L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international sur le projet de loi C-282.
Tout d’abord, je voudrais saluer le travail du président du comité, le sénateur Boehm, ainsi que celui de tous ses membres, dans cette étude approfondie du projet de loi. Nous avons entendu de nombreux témoins qui ont apporté, dans la majorité des cas, des éclaircissements judicieux sur les tenants et les aboutissants du projet de loi C-282. Je remercie aussi le sénateur Harder, qui a travaillé ardemment pour préparer un amendement basé sur l’un des points de vue que nous avons entendus au comité.
Chers collègues, vous ne serez pas surpris de savoir que je m’oppose vigoureusement à cet amendement qui retire au projet de loi l’essentiel de sa force et de son intention. En effet, quel est le but du projet de loi C-282? Il est limpide et ne souffre d’aucune ambiguïté. Il s’agit de retirer totalement la gestion de l’offre de la table de négociations lors de la conclusion de tout nouvel accord de libre-échange — accord existant ou renouvelé prochainement.
Or, quel est l’effet de l’amendement adopté par le comité? Il exclut du champ d’application du projet de loi les éléments suivants :
a) un traité ou une entente en matière de commerce international qui était en cours à l’entrée en vigueur de ce paragraphe;
b) la renégociation d’un tel traité ou d’une telle entente;
c) un traité ou une entente en matière de commerce international qui était en négociation au moment de l’entrée en vigueur de ce paragraphe.
À la lecture de cet amendement, on comprend que l’étendue des exclusions induites par celui-ci rend le projet de loi au mieux symbolique, au pire complètement inefficace. L’effet de cet amendement est de soustraire l’application du projet de loi aux accords commerciaux existants ou à venir avec nos principaux partenaires. Dès lors, si l’amendement était adopté par cette Chambre, la gestion de l’offre serait toujours une cible potentielle de l’essentiel de nos partenaires commerciaux et elle pourrait toujours être utilisée comme monnaie d’échange, à l’image de ce qui a été fait pour la conclusion de nos derniers accords, soit l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord Canada—États-Unis—Mexique (ACEUM).
Le projet de loi C-282, faut-il le rappeler, n’est pas n’importe quel projet de loi privé. Il a été adopté par tous les chefs de partis à la Chambre des communes à une très forte majorité de 262 voix contre 51. Plus encore, le projet de loi fait suite à quatre motions adoptées à l’unanimité pour que la gestion de l’offre soit intégralement protégée, soit deux motions en 2005 et en 2017 dans le cadre de la renégociation de l’ALENA et deux en 2018 dans le cadre de la conclusion du PTPGP.
Chers collègues, je crois que cet amendement repose sur des inquiétudes qui ne sont pas basées sur des faits objectifs, bien au contraire.
Parmi ces préoccupations, on peut citer celle qui a probablement été le plus souvent mentionnée, soit que le projet de loi nuirait à la capacité de nos négociateurs de conclure des accords commerciaux pour le Canada. Tout d’abord, il est intéressant de rappeler que ceci sous-entend qu’il n’est pas possible d’obtenir d’accord sans faire des concessions sur la gestion de l’offre. Autrement dit, il serait nécessaire de sacrifier la gestion de l’offre pour obtenir de bons accords.
Lors de sa comparution au comité le 25 septembre, Doug Forsyth, directeur général à la Direction générale de l’accès aux marchés et des contrôles commerciaux d’Affaires mondiales Canada, a confirmé que, par le passé, notre pays a pu conclure 12 accords de libre-échange avantageux sans faire de concessions sur la gestion de l’offre. Cette réalité implacable montre qu’il est tout à fait possible de protéger la gestion de l’offre tout en obtenant d’excellents accords pour les Canadiens dans d’autres secteurs orientés vers les exportations, ce qui n’est pas le cas pour les produits soumis à la gestion de l’offre, qui sont essentiellement orientés vers le marché intérieur.
