L’honorable Amina Gerba : Chers collègues, je prends parole à partir du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Cette reconnaissance territoriale est très importante dans le cadre de ce projet de loi. En effet, il est capital de rappeler, encore et toujours, la présence des peuples autochtones sur le territoire actuel du Canada, et ce, depuis des temps immémoriaux.
En juin dernier, j’ai eu l’honneur de déposer mon premier projet de loi, le projet de loi S-286, Loi instituant le Mois national de l’immigration. C’est donc avec une émotion certaine que je m’exprime devant vous aujourd’hui au sujet de cette initiative. Elle se réfère à mon propre parcours de vie, à celui de plusieurs d’entre vous ici dans cette illustre enceinte et à celui de millions d’autres, des millions de compatriotes venus de partout, de toutes les régions du monde, pour enrichir notre pays de leur expérience et de leur contribution à notre histoire.
Permettez-moi de commencer par une anecdote, une petite scène de vie dont j’ai été témoin lors d’une soirée de gala à Montréal. En fait, elle est même à l’origine du projet de loi dont je vais vous parler aujourd’hui.
Mon mari et moi avions engagé une discussion avec une invitée durant le cocktail de réseautage qui précédait un gala de collecte de fonds. Apparemment surprise d’entendre mon mari parler un excellent français, la dame à qui l’on s’adressait lui a demandé d’où nous venions. Malicieux, mon mari a feint de ne pas comprendre le sens de sa question et lui a répondu, avec un brin d’humour, qu’il venait de Laval.
Devant le regard perplexe de la dame, qui ne semblait pas comprendre et qui n’était pas satisfaite de sa réponse, il a finalement révélé qu’il était d’origine camerounaise et il a posé la même question en retour. Très confuse, la dame lui a demandé ce qu’il voulait dire.
Mon mari lui a gentiment rappelé qu’à sa connaissance, à l’exception des peuples autochtones, tous les autres Canadiens sont venus d’ailleurs. Il lui a suggéré de s’informer auprès de ses parents et grands-parents pour connaître la provenance de leurs ancêtres, de ses ancêtres. Cette scène de vie et cette interrogation sont très fréquentes et fort révélatrices. Elles m’ont incitée à formuler le rappel de notre histoire commune comme « venus d’ailleurs » et à le faire au moyen d’un projet de loi.
Tenant en trois articles, le texte de ce projet de loi est fort simple. Son objectif l’est tout autant. Il s’agit de célébrer annuellement, par un mois qui lui est consacré, le rôle essentiel de l’immigration dans la construction de notre pays.
Le Canada a été façonné par ses immigrants et immigrantes. Ils et elles ont bâti le pays que nous chérissons aujourd’hui. Elles et ils ont bâti notre pays, qui suscite l’admiration dans le monde. Quel que soit le domaine retenu, force est de constater le rôle déterminant des immigrants dans les réalisations qui font notre fierté.
Je donnerai ici cinq exemples de ces immigrants et fiers Canadiens qui ont contribué à écrire l’histoire récente de notre pays et dont nous sommes très fiers.
Jean Augustine, originaire de la Grenade, a été la première femme noire élue au Parlement canadien. Elle a été la première femme noire canadienne à occuper le poste de ministre fédérale de la Couronne. Elle a joué un rôle crucial dans la reconnaissance officielle du Mois de l’histoire des Noirs au Canada.
Dany Laferrière, écrivain et académicien né en Haïti, a enrichi la littérature québécoise et canadienne avec ses œuvres. Il est membre de l’Académie française, ce qui contribue au rayonnement culturel du Canada.
Abdoulaye Baniré Diallo, né au Sénégal, est un professeur de bio-informatique et d’intelligence artificielle de renom à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il a été lauréat du Next Einstein Forum en 2018. M. Diallo est aussi impliqué dans le développement de la politique nationale de recherche et d’innovation.
De son côté, Gerhard Herzberg a été, selon le Conseil national de recherches du Canada, « l’un des plus grands esprits scientifiques du Canada ». Né en Allemagne, il a fui avec sa femme les persécutions de l’Allemagne nazie et est arrivé au Canada en 1935. En 1971, il a reçu le prix Nobel de chimie pour sa contribution à la connaissance de la structure électronique et de la géométrie des molécules.
