L’honorable Michèle Audette propose que le projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation, soit lu pour la deuxième fois.
[Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu.]— Honorables sénateurs et sénatrices, j’interviens pour la première fois en 12 mois en tant que sénatrice pour vous parler du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
C’est une semaine lourde pour les femmes autochtones, c’est une semaine remplie d’émotions, mais également remplie d’histoire. Voilà pourquoi je trouve important que ce projet de loi puisse obtenir l’appui de mes collègues. Il s’agit d’une étape importante pour beaucoup d’entre nous partout au Canada, non seulement pour faire avancer la réconciliation, mais surtout pour renforcer le tissu social, ici au pays.
C’est aussi l’aboutissement de nombreuses années de mobilisation pour toutes sortes de gens, de groupes, d’experts, de penseurs, de philosophes, de survivants et de survivantes, pour nos gardiens du savoir et, bien sûr, pour nos communautés. Nous réclamons depuis longtemps une plus grande responsabilité; ce n’est pas nouveau. Nous réclamons aussi une plus grande responsabilité pour tous, ce qui m’inclut également. J’ai ce rôle et cette responsabilité.
À mes yeux et dans mon cœur, ce projet de loi est plus que nécessaire; c’est un pas vers la guérison et la réparation. Il nous amène à être en action; cela est important, car c’est plus que de simples mots. C’est surtout pour honorer tous ceux et celles qui sont venus parler et partager leur vérité durant les audiences de la Commission de vérité et réconciliation. C’est aussi pour les familles qui sont encore là ou qui ne le sont plus, et entre autres, pour les petits êtres de lumière qui sont partis trop tôt.
Si le projet de loi C-29 est adopté, le Conseil national de réconciliation fera le suivi des progrès à long terme, il les évaluera, ce qui est très important, et il fera rapport sur la mise en œuvre des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
Cela est vraiment important.
Il répondra également à l’appel à l’action no 53 visant à créer ce conseil. Je pense qu’il est très important qu’il réponde aussi aux appels nos 54, 55 et 56, qui traitent du financement, des responsabilités et des accords de transparence conclus entre le gouvernement et le conseil.
Il y a des vérités difficiles à entendre, mais il est important pour nous de continuer à les faire connaître; nous avons ce devoir.
Vous le savez, chers collègues, les premiers peuples, avant les premiers contacts avec les Européens, formaient une société souveraine possédant ses propres systèmes de gouvernance. Nous vivions selon des règles de réciprocité, d’interdépendance, et de respect avec le territoire et ce qu’il nous offre. Déjà à cette époque, cela représentait la diversité au sein des premiers peuples. Je le dis et je le répète, nos ancêtres ont accueilli ceux qu’on appelle les grands explorateurs. Nous avons partagé avec eux notre savoir, nos sciences, notre médecine et notre façon de vivre sur le territoire, mais aussi de survivre.
Les choses ont changé lorsque l’appât du gain a pris le dessus sur les relations qui existaient entre nos nations. Nous sommes passés d’une alliance économique et militaire à un statut de problèmes d’Indiens. On apprend cela plus tard, lorsqu’on devient autodidacte de notre histoire. Ce que je sais aussi, c’est que nous sommes passés de peuples accueillants, chaleureux et forts à des peuples païens, sauvages, inférieurs, fainéants et paresseux; la liste est longue.
Comme tant d’autres, je suis le fruit du système des pensionnats autochtones. En effet, ma mère, Evelyne, est survivante des pensionnats autochtones. Certains de mes collègues ici, au Sénat, sont aussi des survivants de ces pensionnats. Ces pensionnats font partie de l’histoire de ma mère, de ma tante, de mes oncles et de ma belle-mère. Ils font également partie de l’histoire de mes chers collègues autochtones. D’ailleurs, ne font-ils pas partie de notre histoire à tous?
