Le sénateur Klyne : Messieurs, en 2022, RBC publiait un rapport intitulé 92 à zéro : Comment la réconciliation économique peut contribuer à la réalisation des objectifs climatiques du Canada. Ce rapport soulignait que l’atteinte de la carboneutralité :
[…] reposera sur des sources cruciales de capitaux conservés par les nations autochtones. RBC estime que le Canada aura besoin d’environ 2 billions de dollars de capitaux au cours des 25 prochaines années, une grande partie de ces fonds provenant de sources autochtones, ou de partenariats autochtones, notamment de propriétés autochtones.
Le rapport indique que les terres autochtones comportent d’importantes ressources essentielles aux systèmes d’énergie verte, notamment 56 % des projets de mines de minéraux critiques.
Compte tenu de l’urgence du développement économique, si le gouvernement envisage de donner la priorité à certains projets d’exploitation de minéraux critiques sur des terres autochtones, pouvez-vous nous expliquer comment se dérouleraient les consultations et la prise de décision sous le régime du projet de loi C-5 par rapport à la situation actuelle?
M. Ginsberg : Je peux certainement commencer. L’une de nos principales préoccupations, préoccupation que partagent les groupes autochtones qui ont comparu devant vous, c’est que le projet de loi ne mentionne pas explicitement le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause par les nations autochtones à l’égard des types de projets dont vous parlez.
Il se peut effectivement que de vastes richesses se trouvent sur les terres autochtones, et que les peuples autochtones veuillent les exploiter, mais ces décisions doivent être prises avec eux et par eux, plutôt que sans eux. C’est la position que nous défendons clairement.
Pour ce qui est de votre question sur les différences entre la situation d’avant et la situation d’après, ce qui nous préoccupe, depuis que nous avons examiné le projet de loi, c’est l’idée qu’on puisse maintenant approuver le projet pendant l’évaluation environnementale, car c’est à ce moment-là que nous pouvons savoir quels sont les répercussions et les avantages réels pour les nations autochtones. L’évaluation environnementale est un élément essentiel du processus de consultation. C’est inclus dans ce projet de loi. Il y a encore des évaluations environnementales, mais l’issue est déterminée d’avance. Quoi qu’il arrive, on dira toujours oui lors de l’évaluation environnementale. On ne peut pas appeler cela une véritable consultation, car si on connaît l’issue d’avance, toute discussion devient inutile et la consultation n’aura servi à rien.
Nous disons donc que le projet de loi devrait être révisé de manière à ce que les nations autochtones aient toujours leur mot à dire lorsqu’il s’agit de déterminer l’issue du processus et la façon procéder.
Le sénateur Klyne : Cela nous ramène aux questions du sénateur Wilson et à certaines de vos observations liminaires. Toutefois, la partie 2 du projet de loi C-5 permettrait au Cabinet d’exempter un projet d’intérêt national de l’application de certaines lois environnementales du Canada. Pour ne citer que quelques exemples, l’annexe 2 du projet de loi prévoit que le Cabinet peut adopter des règlements pour exempter des projets de l’application de la Loi sur les pêches, de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et de la Loi sur les espèces en péril.
Les Canadiens peuvent s’inquiéter de ce que de telles exemptions pourraient signifier pour, par exemple, l’habitat des poissons, les oiseaux migrateurs, la pollution toxique pénétrant dans l’environnement et les communautés, ou la protection des espèces en voie de disparition. Craignez-vous que ces exemptions ne nuisent à l’environnement, à la faune et à la population, et quels conseils donneriez-vous aux sénateurs?
M. Olszynski : Oui, cela m’inquiète. C’est la partie délicate du projet de loi, bien entendu. Le gouvernement va promettre d’exercer ce pouvoir de manière judicieuse, mais il n’en demeure pas moins que le pouvoir existera et qu’on cherchera à s’en servir, car un projet coûte moins cher quand on ne se préoccupe pas de l’habitat des poissons ou des oiseaux migrateurs ou des substances toxiques. Il est certain que des promoteurs feront pression pour que le gouvernement exerce ce pouvoir.
La question que je me pose est la suivante : si le gouvernement n’a pas l’intention de se servir de ce pouvoir, pourquoi se l’accorde-t-il? Dans un sens, cela semble inoffensif, car on dit « le gouvernement va dire non ». Or, c’est le nouvel organe bureaucratique qui sera créé pour mettre en œuvre le projet de loi et qui réunira une petite armée de fonctionnaires qui gérera toutes les demandes de modification des normes qui s’appliquent aux projets à l’heure actuelle ou les demandes de dérogation à ces normes.
Comme l’a exprimé M. Ginsberg au nom de la communauté qu’il représente, à mon avis, il faut éliminer cette échappatoire. Il faut retirer cette possibilité. Bien franchement, nos normes ne sont même pas particulièrement strictes. Gardons-les comme elles sont et obligeons le gouvernement et les promoteurs à les respecter. Faisons ce qu’il faut faire et finissons-en au lieu de constamment remettre en question telle ou telle loi ou si telle ou telle disposition doit s’appliquer ou non.