D’origine grecque, Mike Lazaridis a quitté la Türkiye pour le Canada. Il a marqué le secteur des communications grâce à sa célèbre invention, le BlackBerry, ce téléphone portable qui a connu une renommée mondiale dans les années 2000.
Chers collègues, ces contributions doivent être pleinement reconnues et célébrées, et justice doit être rendue à ceux et celles qui les ont réalisées. C’est là une manière directe et efficace de favoriser l’intégration et la rétention des nouvelles générations d’immigrants.
Avant d’aborder en détail les motifs qui m’ont amenée à proposer que le Canada se dote d’un Mois national de l’immigration, j’aimerais tout d’abord faire une mise au point.
En effet, il ne vous aura pas échappé que notre politique migratoire fait l’objet de nombreux débats qui résonnent quasi quotidiennement dans l’actualité. Certains de ces débats sont utiles, voire nécessaires. D’autres se rapprochent dangereusement de théories de rejet et d’exclusion qui n’ont pas leur place dans notre pays. En tant que fière Québécoise et Canadienne issue de l’immigration, je ne vous cacherai pas que je me sens interpellée et que je suis très inquiète des discours extrémistes xénophobes actuels qui tendent vers un rejet total de toute forme d’immigration. Les partisans de cette ligne dure insinuent dangereusement que les immigrants sont en grande partie responsables des problèmes économiques et sociaux de notre pays.
Je tiens à rappeler que notre pays a été bâti par des vagues successives d’immigrants. Aujourd’hui encore, l’immigration est essentielle pour répondre aux défis démographiques et économiques auxquels nous faisons face. Le vieillissement de la population canadienne et les besoins croissants en main-d’œuvre qualifiée rendent l’immigration plus nécessaire que jamais.
Cependant, l’intégration de ces nouveaux arrivants doit être une priorité absolue. Cela exige des efforts tant de la part des nouveaux arrivants que de la société d’accueil. Il faut aider ces nouveaux arrivants à s’adapter à leur nouvel environnement et leur apprendre la langue et les coutumes locales, tout en leur permettant de conserver leur identité. Ce processus prend du temps, mais il est réalisable et bénéfique pour tous.
Il est aussi impératif, chers collègues, de mettre tout le monde en garde contre les politiques xénophobes qui cherchent à diviser. Le Canada doit rester un exemple de tolérance et d’inclusion.
En accueillant les immigrants et en facilitant leur intégration, nous renforçons notre société et assurons un avenir prospère pour tous. Toutefois, nous devons aussi investir pour mieux accueillir, retenir et assurer la prospérité économique de nos nouveaux arrivants. De même, nous devons investir dans la sécurisation de nos frontières et punir sévèrement ceux qui sont impliqués dans le trafic d’immigrants.
Chers collègues, l’immigration n’est pas notre problème, comme certains le répètent tristement. Au contraire, elle est notre histoire ancienne et récente, notre levier pour l’avenir.
Mon projet de loi ne vise pas à appeler à accueillir plus ou moins d’immigrants au Canada ou à prendre parti pour tel ou tel élément de la politique migratoire. Il se situe à un tout autre niveau et se place dans la ligne du temps.
Ce projet se réfère aux générations successives d’immigrants dans notre pays, ceux qui ont contribué à son essor dans les domaines évoqués précédemment. Ces générations ont développé le Canada comme société multiculturelle à l’image du monde.
L’objectif principal de ce projet de loi est donc de rappeler à tous les Canadiens que nous sommes presque tous venus d’ailleurs, à différentes époques.
Sans être une historienne, je vais me permettre ici de vous présenter les différentes vagues migratoires dans notre pays. Tout d’abord, il est indispensable de reconnaître que le Canada n’était pas vierge et inhabité lorsque les Européens y sont venus pour la première fois, voilà plus de cinq siècles. On a utilisé, à tort, le mot « découverte » pour qualifier cette arrivée.
En effet, en parlant de découverte, il y a une nuance à apporter. Selon une étude parue en 2021 dans la revue scientifique Nature, il a été prouvé que les Vikings étaient présents à Terre-Neuve dès 1021. Il s’est avéré aussi que les peuples autochtones, qu’on estimait alors entre 350 000 et 500 000 personnes — quoique certaines estimations parlent même de 2 millions —, ont eu des contacts avec les Vikings à cette époque.
