L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, j’étais censé promettre de parler pendant 45 minutes ou moins, mais j’ai promis 29 minutes au sénateur Manning.
Je prends la parole en tant que parrain du projet de loi S-239, Loi sur la prospérité canadienne. Il s’agit d’une nouvelle mesure législative visant à améliorer le commerce intérieur au Canada grâce à des modifications à la Loi sur la concurrence. Le projet de loi a pour objectif de contribuer à la baisse des prix, à l’élargissement du choix de biens et de services, à une croissance accrue de l’emploi et à l’augmentation de la productivité et de la prospérité pour les Canadiens. Il s’agit d’une mesure législative favorable aux consommateurs et aux entreprises qui peut contribuer à stimuler l’investissement et l’innovation partout au pays.
Plus précisément, le projet de loi habilitera un organisme spécialisé et indépendant, le Bureau de la concurrence, à formuler des recommandations visant à réduire les obstacles au commerce intérieur, tels que les réglementations inutilement anticoncurrentielles. Cette modification renforcera le mandat actuel du bureau, prévu à l’article 10.1 de la Loi sur la concurrence, qui consiste à mener, dans l’intérêt public, des enquêtes sur l’état de la concurrence dans un marché ou un secteur d’activité.
De plus, le projet de loi exigera que le gouvernement fédéral donne suite aux recommandations du bureau concernant la réduction des obstacles fédéraux au commerce intérieur dans un délai de 120 jours. Il encouragera également — sans toutefois l’exiger — les autorités provinciales, territoriales et municipales à faire de même en ce qui concerne la réduction des obstacles au commerce intérieur dans les limites de leurs compétences. Cette approche respecte le fédéralisme tout en contribuant à bâtir une économie canadienne plus compétitive et plus cohésive. Ces deux dernières mesures répondent à une demande formulée par le Bureau en 2023.
Je vais aborder cinq sujets aujourd’hui : premièrement, l’inspiration et le contexte de ce projet de loi; deuxièmement, les voix à l’appui de ce projet de loi; troisièmement, quelques mots sur le droit de la concurrence au Canada; quatrièmement, les détails du projet de loi; et cinquièmement, deux exemples illustrant comment ce projet de loi peut contribuer à améliorer le commerce intérieur.
Tout d’abord, l’inspiration. Pendant la pandémie, j’ai eu l’honneur de contribuer aux travaux du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité. Il s’agissait d’un groupe de travail composé de 12 sénateurs de toutes les affiliations, dirigé par le sénateur Harder. Notre objectif était d’élaborer des idées de politiques publiques visant à assurer la prospérité future des Canadiens. Plus de 70 dirigeants et experts éminents ont contribué à notre étude et répondu à nos questions.
Deux recommandations clés du rapport de 2021 du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité consistaient à supprimer les obstacles au commerce entre les provinces et les territoires et à réduire le fardeau réglementaire souvent excessif et redondant du Canada.
En ce qui concerne le commerce intérieur, notre rapport citait un document de travail de 2019 du Fonds monétaire international estimant que l’élimination des obstacles au commerce intérieur au Canada pourrait augmenter notre PIB de 3,8 %. Un document publié en 2022 par l’Institut MacDonald-Laurier, rédigé par Trevor Tombe et Ryan Manucha, a révélé que le gain à long terme pour le PIB pourrait atteindre 7,9 %, soit jusqu’à 200 milliards de dollars par an, ou l’équivalent de 5 100 $ par personne. Pour mettre les choses en perspective, cela représente suffisamment d’argent pour effacer plusieurs fois le déficit fédéral.
En ce qui concerne la deuxième recommandation du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité, qui vise à réduire les réglementations excessives, notre rapport souligne que le fardeau réglementaire du Canada est l’une des principales raisons pour lesquelles le pays occupe une place peu enviable dans le classement du rapport Doing Business 2020 de la Banque mondiale. En matière de facilité de faire des affaires, le Canada se classe vingt-troisième sur 190 pays. Le commissaire de la concurrence, Matthew Boswell, a souligné que l’Australie a atteint une croissance de 2,5 % de son PIB en 10 ans en appliquant une optique concurrentielle aux secteurs réglementés de l’économie.
