L’honorable Danièle Henkel : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole pour appuyer le projet de loi S-227, présenté par mon collègue et ami le sénateur Al Zaibak, qui vise à instituer le mois d’avril comme Mois du patrimoine arabe au Canada. Avec cette initiative, nous rendons hommage à une communauté et nous reconnaissons officiellement son apport. En fait, il s’agit surtout d’un appel que nous envoyons à la cohésion sociale, à la prospérité et à la justice.
Les premiers pionniers arabes ont foulé le sol canadien en 1882. Ils venaient principalement du Levant, et leur migration était souvent attribuable à l’instabilité et à l’incertitude. Bien qu’ils soient arrivés avec peu de ressources matérielles, ce qu’ils ont apporté était inestimable : une richesse immatérielle, une foi profonde dans le travail, l’honneur et la solidarité.
Ils ont transmis ces valeurs à leurs enfants, puis aux générations suivantes. Cent quarante ans plus tard, cet esprit communautaire reste vivant, il continue d’éclairer le parcours de presque un million de Canadiens d’origine arabe qui, dans chaque province et dans chaque ville, contribuent à bâtir le pays. La famille est au cœur de cet héritage; elle est le socle sur lequel s’érige la résilience collective et le noyau autour duquel s’organise la solidarité. Dans les familles arabes, on apprend très tôt la loyauté, l’entraide et le respect de la dignité humaine. Ces leçons transmises de génération en génération deviennent autant de piliers qui renforcent le tissu social canadien.
Il serait simpliste de parler du patrimoine arabe uniquement en termes de traditions culturelles. Ce patrimoine se reflète chaque jour dans des contributions concrètes qui rendent le Canada moderne plus fort.
Au chapitre de l’économie, on estime que plus de 120 000 entreprises au Canada appartiennent à des entrepreneurs d’origine arabe. Derrière ces chiffres, il y a de vraies personnes dont l’histoire est inspirante et qui œuvrent dans toute une gamme de secteurs, comme ceux des technologies numériques, des produits pharmaceutiques, de la mode et des services bancaires.
Non seulement ces femmes et ces hommes génèrent de la richesse, mais ils soutiennent aussi les familles en créant des emplois. Ils investissent dans nos collectivités et contribuent à la vitalité régionale.
Dans le domaine de la santé, des milliers de médecins, d’infirmiers et de chercheurs d’origine arabe travaillent chaque jour pour soigner, prévenir et innover. Dans la culture, beaucoup d’artistes ont apporté leur créativité et leur sensibilité à la scène canadienne et internationale. Dans les forces armées et les forces de sécurité civile, des milliers de citoyennes et de citoyens d’origine arabe portent fièrement l’uniforme canadien. Leur engagement témoigne d’une intégration réussie et d’une volonté de servir le bien commun. Ces exemples ne sont pas anecdotiques. Ils illustrent une réalité : les Canadiens d’origine arabe sont une force vive enracinée dans l’histoire et pleinement engagée dans la construction du Canada d’aujourd’hui et de demain.
La communauté arabe n’est pas homogène; elle comprend des gens de l’Afrique du Nord, du Levant et de la péninsule d’Arabie, chaque région ayant sa propre histoire, ses propres traditions, ses propres caractéristiques linguistiques et ses propres croyances.
Parmi ces gens se trouvent des communautés chrétiennes : des maronites du Liban, des chaldéens de l’Irak et des coptes d’Égypte. Il y a aussi des communautés juives, comme celles du Maroc et de la Tunisie, qui témoignent d’une histoire commune de coexistence. Bien sûr, il y a aussi les musulmans : les sunnites, les chiites et ceux qui appartiennent à d’autres traditions.
Cette diversité n’est pas un obstacle, mais une richesse. Au-delà de la pluralité, une unité profonde se dessine, soit celle d’une culture de l’hospitalité, de la dignité, du respect, de l’éducation et du savoir. Cet attachement au savoir plonge ses racines dans une longue tradition intellectuelle. Pendant des siècles, le monde arabe fut un centre majeur de science, de philosophie et de médecine.