Selon l’Encyclopédie canadienne, un courant majoritaire estime que les premières vagues d’immigration en provenance du nord-est de l’Asie sont arrivées ici entre 30 000 et 13 500 ans avant notre ère.
Dès 1604, les explorateurs français Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain fondent les premiers établissements européens. En 1608, Champlain fonde la ville de Québec. Par la suite, les colons français peuplent progressivement ce qui est alors appelé la « Nouvelle-France ».
Selon l’Encyclopédie canadienne, de 1535 à 1763, on estime à environ 10 000, y compris 2 000 femmes, le nombre de Français qui se sont établis en Nouvelle-France.
En 1763, lorsque la Grande-Bretagne prend le contrôle de la région, la population a atteint 70 000 personnes. Elle sera complétée par l’arrivée d’un grand nombre d’Américains loyaux à la Couronne britannique.
Au XIXe siècle, une immigration nombreuse, particulièrement européenne, arrive au Canada. Elle est composée majoritairement d’Irlandais, dont l’arrivée est considérée comme étant la première grande vague d’immigration, après celles des Français et des Américains.
À la création de la Confédération en 1867, la population du Canada compte un total de 3,6 millions de personnes, dont 1 million sont les descendants des immigrants français et 2,1 millions sont les descendants des immigrants américains, soit les loyalistes, britanniques et irlandais.
Le besoin d’occuper les terres, notamment celles de l’Ouest, et la relative faiblesse numérique de sa population conduisent le Canada à considérer l’immigration comme un moteur essentiel de développement du pays.
Cependant, il s’agira d’une immigration très sélective dont les Asiatiques et les Noirs seront exclus. Il faudra attendre après la Seconde Guerre mondiale pour que les lois discriminatoires et restrictives soient progressivement remplacées par des lois d’application générale.
Cette grande migration crée de fortes tensions avec les peuples autochtones, dont les Métis et les Premières Nations, qui feront l’objet de déplacements forcés de leurs terres. Cette crise culmine en 1885 avec la rébellion du Nord-Ouest.
À cette période, selon le guide Découvrir le Canada, on estime qu’un million de Britanniques et un million d’Américains immigrent au Canada.
Par la suite, une immigration de plus en plus diversifiée fait son apparition pour faire face aux défis d’aménagement du pays. Présents dans divers secteurs stratégiques comme les industries, les mines ou la construction, ces immigrants sont les architectes de ce nouveau pays qu’est le Canada.
Tout au long du XXe siècle, l’immigration au Canada poursuit sur sa lancée, notamment à l’Ouest. Ces immigrants contribueront à faire des Prairies la puissante région agricole qu’elle est toujours aujourd’hui.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pays devient attrayant pour les Européens du Sud, qui traversent des moments de grandes difficultés. Ils vont notamment construire le cœur de nos principales villes.
Le Canada devient progressivement une terre d’accueil. Il met fin à ses lois et règlements discriminatoires et reçoit successivement des demandeurs d’asile fuyant les États parias et les déplacés de guerre. Un grand nombre provient de l’Europe de l’Est et de l’Asie du Sud-Est. Ce soudain afflux pousse le Canada à innover en matière de politique de l’immigration.
C’est ainsi que sera mis en place le premier Programme de parrainage privé de réfugiés, grâce auquel plus de 50 % des réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens sont accueillis au Canada.
Ce faisant, dès le début des années 1960, selon le guide Découvrir le Canada, on estime que le tiers des Canadiens ont une origine autre que britannique ou française.
Les vagues migratoires successives des XIXe et XXe siècles ont progressivement contribué à la montée d’une société multiculturelle dans notre pays, qui compte la proportion la plus élevée d’immigrants parmi les pays du G7.
En effet, selon Statistique Canada, en 2021, plus de 8,3 millions de personnes, soit près du quart de la population, étaient ou avaient déjà été des immigrants reçus ou des résidents permanents au Canada. On parle ici de 23 % de la population du pays.
L’organisme souligne qu’il s’agit, et je cite : « […] de la plus forte proportion depuis la création de la Confédération, dépassant le sommet précédent atteint en 1921 (22,3 %) […] ».
Plus encore, étant donné que la population canadienne vieillit peu à peu et que son taux de natalité reste inférieur au taux de renouvellement de la population, l’immigration constitue dorénavant le principal moteur démographique du pays.
En 2041, selon les projections de Statistique Canada, les immigrants pourraient ainsi représenter de 29,1 % à 34,0 % de la population du Canada.