Pendant toute mon enfance, dans mon beau Mani-Utenam, sur la belle Côte-Nord, près de Sept-Îles, j’ai normalisé les effets de la violence coloniale. Longtemps, j’ai pensé que c’était cela, notre vie, les effets des politiques destructives; c’était cela, au quotidien, qui ébranlait mes cinq sens. Savez-vous pourquoi je pensais que c’était comme cela? Parce que je ne savais pas d’où venait cette violence, cette façon d’être ou ce mal-être; je ne le savais pas. Pourtant, en vieillissant, on finit par comprendre que nous avons tous ce même petit fil qui nous relie. Puis, l’effet domino s’enclenche et on réalise qu’on nous arrache notre identité, notre langue — mon innu‑aimun —, notre relation avec le territoire et surtout, notre dignité.
Un Atikamekw a écrit un livre; il est aussi un ancien pensionnaire. Je vais citer l’introduction de son livre, qui s’intitule Je reviens :
Mon histoire est votre histoire, nous n’avons pas à avoir honte. Nos enfants et nos petits enfants ont le droit de savoir. Enlevés de notre milieu familial, déracinés de notre culture et de nos traditions, nous avons cru que nous avions tout perdu de nos origines, si bien, que nous avons cru que ces pertes étaient profondément ancrées dans nos cœurs.
Les non-Autochtones n’ont jamais su la véritable histoire des pensionnats. Ceux qui l’ont connue n’ont jamais osé en parler.
Puis un jour, il y a eu des anciens qui ont eu assez de courage et de bravoure pour faire les dévoilements et des dénonciations pour que tout le monde sache. Je salue ceux qui ont voulu parler et pour cela, je vous remercie infiniment.
La vérité sera notre guérison.
Vous comprendrez donc que la vérité est une guérison pour moi aussi, et comprendre le passé des peuples autochtones est une guérison.
Comment changer mon sentiment de rage et de honte? Comment arrêter de normaliser ce que nous entendons dire sur nous, soit que nous sommes des « sauvages », des êtres inférieurs, des fainéants ou des paresseux? À un moment donné, la façon pour moi d’arrêter de faire cela a été de frayer mon portage douloureux de la dévictimisation vers la reconstruction. J’ai dû comprendre, me réapproprier mon histoire, l’histoire des peuples autochtones, mais surtout comprendre les causes systémiques de toute cette histoire.
Ce n’est pas à l’école qu’on me l’a enseigné; je l’ai compris par l’écoute, la lecture et les rapports des commissions d’enquête. D’ailleurs, j’ai appris, en lisant un rapport de la Commission Bagot paru en 1844, que l’on croyait alors que si l’on séparait les enfants autochtones de leurs parents, on allait assurer leur assimilation.
Plus tard, alors que j’étais présidente de Femmes autochtones du Québec, j’ai appris l’existence de l’Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages de 1857. On parle de nous, qui avons un savoir millénaire, et pourtant, on voulait nous assimiler graduellement, comme si nous étions incapables de faire quoi que ce soit… Cela fait mal et cela devient lourd à porter.
Plus tard, toujours grâce à cette façon d’apprendre, j’ai su qu’en 1867, le gouvernement fédéral avait assumé le contrôle des Premières Nations, et cette autorité s’étendait aussi à l’éducation des Indiens.
Tout cela est devenu officiel en 1883, quand le premier ministre John A. Macdonald a mis en place les pensionnats pour Autochtones pour régler la question des Indiens et, ainsi, « tuer l’Indien au cœur de l’enfant ».
Plus de 150 000 enfants ont été amenés de force dans ces lieux. Vous l’avez vu et entendu : nos ancêtres ont été amenés de force dans ces pensionnats, dans des lieux maudits, comme certains vont le dire, où des sévices ont été exercés sur leurs âmes, leur corps et leur façon d’être, des lieux où on était puni si on parlait nos langues vernaculaires, nos si belles langues.
Aujourd’hui, à 51 ans, comme bien d’autres personnes, je dois réapprendre notre langue.
Pourtant, en 1922, le Dr Peter Henderson Bryce a publié The Story of a National Crime, un livre exposant la négligence dont les élèves étaient victimes. J’aurais aimé savoir cela à un plus jeune âge dans mon processus. J’aurais voulu comprendre pourquoi de petits êtres de lumière ne reviendront jamais dans nos territoires, parce qu’ils ont été des cobayes pour la recherche, qu’ils sont morts de faim ou ont subi des sévices physiques, sexuels et psychologiques qui les ont fait partir trop tôt.
