L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, permettez-moi d’expliquer pourquoi je suis en faveur de l’adoption rapide du projet de loi C-40, Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, appelée Loi de David et Joyce Milgaard, qui propose la création d’une commission indépendante pour traiter des demandes alléguant des erreurs judiciaires.
La nécessité d’un mécanisme indépendant pour traiter d’erreurs judiciaires possibles est une question qui m’intéresse depuis mes années à la Cour d’appel du Québec.
J’ai été saisi une fois d’une révocation d’une condamnation, maintenue quelques années plus tôt malgré des appels portés jusqu’en Cour suprême du Canada. Tout au long du processus judiciaire, l’accusé maintenait son innocence et affirmait qu’il n’était pas l’auteur du document incriminant qui comportait des menaces de mort à l’égard de son ex-conjointe, ce que le juge n’avait pas cru.
Or, deux ans plus tard, des rapports d’expertise en écriture, dont l’un du ministère public, ont conclu qu’il ne pouvait être la personne qui avait écrit le document incriminant et que la pseudovictime en était l’auteur.
Mon étude du dossier m’a amené à conclure que le fait que l’accusé était un immigrant du Moyen-Orient, sans moyens financiers pour engager un expert, avait été un facteur déterminant dans cette erreur judiciaire.
Un autre dossier m’a troublé, soit l’affaire Dumont. Ce dernier a été condamné pour meurtre sur la base d’une preuve circonstancielle dont l’élément clé était le témoignage d’une inconnue, qui a affirmé au procès l’avoir entrevu pendant quelques secondes dans un club vidéo à proximité de la résidence de la victime, peu avant l’heure du crime. Dumont a toujours clamé son innocence, en s’appuyant pour bien faire sur un alibi qui s’est révélé faux.
Quelques années plus tard, dans une entrevue télévisée, la témoin vedette a déclaré regretter son témoignage, ajoutant qu’elle croyait désormais que ce n’était pas M. Dumont qu’elle avait entrevu le soir du meurtre, mais quelqu’un d’autre.
Chers collègues, je mentionne ces deux affaires pour illustrer le fait que notre système de justice criminelle repose essentiellement sur le travail de policiers, les versions des témoins, l’obtention de preuves documentaires et autres et l’analyse du dossier par le ministère public et l’avocat de la défense. La décision de culpabilité revient soit à un juge, soit à un jury de 12 personnes sans formation juridique, dans les cas les plus graves.
Même si une condamnation n’est possible qu’en présence de la conclusion hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction, il reste que les facteurs humains sont omniprésents dans tout le processus, depuis l’intervention de la police jusqu’au prononcé du jugement de culpabilité.
Cela peut impliquer la présence de préjugés, la vision en tunnel de la preuve par les enquêteurs, les omissions dans le traitement des dossiers par des avocats débordés de la poursuite ou de l’aide juridique, l’incapacité de l’accusé de se payer un expert, et cetera.
J’ajoute que la faillibilité du système est amplifiée par le manque de ressources judiciaires, la pression d’être plus efficace malgré tout et les encouragements répétés à faire des aveux de culpabilité à une infraction moindre pour éviter des procès.
Malheureusement, il peut en résulter plus de condamnations de personnes innocentes, surtout issues de groupes défavorisés ou vulnérables.
Cela peut se produire même dans les affaires les plus graves. Comme le mentionnait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt États-Unis c. Burns et Rafay, qui a été rendu en 2001, la découverte incessante de déclarations erronées de culpabilité pour meurtres au Canada et aux États-Unis au cours des dernières années fait tragiquement ressortir la faillibilité du système juridique, et ce, malgré les garanties étendues qui existent afin de protéger les innocents.
Un site Web de l’Université de Toronto, Canadian Registry of Wrongful Convictions, a répertorié à partir d’articles de journaux et de jugements 89 cas de condamnations erronées entre 1956 et 2016, lesquelles concernent de manière disproportionnelle des membres des communautés racisées et autochtones. Malheureusement, il ne pourrait s’agir que de la pointe de l’iceberg.
M’inspirant de la méthode Cotter, le reste de mon discours sera divisé en quatre parties : premièrement, le système actuel et ses lacunes; deuxièmement, l’affaire Milgaard; troisièmement, l’instigateur de ce projet de loi; enfin, les caractéristiques de la commission proposée.
