Deuxième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada

Par: L'hon. Danièle Henkel

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Alexandra Bridge across the Ottawa River, Ottawa

L’honorable Danièle Henkel : Honorables sénateurs, le projet de loi C-5 traduit un engagement majeur : relancer l’économie canadienne après des années de sous-investissement.

Notre Chambre de second examen objectif dispose d’une occasion unique de veiller à ce que ce projet de loi crée de la valeur pour toute l’économie.

Je souhaite remercier et féliciter tous les collègues qui ont déjà participé au débat et qui ont permis d’éclairer les enjeux essentiels que soulève ce projet de loi.

Au cours du comité plénier, des préoccupations légitimes ont été soulevées en matière environnementale, de droits ancestraux des peuples autochtones, ou encore sur la portée du concept de « projet d’intérêt national ».

Permettez-moi cependant de soulever un paradoxe troublant : on ne peut prétendre relancer l’économie sans y associer pleinement celles qui en sont le moteur au quotidien : nos PME.

Le projet de loi C-5 ne peut ignorer les PME et nous ne pouvons pas laisser passer cela.

Forte de plus de 30 ans d’expérience en tant qu’entrepreneure, j’ai acquis une compréhension aussi profonde qu’intime du rôle central que jouent les petites et moyennes entreprises, les PME, dans notre économie. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai choisi de siéger au Sénat. Je veux être la voix des PME et m’assurer qu’elles ont leur place à la table où se prennent les grandes décisions économiques.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les PME représentent 98 % de toutes les entreprises au Canada et 54 % de l’emploi total, en plus de contribuer à près de la moitié de notre PIB.

Pourtant, elles semblent désespérément invisibles dans les appels à projets et les marchés publics gouvernementaux.

D’après les chiffres publiés par Services publics et Approvisionnement Canada, en 2008, la part des contrats fédéraux accordés à des petites et moyennes entreprises était de 38 %, de 32 % en 2022, de 24 % en 2023 et de 20 % en 2024.

Il est à noter que, durant cette période, il se peut que des PME aient été absorbées par de plus grandes entreprises ou rachetées à l’international. Pourtant, le nombre de PME a continué d’augmenter, ce qui rend ces chiffres encore plus alarmants.

Cette chute n’est pas un accident et résulte d’obstacles systémiques identifiés depuis des années.

Plusieurs rapports parlementaires de grande qualité — notamment ceux du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires (OGGO) publiés en 2009 et en 2018 — ont mis en lumière certains obstacles majeurs.

Parmi ces obstacles, le comité de l’autre endroit a notamment soulevé les suivants : premièrement, la complexité excessive des processus d’approvisionnement et le volume important de documents à fournir. Qu’attend-on pour simplifier ces procédures et les adapter aux réalités des PME?

Deuxièmement, l’accès inégal à l’information et la complexité du langage utilisé. Comment se fait-il que les dossiers d’appels d’offres ne soient pas toujours identiques en français et en anglais? De plus, pourquoi le vocabulaire employé est-il si complexe?

Troisièmement, le manque de ressources humaines au sein des PME pour répondre aux appels d’offres. Comment peuvent-elles le faire quand le coût de participation est parfois supérieur à la valeur des contrats visés?

Quatrièmement, la priorité accordée systématiquement au prix le plus bas, au détriment de la qualité ou de l’innovation.

Finalement, les délais de paiement trop longs, qui pèsent lourdement sur la trésorerie de nos PME.

Ces obstacles systémiques touchent toutes les PME, mais leurs effets sont encore plus marqués lorsqu’il s’agit de groupes sous-représentés, comme les entreprises à propriété féminine.

Le gouvernement est clairement au courant du problème. Il a déjà fixé à 15 % le taux cible pour la participation des entreprises détenues par des femmes aux marchés publics. Entre 2023 et 2024, cette cible a été atteinte en ce qui concerne le nombre de marchés, mais aucune donnée n’a été publiée concernant la valeur de ces marchés. Il est essentiel que les entreprises détenues par des femmes ne soient pas confinées à des marchés de faible valeur, en particulier dans les secteurs à forte valeur ajoutée.

Un autre biais systémique qui freine encore, en 2025, le développement des PME détenues par des femmes est l’accès au financement. Les prêteurs posent aux femmes des questions subjectives qu’ils n’oseraient jamais poser à un homme. J’ai moi-même vécu cette expérience, comme bien d’autres.