En même temps, ma grand-mère, ma petite nukum, m’a expliqué aussi le souvenir qu’elle garde, comme bien d’autres femmes et hommes de cette époque, et m’a dit à quel point tout cela a laissé des silences dans nos communautés. Cela a fait sombrer les aînés et les parents dans la noirceur de l’abysse et cela a brisé le lien parental; cela a brisé nos valeurs en effritant nos valeurs familiales, cela a brisé et anéanti notre relation et notre réciprocité, l’interdépendance qui existe entre une mère et ses enfants et celle qui existe entre une communauté et ses enfants, mais aussi entre parents. Tout cela est venu briser plein de choses.
Maintenant, je commence à comprendre. On a vu aussi, il y a quelques lunes de cela l’année dernière, que cela a frappé l’imaginaire de tout le monde quand on a su que de petits êtres de lumière se trouvaient dans des tombes non marquées. On a réagi, mais pour plusieurs d’entre nous, c’était quelque chose que nous avions déjà exprimé et expliqué.
Heureusement, les communautés ont fait un travail incroyable. Oui, ce travail les a fait souffrir, mais il était important de parler de la localisation et de la commémoration de ces petits êtres de lumière qui nous ont quittés pendant la période des pensionnats.
Aussi dévastatrices et difficiles ces réalités soient-elles, elles font partie de l’histoire du Canada. Nous ne pouvons pas défaire le passé, mais nous devons utiliser ces vérités pour réparer et pour faire mieux ici et maintenant, et surtout demain.
Je sais que je n’ai pas à vous convaincre de ce pan noir de l’histoire du Canada, car vous avez fait certaines choses. Rappelons-nous aussi pourquoi il est important que je vous le dise, parce qu’il y a plusieurs personnes ici, à l’autre Chambre, à d’autres endroits et dans d’autres espaces, partout au Canada et même partout sur Terre, qui viennent de ces territoires et qui se lèvent aujourd’hui, qui sont debout et qui sont les pédagogues qui nous rappellent cette histoire importante.
Tous les jours, je porte aussi dans mon cœur, comme beaucoup d’entre nous, les personnes courageuses qui sont encore vivantes; elles sont fortes, elles sont résilientes, elles ont souffert et elles continuent de souffrir. Elles nous transmettent leurs langues, leurs savoirs, leurs cérémonies, leur spiritualité et leurs connaissances. Je leur dis merci.
Les chemins de la guérison, il n’y en a pas qu’un seul; ils sont multiples, et il faut respecter ces différences et avancer au rythme de chaque personne. Ce n’est pas une solution unique qui va tout régler, mais plusieurs. Ensemble, nous pourrons en faire plus, c’est sûr.
Chers collègues, j’aimerais partager avec vous le pourquoi et le comment de ce projet de loi, qui est arrivé en juin dernier à l’autre endroit. Il y a un beau portage, quand même, et je le trouve important.
En 2019, on a créé un conseil intérimaire composé de six personnes issues des premiers peuples, soit les Métis, les Inuits et les Premières Nations. Dans ce groupe de personnes, il y a aussi un ancien commissaire, Wilton Littlechild.
On leur a donné le mandat de réfléchir, de proposer des recommandations pour ce Conseil national de réconciliation, de le nommer, d’orienter sa vision, sa mission, son mandat, sa structure et son financement et d’établir un cadre législatif de consultation qui pourrait servir de base dans les réflexions.
En plus de ce qu’ils ont fait, ils ont voyagé virtuellement dans plusieurs pays, depuis 1973 jusqu’à tout récemment, pour répertorier une trentaine de commissions de vérité et réconciliation. Ils sont allés voir ce qui se fait ailleurs. Ils sont allés voir ailleurs ce qui existe une fois que l’on termine un exercice comme celui-ci et quel type d’entité fait ce travail de reddition de comptes.
