Deuxième lecture du projet de loi C-290, Loi sur l’intégrité du secteur public

Par: L'hon. Pierre Dalphond

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L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’entamer aujourd’hui l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-290, Loi modifiant la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles et apportant une modification corrélative à la Loi sur les conflits d’intérêts. Avec un titre aussi long, je vous assure que je ne prendrai pas 45 minutes.

En bref, il s’agit d’un projet de loi proposant de modifier la loi sur les lanceurs d’alerte ou divulgateurs, qu’on appelle en anglais des whistle-blowers.

Unanimement adopté à l’autre endroit le 31 janvier 2024, y compris avec les votes du premier ministre et de la présidente du Conseil du Trésor, ce projet de loi vise à améliorer, voire à moderniser la loi actuelle, qui n’a pas été modifiée depuis 18 ans, afin d’accorder plus de protection aux fonctionnaires lanceurs d’alerte et, ainsi, encourager plus de fonctionnaires à agir lorsque cela est nécessaire. Je tiens à remercier le député Jean-Denis Garon — que je salue à la tribune —, qui est l’initiateur de ce projet de loi et qui l’a fait cheminer avec grand succès à la Chambre des communes, et je le remercie également d’avoir pensé à moi pour le parrainer au Sénat.

Dans une démocratie, les fonctions étatiques sont exercées par différentes organisations indépendantes, dont le gouvernement, les tribunaux et la fonction publique. Notre fonction publique est professionnelle, compétente et dévouée. Selon un rapport britannique de 2017, le service public canadien est le plus efficace au monde parmi les 31 pays étudiés. Je vous laisse tirer vos conclusions : s’il est le plus efficace des 31 pays étudiés, imaginez les autres, mais c’est tout de même une fonction publique dont nous sommes fiers.

Chacun de ses membres doit être commis au service public et à sa bonne gestion. Cela comprend le devoir de tirer la sonnette d’alarme face à des actes répréhensibles, et non fermer les yeux et rester silencieux.

Remplir ce devoir comporte cependant des réserves. Le lanceur d’alerte peut se retrouver menacé, victime de chantage, de rétrogradation et de mise à l’écart, accusé de manque de loyauté, ou soumis à des conséquences financières et psychologiques.

Conscient de ces risques, le Parlement a adopté une loi en 2005 dans le but de protéger les fonctionnaires divulgateurs et ainsi encourager la dénonciation d’actes contraires à la mission de la fonction publique, qui est de bien servir les Canadiens.

Mon propos évoquera tout d’abord l’historique de la loi actuelle, puis je traiterai du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada, qui a été créé par cette loi. J’aborderai ensuite les critiques et lacunes du système actuel et je terminerai avec les modifications que propose de faire le projet de loi C-290, qui a été adopté unanimement aux Communes.

Commençons par l’historique.

La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles est une conséquence du scandale des commandites.

En 1996, peu après le dernier référendum québécois sur la souveraineté, qui a été défait par une marge d’à peine 2 %, le gouvernement fédéral a lancé un programme pour promouvoir le fédéralisme au Québec par l’intermédiaire de la commandite d’événements culturels et sportifs. Avec un budget annuel de 40 millions de dollars, ce programme reposait essentiellement sur l’octroi de contrats à des agences de publicité.

Entre 1999 et 2002, les journalistes Daniel Leblanc et Campbell Clark, qui travaillaient alors au Globe and Mail et à qui je rends hommage, ont publié des dizaines d’articles qui ont révélé de graves anomalies, comme des paiements pour des services non rendus, une double facturation ou encore des choses inacceptables, comme l’achat de billets pour des loges coûteuses au Grand Prix de Montréal. Certes, l’achat de ces billets pouvait être considéré comme une retombée économique intéressante, mais ce n’est sûrement pas la mission de l’État de financer l’achat de billets dans des loges. Le tout était agrémenté parfois de commissions à des intermédiaires bien influents au sein de la fonction publique ou du Parti libéral, qui était alors au pouvoir.

La commission d’enquête présidée par mon ancien collègue le regretté juge John Gomery a mis au jour certaines pratiques inacceptables au sein de la fonction publique qui étaient de surcroît connues par plusieurs, mais jamais dénoncées.