Passons à la première partie. Depuis 1892, le ministre de la Justice a le pouvoir, sous une forme ou une autre, de réexaminer une condamnation au criminel au titre du droit fédéral afin de déterminer s’il y a eu erreur judiciaire.
En 2002, à la suite de consultations publiques, le régime actuel a été introduit sous la partie XXI.1 du Code criminel, intitulée Demandes de révision auprès du ministre — erreurs judiciaires, qui comprend six dispositions. Avec le Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre — erreurs judiciaires, cette partie complète le cadre du système actuel.
Avant d’ordonner un nouveau procès ou un appel, le ministre doit être convaincu qu’il y a un motif raisonnable de croire qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Ce critère est plus strict que le précédent, qui consistait à « entretenir un doute ». Il est également plus strict qu’un critère plus ouvert, par exemple que le ministre soit convaincu qu’un renvoi devant les tribunaux est dans l’intérêt de la justice.
Le ministre de la Justice de l’époque a déclaré que ce recours devait être extraordinaire. Dans la pratique, le travail est exécuté par un groupe spécial au sein du ministère de la Justice, soit le Groupe de la révision des condamnations criminelles.
Le travail de ce groupe est régi par le règlement que j’ai mentionné et qui prescrit un processus d’examen en quatre étapes : une évaluation préliminaire, qui pourrait conduire à une enquête, suivie d’un rapport d’enquête préliminaire dont une copie est remise au demandeur pour obtenir des renseignements complémentaires et, une fois le rapport jugé définitif, une recommandation au ministre pour obtenir une décision. Le ministre peut renvoyer l’affaire devant les tribunaux, soit en la renvoyant devant une cour d’appel pour qu’elle soit entendue en tant que nouvelle affaire, soit en prescrivant la tenue d’un nouveau procès.
En pratique, le groupe spécial procède à des évaluations préliminaires, en prenant en compte tous les facteurs pertinents, dont la question de savoir si la demande repose sur une nouvelle question importante, ce qui veut habituellement dire de nouveaux renseignements ou éléments de preuve d’importance qui n’ont pas été étudiés par les tribunaux. C’est uniquement si le groupe est convaincu qu’il en est ainsi qu’une enquête peut être lancée.
Comme le montre le rapport annuel de 2022-2023 présenté par le ministre de la Justice en octobre 2023, la plupart des dossiers n’atteindront pas la deuxième étape. Autrement dit, il n’y a pas d’enquête. Comme l’a fait remarquer le sénateur Arnot, depuis 2002, seules quelque 200 demandes ont été examinées par le groupe spécial. Parmi celles-ci, 30 seulement ont donné lieu à un renvoi devant les tribunaux, et 24 d’entre elles ont abouti à un acquittement ou à l’annulation ou à la suspension d’une condamnation. Autrement dit, on a fait moins de deux renvois par an devant les tribunaux. Notamment, seuls 7 de ces 30 renvois devant les tribunaux concernaient des demandeurs racisés, et aucun ne concernait une femme.
Il est évident que ces chiffres ne reflètent pas les caractéristiques démographiques de la population carcérale canadienne. À mon avis, ce nombre incroyablement faible de condamnations injustifiées découvertes et rectifiées au Canada est un signe que le système actuel ne fonctionne pas.
Cette conclusion s’appuie sur l’expérience de régimes aux vues similaires, par exemple ceux de l’Angleterre, de l’Écosse et de la Nouvelle-Zélande, qui disposent de commissions indépendantes. Comme nous l’a dit le sénateur Arnot, la commission écossaise de révision des affaires pénales a reçu plus de 3 200 demandes entre 1999 et mars 2024, ce qui a permis de renvoyer 96 affaires devant les tribunaux. Autrement dit, l’Écosse, dont la population correspond à moins d’un septième de celle du Canada, a renvoyé plus de trois fois plus d’affaires dans un délai comparable.
Les données de la commission britannique de révision des affaires pénales, qui englobe l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du Nord, montrent qu’elle a reçu plus de 32 000 demandes depuis sa création en 1997. Elle a renvoyé 848 affaires devant des cours d’appel, dont 828 ont été entendues jusqu’à présent, ce qui a permis de rectifier 587 condamnations injustifiées.
