veux aborder la question honnêtement. Lorsqu’on parle de dispositions discriminatoires, on semble essayer d’élargir l’obligation de consultation dans des domaines dans lesquels on n’avait jamais envisagé de le faire.
Je sais, le sénateur Moreau a dit que le débat n’est pas là, mais c’est plutôt un débat de nation à nation. Justement, la raison pour laquelle je crois que cette approche est dangereuse, c’est qu’en tenant un tel discours, selon lequel le gouvernement a la responsabilité de consulter, on est en train de créer un instrument de blocage.
Comprenez-moi bien.
J’ai entendu cela souvent.
Je voudrais dire « moi aussi ». Je n’essaie rien. Je ne suis pas avocate. Je suis une super nôhkom, une super maman et, je l’espère, une super sénatrice, mais j’ai lu de nombreuses décisions de la Cour suprême du Canada en anglais et en français. Aucune d’entre elles ne disait : « Vous devez consulter au sujet de la discrimination. Vous devez consulter au sujet de l’égalité, conformément à la Charte. »
Je vais le dire en français pour être sûre de ne pas me tromper.
Rien dans l’étude de la jurisprudence de la Cour suprême n’exige que la consultation sur l’article 35 soit utilisée pour empêcher ou retarder des réparations d’égalité garantie par la Charte.
Lorsque des injustices reconnues par les tribunaux supérieurs sont corrigées, des injustices constitutionnellement établies, il est important que le Parlement exerce son devoir. Nous sommes le Parlement et nous devons exercer notre devoir.
Vous avez entendu des articles de la Charte énumérés par mes collègues. Certains sénateurs et sénatrices vous ont fait part de différentes décisions judiciaires. J’aimerais simplement rappeler que, pour chaque décision rendue ayant trait à la Loi sur les Indiens et à ce qui touche les statuts, l’émancipation ou la discrimination entre les hommes et les femmes en vertu des paragraphes 6(1) et 6(2), que ce soit de façon timide ou frappante, comme Parlement, nous avons dit : « On peut faire plus. » Nous essayons de faire comprendre que nous avons cette responsabilité.
Ce que nous essayons aussi de faire comprendre, c’est que lorsqu’il faut aller devant la Cour suprême du Canada ou devant la cour d’appel, en première instance ou aux Nations unies, cela implique des coûts financiers que nous ne pouvons pas assumer comme femmes ou comme hommes. Je trouve difficile de devoir débattre là-dessus, alors que nous avons le pouvoir de faire en sorte que nos mères et nos fils puissent enfin dire qu’ils sont reconnus.
Il y a deux volets parallèles en ce moment et j’aimerais conclure mes remarques sur quelque chose qui, pour moi, est un non-sens. Vous me direz que légalement, c’est faisable, mais émotionnellement ou politiquement, pourquoi devrait-on faire cela comme parlementaires?
À mes yeux, cela peut paraître simple de proposer quelque chose de cohérent et fidèle aux enseignements des tribunaux, soit parce que c’est une obligation constitutionnelle ou parce que, depuis les arrêts McIvor et Descheneaux, les tribunaux nous ont donné des possibilités et nous ont encouragés à faire plus. Ce n’est pas un choix politique; c’est une question d’égalité fondamentale.
Pour moi, le fait d’être dans cette enceinte et d’imposer une consultation complète sur chaque réforme, c’est comme si on voulait nous donner un petit droit de veto implicite, ce que la Cour suprême a refusé de faire dans la décision Nation haïda c. Colombie-Britannique.
Il ne faut pas mélanger les deux choses; il faut plutôt encourager l’autre processus. Pour moi, traiter de nation à nation, ce n’est pas le faire à partir de la Loi sur les Indiens, la loi qu’on appelait autrefois l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages. Pour moi, c’est une politique d’assimilation. Ce n’est pas de l’autonomie gouvernementale, ce n’est ni un droit issu de traités ni un droit autochtone. C’est une politique visant à ce que je n’existe plus, point à la ligne. Au moyen du projet de loi C-31, on va gagner une partie de la bataille et on va ajouter une nouvelle forme de contrôle pour déterminer qui est un Indien et qui ne l’est pas.
Nous sommes des Innus, des Anishinabes, des Mohawks. Nous ne sommes pas les paragraphes 6(1) ou 6(2), mais c’est la loi qui le détermine, et cela a un impact majeur. Imaginez comment l’on vivait ce sentiment ou cette réaction dans cette Chambre.
La Cour a déclaré qu’il y avait eu de la discrimination lorsque le projet de loi C-3 avait été débattu dans cette enceinte et au comité. Nous devons modifier la Loi sur la citoyenneté. De mon point de vue et dans mon monde, cela signifie que nous sommes toujours — et nous l’avons toujours été — accueillants. Le mot « Québec » est un mot innu. « Québec » veut dire : « Venez, descendez de votre bateau ». Je peux vous dire que nous, le peuple innu, étions formidables.
Cependant, au Sénat, lorsque j’ai vu le projet de loi C-3, qui était le projet de loi C-71…
Son Honneur la Présidente : Sénatrice Audette, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?
La sénatrice Audette : Je demande deux minutes.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Audette : Merci.
Le parallèle pour moi, c’est que nous accueillerons la deuxième génération, des personnes nées à l’extérieur du Canada qui pourront présenter une demande et devenir citoyennes canadiennes — selon la règle du parent unique.
Moi, si j’ai un ou deux enfants — j’en ai cinq — et que je dois prouver qui est le père — c’est la règle des deux parents — pourquoi ici, au Canada, dit-on oui à des gens qui sont nés à l’extérieur et leur donne-t-on ce droit? Pour ce qui est de la ministre Gull-Masty, de son gouvernement, de sa nation, de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, depuis le premier jour de ce traité moderne, la règle du parent unique s’applique.
Je sais que cela fonctionne pour les Cris et les Naskapis en vertu de ce traité moderne, et cela fonctionne aussi pour les gens qui viennent de l’extérieur, qui peuvent demander la citoyenneté canadienne parce qu’ils ont un grand-parent, mais pas nous.
Je vous invite à y réfléchir. Je vous remercie.

