Deuxième lecture du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 (disposition de dérogation)

Par: L'hon. Duncan Wilson

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L’honorable Duncan Wilson : Honorables sénateurs, je suis fier de prendre la parole au Sénat pendant le mois international de la fierté pour débattre du projet de loi S-218.

J’aimerais remercier notre collègue le sénateur Harder d’avoir présenté ce projet de loi crucial à un moment si important dans l’histoire du Canada.

Chers collègues, ceux d’entre vous qui me connaissent savent que je tiens vraiment à ce que le Canada réalise son plein potentiel économique. Je suis particulièrement sensible à la nécessité d’agir avec audace et de nous montrer à la hauteur des circonstances, un sentiment que je partage non seulement avec le premier ministre, mais aussi avec l’ensemble des Canadiens. C’est pourquoi j’avais prévu que mon premier discours dans cette enceinte porterait sur l’économie. Je me vois toutefois contraint d’aborder une autre question qui est importante non seulement pour moi, mais aussi pour nous tous, à savoir nos droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, et notre devoir, en tant que sénateurs, de veiller à ce que les groupes minoritaires et tous les Canadiens jouissent de la protection de ces droits.

Les droits de la personne devraient être une priorité absolue pour notre pays, mais ces derniers temps, nous avons vu ces droits s’éroder partout dans le monde, y compris ici, au Canada. Nous avons constaté que la polarisation politique accrue et l’augmentation du nombre de gens qui votent en fonction d’un seul enjeu ont, dans certains cas, transformé la disposition de dérogation en une arme utilisée à des fins politiques au niveau provincial. Nous avons maintenant entendu parler de cette approche au niveau fédéral également. Même si je reconnais que le projet de loi S-218 ne dictera pas la conduite des gouvernements provinciaux relativement à l’utilisation de cette disposition, j’interviens aujourd’hui pour appuyer l’objet du projet de loi du sénateur Harder, à savoir que les sénateurs puissent servir de guides et d’inspiration aux futurs gouvernements sur la façon d’utiliser cet outil de manière mesurée.

Par conséquent, chers collègues, je félicite le sénateur Harder d’avoir fait preuve d’audace, d’avoir été provocateur et d’avoir présenté le projet de loi S-218 afin de consacrer dans la loi des garanties législatives attendues depuis longtemps qui feront en sorte que toute utilisation future de la disposition de dérogation se fera, comme nous l’espérons tous, uniquement dans les circonstances les plus exceptionnelles, à l’issue d’un processus de consultation rigoureux, appuyée de justifications écrites, et uniquement lorsqu’un arrêt de la Cour suprême le justifie; jamais à titre préventif.

Ces mesures de protection contribueront à protéger les minorités et les populations marginalisées. En effet, en protégeant les minorités, nous protégeons la vaste diversité qui est au cœur de notre identité canadienne et qui renforce nos liens avec la communauté internationale.

Je vais adopter une approche légèrement différente de celle de nos collègues qui se sont déjà exprimés à l’égard de ce projet de loi et parler un peu plus de ce qu’il signifie d’un point de vue humain. Chers collègues, aujourd’hui, je vais tirer sur un seul des fils de cette magnifique tapisserie qu’est la diversité dans notre pays. Ce faisant, j’espère expliquer pourquoi la disposition de dérogation ne devrait être utilisée que comme un outil de dernier recours et, même dans ce cas, uniquement avec un niveau exceptionnel de transparence et de surveillance.

Aujourd’hui, ce fil unique de notre tapisserie que je vais évoquer est l’histoire de quelques membres de la communauté 2ELGBTQIA+. Selon moi, ces récits montrent le chemin que nous avons parcouru, mais aussi la similitude frappante entre les défis actuels et ceux du passé.

Honorables sénateurs, je tiens à vous avertir que certains des propos qui suivent risquent d’être difficiles à entendre et il se peut que j’aie du mal à les prononcer.