Il y eut ensuite le projet de loi C-11, Loi prévoyant un mécanisme de divulgation des actes répréhensibles et de protection des divulgateurs dans le secteur public, qui a été déposé le 8 octobre 2004.

Ce projet de loi est devenu une loi en novembre 2005, mais ses dispositions ne sont entrées en vigueur qu’en avril 2007, soit après l’élection du gouvernement dirigé par le premier ministre Harper.

Ce nouveau gouvernement a fait rapidement adopter la Loi fédérale sur la responsabilité en décembre 2006, loi qui présentait diverses mesures de transparence et de protection des dénonciateurs.

Voilà pour l’historique de la loi actuelle.

Je passe maintenant à mon deuxième point. La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles a créé le Commissariat à l’intégrité du secteur public, un organisme fédéral indépendant qui rend des comptes directement au Parlement. Il a compétence sur la plupart des organismes publics fédéraux et des organismes de propriété publique, y compris la GRC et les sociétés d’État.

Le Commissariat à l’intégrité du secteur public a pour mandat d’enquêter sur les actes répréhensibles commis dans le secteur public fédéral et de protéger contre les représailles les dénonciateurs et les personnes mêlées aux enquêtes. Il fait rapport au Parlement des cas qu’il a traités au moyen de son rapport annuel et de rapports spéciaux qui recommandent des mesures correctives.

Lorsqu’une plainte de représailles est jugée admissible, elle est transférée au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs, qui est composé essentiellement de quelques juges de la Cour fédérale.

À l’heure actuelle, le Commissariat à l’intégrité du secteur public est un petit organisme. Son personnel est composé d’une trentaine d’équivalents temps plein, dont 7 analystes, 8 enquêteurs et 5 avocats. Cette équipe petite, mais mobile est confrontée à une augmentation constante du nombre de cas soumis. C’est un signe positif, qui montre que la culture est probablement en train de changer. Au cours des deux dernières années, les plaintes ont augmenté de manière exponentielle; elles ont triplé. Le budget, lui, n’a malheureusement pas changé, et le Commissariat a de plus en plus de mal à traiter les nouvelles plaintes ou, du moins, à les traiter dans les délais prévus.

Seulement pendant le mois d’août 2024, donc le mois dernier, le Commissariat à l’intégrité du secteur public a reçu 23 divulgations d’actes répréhensibles. Par conséquent, à la fin août, l’admissibilité de 140 dossiers était en cours d’évaluation. En effet, après avoir reçu une plainte, le Commissariat vérifie si elle répond aux exigences d’admissibilité prévues dans la loi. Si elle est admissible, des enquêteurs sont nommés et s’occupent du cas.

Je vous invite à comparer ce chiffre avec ceux des années précédentes. Par exemple, en août 2023, le commissariat analysait 61 dossiers; en août 2022, il en étudiait 38. En d’autres mots, le nombre de divulgations augmente constamment. Maintenant, il a même été multiplié par trois sur deux ans.

Le budget du commissariat reste le même, comme l’a appris le Comité des finances nationales ce matin. Si une divulgation est jugée admissible, une enquête est lancée. On compte quarante-huit enquêtes depuis janvier dernier. Pour la même période l’an passé, il y en avait 25.

En plus d’analyser les divulgations d’actes répréhensibles et d’enquêter sur celles-ci, le Commissariat à l’intégrité du secteur public doit répondre aux questions générales, notamment en donnant les meilleurs conseils possible aux personnes qui envisagent de faire une divulgation. Ce travail se voit accorder la priorité.

La charge de travail accrue n’a pas entraîné une hausse des capacités de traitement du commissariat. En fait, depuis plusieurs années, le budget approuvé par le Parlement demeure le même. Le projet de loi C-69, adopté en juin dernier, prévoit un budget de 6 millions de dollars pour l’exercice 2024-2025, par rapport à 5,8 millions de dollars pour l’exercice précédent. Cette hausse couvre à peine l’inflation.

Je saisis donc cette occasion, comme je l’ai fait ce matin au Comité des finances nationales, pour inviter le Conseil du Trésor à revoir le cadre financier du Commissariat à l’intégrité du secteur public et à apporter les ajustements nécessaires au moyen du Budget supplémentaire des dépenses qui sera bientôt déposé.