Dans le cadre des travaux du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité, le sénateur Harder nous a incités à réfléchir non seulement aux objectifs de prospérité que devrait se fixer le Canada, mais aussi, et c’est tout aussi important, à la manière d’y parvenir. Comme je vais l’expliquer, ce projet de loi porte sur la manière d’y parvenir. Vous comprendrez en fin de compte pourquoi lorsque j’aurai terminé.
Je passe maintenant à notre contexte actuel. Alors que l’économie canadienne est menacée par un régime tarifaire imprévisible, le commerce intérieur et la concurrence revêtent une importance renouvelée. La bonne nouvelle, c’est qu’en mars, les premiers ministres du Canada ont pris conjointement les devants. Voici ce qu’on peut lire dans leur déclaration :
Les premiers ministres ont convenu de poursuivre leur collaboration pendant la mise en œuvre de leur plan commun visant à renforcer le commerce intérieur au Canada. L’Équipe Canada demeure inébranlable, unie et déterminée, prête à relever ce défi et tout autre qui se dressera sur sa route.
Depuis, les premiers ministres ont accompli de grands progrès pour améliorer le commerce intérieur. En juin, le Parlement a adopté la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada dans le cadre du projet de loi C-5 présenté par le gouvernement. En juillet, l’Ontario a signé le dernier des protocoles d’entente avec toutes les provinces et tous les territoires afin d’éliminer les obstacles au commerce intérieur. Toujours en juillet, neuf provinces et un territoire ont signé un accord qui permettra la vente interprovinciale directe d’alcool aux consommateurs d’ici le printemps prochain. En septembre, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il éliminerait les obstacles interprovinciaux pour les travailleurs des professions réglementées, leur permettant ainsi une plus grande mobilité dans leur recherche d’emploi au pays. La semaine dernière, le gouvernement fédéral et la totalité des provinces et des territoires ont signé un accord visant à éliminer les obstacles au commerce interprovincial pour de nombreux produits, à l’exception des produits alimentaires et de l’alcool, à compter du mois de décembre.
Le gouvernement fédéral a également pris l’initiative de bâtir une économie plus concurrentielle. Le budget comprend un plan pour améliorer la productivité, une nouvelle stratégie industrielle, des mesures visant à accroître la concurrence dans les secteurs des télécommunications et des services bancaires, ainsi que des restrictions proposées sur l’utilisation des accords de non-concurrence dans les secteurs réglementés par le gouvernement fédéral.
Dans ce contexte, et pour revenir à ce projet de loi, la Loi sur la prospérité du Canada renforcera les efforts de coopération des premiers ministres visant à améliorer le commerce intérieur. Le projet de loi S-239 favorisera l’établissement d’une feuille de route pour ces efforts grâce à l’expertise économique et juridique indépendante et éprouvée du Bureau de la concurrence.
De plus, les études et les conseils du bureau peuvent favoriser les efforts déployés dans une province ou un territoire pour réduire la réglementation anticoncurrentielle inutile, qui entrave également le commerce intérieur. Soyons clairs : il ne s’agit pas de remettre en question l’intérêt public de la réglementation, mais plutôt de réglementer de manière plus intelligente et plus efficace en favorisant la concurrence. Les Canadiens de partout au pays ont tout à gagner d’une concurrence accrue, surtout sous la forme de prix plus bas.
Au Canada, les secteurs réglementés comprennent les services professionnels, la vente d’alcool, les marchés publics, les télécommunications et l’aviation. Il ne fait aucun doute que les consommateurs canadiens peuvent voir matière à amélioration dans ces secteurs et dans d’autres.