En 1982, l’année même où la Charte canadienne des droits et libertés est entrée en vigueur, un jeune adolescent luttait contre son attirance pour les hommes. Il avait honte et luttait en vain pour nier ses sentiments. La haine de soi et les pensées suicidaires faisaient partie de son quotidien. Il vivait dans la crainte que cette information soit révélée et qu’il soit alors victime de moqueries, d’intimidation et, presque certainement, de violence. Compte tenu de la contrainte sous laquelle vivait ce jeune, il est triste de penser qu’il était en quelque sorte plus en sécurité à ce moment-là que certains enfants le sont aujourd’hui, plus de 40 ans plus tard. À l’époque, aucune province n’avait adopté de loi qui aurait obligé ses enseignants à révéler son identité à ses parents ou à toute personne à qui il ne souhaitait pas qu’elle soit divulguée.

Il a donc gardé son secret bien caché durant toutes ses études secondaires, jusqu’au jour où il s’est senti suffisamment à l’aise de partager cette partie de son identité avec sa famille et ses amis. Dix ans plus tard, ce même jeune homme est devenu un homme confiant. Libéré depuis longtemps de la terreur d’être découvert, il avait appris à accepter sa différence et était même devenu un chef de file dans sa collectivité, où il défendait notamment les droits de la communauté queer. Il croyait que le monde était en train de s’améliorer.

Puis, un soir de décembre 1996, cette confiance a été ébranlée. Alors qu’il rentrait chez lui à pied avec des amis après être allé au pub, une voiture a freiné brusquement et trois adolescents ont bondi hors du véhicule. Ils lui criaient entre autres : « Tu vas crever, pédé », tout en le frappant au visage avec un démonte-pneu. La chirurgie reconstructive qu’il a eue ensuite a été l’étape la plus facile. La confiance nécessaire pour marcher dans la rue en tenant la main d’un autre homme, elle, a mis beaucoup plus de temps à guérir. La police a refusé de qualifier l’incident de crime haineux, le classant plutôt comme un accident de la route. Heureusement, je doute que ce soit toléré aujourd’hui.

Comme certains d’entre vous l’ont peut-être deviné, ce jeune homme se tient aujourd’hui devant vous au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Wilson : Quand je repense à ces périodes de ma vie, je me demande souvent où je serais aujourd’hui si les choses avaient été différentes, si j’avais été forcé de dévoiler mon homosexualité à l’école secondaire et si j’avais été la cible d’intimidation ou même si j’avais été agressé à l’époque, si je n’avais pas été protégé ou si mes droits n’avaient pas été respectés. Malheureusement, nous constatons aujourd’hui que beaucoup de jeunes risquent de perdre ces droits. Nous constatons sans arrêt que l’intolérance qui a conduit à mon agression est toujours bien présente, et même en recrudescence dans notre pays, alimentée par des politiques de division qui mettent en danger les communautés minoritaires.

Chers collègues, transportons-nous maintenant 20 ans après la proclamation de la Charte. En 2002, dans une petite ville du Sud du Manitoba, un adolescent a eu la tête enveloppée de ruban adhésif et frappée contre un mur pendant que ses bourreaux lançaient des insultes homophobes que je ne répéterai pas ici. Pendant ce temps, des enseignants étaient présents et faisaient semblant de ne rien voir.

Quand ce garçon est retourné à l’école lors du premier jour de la 9e année, des camarades de classe l’ont accueilli en lui jetant des ordures et en lui criant d’autres insultes homophobes. Quel environnement terrible pour un jeune qui tente de s’instruire et de s’épanouir.

On souhaiterait qu’il s’agisse là de vestiges et d’opinions du passé et que la société ait évolué. Cependant, il y a seulement deux ans, des parents habitant dans la même collectivité au Manitoba ont tenté de faire interdire des livres traitant de thèmes liés à la communauté 2ELGBTQIA+ dans les bibliothèques publiques. Je ne peux qu’imaginer ce que peut ressentir un jeune qui s’identifie comme queer dans un tel environnement.

Il y a deux ans également, en Colombie-Britannique, un enfant non binaire sanglotait en regardant les informations avec son père. La Saskatchewan avait recours à la disposition de dérogation pour empêcher toute contestation judiciaire d’une loi visant à obliger les enseignants à divulguer les pronoms choisis par leurs élèves.

La province a eu recours à la disposition à titre préventif, même si un juge l’a avisée que la loi pourrait causer des torts irréparables aux élèves vulnérables. La personne adolescente qui regardait les informations depuis une autre province avait clairement compris l’avertissement : une telle chose pourrait également se produire dans sa province.