Chers collègues, à travers cette brève rétrospective de l’histoire de la population canadienne, j’ai voulu vous démontrer une seule chose : à diverses époques, nous sommes tous et toutes venus d’ailleurs, à l’exception des peuples autochtones. Il y a mille ans, cinq siècles, quatre générations, trois décennies, un mois ou une semaine, nous sommes tous venus d’ailleurs.
Toutefois, nous ne devons jamais oublier que ce processus de peuplement du pays et d’occupation du territoire a, bien souvent, conduit à une dépossession des cultures, des langues, des traditions et des terres des peuples autochtones.
Ainsi, notre pays est le fruit des espoirs et des rêves de millions d’immigrants venus des quatre coins du monde pour construire une vie meilleure. Malheureusement, pour les peuples autochtones, il s’est agi d’une entreprise d’effacement tragique de leurs droits et de leurs biens matériels et immatériels.
Ces deux réalités sont les deux faces d’une même pièce. Elles constituent notre histoire. Elles nous créent une exigence de justice, de réparation, de compensations, et aussi un devoir de mémoire qu’il nous faut partager avec les générations futures.
Une autre raison a motivé la présentation de ce projet de loi. Il s’agit de la multiplication des motions et des lois concernant la célébration du patrimoine de telle ou telle communauté vivant au Canada. Indéniablement, le but poursuivi par ces diverses initiatives est légitime et procède d’ailleurs du même constat que le mien : la nécessité de mettre en valeur les contributions inestimables des immigrants à notre pays.
Je vois le Mois national de l’immigration comme une prise de conscience utile, en ce temps où certains n’hésitent pas à tenir les immigrants responsables de certaines situations sociales complexes et difficiles. Il pourrait agir comme une vitrine, une occasion pour tous nos groupes d’origine immigrante de faire valoir leurs contributions et de faire rayonner leurs communautés.
En rassemblant les nouvelles célébrations, ce mois national, loin de les diluer, agirait comme une tribune. De même, il offrirait un espace commun pour souligner la richesse des apports de tous les immigrants, quelles que soient la taille et l’importance de leur communauté.
Chers collègues, j’ai pu mesurer à quel point l’instauration du Mois national de l’immigration recevait l’appui de très nombreux groupes auxquels j’ai eu la chance de présenter le projet de loi. En effet, le 15 mai dernier, mon équipe et moi avons organisé une table de concertation afin de recueillir l’avis des organisations représentant les intérêts des immigrants.
Nous avons ainsi contacté et réuni une trentaine d’organisations et les avons invitées à donner leur avis sur l’initiative que je porte. Au cours de cette séance très fructueuse, nous avons reçu les commentaires de parties prenantes qui viennent de l’ensemble du pays et représentent les plus importantes communautés immigrantes. Le message que nous avons reçu est sans appel : toutes ces parties prenantes ont confirmé leur soutien à un projet de loi instituant le Mois national de l’immigration.
Bien sûr, cette consultation n’avait pas l’ambition d’être exhaustive, mais elle avait le mérite de réaliser un sérieux coup de sonde sur la réception que réserveraient les organisations concernées au projet de loi que nous étudions.
Nous avons aussi poursuivi nos consultations au cours de l’été, cette fois par téléphone. J’ai aussi interrogé mes interlocuteurs sur le mois qui devrait être choisi pour concrétiser cette initiative. Un certain consensus s’est dégagé sur le mois de novembre. En effet, le choix de ce mois s’avère pertinent à plusieurs égards.
Tout d’abord, on tient déjà au mois de novembre la Semaine nationale de l’immigration francophone, qui, selon le site Web des organisateurs :
[…] rassemble des milliers de francophones des quatre coins du pays, pour célébrer la richesse de la diversité culturelle et l’apport des immigrants et immigrantes dans les collectivités francophones et acadiennes.
Ensuite, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui établit les notions et principes fondamentaux en matière d’immigration et de protection des réfugiés, a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001. Je tiens à rappeler le caractère central de cette loi qui encadre la politique migratoire moderne du Canada.
En faisant un survol historique des étapes charnières de cette loi, j’aimerais vous montrer en quoi elle est si importante. La politique migratoire que nous connaissons aujourd’hui, qui est fondée sur des principes objectifs et universels, n’a pas toujours figuré dans les normes canadiennes.