Chers collègues, le projet de loi ne réinvente pas la roue. Comme je l’ai dit, le Bureau de la concurrence mène déjà des enquêtes sectorielles et des études de marché et formule des recommandations visant à accroître la concurrence. Depuis 2015, le bureau a présenté 90 mémoires aux organismes de réglementation, aux décideurs fédéraux et provinciaux et à d’autres intervenants du genre sur les moyens de réduire les obstacles à la concurrence. Depuis 2008, le bureau a publié 10 rapports à la suite d’études de marché dans lesquels il cerne des problèmes concernant la question de la concurrence et propose des solutions possibles. Par exemple, le bureau a réalisé une étude sur I’industrie du transport aérien en juin, et une autre est en cours sur le financement des PME.
Dans le prolongement de ces activités, les modifications prévues dans le projet de loi S-239 rendront les études et les avis du bureau plus efficaces, ce qui aidera notre fédération à bâtir une économie canadienne unique et plus forte. Je rappelle les modifications prévues : renforcer le mandat du bureau pour ce qui est d’étudier le commerce intérieur et les réglementations excessives et de fournir des conseils à ce sujet; obliger le gouvernement fédéral à donner suite aux recommandations du bureau; inciter les administrations provinciales, territoriales et municipales à s’engager dans la même voie.
Ces modifications feront une différence. Grâce à la mise en œuvre de recommandations sensées, l’augmentation du commerce intérieur et de la concurrence se traduira par une augmentation des revenus des Canadiens. Elle créera plus de possibilités pour les travailleurs, les investisseurs et les entrepreneurs. Elle se traduira par une augmentation des recettes fiscales qui peuvent servir à financer la santé, l’éducation, les infrastructures, la défense, la réduction du déficit et d’autres priorités. À terme, elle pourrait même permettre des réductions d’impôts.
Bref, le projet de loi S-239 peut contribuer à améliorer la prospérité au Canada puisqu’il permettrait de tirer un meilleur parti du Bureau de la concurrence en utilisant les ressources existantes, sans coût supplémentaire pour les contribuables. Peut-être que l’urgence économique actuelle est une raison suffisante pour agir rapidement.
J’en viens maintenant à mon deuxième sujet, soit les voix qui appuient ce projet de loi. Chers collègues, je suis conscient qu’aux oreilles de certains, le droit de la concurrence n’est pas très rock and roll. Mais quand les affaires roulent, tout roule.
Je suis honoré que le projet de loi soit appuyé par Lawson Hunter. Cet homme a occupé le poste de commissaire du Bureau de la concurrence de 1981 à 1985. Surnommé le « doyen des avocats spécialisés en droit de la concurrence », M. Hunter a joué un rôle déterminant dans la rédaction de la Loi sur la concurrence et il est récipiendaire de l’Ordre du Canada. Pour appuyer le projet de loi, M. Hunter nous a dit ceci :
Alors que le système commercial mondial devient de plus en plus protectionniste, il sera essentiel que la concurrence intérieure demeure ou devienne vigoureusement compétitive […] Le Bureau de la concurrence devrait jouer un rôle plus important et plus visible pour veiller à ce que les gouvernements et le secteur privé ne restreignent pas artificiellement la concurrence.
Je suis également honoré que le projet de loi soit appuyé par Sheridan Scott, qui a occupé le poste de commissaire de la concurrence de 2004 à 2009. Mme Scott nous a dit ceci :
Ce projet de loi donnera au Bureau de la concurrence de nouveaux outils importants pour encourager la concurrence au profit des consommateurs et des entreprises du Canada […] En cette période critique, il est essentiel d’éliminer tout ce qui fait inutilement obstacle à la vigueur de l’économie canadienne.
Ryan Manucha, dont j’ai parlé tout à l’heure, est un expert en commerce intérieur à l’Institut C.D. Howe. Il a dit ceci :
Le fait de lier explicitement la politique de concurrence à la réforme du commerce intérieur permet au Canada de s’aligner sur les pratiques exemplaires observées sur la scène internationale, notamment en Australie et dans l’Union européenne. Grâce à son expertise approfondie en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de promotion de l’ouverture des marchés, le Bureau de la concurrence est bien placé pour jouer un rôle clé à cet égard.