Si les dossiers ne sont pas traités avec diligence, la confiance dans le système diminuera, ce qui mènera à une diminution des plaintes. Une fois qu’un dossier est clos, le plaignant et le ministère concerné en sont informés.

Pour ce qui est des statistiques, il y a aussi le nombre de cas d’actes répréhensibles déclarés au Parlement. Depuis son entrée en fonction, le Commissariat à l’intégrité du secteur public n’a cerné que 21 cas d’actes répréhensibles ou cas exigeant des mesures correctives.

Le commissariat a aussi comme rôle important d’aider les dénonciateurs qui ont fait l’objet de mesures de représailles par la suite.

Seulement neuf dossiers ont été renvoyés au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, qui est chargé de déterminer si des mesures de représailles ont eu lieu. Dans ces neuf cas, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas eu de mesures de représailles.

En résumé, de plus en plus de fonctionnaires font appel aux services du commissariat pour obtenir des conseils et présentent des plaintes qui doivent être traitées, dont il faut établir l’admissibilité et qui, le cas échéant, doivent faire l’objet d’une enquête. Jusqu’à présent, les ressources semblent plutôt inadéquates.

Les critiques exprimées depuis quelques années par diverses personnes ou études, dont un comité parlementaire, sont l’objet de mon troisième point.

Des lanceurs d’alerte qui ont utilisé le processus actuel ont fait état d’une absence de protection ou, à tout le moins, d’une protection insuffisante en matière de campagnes internes de dénigrement, de menaces sur leur lieu de travail ou à leur domicile, de procédures administratives internes afin de les punir mentalement, physiquement et financièrement, poussant certains jusqu’à la tentative de suicide. J’ai moi-même rencontré non seulement les gens du bureau de la commissaire, mais aussi des divulgateurs qui ont vécu des expériences tout à fait regrettables.

Tout cela a conduit à une perception selon laquelle les protections sont insuffisantes et entraînent une perte de confiance de la part de potentiels divulgateurs. Ces critiques émises par les divulgateurs ont été corroborées par différentes études.

En 2017, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes a examiné la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles et a entendu de nombreux témoins. Le rapport mentionnait les réussites et les difficultés de la loi; il établissait une comparaison avec d’autres lois à l’étranger et il recensait six grands défis et formulait quinze recommandations pour améliorer notre cadre juridique.

Parmi les recommandations formulées par ce comité parlementaire, j’ai noté celles qui suggèrent des amendements à la loi, dont les suivantes, que le projet de loi que nous étudions maintenant met à exécution en partie ou en totalité. Voici ces suggestions : clarifier et élargir la définition actuelle de l’expression « acte répréhensible »; élargir la définition du terme « supérieur »; abroger l’exigence concernant la bonne foi d’un divulgateur afin de déterminer si sa plainte est admissible; élargir le mandat du vérificateur général afin qu’il puisse traiter des plaintes contre le Commissariat à l’intégrité du secteur public, dans les cas de mauvais comportements adoptés par l’institution responsable d’enquêter sur les mauvais comportements; veiller à ce que la protection prévue dans la loi s’étende à toute personne ayant aidé un divulgateur et même à tout témoin; porter à 12 mois le délai prévu pour déposer une plainte pour mesure de représailles; permettre aux personnes victimes de représailles de s’adresser directement au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs; renverser le fardeau de la preuve en présumant de l’existence de représailles dans certaines circonstances, ce qui obligerait l’employeur à démontrer qu’il n’a pas exercé de représailles; enfin, faire une revue de la loi aux cinq ans.

Le rapport consensuel recommandait, entre autres, tous les points que je viens de mentionner, comme l’élargissement des définitions, le renforcement de la protection des divulgateurs, le renversement du fardeau de la preuve, les conseils juridiques aux divulgateurs, l’instauration du signalement obligatoire et l’octroi au Commissariat à l’intégrité du secteur public des responsabilités en matière de formation, d’éducation et de supervision du mécanisme de divulgation interne. Malheureusement, le gouvernement n’a rien fait.