Durant une longue période de notre histoire, la politique migratoire canadienne s’est concentrée sur une immigration blanche, de préférence en provenance de l’Empire britannique, de l’Europe centrale et des États-Unis. Toutefois, en réponse à la demande criante de main-d’œuvre, le gouvernement a établi une liste de « colons idéaux par ordre décroissant de préférence ». Je cite textuellement l’Encyclopédie canadienne :
Les agriculteurs britanniques et américains sont suivis des Français, des Belges, des Hollandais, des Scandinaves, des Suisses, des Finlandais, des Russes, des Austro-Hongrois, des Allemands, des Ukrainiens et des Polonais. Tout près du bas de la liste viennent ensuite ceux qui, dans l’esprit du public et du gouvernement, sont moins assimilables et moins désirables, c’est-à-dire les Italiens, les Slaves du Sud, les Grecs et les Syriens. En dernier se trouvent les Juifs, les Asiatiques, les Roms et les Noirs.
Comme vous pouvez le constater, chers collègues, c’est peu dire que les critères d’immigration de l’époque étaient discriminatoires. De plus, les candidats à l’immigration non blancs se sont même vu refuser l’entrée au pays pour des motifs racistes.
Par exemple, en 1911, le Canada a interdit presque totalement l’immigration des Noirs. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls concernés, car déjà en 1885, les immigrants chinois avaient été sommés de payer une taxe spéciale. Pire encore, on leur a quasiment refusé l’entrée sur le territoire canadien en 1923. L’immigration en provenance du Japon et de l’Inde a été, elle aussi, fortement restreinte à cette époque.
En 1919, par l’intermédiaire d’une loi sur l’immigration révisée, le gouvernement a interdit l’accès au territoire canadien à certains groupes comme les communistes, les mennonites et les doukhobors. De surcroît, on a réservé le même sort aux gens originaires de pays ayant combattu le Canada pendant la Première Guerre mondiale.
Les motifs religieux ont été également utilisés dans le but d’exclure des groupes d’individus spécifiques. Ainsi, en 1939, les réfugiés juifs fuyant l’Allemagne nazie à bord du paquebot MS Saint Louis se sont vu refuser l’entrée au Canada.
L’interdiction formelle de l’immigration chinoise a été levée en 1947. D’ailleurs, le 22 juin 2006, le premier ministre Stephen Harper a présenté officiellement ses excuses pour la taxe d’entrée imposée de 1885 à 1923 et la politique d’exclusion en vigueur de 1923 à 1947.
La politique migratoire canadienne s’est modernisée en 1967, avec l’adoption d’un système de pointage permettant de classer les immigrants en fonction de leur admissibilité. La couleur de peau ou la nationalité n’ont plus été utilisées comme critères de sélection des immigrants. On privilégiait désormais les aptitudes linguistiques, comme la maîtrise de la langue anglaise ou de la langue française, le niveau de scolarité, les compétences professionnelles et les liens familiaux, ce qui a pavé la voie au système d’immigration que nous connaissons aujourd’hui.
Toutefois, bien que le Canada soit signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations unies et de son protocole de 1967, il n’y aura pas de programme encadrant les demandes de statut de réfugiés au Canada. Chaque demande est toujours étudiée au cas par cas.
La Loi sur l’immigration de 1976 représente une modification radicale en la matière. Elle énonce pour la première fois des objectifs clairement définis pour la politique migratoire canadienne et des priorités, comme le regroupement familial, la diversité et la non-discrimination. Elle protège désormais les réfugiés comme un groupe distinct d’immigrants dans le droit canadien et contraint le gouvernement à respecter ses obligations en vertu des accords internationaux.
En 1979, le fameux programme de parrainage privé est lancé. Unique en son genre, il a permis, en une quarantaine d’années d’existence, d’accueillir plus de 327 000 réfugiés au Canada. Bien que perfectible, il demeure aujourd’hui l’une des grandes réussites de la politique migratoire canadienne.
En 1980, on crée cinq catégories pour immigrer au Canada : les indépendants, c’est-à-dire les personnes présentant leur propre demande; les immigrants humanitaires, c’est-à-dire les réfugiés et les personnes persécutées ou déplacées; les immigrants familiaux, c’est-à-dire ceux qui ont de la famille immédiate vivant déjà au Canada; les parents aidés, c’est-à-dire les parents éloignés parrainés par un membre de la famille au Canada; enfin, les immigrants économiques, c’est-à-dire les personnes ayant des compétences professionnelles très recherchées ou celles qui sont prêtes à ouvrir une entreprise ou à investir de manière importante dans l’économie canadienne.