Keldon Bester est directeur exécutif du Canadian Anti-Monopoly Project. Il a déclaré ceci :
Le renforcement du commerce intérieur et celui de la politique de concurrence sont des outils essentiels pour lutter contre les oligopoles qui font grimper le coût de la vie au pays et plombent la productivité des Canadiens et Canadiennes. Alors que le Canada cherche à diversifier ses relations commerciales, il est plus important que jamais de pouvoir compter sur de tels outils.
Vass Bednar est directrice générale du Canadian SHIELD Institute. Elle est également coauteure d’un livre publié en 2024, intitulé The Big Fix: How Companies Capture Markets and Harm Canadians. Elle dit :
Les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent jouer un rôle important pour améliorer la concurrence au Canada. Une collaboration plus efficace à l’échelle de la fédération dans le cadre d’une approche pancanadienne — qui considère la concurrence comme un élément essentiel de la stratégie industrielle — peut contribuer à faire en sorte que les marchés soient plus souvent libres et équitables et qu’ils profitent ainsi aux consommateurs. S’engager à réduire les obstacles au commerce intérieur n’est que le début de ce travail.
Je remercie encore une fois le sénateur Harder de son appui à ce projet de loi et du leadership dont il a fait preuve au sein du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité — la source d’inspiration pour ce projet de loi. Je remercie le sénateur Harder d’avoir dit ce qui suit au sujet de ce projet de loi :
Dans son rapport de 2021, le Groupe d’action pour la prospérité exhortait tous les ordres de gouvernement à travailler ensemble afin de libérer le plein potentiel du marché intérieur canadien […] La Loi sur la prospérité du Canada répond à cet appel en favorisant la responsabilité et la coopération entre les provinces et les territoires. La réduction des barrières commerciales interprovinciales non seulement renforcera notre économie, mais elle créera des possibilités et de la prospérité pour les Canadiens et Canadiennes partout au pays.
Merci également à Jeff Brown, avocat spécialiste du droit de la concurrence, maintenant à la retraite, pour son apport important à ce projet de loi, à son domaine d’expertise et à la prospérité du Canada.
Pour conclure cette partie de mon discours, Matthew Boswell, l’actuel commissaire à la concurrence, s’est exprimé de manière positive sur les objectifs de ce projet de loi lors du Sommet canadien de la concurrence 2025, qui a eu lieu le 1er octobre dernier. Je le cite :
[…] nous devons éliminer les obstacles au commerce intérieur.
Ceux-ci constituent, fondamentalement, des obstacles à la concurrence.
L’environnement réglementaire complexe du Canada crée des obstacles inutiles pour les entreprises et les travailleurs. Nous ne pouvons pas bâtir une économie dynamique si les entreprises sont contraintes de se plier à 13 différents régimes de réglementation dans un même pays.
Agir rapidement pour éliminer ces obstacles et uniformiser les règles à travers le Canada permettra de libérer un potentiel économique important et de créer un marché plus dynamique — un environnement qui facilite la mobilité et la croissance d’un bout à l’autre du pays.
Il a poursuivi :
[…] nous devons favoriser un environnement réglementaire propice à la concurrence.
Tous les ordres de gouvernement (fédéral, provincial, territorial et municipal) doivent s’efforcer d’éliminer les obstacles qui limitent la capacité des petits acteurs à faire concurrence dans notre économie. Une réglementation intelligente devrait encourager l’innovation et l’entrepreneuriat, et non pas enraciner les acteurs dominants.
Je reviens à mon discours pour vous parler du droit de la concurrence, un sujet que tout le monde ne connaît pas.