La commission britannique traite plusieurs centaines de cas par an et a repéré plus de 300 condamnations injustifiées en seulement 2 ans, soit entre 2016 et 2018. En comparaison, au Canada, nous parlons de moins de deux cas par an.
Entre sa création en 2020 et les dernières données qu’elle a publiées en 2024, la commission de la Nouvelle-Zélande a reçu un total de 471 demandes, a effectué 221 examens et a renvoyé jusqu’à présent 3 affaires devant une cour d’appel à la suite d’enquêtes. Veuillez noter que la population du Canada est environ 8 fois supérieure à celle de la Nouvelle-Zélande.
Je termine cette revue du système actuel en vous parlant d’une affaire qui a fait couler de l’encre au Québec : le dossier de Daniel Jolivet, condamné à perpétuité en 1994 pour un quadruple meurtre sur la foi du témoignage d’un délateur qui a affirmé que Jolivet lui avait avoué les meurtres le lendemain. Jolivet a toujours nié être l’auteur de ces quatre meurtres, déclaration confirmée par un détecteur de mensonges passé il y a quelques années.
Dès que la Cour suprême eut cassé l’ordonnance de la Cour d’appel d’un nouveau procès en raison d’irrégularités durant son premier procès, Jolivet débute ses demandes en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels du Québec. Ainsi, il découvre de nombreux éléments de preuve qui n’avaient jamais été divulgués et des témoins dont ses avocats ignoraient tout de l’existence avant son procès de 1994.
L’une de ces déclarations contredisait la déclaration du témoin principal à son procès, qui disait l’avoir reconnu au moment où le délateur aurait reçu les supposés aveux de Jolivet. Un autre élément de preuve situait Jolivet chez un bijoutier, à un lieu assez éloigné du restaurant où le délateur avait reçu les aveux, ce qui tendait à disculper Jolivet. Plusieurs de ces éléments de preuve disculpaient Jolivet ou jetaient à tout le moins un doute sérieux sur sa culpabilité. De plus, Jolivet avait appris que le contrat de délateur avait été rompu par la police, ce qui suggérait que le ministère public ne le croyait plus.
Fort de ces découvertes, Jolivet soumet une demande de révision au groupe spécial. Deux ans plus tard, le groupe l’informe qu’il n’y aura pas d’enquête au motif que les faits nouveaux invoqués « ne sont ni suffisamment fiables, ni suffisamment importants pour remettre en question le verdict ». Notons que le rapport du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC) contenait des erreurs dans les faits, notamment que l’arme du crime avait été trouvée chez le père de Jolivet, alors que le procès a établi que cette arme n’avait jamais été retrouvée, ce qui est toujours le cas à ce jour.
Comme il était d’avis que la décision du GRCC était déraisonnable, Jolivet, par ses avocats, l’attaque en Cour fédérale. Puis, étant aussi d’avis que le GRCC n’avait pu conclure comme il l’avait fait, à moins d’avoir eu accès à l’ensemble des éléments de preuve qui lui avaient été cachés, Jolivet demande au groupe de lui fournir, entre autres, les documents obtenus de la Sûreté du Québec et considérés par le GRCC avant de conclure au rejet de sa demande de révision.
Le GRCC refuse la transmission des documents obtenus de la Sûreté du Québec au motif qu’ils ne seraient pas pertinents aux fins de statuer sur la légalité de sa décision. Il ajoute que certains documents ont été renvoyés à la Sûreté du Québec sans que des photocopies aient été faites. Enfin, ils font valoir que Jolivet devrait plutôt se prévaloir de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels du Québec.
Certains pourraient dire que ces arguments montrent bien l’attitude du GRCC, qui n’a pas l’habitude d’aider un demandeur à faire la preuve de son innocence.
En 2011, un juge de la Cour fédérale ordonne au ministre et au responsable du GRCC de transmettre les documents qui étaient devant le groupe lorsqu’il a rendu ses décisions du 24 septembre 2007 et du 13 novembre 2008, sauf ceux visés par le secret professionnel ou le secret avocat-client. Il ordonne aussi d’identifier quels documents se trouvaient devant le groupe lorsqu’il a pris ses décisions, mais ne se trouvent plus en sa possession. Il a donc fallu l’intervention d’un juge pour obtenir une certaine collaboration.