En 2021, une étude conjointe du Government Accountability Project et de l’Association internationale du barreau a examiné une cinquantaine de lois sur la protection des lanceurs d’alerte et recensé 20 pratiques exemplaires dans le monde. Le Canada s’est classé au dernier rang. En fait, parmi les 20 pratiques exemplaires en matière de transparence et d’examen, une seule est présente dans la loi canadienne. À titre de comparaison, la directive de l’Union européenne satisfait à 16 de ces 20 critères; la loi de l’Irlande, à 15; la loi de la France, à 7; et les lois du Royaume-Uni, de la Belgique et de l’Italie, à 4. Le Canada, lui, ne satisfait qu’à un seul critère.

Je passe maintenant à la quatrième et dernière partie de mon exposé, qui porte sur le contenu du projet de loi.

Le contenu du projet de loi qui nous est soumis répond à plusieurs recommandations du rapport de 2017 du comité de la Chambre des communes et propose d’adapter la loi à des enjeux nouveaux.

Je rends hommage au député Jean-Denis Garon, qui a fait le travail que le gouvernement hésitait à entreprendre, et ce, malgré le rapport unanime d’un comité de la Chambre des communes. Il a fallu un député de l’opposition dans un Parlement minoritaire pour que ces modifications voient le jour. De plus, il faudra notre revue et notre conclusion à l’étape de la troisième lecture pour que ce projet de loi mérite d’aller à Rideau Hall et devienne une loi. Je vous inviterais à faire cela à la fin de mon discours.

Comme je l’ai mentionné, le projet de loi C-290 propose de remédier aux lacunes de la loi en vigueur en élargissant les définitions. Le projet de loi vise également à supprimer les obstacles qui découragent actuellement les dénonciateurs, tels que la crainte de représailles et le rejet des plaintes fondées sur les motifs personnels du plaignant en raison de l’exigence concernant la bonne foi, qui est un concept subjectif.

Le projet de loi prévoit la création d’un mécanisme permettant aux fonctionnaires de signaler des actes répréhensibles tout en conservant l’anonymat. Le dénonciateur serait alors mieux protégé contre les représailles, telles que le licenciement ou la rétrogradation. Même les entreprises privées qui reçoivent des contrats gouvernementaux pourraient être couvertes et protégées contre le non-renouvellement de leur contrat parce qu’elles ont divulgué des actes répréhensibles.

Permettez-moi de décrire ces propositions plus en détail.

La définition d’un « acte répréhensible » serait élargie de deux manières. Premièrement, le mot « graves » serait enlevé dans l’expression « cas graves de mauvaise gestion ». Cela abaisserait le seuil et supprimerait une étude devant être réalisée à la phase de détermination de l’admissibilité où il faut déterminer si la gestion est mauvaise au point d’être qualifiée de « grave ».

Deuxièmement, le projet de loi inclura de nouvelles formes d’actes répréhensibles, tels que les abus de pouvoir de même que l’ingérence politique et étrangère.

Le projet de loi C-290 élargira également la définition du supérieur à qui le dénonciateur doit faire son signalement de sorte que les fonctionnaires puissent faire une divulgation protégée à n’importe quel supérieur au sein de leur organisation. Ainsi, les fonctionnaires pourraient divulguer des actes répréhensibles à tout supérieur de confiance, jusqu’au sous-ministre. Les fonctionnaires hésiteront moins à soulever des préoccupations s’ils savent qu’ils peuvent s’adresser à une personne à qui ils font confiance, autre que leur supérieur immédiat.

Le projet de loi définirait par ailleurs ce qui constitue des représailles. Je vais vous faire l’énumération : sanction disciplinaire; rétrogradation; licenciement; toute mesure portant atteinte à l’emploi ou aux conditions de travail, notamment, sans s’y limiter, assignation ou mutation obligatoire du fonctionnaire; toute forme de réprimande; toute forme de discrimination; le fait de lui infliger un trouble émotionnel; tout acte ou toute omission lui causant une blessure psychologique; toute menace à cet égard.

En outre, le projet de loi C-290 prolongera le délai pour déposer une plainte concernant des représailles en le faisant passer de 60 jours, comme le prévoit la loi actuelle, à un an. Cette prolongation du délai permettra aux victimes d’évaluer pleinement leur situation, de consulter, puis de déposer une plainte.

Ce projet de loi augmenterait considérablement les amendes en cas de représailles. Certaines de ces amendes passeraient de 2 000 $ à 10 000 $ et de 5 000 $ à 100 000 $. Le projet de loi pourrait avoir de graves conséquences en cas d’atteinte à la vie privée. Ces modifications auraient un effet dissuasif important sur les acteurs malveillants potentiels qui seraient tentés de faire taire les dénonciateurs ou de les punir pour avoir parlé.