C’est dans les cités de Bagdad, Damas, Cordoue ou Le Caire qu’on a traduit, préservé et enrichi les textes des savants grecs et perses. Ce sont ces savants arabes qui ont posé les bases de l’algèbre et des mathématiques modernes, à l’image des chiffres arabes que nous utilisons toujours aujourd’hui. En médecine, des figures comme Avicenne et Averroès ont révolutionné la compréhension du corps humain et de la santé, leurs ouvrages étant étudiés dans les universités européennes jusqu’au XVIIe siècle. On compte aussi des théoriciens de génie dans les sciences naturelles, l’astronomie, la chimie ou la géographie.
Ce patrimoine intellectuel n’appartient pas seulement à une civilisation ancienne; il continue d’inspirer le monde moderne. En rendant hommage au patrimoine arabe, nous valorisons une tradition de savoir et de curiosité qui est une source de lumière pour l’humanité.
Ce projet de loi envoie un message clair aux générations présentes et futures selon lequel leur identité n’est pas un obstacle, mais bien une force. Il affirme que la richesse d’un pays ne se mesure pas uniquement à ses ressources naturelles ou à son produit intérieur brut, mais aussi à sa capacité d’inclure, de reconnaître et de célébrer toutes ses composantes.
Dans un monde déchiré par les tensions identitaires, le nationalisme replié sur lui-même et les discours intolérants, ce projet de loi sert de rappel que nous avons besoin de mesures concrètes pour bâtir des ponts. La reconnaissance officielle du Mois du patrimoine arabe est un geste d’éducation et d’unité. C’est aussi un moyen de renforcer la position du Canada sur la scène internationale. En effet, un pays capable de célébrer sa diversité culturelle est aussi un pays capable de tisser des liens commerciaux, diplomatiques et humains avec les nations du monde entier.
Bien entendu, je ne peux pas nier que ce projet de loi fait écho à ma propre histoire. Je suis reconnaissante d’avoir grandi dans des pays de culture arabe, alors que je suis née d’une mère juive et d’un père catholique allemand, que j’ai été baptisée catholique et que j’ai connu la coexistence pacifique des communautés. Je n’ai jamais oublié mes racines, ma langue maternelle, la douceur de vivre de mon enfance, la chaleur du soleil, l’immensité du désert et les valeurs transmises par ma mère, soit le sens de l’accueil, le respect des aînés et la quête de l’excellence. Ces racines ont trouvé au Canada un terreau fertile pour grandir.
C’est d’ailleurs un objet issu du savoir-faire arabe, le gant exfoliant du hammam, qui a marqué le point de départ de mon parcours entrepreneurial. En l’adaptant au marché nord-américain, j’ai fait de mes racines un tremplin, mais ce gant renaissance n’était pas qu’un produit : il devenait un pont entre deux mondes, entre l’arabe et le québécois, entre le traditionnel et le moderne. Il incarnait un dialogue vivant entre deux cultures qui apprenaient à se comprendre et à s’enrichir mutuellement. Mon histoire n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, mais elle illustre ce que peut représenter la rencontre de l’héritage arabe et du dynamisme canadien, un mélange de traditions et d’innovations, de mémoire et d’avenir.
Pourquoi ce mois est-il nécessaire? Parce que ce n’est pas suffisant de déclarer que la diversité est une source de richesse. La diversité doit être mise en valeur, expliquée et partagée.
Le Mois du patrimoine arabe ne devrait pas être une simple célébration polie. C’est bien plus que cela : il s’agit d’informer et de partager. C’est une occasion de sensibiliser le public à l’histoire, aux valeurs et à l’apport de la communauté arabe.
Le Mois du patrimoine arabe vise également à forger des liens entre les générations, entre les régions et entre les communautés.
À l’heure où resurgissent les relents racistes et les violences verbales et physiques, il est essentiel que nos institutions envoient un message clair : le Sénat, qui se doit de représenter aussi les minorités, s’honorerait à adopter ce projet de loi. Nous enverrions ainsi un message puissant : celui d’un Canada fidèle à sa vocation de société ouverte et tolérante, un Canada où chaque culture enrichit l’autre, où chaque citoyenne et chaque citoyen, quelle que soit son origine, a sa place et a un rôle à jouer.
Chers collègues, je vous invite aussi à appuyer ce texte pour que le Mois du patrimoine arabe devienne une réalité, une tradition et un jalon de plus dans l’histoire inclusive et ambitieuse de notre pays. Merci.
Des voix : Bravo!