L’honorable Rodger Cuzner : Honorables sénateurs, cela fait presque deux mois que Ken Dryden nous a quittés, et compte tenu des hommages magnifiques et émouvants qui lui ont été rendus dans cette enceinte, je ne voyais pas la nécessité d’y ajouter mes propres réflexions.
Je sais que Ken aurait apprécié la gentillesse de ces hommages, même si, ayant mené une vie si riche avec une modestie sincère, il l’avait fait avec un certain malaise.
J’ai servi pendant sept ans avec Ken à l’autre endroit et j’ai continué à entretenir notre amitié après sa carrière politique. J’ai donc une assez bonne idée de ce qu’il représentait pour le Canada et de ce que le Canada représentait pour lui.
Ne vous méprenez pas, ce n’était pas un homme parfait. Je ne connais personne d’autre que Ken Dryden qui soit capable de transformer une phrase en un paragraphe, puis de transformer ce paragraphe en un livre à succès. En revanche, l’un de ses nombreux talents était son indéniable capacité à écouter les Canadiens, à comprendre leurs points de vue et à traiter des questions qui leur tiennent à cœur. Il avait un don remarquable pour saisir et exprimer les valeurs fondamentales des Canadiens.
Ces dernières années, nous avons eu l’occasion de discuter. Il commençait invariablement par me torturer à cause de mon affection de longue date pour les Maple Leafs de Toronto, puis la conversation prenait une tournure politique et gravitait notamment autour de l’effritement de la démocratie au sud de la frontière. Il se montrait très inquiet de la perte de confiance dans des institutions longtemps respectées, de l’omniprésence de la mésinformation et de la désinformation, et du fait que les citoyens choisissent un camp non en fonction de ses politiques, mais en fonction de leur identité. Il était troublé par le fait que, trop souvent, des slogans et des formules-chocs caustiques remplacent le dialogue sincère.
Il estimait également que, en tant que Canadiens, il ne fallait pas nous montrer suffisants ou satisfaits de nous-mêmes, car il pensait que les voix de l’extrême droite continueraient à éroder ce que nous considérons au Canada comme un discours politique approprié, compromettant ainsi le ton et la teneur du débat.
Je ne doute pas qu’il aurait partagé la vague d’inquiétude qui a déferlé sur le pays à la suite des récentes déclarations sur l’intégrité et l’indépendance de la GRC. Il croyait que les Canadiens attendaient de leurs dirigeants qu’ils préservent et protègent nos institutions, et non qu’ils les mettent en pièces.
Tous ceux qui connaissaient Ken savaient qu’il adorait lancer des piques et taquiner. En général, il le faisait vers la fin d’une conversation. Il disait quelque chose comme « Cuzner, je sais que tu n’es pas capable de faire grand-chose, mais fais au moins ce que tu peux ».
Sénateurs, dans ma déclaration d’aujourd’hui, je fais ce que je peux pour rendre hommage à Ken Dryden en dénonçant les propos obscènes et inacceptables, et pour encourager chacun d’entre nous à faire de même.
Ken Dryden aimait ce pays, et ce pays l’aimait en retour. C’était une personnalité emblématique du Canada, un grand homme et un ami cher.