M. Forsyth nous a également indiqué que lors des négociations entourant les accords de libre-échange, le nombre de chapitres consacrés à l’agriculture n’est que d’un seul en général sur un total de 30, et que les secteurs agricoles soumis à la gestion de l’offre n’occupent qu’une partie de ce seul chapitre. On ne peut donc pas sérieusement affirmer, chers collègues, que la gestion de l’offre serait, à elle seule, de nature à faire dérailler la conclusion d’accords commerciaux.
Il a été signalé au comité que la gestion de l’offre serait de nouveau ciblée par notre partenaire principal, les États-Unis, avec le retour du président Trump. C’est précisément la raison pour laquelle nous devons adopter une position claire dès maintenant et pour toujours afin de protéger la gestion de l’offre. À l’inverse, tergiverser sur les lignes rouges est un aveu de faiblesse en matière de négociations.
Des témoins nous ont dit que tous les pays ont le droit d’avoir des lignes rouges. Nous avons entendu au comité que le Canada ne serait pas le seul à protéger certains secteurs essentiels. En effet, lors de la séance du 25 septembre, M. Tom Rosser, sous-ministre adjoint à la Direction générale des services à l’industrie et aux marchés d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, nous a confirmé que les États-Unis imposent des contingences strictes sur le coton et le sucre. Le Japon fait de même avec son riz.
Le véhicule choisi par ces deux proches partenaires du Canada n’est peut-être pas le même que celui proposé par le projet de loi C-282, mais ses effets sont identiques : protéger des secteurs essentiels de leurs économies par une loi. C’est le cas aux États-Unis, où une loi en vigueur intitulée Farm Bill protège et subventionne massivement les agriculteurs américains. Cette loi établit également des contingents tarifaires qui limitent la quantité de sucre étranger pouvant entrer sur le marché américain. Vous conviendrez avec moi, chers collègues, que ces restrictions et protections ne font pas des États-Unis et du Japon des nations moins commerçantes, elles qui sont capables de conclure d’excellents accords de libre-échange.
La gestion de l’offre est étroitement liée à la politique commerciale canadienne depuis plus de 50 ans. Il s’agit d’une politique établie en 1972 par le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. Elle repose sur trois piliers : le contrôle de la production, la régulation des prix aux producteurs et le contrôle des importations à la frontière par le biais de contingents tarifaires. Sans assurer un contrôle de la quantité de produits importés sous gestion de l’offre, il n’est pas possible d’assurer une planification efficace de la production. La gestion de l’offre ne pourra donc plus remplir sa mission d’adéquation entre l’offre et la demande.
Au-delà des questions de contingents tarifaires et de négociations internationales, j’aimerais vous rappeler ce que le projet de loi C-282 signifie concrètement pour des dizaines de milliers d’exploitations agricoles familiales qui créent près de 350 000 emplois dans notre pays.
Le projet de loi C-282 permet aux agriculteurs de prévoir leurs revenus et de continuer de produire des aliments essentiels sur le sol canadien et pour les Canadiens, tout en évitant l’érosion de la gestion de l’offre. Par exemple, selon la Commission canadienne du lait, les producteurs laitiers, qui ont cédé au total 18 % de leur marché intérieur, ont vu leur nombre chuter de manière draconienne, passant d’environ 12 500 exploitations en 2012 à environ 9 500 en 2023, ce qui est considérable. Nous avons entendu au comité que la diminution du nombre d’exploitations agricoles familiales entraîne le déclin de nos régions rurales et le dépeuplement de nos villages. C’est de cela qu’il s’agit.
Le projet de loi C-282 est un moyen unique pour nos négociateurs de faire respecter la volonté clairement exprimée par notre Parlement, et qui est de protéger intégralement la gestion de l’offre lors de négociations futures.
Si le Sénat vote en faveur de cet amendement, il ira à l’encontre de la volonté du gouvernement, de la Chambre élue et de l’écrasante majorité des Canadiens. En effet, selon un sondage mené par Abacus Data publié en 2023, plus de 90 % des Canadiens soutiennent la gestion de l’offre.
C’est pourquoi, honorables sénateurs, je vous exhorte à rejeter le rapport du comité, afin que cette Chambre puisse étudier le projet de loi C-282 dans sa forme originale.
Je vous remercie de votre attention.