Honorables sénateurs, alors que je préparais cette intervention, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec la mère d’une jeune fille transgenre. Afin de protéger la famille, je me contenterai de dire que ces gens vivent quelque part au Canada. Voici ce que m’a dit la mère :

Nous n’avons pas demandé un enfant transgenre. Personne ne souhaite une vie plus difficile à son enfant. La vie des enfants transgenres est débattue dans les assemblées législatives du monde entier […] Des gouvernements décident sur un coup de tête si notre enfant est autorisé ou non à exister. Certains chefs de parti et candidats aux élections sont prêts à sacrifier la vie d’enfants transgenres strictement pour gagner des votes auprès de leurs concitoyens. Notre enfant est comme n’importe quel autre : elle veut jouer, apprendre et grandir. Nous n’avons pas demandé d’avoir un enfant transgenre, mais cela nous a permis d’avoir une vie meilleure, plus riche et plus épanouie. Elle est exactement ce qu’elle est censée être.

Cette famille, que je connais personnellement, craint qu’un futur gouvernement ait recours à la disposition de dérogation pour cibler la communauté transgenre à des fins politiques. Pouvez-vous imaginer vivre dans la peur de la démocratie au Canada?

Honorables sénateurs, bien que ces histoires soient bouleversantes et pénibles à entendre, elles ne représentent qu’une infime partie de ce qui se passe au Canada en ce moment et ne sont que celles tirées de ma propre expérience et de celles de personnes proches de moi.

Elles nous rappellent les conséquences humaines de la discrimination. Malheureusement, dans bien des cas, ce sont les jeunes qui en subissent les conséquences.

Bien que les gouvernements provinciaux toutes allégeances confondues aient eu recours à la disposition de dérogation depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, comme l’a fait remarquer le sénateur Harder, on a vu plus récemment les gouvernements populistes défendre cette disposition pour cibler des groupes bien précis. Ce fait est indéniable.

Compte tenu de la diversité au sein du Sénat, je n’ai qu’à regarder autour de moi pour savoir que nombre d’entre vous ont vécu des expériences similaires de discrimination au cours de leur propre vie. C’était peut-être lié à votre genre, à votre race ou à vos origines culturelles, mais je suis convaincu que vous avez vécu ce genre de choses.

Je vous encourage tous à parler de ces expériences, ainsi que de celles de vos proches, et peut-être même à les inclure dans vos propres observations à propos de ce projet de loi. C’est en cultivant la compréhension et l’empathie que nous grandirons collectivement pour devenir meilleurs et mieux faire les choses.

Bien que la mise en œuvre d’un cadre régissant l’utilisation de la clause dérogatoire dans un contexte fédéral n’ait pas d’incidence directe sur les décisions des provinces qui ont choisi une autre voie, elle représente une occasion pour le Canada, et pour nous, qui sommes ici, de montrer l’exemple. Au fil du temps, cet exemple pourra être suivi par une province, puis par deux, puis par d’autres encore.

Il suffit de regarder au sud de la frontière pour se rappeler à quel point la démocratie peut être utilisée comme une arme. Beaucoup de personnes sont expulsées des États-Unis parce qu’elles ont tenté d’offrir une vie meilleure et, dans de nombreux cas, plus sûre à leurs enfants et à eux-mêmes.

Nous ne devons pas prétendre que le Canada est à l’abri. Nous voyons ici aussi les premiers signes d’un mouvement populiste qui menace les droits des minorités.

Honorables sénateurs et sénatrices, le projet de loi dont nous sommes saisis est d’une importance capitale. J’encourage chacun d’entre vous à appuyer ce projet de loi et à veiller à son adoption rapide par cette Chambre.

Ce faisant, nous enverrons un message fort et sans équivoque, à savoir que le Sénat soutient la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que les valeurs et les croyances qui caractérisent le pays, tant à l’échelle nationale qu’à l’étranger.

Peut-être qu’un jour, cette fille transgenre prendra la parole ici en tant que sénatrice et que son premier discours portera sur l’économie.

Merci.

Des voix : Bravo!

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