Le projet de loi prévoit un nouveau recours permettant d’indemniser un dénonciateur victime de représailles ou qui en subit les conséquences. De plus, en imposant aux supérieurs hiérarchiques l’obligation de protéger et de soutenir les fonctionnaires qui font une divulgation, les dénonciateurs pourraient se sentir plus confiants qu’ils ne le sont actuellement quand ils dénoncent des actes répréhensibles.

En outre, si une personne dépose une plainte au sujet de représailles et si, après une enquête, le commissaire est d’avis que la demande au tribunal n’est pas justifiée, ce plaignant aura le droit de présenter une demande directement au tribunal. Dans un tel cas, on passerait outre le commissaire. Le tribunal devrait alors décider si la plainte est valide et, si elle est jugée valide, il devrait décider de la solution appropriée.

Le projet de loi élargirait également le mandat de la vérificatrice générale du Canada afin d’inclure la réception de divulgations d’actes répréhensibles et de représailles mettant en cause le Commissariat à l’intégrité du secteur public. Il s’agit d’une autre des propositions dont j’ai parlé plus tôt.

Enfin, ce projet de loi prévoit tous les cinq ans la tenue d’un examen parlementaire qui permettrait de suggérer des améliorations et de s’ajuster à un contexte en constante évolution.

En conclusion, ce projet de loi propose de nombreuses améliorations, mais il faut aussi se rappeler ce que de nombreux experts répètent, soit que même avec les plus belles intentions du monde et la loi la plus aboutie qui soit — ce qui n’est pas le cas de notre loi —, le facteur déterminant reste la culture. Ainsi, pour que les règles soient appliquées, il faut qu’elles soient comprises et appropriées.

Cependant, il est aussi indispensable de développer des cultures organisationnelles qui valorisent la divulgation d’actes répréhensibles. Bref, il faut adopter des pratiques exemplaires en vue de changer la culture de divulgation existante, qui est la « crainte de représailles ».

En ce sens, je crois que nous faisons des progrès en raison du nombre exponentiel de plaintes. Personne ne devrait risquer sa carrière, voire sa santé pour avoir dénoncé des actes ou des comportements illégaux.

D’anciens hauts fonctionnaires siègent dans notre Chambre et ils témoignent du mérite de l’excellence de la fonction publique canadienne.

Au Parlement et dans notre société, nous ne devons jamais tenir pour acquise notre fonction publique de premier ordre, qui fait l’envie du monde; cela implique de traiter les dénonciateurs légitimes avec dignité et justice.

Avec ce projet de loi, on propose non pas de révolutionner la législation actuelle, mais bien de l’améliorer et de faire en sorte que nous pourrons respecter plus d’un critère parmi les vingtaines de critères reconnus internationalement.

Je pense que c’est un pas dans la bonne direction et, par conséquent, j’invite tous ceux qui sont intéressés par le sujet à prendre la parole dans les semaines qui viennent. J’espère qu’on appuiera le projet de loi et qu’on le renverra rapidement à un comité pour qu’il soit revu et étudié, puis qu’il revienne au Sénat pour qu’on l’envoie finalement à Rideau Hall, pour qu’on accomplisse enfin ce qui n’a pas été fait depuis 2017, soit de donner suite à des recommandations importantes.

Merci de m’avoir écouté. Meegwetch.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Est-ce que vous accepteriez de répondre à une question, sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Bien sûr.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis plutôt d’accord avec ce projet de loi, en ce sens où les lanceurs d’alerte sont très importants pour notre démocratie. Je me demande comment on a mesuré l’équilibre nécessaire dans ce projet de loi. Vous avez dit qu’on avait réduit le fardeau de la preuve et qu’on avait transformé par exemple l’expression gross negligence par negligence; ce ne sont peut-être pas exactement ces mots. Vous dites qu’il y a déjà une hausse pour ce qui est des plaintes. En réduisant le fardeau de la preuve, ne risque-t-on pas d’être inondés de plaintes qui pourraient parfois être frivoles? On le sait, il y a parfois des plaintes qui sont des vengeances et toutes sortes d’autres choses. Comment séparer tout cela?