J’attire votre attention sur le fait que plusieurs entités ont été créées pour donner suite aux recommandations de ces commissions. Ces entités ont fourni divers modèles servant à les guider. Lorsqu’ils ont déposé leur rapport, ils ont même ajouté une recommandation; nous avons donc eu un mandat avec un début et une fin. Étant donné qu’on ne veut pas perdre le momentum, nous proposons d’établir un comité de transition pour s’assurer que la question reste au calendrier et à l’agenda politique et pour ne plus que cela fasse — et je le dis dans mes mots : « Pouf, on n’en entend plus parler. »
En décembre prochain, ce comité de transition verra le jour et examinera le projet de loi ou le cadre législatif, le modèle. Il consultera des gens du milieu académique : nos experts et expertes autochtones qui travaillent dans les universités, qui sont des avocats, des penseurs, des visionnaires, hommes et femmes, dans différentes régions — il y a même des artistes —, pour être sûr de faire la bonne chose de la bonne manière.
Le comité de transition proposera des recommandations, mais exercera aussi une pression pour que le projet de loi voie le jour. Pourquoi? Parce qu’il y a beaucoup de gens qui, de leur vivant, aimeraient voir à quoi cela pourrait ressembler et comment évoluera ce conseil de la réconciliation.
Je remercie tous ceux et celles qui ont participé aux travaux depuis le début. Vous avez exercé un leadership important; je pense au conseil provisoire et au comité de transition. Vous avez joué un rôle important et, pour ce processus, je vous remercie.
Le 22 juin dernier, à l’autre endroit, le projet de loi C-29 a été déposé. Ensuite, pendant l’automne, il a passé l’étape de la deuxième lecture et a été renvoyé au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes le 6 octobre. Le comité a entendu 32 témoins : des individus, des organisations, des chefs, des hommes et des femmes lui ont formulé des recommandations en vue d’améliorer ce projet de loi. Un bon nombre de changements ont été apportés; on peut les voir aujourd’hui dans le contenu de cette version du projet de loi.
Honorables sénateurs et sénatrices, le projet de loi propose une structure formelle. Il s’agit d’un élément essentiel pour réaliser des progrès durables et, surtout, pour ancrer les progrès qui doivent être faits, au quotidien et à long terme, dans une culture organisationnelle, qu’elle soit politique ou gouvernementale, à travers ce grand pays.
Imaginez la situation si nous avions mis sur pied ce genre de mécanisme lorsqu’on a vécu l’expérience et l’implication de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996. Imaginez-le. J’étais là, moi; j’étais témoin avec mon premier fils. On pourrait faire état aujourd’hui de sa mise à œuvre 1 an, 5 ans, 10 ans, 20 ans et 30 ans plus tard.
Voilà pourquoi il est important de mettre sur pied les mécanismes nécessaires pour assurer la mise en œuvre des appels à l’action. Pour moi, c’est fondamental, afin d’améliorer, bien sûr, le mieux-être des premiers peuples, mais aussi pour rebâtir nos relations. On ne se connaît pas assez. Il y a des fossés qui existent; ils sont là et on doit rebâtir les relations parce qu’elles sont importantes.
Il faut également une reddition de comptes, et pas seulement entre nous. Il y a beaucoup de Canadiens et de Canadiennes, de Québécois et de Québécoises qui sont plus informés, mieux informés et conscientisés à nos défis, aux défis des premiers peuples. Ils méritent cela eux aussi.
J’aimerais aussi vous présenter les objectifs et les principes du projet de loi proposé. On parle de créer ce conseil, mais c’est aussi dans un espace d’organisme indépendant, apolitique, permanent et dirigé par des Autochtones.
Ce projet de loi servira aussi de cadre juridique pour le Conseil national de réconciliation. Il servira également à définir les fonctions du conseil, y compris lorsqu’il s’agit de faire le suivi des progrès sur la réconciliation et de rendre compte annuellement au Parlement et aux Canadiens et Canadiennes.
Le projet de loi servira en outre à énoncer les obligations du gouvernement fédéral pour aider le conseil à réaliser sa mission. Il vise à établir la marche à suivre pour la constitution du conseil, par exemple, pour les premiers administrateurs et administratrices, les statuts constitutifs, le rôle et les fonctions du conseil, ainsi que les obligations du conseil d’administration.