En septembre 2016, Jolivet soumet au GRCC une deuxième demande de révision appuyée par de nouvelles preuves. Rien n’y fait et, encore une fois, en octobre 2018, donc deux ans plus tard, le GRCC rejette sa nouvelle demande sans même passer à la deuxième étape, soit une enquête par le groupe ou par une personne désignée à cet effet.
En 2021, Jolivet présente une troisième demande de révision au GRCC. Avant de déposer sa demande, son avocate, qui est maintenant juge, et une personne qui croit en l’innocence de Jolivet me contactent.
Après avoir passé plusieurs jours à prendre connaissance du volumineux dossier, je suis troublé par le défaut du ministère public d’avoir caché à l’avocat de Jolivet, avant le procès, l’ensemble du dossier d’enquête qui contenait des éléments susceptibles d’influencer l’issue du procès.
Comme Jolivet n’est pas un enfant de chœur et qu’il a un casier judiciaire étoffé, je demande qu’il se soumette à un détecteur de mensonges, ce qu’il accepte de faire.
Les résultats du test confirment qu’il dit la vérité lorsqu’il déclare ne pas avoir commis ces quatre meurtres.
De plus, je note que même s’il pourrait soumettre une demande de libération sous condition à la Commission des libérations conditionnelles, il ne le fait pas, parce qu’il refuse de reconnaître le bien-fondé de sa condamnation.
C’est alors que j’accepte d’aider bénévolement son avocate à rédiger une nouvelle demande de révision au Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC).
De plus, un avocat criminaliste bien connu de Montréal, convaincu qu’il fallait un nouveau procès, accepte, lui aussi bénévolement, d’aider à la rédaction de la troisième demande de révision.
Deux ans plus tard, la troisième demande, qui me semblait commander un renvoi aux tribunaux du dossier, est rejetée sans même passer à la deuxième étape : celle de l’enquête.
À ce jour, Jolivet est toujours en détention, même si celle-ci excède désormais 25 ans et que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne requiert pas que le prisonnier reconnaisse sa responsabilité.
Jolivet ne veut qu’une chose : un nouveau procès ou un renvoi à la Cour d’appel.
Sa situation s’apparente ainsi à celle qui est décrite dans un jugement de 2019 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’affaire Skiffington, où le juge a écrit ce qui suit :
… on peut soutenir avec force que la seule raison, ou du moins la raison principale, pour laquelle le demandeur n’est pas actuellement dans la collectivité, à bénéficier d’une libération structurée, c’est qu’il continue d’affirmer son innocence et son désir de faire réviser sa condamnation.
Je passe maintenant à la deuxième partie de mon discours.
En 1969, David Milgaard est inculpé pour le viol et le meurtre d’une étudiante en soins infirmiers à Saskatoon. Il a 16 ans à l’époque. En janvier 1970, à l’issue d’un procès devant juge et jury, il est reconnu coupable de meurtre et condamné à la prison à vie, malgré son jeune âge. Sa condamnation est confirmée par la Cour d’appel de la Saskatchewan, et sa demande d’interjeter appel devant la Cour suprême est refusée.
Avec l’aide de sa mère, Joyce, David commence à clamer publiquement son innocence en 1980. À l’insu de David et de sa mère, l’ex-femme d’un certain Larry Fisher se rend au service de police de Saskatoon pour signaler qu’elle soupçonne son ex-mari d’avoir tué l’étudiante. Le service de police de Saskatoon ne donne pas suite à sa déclaration.
Une demande de révision est déposée en décembre 1988. Le ministre de la Justice de l’époque la rejette le 27 février 1991.
Par une lettre datée du 14 août 1991, il fait une deuxième demande sur la base de motifs différents, et envoie une copie au premier ministre de l’époque, M. Mulroney. Cette demande donne lieu à une rencontre entre la mère de David et le très honorable Brian Mulroney.
