L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion no 31, que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les questions concernant les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral dans le système correctionnel. Je remercie notre collègue la sénatrice Pate de nous demander de terminer cette étude.
Lors de la législature précédente, les membres du comité des droits de la personne et les analystes du comité ont rédigé un rapport final à l’issue d’une étude de trois ans dans le cadre de laquelle 30 audiences publiques avaient été tenues, plus de 150 personnes avaient témoigné et 30 lieux dans différentes régions du pays avaient fait l’objet d’une visite. Nous nous sommes rendus dans des pénitenciers, des pavillons de ressourcement, des établissements correctionnels communautaires et des centres de santé mentale. En tant qu’ancienne présidente du comité et travailleuse sociale autorisée, je tiens à souligner combien il est urgent de présenter ce rapport final et les recommandations qui y sont formulées. Les sénateurs ont le devoir d’agir dans l’intérêt de tous les Canadiens. Les témoins nous ont accordé leur confiance et les prisonniers comptent sur nous pour que nous respections notre engagement à demander des comptes au gouvernement en ce qui concerne la protection de leurs droits.
Cette étude a consisté en un examen approfondi des politiques, des pratiques et des procédures du système correctionnel ainsi que des conditions qui en résultent pour les détenus. Les recommandations finales ont le pouvoir d’apporter des changements concrets. Ce travail reconnaît l’humanité des prisonniers et leur droit de voir leurs besoins fondamentaux comblés. Il s’agit de construire des collectivités fortes et de créer un changement systémique. Tout au long de l’étude, les membres du comité n’ont cessé d’entendre que le système ne fonctionne pas. Les témoins l’ont fréquemment qualifié de « porte tournante ». Ce rapport présentera des recommandations concrètes pour apporter un changement systémique au système de justice pénale.
Le rapport provisoire du Comité sénatorial des droits de la personne intitulé Le premier des droits fondamentaux est celui d’être traité comme un être humain a mis en évidence les inégalités raciales et les répercussions du racisme systémique sur la vie des Autochtones, des Noirs et des personnes racialisées. Tandis que nous observons et vivons le mouvement des droits civils actuel qui découle du meurtre de George Floyd en mai 2020, de nombreux collègues ont exprimé leur consternation et leur déception après avoir pris conscience de certaines des réalités du racisme systémique auquel sont confrontés les Canadiens noirs.
Le 24 octobre, le Globe and Mail a publié un article de fond sur la façon dont les prisonniers noirs et autochtones sont touchés par le racisme systémique, surtout sous la forme d’évaluations qui concluent de façon disproportionnée que les prisonniers noirs et autochtones sont plus susceptibles de récidiver.
Ces conclusions ne sont qu’une des nombreuses inégalités raciales que l’on trouve dans le système de justice pénale. Au cours de l’étude, le comité a entendu parler de nombreuses formes de racisme systémique au Canada par le biais de politiques et de pratiques dans le système correctionnel. Le rapport final sur les droits des prisonniers est un pas vers la justice raciale. L’étude mettra en lumière l’expérience des Autochtones, des personnes noires et des personnes racialisées incarcérés, et montrera que nous croyons que leur vie compte et que nous n’avons pas oublié notre engagement envers eux.
Honorables sénateurs, nous avons tous juré de représenter nos régions et de servir les personnes les plus vulnérables du pays. Beaucoup ne reconnaissent pas les prisonniers comme des personnes vulnérables en raison de leur casier judiciaire. La peine pour un crime est la prison ou la perte de sa liberté. Les pratiques quotidiennes qui violent les droits des prisonniers ne font pas partie de la peine. Toute personne, quelle que soit son histoire, mérite de jouir des droits fondamentaux de la personne. Le fait est que les prisonniers sont des personnes vulnérables en raison de l’oppression systémique qui a des conséquences sur leur situation, comme la pauvreté, le racisme et le colonialisme. Parmi les principales préoccupations examinées par le comité, on peut citer les besoins physiques fondamentaux comme l’accès aux soins de santé, aux soins dentaires, à une alimentation adéquate, à l’exercice et à l’espace physique. Nous avons également examiné les besoins sociaux et psychologiques, notamment le contact social, l’accès à des ressources éducatives, à des services en santé mentale et à des cérémonies et des pratiques culturelles, religieuses et confessionnelles enrichissantes.
Pendant les 40 années et plus que j’ai passé à faire du travail social, j’ai été appelée à intervenir auprès de détenus — hommes et femmes —, de proches de détenus et de gens qui ont connu les deux côtés de la médaille. Dans l’ensemble, les Canadiens en sont venus à faire comme si la réalité des prisons ne les concernait pas, car celles-ci sont bâties à l’écart, loin des regards, donc loin de l’esprit. Les détenus font partie de la société au même titre que nous, et ce n’est pas en les privant de leurs droits fondamentaux que nous ferons avancer la société.
Les peuples autochtones, les Noirs, les personnes racialisées et handicapées, les femmes : il est question de la réalité de tous ces groupes dans le rapport intérimaire, et le rapport final s’intéresserait d’encore plus près à ce que vivent certaines des personnes les plus vulnérables que nous sommes appelés à représenter.
Pendant toutes les années où j’ai fait des recherches sur la communauté africaine de Nouvelle-Écosse, je me suis toujours fait un point d’honneur de communiquer les résultats de mes recherches avec les personnes qui y avaient pris part, directement ou non, ou sur qui elles pourraient avoir un effet. Si nous privions le public de ce rapport, nous nuirions aux personnes qui se sont investies dans le processus depuis le début et qui attendent avec impatience qu’on change le système.
Mes collègues du comité vous le diront : chaque fois que nous visitions un établissement carcéral, les détenus nous disaient qu’ils suivaient l’évolution de notre étude, notamment sur les ondes de CPAC. Il y en a encore qui communiquent avec mon bureau pour savoir quand le rapport final sera publié.
Nous devons terminer cette étude, par respect pour les droits de la personne et par souci éthique. C’est une question de transparence et de confiance. Les Canadiens ont fait confiance à l’institution que nous représentons en nous racontant leur histoire et en nous donnant leur opinion professionnelle. Les gens ont participé aux travaux du comité en toute bonne foi, et nous avons la responsabilité — je dirais même le devoir — de la mener à terme, ne serait-ce que pour eux.
Honorables sénateurs, je vous invite à reconnaître l’humanité des milliers de détenus qui sont parqués dans les prisons du pays. Mettons un terme aux violations des droits de la personne qui demeurent invisibles pour une bonne partie de la société et terminons cette étude, dont le rapport final permettra de changer un système qui ne fonctionne pas.
Je vous remercie.
Des voix : Bravo!