Dans l’histoire économique, les lois sur la concurrence occupent une place centrale. Le droit de la concurrence, qu’on appelle « antitrust » aux États-Unis et parfois « anti-monopole », est une restriction légale du capitalisme qui protège les consommateurs et la libre entreprise. Essentiellement, dans notre contrat social, la concurrence est un bien public garantissant que les avantages du capitalisme profitent à la société. Ces avantages incluent des prix plus bas, un choix plus vaste et de meilleurs produits, ainsi que des occasions d’affaires, d’investissements et d’emplois.
Les économies concurrentielles sont source d’innovation et de prospérité. Les meilleures entreprises rehaussent les normes pour les autres. C’est pourquoi la législation canadienne protège la concurrence. Par exemple, les lois sur la concurrence empêchent, dissuadent et punissent les joueurs dominants, les cartels et les autres acteurs qui se livrent à de nombreuses pratiques commerciales déloyales. Ces pratiques incluent notamment la fixation des prix et d’autres formes de collusion, la commercialisation trompeuse et le rachat de concurrents pour créer un monopole et augmenter les prix.
Le droit de la concurrence dispose également de leviers souples, comme le rôle de consultant indépendant du Bureau de la concurrence, que le présent projet de loi renforce. En vertu du pouvoir en matière de commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, ce domaine du droit de la concurrence relève de la compétence fédérale.
Quant aux origines du droit de la concurrence, à la fin du XIXe siècle, la concentration de la propriété industrielle aux États-Unis entre les mains des requins de la finance constituait un problème majeur. John D. Rockefeller contrôlait le pétrole. Andrew Carnegie contrôlait l’acier. Cornelius Vanderbilt contrôlait les chemins de fer et les navires à vapeur. Jay Gould contrôlait le télégraphe. L’âge d’or était caractérisé par la corruption politique, le lobbying effréné, l’exploitation des travailleurs, le contrôle de l’information et la manipulation boursière. Avec les marchés libres et la démocratie en péril, il fallait faire quelque chose.
En 1889, craignant que la même dynamique ne se produise ici, le Canada a adopté la première loi moderne au monde sur la concurrence, qui s’intitulait la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Dans leur ouvrage The Big Fix, Vass Bednar et Denise Hearn disent ceci :
La force derrière cette loi canadienne de 1889 était Nathaniel Clarke Wallace, qui se décrivait comme un démanteleur de trusts, et qui était le président conservateur d’un comité parlementaire chargé d’enquêter sur les monopoles. La loi en question s’attaquait aux regroupements d’entreprises qui fixaient injustement les prix ou s’associaient pour agir comme des cartels […]
L’adoption de cette loi fut importante, même si elle finit par être édulcorée par le Sénat.
Sénateurs, après 136 ans, la rédemption est à portée de main.
S’attaquant aux requins de la finance, les États-Unis ont emboîté le pas au Canada avec la Sherman Anti-Trust Act en 1890. Ces dernières années, la concentration du pouvoir de marché dans le secteur technologique a ravivé l’intérêt pour le droit de la concurrence.
Au Canada, en 1985, le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney a promulgué la Loi sur la concurrence en vigueur aujourd’hui. Cette loi a fait l’objet d’importantes mises à jour ces dernières années. Parmi celles-ci, notons l’ajout de pouvoirs concernant la collecte d’informations pour les études de marché au moyen du projet de loi C-56, un projet de loi du gouvernement de 2023. Le Sénat a adopté ce projet de loi à l’unanimité en moins d’une semaine.
À l’instar des sénateurs, le premier ministre Carney aussi s’intéresse à la concurrence. Dans son livre, Values, il a écrit ceci :
Le cycle des nouvelles entreprises et des nouvelles idées qui supplantent les anciennes est au cœur de l’économie de marché, mais le dynamisme ne s’autoperpétue pas. Les pays doivent jalousement préserver les conditions qui le favorisent et s’évertuer à les entretenir […]
Plus une économie est décentralisée, plus elle peut être dynamique et, par définition, plus les leaders des secteurs économiques changent à mesure que de nouvelles idées intéressantes arrivent sur le marché. À l’inverse, la concentration conduit à la recherche de rente et à des efforts pour consolider les avantages existants […]
Une vigilance perpétuelle au nom de la concurrence est essentielle. L’avenir sera façonné par des entrepreneurs que nous ne connaissons pas encore.