Après cette réunion, le gouverneur en conseil a présenté un renvoi à la Cour suprême, où il est indiqué :
[…] ATTENDU QUE la question de savoir s’il y a eu erreur judiciaire cause de graves préoccupations et qu’il est dans l’intérêt de la justice que cette question soit examinée […]
La Cour suprême a entendu plusieurs témoins en quelques jours, ce qui est très rare à la Cour suprême, dont M. Milgaard, qui n’avait pas témoigné lors de son procès, et de nouveaux éléments de preuve ont été présentés, y compris en ce qui concerne Larry Fisher.
Dans son jugement rendu public le 14 avril 1992, la Cour suprême a déclaré :
[…] nous sommes convaincus qu’on nous a présenté une nouvelle preuve raisonnablement digne de foi dont on peut raisonnablement penser que, considérée avec la preuve présentée au procès, elle aurait pu avoir une incidence sur le verdict. Nous conseillerons donc au ministre de la Justice d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès […]
En d’autres termes, la procédure d’alors ne fonctionnait pas, et il fallait que la Cour suprême ordonne au ministre de renvoyer l’affaire devant les tribunaux.
Le ministre de la Justice a alors ordonné un nouveau procès, mais la Couronne de la Saskatchewan a choisi de suspendre les procédures, privant ainsi M. Milgaard d’un éventuel jugement rejetant l’accusation.
M. Milgaard a été libéré de prison le 16 avril 1992, mais son innocence était toujours mise en doute. Il continuait de clamer son innocence.
Cinq ans plus tard, le 18 juillet 1997, un laboratoire d’analyse d’ADN du Royaume-Uni publiait un rapport confirmant que les échantillons de sperme sur les vêtements de la victime ne provenaient pas de Milgaard, mais de Fisher. M. Fisher a été arrêté et condamné deux ans plus tard pour ce meurtre.
Le 17 mai 1999, les gouvernements du Canada et de la Saskatchewan ont annoncé un règlement avec Milgaard dans le cadre duquel il a reçu 10 millions de dollars en indemnisation pour sa douleur et sa souffrance, la perte de son salaire et ses frais juridiques.
Quatre ans plus tard, le 30 septembre 2003, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé qu’une commission d’enquête parlementaire enquêterait sur la condamnation injustifiée de Milgaard. Cinq ans plus tard, la commission indiquait que la police, qui subissait des pressions pour résoudre le crime, avait porté son attention sur Milgaard et ses deux amis, avait presque contraint les amis à faire de fausses déclarations et s’était fiée à un faux témoignage donné par la personne à qui Milgaard et ses deux amis rendaient visite et qui, soit dit en passant, sous-louait son sous-sol au meurtrier.
C’est ce qu’on appelle une vision en tunnel. Lorsque la police adopte un raisonnement initial et que tout est organisé pour cadrer avec ce raisonnement, on appelle cela une vision en tunnel.
Le commissaire, un juge, a conclu ceci:
Le système de révision des condamnations au Canada est fondé sur la pensée que les condamnations injustifiées sont rares et que toute mesure de redressement accordée par le ministre fédéral est un recours extraordinaire. Un changement est nécessaire pour refléter la compréhension actuelle du caractère inévitable des condamnations injustifiées et de la responsabilité du système de justice pénale de corriger ses propres erreurs […] Je recommande que l’enquête sur les allégations de condamnation injustifiée soit confiée à un organisme de révision indépendant du gouvernement […]
En fait, l’argumentaire en faveur de ce projet de loi peut tenir en seulement 183 mots. C’est la longueur de la chanson « Wheat Kings » du groupe de rock canadien The Tragically Hip, qui raconte l’histoire de David Milgaard. La chanson est sortie sur l’album Fully Completely en octobre 1992, six mois après la libération de David.
Bien entendu, il existe d’autres cas d’erreurs judiciaires graves, notamment celui de Donald Marshall Jr., en Nouvelle-Écosse, auquel mon collègue le sénateur Cuzner a récemment fait référence.
Je passe à la troisième partie.
L’initiateur du projet de loi est l’honorable David Lametti. Lors de l’élection générale de 2019, le ministre Lametti a annoncé que, s’il était réélu, le Parti libéral ferait pression pour la création d’une commission indépendante. Lorsqu’il lui a été demandé de reprendre le poste de ministre de la Justice, il a insisté pour que le premier ministre inclue dans sa lettre de mandat la création d’une commission indépendante.