J’imagine qu’il n’y a pas de réponse simple, mais j’imagine qu’on a réfléchi à cet équilibre nécessaire.

Le sénateur Dalphond : C’est une excellente question. J’ai posé la même question ce matin à la commissaire qui témoignait devant le Comité des finances nationales, et je lui ai demandé si elle craignait que l’adoption de ce projet de loi ne provoque un déluge de plaintes. Elle a répondu qu’elle avait déjà besoin de fonds supplémentaires et que si le projet de loi était adopté, il faudrait prévoir plus de crédits, puisqu’elle anticipe davantage de plaintes.

Est-ce qu’elle anticipe un déluge de plaintes? Non. Elle a exprimé son soutien au projet de loi et elle souhaite qu’il soit adopté. Cependant, il faudra lui donner les ressources nécessaires pour faire son travail. Il est sûr qu’avoir le concept d’un fonctionnaire qui dénonce de bonne foi, cela laisse entendre que si c’est par vengeance, on n’accepte pas sa plainte, mais il se peut que même par vengeance, il dénonce une pratique grossière qui contrevient à l’intérêt public et mérite d’être dénoncée. Essayer de mettre en doute ses motifs n’est peut-être pas la bonne approche. Il faut revoir l’entente et enquêter, et s’il s’avère que les faits rapportés sont répréhensibles au sens de la loi, il faut les examiner, peu importe la motivation qui a mené ce fonctionnaire qui a fermé les yeux et qui devient éventuellement un chevalier blanc. Alors, tant mieux s’il dénonce des pratiques auxquelles on doit mettre fin.

La loi contient des dispositions permettant au commissaire non pas de traiter les plaintes, mais de les renvoyer à d’autres organismes qui seront peut-être mieux équipés pour s’en occuper. On peut penser à un fonctionnaire syndiqué qui dénonce une forme de harcèlement psychologique de la part de ses supérieurs parce qu’il a dénoncé, que personne n’a agi et qu’il endure la situation. Peut-être que, dans certains cas, on peut lui demander de déposer un grief; son syndicat pourrait alors s’en occuper et tout pourrait aller plus vite, car la machine est équipée pour faire ce genre de choses. Il peut s’agir d’autres cas qui seront présentés par la Commission des droits de la personne. La commission a la capacité de référer les dossiers, même à la police, dans les cas les plus graves. Après avoir filtré les informations, la commission transférerait le cas à la police, comme dans le cas de ce directeur des communications qui avait un beau ranch, beaucoup de chevaux et beaucoup de belles propriétés et qui semblait être récompensé par les gens à qui il attribuait des contrats.

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Sénateur Dalphond, je dois dire d’emblée que ce projet de loi porte sur une question qui m’intéresse grandement, et j’aimerais souligner que le Protecteur du citoyen du Québec a maintenant une expérience et une expertise extrêmement importantes, puisqu’il est officiellement l’institution de l’Assemblée nationale qui gère la loi québécoise sur les lanceurs d’alerte. Cette question d’équilibre soulevée par notre collègue la sénatrice Miville-Dechêne est extrêmement importante, parce qu’on voit aussi que, pour des raisons parfois très orientées et très biaisées, des plaintes sont parfois formulées sans qu’il y ait de fondements réels.

Ma question porte surtout sur cette expérience québécoise. Est-ce que les consultations qui ont été faites jusqu’à maintenant ont permis de tenir compte de la loi québécoise et de l’expertise acquise depuis deux ans? Comptez-vous le Protecteur du citoyen du Québec parmi les témoins qui seront entendus par le comité?

Le sénateur Dalphond : La base de ce projet de loi est essentiellement le rapport de 2017 du comité de la Chambre des communes. Depuis 2017, il s’est quand même écoulé pratiquement sept ans. Je crois que votre suggestion est une très bonne idée. Si le projet de loi se rend au comité, ce sera sans doute l’un des témoins que je vais suggérer au comité directeur d’inviter. On oublie souvent qu’il y a beaucoup d’expériences intéressantes au Québec, mais parce que cela se passe dans une autre langue, on ne l’a pas noté sur le radar. C’est une bonne suggestion et je m’engage à suggérer que l’on convoque le détenteur actuel du poste. S’il n’est pas disponible, on vous demandera de témoigner.

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