Chers collègues, alors que j’achève cette partie consacrée à l’histoire du droit de la concurrence, vos expressions me font comprendre que la concision est le meilleur moyen de faire passer un message. J’avais promis de ne pas utiliser mes 45 minutes. J’avais également promis 29 minutes au sénateur Manning, et je suis un homme de parole.
Par conséquent, comme j’arrive à la 20e minute, je vais couvrir rapidement mes deux derniers sujets.
Le quatrième sujet concerne les détails du projet de loi S-239. Il s’agit d’un sujet simple, car le projet de loi ne compte qu’un peu plus de deux pages. Comme je l’ai mentionné, le projet de loi apporte trois modifications mineures, mais importantes, à la Loi sur la concurrence. La lecture de ce projet de loi ne sera pas fastidieuse, car il ne fait que deux pages.
Tout d’abord, le projet de loi renforce le mandat actuel du Bureau de la concurrence au titre de l’article 10.1 de la Loi sur la concurrence, qui consiste à mener des enquêtes sur l’état de la concurrence dans un marché ou un secteur d’activité dans l’intérêt public. Plus précisément, le projet de loi habiliterait le commissaire de la concurrence à formuler des recommandations aux institutions fédérales, provinciales, territoriales ou municipales au sujet :
[…] de toute entrave au commerce intérieur au Canada — y compris une loi, un règlement, une règle, une ordonnance ou un règlement administratif — qui, à son avis, a une incidence indue sur l’état de concurrence dans le marché ou l’industrie visés par l’enquête ou dans un marché ou une industrie connexes au Canada.
Comme je l’ai mentionné, nous ne réinventons pas la roue. Le Bureau de la concurrence peut déjà mener des études et formuler des recommandations en vertu de l’article 10.1. Toutefois, cette modification renforcera le mandat du commissaire et du Bureau afin qu’ils se concentrent davantage sur les questions relatives au commerce intérieur et aux règlements excessifs.
La deuxième modification apportée par le projet de loi consiste à exiger du gouvernement fédéral qu’il réponde dans un délai de 120 jours aux recommandations du Bureau concernant la réduction des obstacles fédéraux au commerce intérieur, y compris les règlements excessifs.
Comme les sénateurs le savent, exiger ou demander des réponses du gouvernement est un mécanisme de reddition de comptes raisonnable qu’on trouve couramment dans les lois et dans le cadre des travaux parlementaires. En ce qui concerne le délai de 120 jours pour les réponses du gouvernement, ce projet de loi s’inspire de trois lois fédérales récentes : la Loi sur la stratégie nationale sur le logement de 2019, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité de 2021 et la Loi canadienne sur les emplois durables de 2024.
De plus, le projet de loi encourage ou invite les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les administrations municipales à répondre aux recommandations du bureau en ce qui concerne la réduction des entraves au commerce intérieur sur leur territoire respectif.
Plus précisément, le projet de loi prévoit que le responsable d’une institution provinciale, territoriale ou municipale peut répondre à toute recommandation présentée à l’institution dans un délai de 120 jours. Il exige que le commissaire publie la réponse — ou, en l’absence de réponse, un avis en ce sens — sur un site Web accessible au public.
Dans le projet de loi, le terme « responsable d’institution » désigne le ministre fédéral, provincial ou territorial concerné, le fonctionnaire municipal en chef ou, dans le cas des sociétés d’État, le premier dirigeant de l’institution.