Tout cela est important, surtout d’où je viens, moi. Il faut s’assurer que, dans ce conseil d’administration, il y ait des Inuits, des membres des Premières Nations, des Métis, des aînés, des survivants et survivantes des pensionnats et leurs descendants — des gens qui ont vécu les effets des politiques discriminatoires —, des organisations autochtones; des jeunes et moins jeunes, femmes, hommes, personnes de diverses identités de genre et issus des différentes régions du Canada, y compris les régions urbaines, rurales et éloignées. Dans celles-ci, il y a des nations au Québec où les missionnaires parlaient français. On nous a imposé le français ou on a accueilli le français; aujourd’hui, on parle français, comme plusieurs nations au Québec. Dans le projet de loi, on devra aussi s’assurer que ceux et celles qui parlent le français comme première ou deuxième langue aient leur petite place dans cette grande famille.
Chers collègues, les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada constituent une voie à suivre. Ils présentent une feuille de route pour tous les ordres de gouvernement, pour la société civile, pour les établissements d’enseignement et du milieu de la santé, et pour le secteur privé.
Comme le dit si bien Mme Edith Cloutier, qui a témoigné au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit, et je cite :
[…] la réconciliation exige des efforts collectifs et soutenus dans le temps, mais aussi la volonté de s’aventurer sur des sentiers inexplorés pour travailler ensemble. Il faut faire preuve d’innovation pour faire progresser la réconciliation, et cela repose sur la confiance et la complémentarité des personnes qui souhaitent participer à cette grande réconciliation.
Entre parenthèses, cette femme représente plusieurs réalités. Elle est Anishinabe, femme, urbaine et francophone.
Mme Cloutier poursuit son témoignage comme suit, et je cite :
La diversité est représentée ici, puisque nous sommes autant d’hommes que de femmes. Nous devons avoir confiance que nous aurons la capacité, la possibilité, la volonté et l’innovation nécessaires pour choisir un conseil d’administration représentatif des peuples autochtones du Canada.
J’ai trouvé ce témoignage beau et je devais le partager avec vous.
Cette initiative est importante et demande l’engagement de tout le monde. Il est sûr qu’on a le droit de dire « non ». On a le droit de se proposer ou d’être seulement témoin et de regarder les choses passer. Je suis la marraine de ce projet de loi, et il y a des raisons derrière cela; ce projet de loi m’amène moi aussi à m’engager à l’égard de mon passé, de notre passé. Cela m’amène aussi à m’engager pour le présent, mais surtout pour construire des choses ensemble. C’est ce qui m’emballe; il faut co-construire des choses.
Nous sommes des milliers de personnes à participer au processus de décolonisation. Permettez-moi de vous dire un petit secret : j’invente beaucoup de mots en français. Pour moi, en tant qu’Innue — et je déborde de créativité —, je m’amène souvent à dire qu’il faut « innu-i-ser » au lieu de décoloniser. Mes enfants sont aussi Wendat; peut-être qu’ils diraient : « Il faut “wendatiser”, maman », au lieu de dire « décoloniser ». Il faut faire en sorte que, pour moi, cela m’amène à « innu-i-ser » un espace, pour comprendre la véritable histoire du Canada et celle des peuples autochtones. Il y a de belles choses aussi qui méritent d’être connues.
Chaque jour, sur Facebook, Twitter — je n’ai pas de compte TikTok, mais je sais que cela existe autour de moi —, on voit dans les réseaux sociaux, dans nos relations amicales et professionnelles, la beauté des nations partout au Canada, la célébration des langues autochtones. On le voit. On voit beaucoup de jeunes qui nous rappellent que nous sommes beaux, belles, fières et fiers de nous et que nous devons honorer cela.
Je le sens, le vent de changement. Il était peut-être là auparavant, mais je le sens davantage; je sais qu’il est là. Merci au sacrifice de mes parents, de nos ancêtres, et merci de leur force. Merci beaucoup. Merci aussi, car, grâce à vous, chers collègues, avant que j’arrive ici, je vous écoutais, je regardais, je lisais, et j’ai vu qu’il y avait des gens ici qui avaient le cœur, les yeux et les oreilles ouverts, prêts à accueillir nos vérités. C’était alors moins stressant de devenir sénatrice.
J’ai entendu aussi souvent, dans cette Chambre, qu’on a une responsabilité collective. Les institutions ont, elles aussi, une responsabilité.