En mars 2021, il a nommé un comité spécial composé de deux juges à la retraite : Harry LaForme, premier Autochtone nommé à une cour d’appel, et Juanita Westmoreland-Traoré, première Canadienne noire à accéder à la magistrature au Québec.
Cette commission a organisé 45 tables rondes auxquelles ont participé 215 personnes, elle a entendu 17 personnes exonérées qui ont été victimes d’erreurs judiciaires, et elle s’est entretenue avec des représentants de commissions étrangères sur les erreurs judiciaires. Elle s’est également entretenue avec des victimes d’actes criminels et des représentants du corps policier, des procureurs, des avocats de la défense, des responsables de l’aide juridique, des juges et des experts légistes.
Dans son rapport, soumis au ministre de la Justice en novembre 2021, la commission a conclu à l’urgence d’établir une commission de révision indépendante et a fait 51 propositions concernant ses fonctions et sa composition. Elle a constaté que le système actuel ne permet pas aux femmes, aux Autochtones et aux Noirs d’obtenir réparation.
Cela a mené à la rédaction du projet de loi C-40, qui a été présenté le 16 février 2023 et adopté avec dissidence à la Chambre le 19 juin 2024.
Aujourd’hui, je tiens à remercier David Lametti d’avoir proposé un projet de loi qui répond au souhait de David Milgaard et de sa famille. Celui-ci permettra d’éviter que son calvaire ne se répète. Comme l’a dit M. Milgaard : « Les personnes condamnées à tort ont déjà été déçues une fois par le système de justice. Les laisser tomber une seconde fois n’est pas une option négociable. »
J’en viens maintenant aux principales caractéristiques du processus proposé. Une commission indépendante examinerait les cas où des erreurs judiciaires auraient été commises, ferait enquête à cet égard et, le cas échéant, renverrait les dossiers à une cour d’appel ou ordonnerait la tenue d’un nouveau procès.
Le projet de loi C-40 élargit les groupes de personnes qui peuvent demander un examen, notamment en incluant les personnes qui ont été déclarées coupables sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou de la Loi sur les jeunes contrevenants, celles qui ont plaidé coupables, celles qui ont été absoutes en vertu de l’article 730 du Code criminel, et celles qui ont reçu un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Les changements apportés mettent œuvre les recommandations 20 et 21 du rapport.
L’inclusion des accusés qui ont plaidé coupable est vraiment la bienvenue. En effet, 18 % des condamnations injustifiées figurant dans le registre canadien des condamnations injustifiées résultent de plaidoyers de culpabilité qui ont souvent été faits sous la pression de la négociation, par crainte d’une peine plus sévère ou en raison de conseils juridiques inadéquats. Notons aussi que la quasi-totalité des personnes qui ont plaidé coupable malgré leur innocence étaient des Autochtones, des personnes racisées, des femmes ou des personnes handicapées.
Comme le régime existant, la nouvelle procédure exige qu’un demandeur épuise d’abord ses droits d’appel, tout en laissant à la commission le pouvoir discrétionnaire d’écarter cette exigence.
Le projet de loi indique aussi que la commission doit traiter la demande « le plus rapidement possible et fourni[r] régulièrement au demandeur des mises à jour ». Il s’agit là d’un véritable revirement par rapport à la procédure actuelle, croyez-moi.
En ce qui concerne le seuil applicable, la commission peut mener une enquête relativement à une demande :
[s]i elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire a pu être commise ou si elle estime que cela servirait l’intérêt de la justice […]
Ce seuil pour donner lieu à une enquête est beaucoup plus facile à atteindre que sous le régime actuel, et il s’agit d’une amélioration essentielle, car nous savons que des erreurs judiciaires se produisent.
Au terme de l’examen, la commission doit prendre une décision au sujet de la demande. Si elle a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise et qu’elle estime que cela servirait l’intérêt de la justice, elle peut renvoyer l’affaire devant la cour.
Il convient de souligner que le projet de loi décrit les facteurs que la commission doit prendre en compte pour prendre sa décision dans l’intérêt de la justice, notamment les deux suivants : premièrement, la situation personnelle du demandeur, et deuxièmement, les difficultés spécifiques rencontrées par les demandeurs appartenant à certaines populations pour obtenir des mesures de redressement en cas d’erreur judiciaire, particulièrement en ce qui touche la situation des demandeurs autochtones ou noirs. Il s’agit manifestement d’une réponse à la discrimination systémique associée au processus pénal lorsqu’il s’applique à ces groupes.