Alors qu’on interroge un homme sur le potentiel de croissance de son entreprise, on demande à une femme de justifier ce qu’elle a déjà accompli et de détailler ses plans d’expansion. Puis, on lui pose des questions comme : « Comment comptez-vous concilier vie familiale et projet entrepreneurial? » ou encore : « Quelqu’un peut-il se porter garant pour vous? »

On demande fréquemment aux femmes, entrepreneures et de minorités visibles, si elles ont déjà essayé d’obtenir des contrats publics. La plupart répondent que non, pas par manque de volonté ou de compétence, mais parce qu’on ne leur a pas encore donné cette chance. À force d’exclusion, elles finissent par ne plus essayer.

Ces questions n’ont rien à voir avec la capacité et la crédibilité de leur entreprise. Pourtant, les mêmes doutes persistent. Sont-elles vraiment capables de répondre aux exigences des contrats? Peuvent-elles répondre au cahier des charges?

Pense-t-on vraiment qu’une PME investirait du temps et de l’argent pour soumettre une candidature si elle n’en avait pas les capacités? Ce raisonnement est totalement obsolète en 2025.

À tout cela s’ajoutent le manque d’accès aux réseaux d’investisseurs et la sous-représentation des femmes dans les comités de décision. Les données parlent d’elles-mêmes : selon le rapport de 2024 du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat, les entreprises détenues par des femmes ne reçoivent que 4 % des fonds de capital de risque au Canada.

Malgré les efforts considérables déployés pour informer les petites et moyennes entreprises, ou PME, pourquoi les résultats sont-ils encore insuffisants? Nous savons que le Bureau des petites et moyennes entreprises, la Banque de développement du Canada et de nombreux organismes régionaux ont investi massivement dans des séances de formation et des activités d’information. Pourtant, l’accès aux marchés publics demeure un défi de taille pour la plupart des PME.

Si l’information est facilement accessible et largement répandue, il ne s’agit pas d’un problème de communication; c’est le processus d’appel d’offres lui-même qui doit faire l’objet d’une refonte complète.

Voici quelques exemples de leviers concrets susceptibles de déclencher un véritable changement positif.

J’ai choisi de comparer deux plateformes d’achats gouvernementaux. D’un côté, la plateforme américaine GSA Advantage, qui centralise l’information et permet aux agences fédérales d’acheter à partir d’un guichet unique, à la manière d’un catalogue en ligne. De l’autre, la plateforme canadienne AchatsCanada, lancée en 2022, qui se contente de publier des appels d’offres, sans offrir de fonction transactionnelle directe. Le système canadien impose à nos PME beaucoup plus de lourdeurs administratives.

Je propose donc que le gouvernement fédéral exige des grandes entreprises et des sociétés d’État qui obtiennent des contrats publics qu’elles collaborent avec des PME, en fixant des quotas ou un pourcentage minimal de sous-traitance qui leur seraient réservés.

Je propose aussi l’inclusion de clauses comprenant des indicateurs pour mesurer les retombées réelles pour les PME et des incitatifs, fiscaux ou autres, qui pourraient être mis en place afin d’encourager activement ces partenariats.

Le gouvernement peut aussi s’inspirer d’exemples positifs tels que WEConnect ou Aéro Montréal, qui renforcent déjà les réseaux de fournisseurs et soutiennent un approvisionnement bien plus inclusif.

Enfin, pour que ces changements donnent des résultats positifs, les appels d’offres doivent valoriser davantage la qualité et l’innovation, au-delà du seul critère du prix le plus bas. Cette ouverture permettrait aux PME innovantes de mieux se positionner. On éviterait aussi que les contrats ne profitent toujours qu’aux mêmes soumissionnaires.

Honorables collègues, le projet de loi C-5 pourrait être une occasion en or de transformer les marchés publics fédéraux en un véritable moteur de prospérité nationale. Les marchés publics comptent pour 13 à 20 % du PIB du Canada. Les gouvernements ont un puissant levier pour stimuler l’économie nationale de façon à ce que personne ne soit laissé pour compte.

Nous avons besoin d’une nouvelle approche qui tient compte à la fois du rendement économique et de la responsabilité sociale. J’aimerais une économie florissante qui n’exclut personne, qui peut croître sans qu’on oublie les PME, et qui peut prospérer en soutenant ceux qui innovent tous les jours, souvent dans l’ombre.

Il est grand temps de regarder dans les coulisses de notre économie et de reconnaître celles et ceux qui la soutiennent discrètement. Derrière chaque PME, il y a un visage, une histoire, une volonté. Nous avons la responsabilité de leur tendre la main pour bâtir une prospérité qui soit à la fois durable et partagée.

Ce défi nous touche tous. Utilisons le projet de loi C-5 comme un véritable tremplin pour nos PME et nos communautés.

Merci de m’avoir écoutée. Meegwetch.

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