Il est important de surveiller continuellement la mise en œuvre de chaque appel à l’action afin de déterminer les changements structurels significatifs nécessaires pour améliorer la vie des personnes — ou, je devrais dire, la vie des personnes autochtones. La Commission de vérité et réconciliation souligne que l’éducation est fondamentale pour sensibiliser les gens à ce qui doit se produire en vue de parvenir à une véritable réconciliation.
Je suis tout à fait d’accord avec cela. L’éducation joue un premier rôle de plan pour enrayer l’ignorance et les biais inconscients par rapport à ce qui se passe entre nous sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Il y a de plus en plus d’institutions d’enseignement qui intègrent ces questions dans les programmes d’études, qui tiennent compte de l’histoire ou des histoires, des réalités et des enjeux contemporains des premiers peuples. Cela a donc un effet direct, parce que les professeurs, les infirmiers et infirmières, les professionnels des divers domaines sont mieux outillés, mieux formés et mieux informés.
Par conséquent, quand nous, sénateurs autochtones, arrivons ici, nous sommes moins sollicités par des demandes d’aide. La prochaine génération aura beaucoup d’information. Je dis merci à toutes ces institutions qui font ce travail d’enseignement. On verra de plus en plus de maisons d’édition faire des pas importants et nous donner cet espace. On pourrait aussi en encourager certaines à emboîter le pas en intégrant l’histoire des premiers peuples, par et pour les premiers peuples, dans des livres éducatifs, afin que cela ne repose pas seulement sur la volonté d’un professeur ou d’une faculté, mais que cela fasse partie de la culture organisationnelle.
On sait aussi que les municipalités, de concert avec les communautés, pourraient faire de belles choses, si ce n’est pas déjà le cas, et fournir un espace où l’on pourrait se dire les vraies choses, pour que nous puissions cohabiter et faire des choses ensemble.
Imaginez les survivants et les survivantes qui, chaque année, écouteront le gouvernement. Ils pourront entendre ce qui se passe de la bouche même de celui-ci : ce qui ne se fait pas, ce qui fonctionne, ce qui est plus difficile. Quand on sait pourquoi les choses n’ont pas progressé et qu’on nous dit la vérité, quand on nous explique pourquoi les choses n’ont pas progressé, nous sommes capables de comprendre. Par contre, quand on ne nous dit pas la vérité, c’est sûr que nous allons nous lever. Ici, je sens que cela nous permettra d’organiser tout cela.
Pour tous ceux et celles qui veulent comprendre, comme moi. J’ai besoin de comprendre, pas parce que je suis sénatrice, mais avant tout je suis une maman, une amoureuse, une kukum — une grand‑mère. Je suis aussi la fille d’Évelyne et j’ai besoin de comprendre. Le gouvernement va créer des commissions importantes. Elles nous permettront d’écrire de nouveaux chapitres, mais on ne prévoit pas de mécanisme de reddition de comptes. On vote pour créer des commissions, mais il faudrait qu’elles soient attachées à cette culture, à cette reddition de comptes. Que faire ensuite?
Pour moi, le projet de loi C-29 nous donne l’occasion de poser le premier montant du shaputuan — la grande tente des Innus — ou de faire un pas vers notre responsabilité collective. Vous vous souviendrez que j’ai mentionné dans mon discours inaugural que j’aimais beaucoup perler. J’ai réalisé qu’au Sénat, ce sera plus difficile de perler, parce qu’on y travaille fort. Cependant, il arrive parfois que je puisse prendre quelques minutes pour le faire.
Je vous demande de vous rappeler ce que je vous ai dit : par moments, je déposerai des perles sur votre chemin. Si vous êtes en mesure de les rassembler et de les prendre pour que l’on crée ensemble un projet de société juste et équitable, où chaque personne sera valorisée dans sa diversité, sa langue, sa culture, ses valeurs et son histoire, eh bien, je dépose plein de petites perles pour vous.
Honorables sénateurs et sénatrices, c’était pour moi une première expérience. Je vous remercie de m’avoir écoutée, d’avoir accueilli certaines de mes vérités ou les vérités de ceux et celles que je porte dans mon cœur. Vos questions, vos commentaires et le chemin que ce projet de loi prendra, je suis convaincue que ce sera dans le but de l’améliorer. Merci beaucoup.
Des voix : Bravo!