Finalement, le 1er novembre 2001, la Loi sur l’immigration de 1976 est remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La nouvelle loi maintient une part substantielle des principes et des politiques de la précédente, notamment les différentes catégories d’immigrants. En outre, elle étend la catégorie « famille » pour inclure les couples homosexuels et les unions de fait. Cette loi est la pierre angulaire de la politique migratoire canadienne actuelle.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui a été adoptée le 1er novembre 2001, représente un argument supplémentaire en faveur d’un Mois national de l’immigration qui pourrait avoir lieu chaque année au mois de novembre. J’ajouterais aussi que ce mois est propice à l’organisation d’activités parlementaires, car il correspond le plus souvent à des périodes où la Chambre des communes et le Sénat siègent. De plus, en dehors du jour du Souvenir, le calendrier événementiel du Parlement est relativement peu chargé, ce qui permet de tenir d’autres célébrations nationales.
Ce Mois national de l’immigration serait sans aucun doute l’occasion de mettre de l’avant les contributions de nos communautés immigrantes. Le milieu fédéral a un rôle important à jouer dans ces célébrations : on peut d’abord penser à Patrimoine canadien, puis à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et enfin, bien entendu, à notre Parlement. Nous devons aussi donner une place et une visibilité à nos communautés immigrantes. Leur implication dans les communautés mérite d’être davantage connue et reconnue.
Chers collègues, je souhaiterais vous dire un mot sur mon propre parcours d’immigrante, si le temps me le permet. Je suis née à Bafia, dans un petit village sans eau ni électricité, au Cameroun. J’étais la 18e d’une fratrie de 19 enfants, dont 6 filles. Je suis la seule de ces filles qui a eu la chance de fréquenter l’école. Je suis également la seule qui a immigré au Canada, en 1986, grâce à mon mari, un boursier de la défunte Agence canadienne de développement international (ACDI).
Mon mari devait retourner au Cameroun après avoir obtenu son doctorat en communication pour enseigner à l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé, mais après sa soutenance de thèse, nous avons choisi de rester au Canada afin de donner de meilleures conditions de vie à nos quatre enfants, dont trois sont nés ici. Aujourd’hui, à travers les différentes initiatives entrepreneuriales de ma famille, je peux fièrement affirmer que nous contribuons tous à la prospérité de notre pays.
Par mon récit, vous avez pu constater que le Canada est fondamentalement une terre d’immigration. Cette immigration a façonné le pays que nous connaissons aujourd’hui. Cette réalité a d’ailleurs été saluée de manière non partisane au cours des dernières décennies par de nombreux premiers ministres aux couleurs politiques différentes. Ainsi, le très honorable Stephen Harper affirmait, dans un article du Globe and Mail publié en 2012, et je cite :
Le gouvernement est persuadé que le Canada a besoin de l’immigration, que l’immigration est avantageuse pour le pays et que ces besoins et ces avantages n’en deviendront que plus grands dans le futur si nous faisons bien les choses.
Honorables collègues, la reconnaissance d’un mois consacré à l’immigration enverrait un puissant message à tous les Canadiens et à la communauté internationale.
Ce projet de loi nous permettra de rendre hommage aux bâtisseurs de notre pays, de célébrer notre héritage commun et de continuer à démontrer notre engagement à l’égard de ces valeurs que sont l’inclusion, la diversité et le respect mutuel. Les immigrants sont le passé, le présent et l’avenir du Canada.
C’est pourquoi je vous exhorte, honorables sénateurs, à voter sans délai en faveur du projet de loi C-286, qui vise à instituer le mois de novembre comme Mois national de l’immigration au Canada.
Pour ce faire, je crois sincèrement que vos contributions à ce débat seraient très précieuses, notamment en répondant aux questions suivantes : quelle est votre histoire personnelle d’immigration, c’est-à-dire vos origines? De quelle manière votre communauté a-t-elle participé à l’édification du Canada que nous connaissons aujourd’hui? Que faire pour améliorer notre vivre-ensemble et changer certains regards sur l’immigration?
Je vous remercie de votre attention.
Des voix : Bravo!