La commission se composera d’un commissaire en chef et de quatre à huit autres commissaires. Lorsqu’il recommande des commissaires, le ministre de la Justice :
[…] cherche à refléter la diversité de la société canadienne et tient compte de facteurs comme l’égalité des genres et la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice pénale, notamment les peuples autochtones et les personnes noires.
De plus, tous les commissaires devront posséder « des connaissances et de l’expérience liées à la mission de la [c]ommission ».
Cependant, seuls le commissaire en chef et au moins le tiers, mais pas plus de la moitié, des commissaires seront des avocats ayant au moins 10 ans d’expérience en droit pénal. L’autre moitié sera composée de personnes qui n’ont pas de formation juridique, mais qui connaissent bien le système.
La commission devra publier ses décisions en ligne, ce qui tranche avec le manque de transparence du régime actuel, qui n’oblige pas le ministre de la Justice à publier les décisions sur la révision des condamnations.
Enfin, la commission sera habilitée à fournir aux demandeurs et aux demandeurs potentiels des informations et des conseils à chaque étape du processus d’examen. En outre, elle pourra offrir du soutien aux demandeurs dans le besoin, notamment en les orientant vers des services communautaires, en les aidant à accéder à des services, en leur fournissant des services de traduction ou d’interprétation, ou en les aidant à obtenir une assistance juridique en lien avec leur demande. Il faut savoir que bon nombre des demandeurs sont en prison et qu’il leur est donc difficile d’accéder ne serait-ce qu’à une photocopieuse.
Si l’on considère que de nombreuses personnes condamnées à tort purgent leur peine en prison, où, comme je l’ai dit, elles ont un accès limité aux ressources et elles ont du mal à parler à un avocat, c’est une évolution très positive.
Enfin, avant de conclure, je souhaite saluer le travail d’Innocence Canada, anciennement l’Association in Defence of the Wrongly Convicted. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif fondée en 1993 qui se concentre sur les personnes objectivement innocentes, ce qui nous rappelle de façon marquante que lorsque nous parlons d’erreurs judiciaires, nous ne parlons pas seulement des personnes qui n’auraient pas dû être condamnées au sens juridique, mais aussi de celles qui n’ont vraiment pas commis les crimes pour lesquels elles ont été condamnées.
Depuis sa création, Innocence Canada a contribué à disculper 29 personnes innocentes, dont Guy Paul Morin.
En conclusion, chers collègues, un système de justice pénale entièrement dépourvu d’erreurs est impossible. Toutefois, pour paraphraser M. Milgaard, il est en notre pouvoir de faire en sorte que le système de justice ne laisse pas tomber une seconde fois les personnes condamnées à tort.
Le projet de loi nous donne un moyen de remplir cette obligation cruciale, et compte tenu des circonstances qui règnent dans la bulle d’Ottawa, je nous invite à terminer notre deuxième lecture le plus rapidement possible.
Merci. Meegwetch.
Son Honneur la Présidente : Sénatrice Batters, aviez-vous une question? Est-ce une question brève? Je devrai tenir compte de l’heure.
L’honorable Denise Batters : Oui, j’ai deux questions brèves. D’abord, sénateur Dalphond, merci de votre discours. Voici une de mes questions : présentement, les révisions sont traitées par le ministre de la justice, par l’intermédiaire — vous l’avez mentionné dans votre discours — du Groupe de la révision des condamnations criminelles. Vous avez ajouté qu’il s’agissait d’un groupe au sein du ministère de la Justice. Qui sont les membres de ce groupe? S’agit-il tous d’avocats?
Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup. C’est une excellente question. Ce sont des avocats. Ils sont sous la supervision d’un directeur, qui est également avocat, et ils travaillent séparément du cabinet du ministre. Ils ne rendent pas de comptes au ministre, sauf à la fin, lorsqu’ils présentent un rapport d’enquête et quelques suggestions sur le type de décisions qui seront prises, y compris des avis juridiques.