Les mesures du projet de loi relatives aux recommandations répondent à une demande formulée par le Bureau de la concurrence en 2023 dans son mémoire au gouvernement sur l’avenir de la politique de la concurrence au Canada. Le bureau a souligné que l’absence d’obligation pour les organismes concernés de répondre aux recommandations du bureau est une lacune importante dans la boîte à outils de la politique de concurrence du Canada. Le bureau a affirmé ceci :
Bien que toute recommandation du Bureau découlant des études de marché soit non contraignante, le régime devrait exiger des entités gouvernementales visées par les recommandations du Bureau qu’elles fournissent une réponse publique dans un délai raisonnable après la publication du rapport. Une telle exigence pourrait, si nécessaire, être limitée aux recommandations destinées aux entités du gouvernement fédéral.
Il poursuit en disant :
Dans la mesure du possible, les organismes de réglementation et autres organismes gouvernementaux concernés devraient être tenus de répondre aux recommandations du Bureau dans un délai raisonnable.
Comme je l’ai dit, l’obligation de répondre prévue dans ce projet de loi est limitée au gouvernement fédéral. Cependant, on y encourage également les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux à répondre.
Sur ce point, je suis conscient et vigilant quant aux limites de la compétence fédérale, en ce sens que je ne cherche pas à exercer un contrôle sur les institutions non fédérales. Toutes les compétences doivent être respectées, et ce projet de loi ne permettra pas au Bureau de la concurrence d’imposer des changements à qui que ce soit.
Au contraire, avec ce projet de loi, nous recherchons un échange d’idées constructif et un effort de coopération, en tirant parti de l’expertise économique et juridique du Bureau de la concurrence en tant que ressource canadienne commune, dotée d’une crédibilité et d’un savoir-faire exceptionnels.
Parallèlement, il est sensé inclure dans le projet de loi un libellé indiquant que tous les marchés canadiens — et toute la réglementation canadienne, y compris la réglementation provinciale — peuvent jouer un rôle dans l’accroissement de la prospérité du Canada. Si nous tentons de favoriser le commerce et la concurrence intérieurs sans tenir compte du grand potentiel des provinces à ce chapitre, nous n’irons pas très loin. Créer un environnement concurrentiel dynamique est d’une importance nationale, mais il faut un effort coordonné pour y parvenir.
Favoriser le commerce intérieur est un effort d’équipe canadien, et toute l’équipe doit avancer dans la même direction. Heureusement, c’est le cas. C’est au premier ministre du Canada et aux premiers ministres provinciaux que revient le mérite et, comme ils se sont entendus sur l’objectif, le projet de loi est là pour définir la façon de l’atteindre. Ces deux volets sont tout à fait complémentaires. Je suis certain que vous comprenez pourquoi et que vous comprenez ce que cela représente pour les Canadiens que nous sommes.
Sur cette note, pour conclure, permettez-moi de vous donner deux exemples concrets de l’effet de ce projet de loi pour améliorer le commerce intérieur et la concurrence.
En juin, le Bureau de la concurrence a publié son étude de marché sur la concurrence dans l’industrie du transport aérien au Canada. Le rapport recommandait d’accroître les possibilités d’investissement étranger afin de renforcer la concurrence. À mon humble avis, cela pourrait avoir une incidence sur la qualité, la disponibilité et le prix du transport aérien de passagers au Canada. Ajoutons qu’un service aérien inadéquat peut constituer un obstacle au commerce intérieur puisqu’il a une incidence sur le tourisme, la mobilité de la main-d’œuvre, les investissements commerciaux dans les régions mal desservies, et ainsi de suite.
Le gouvernement fédéral a fait quelques commentaires au sujet de cette recommandation. Toutefois, si le projet de loi S-239 avait été adopté, il aurait été tenu de répondre officiellement aux recommandations dans un délai de 120 jours, pendant que le sujet retenait encore l’attention du public, à la suite de la publication du rapport. Dans la situation actuelle, toutefois, 159 jours se sont déjà écoulés sans réponse officielle et sans obligation d’en fournir une.
Bien sûr, le temps qui passe atténue l’intérêt du public et des médias pour les rapports de ce genre. Cela donne peut-être à certains lobbyistes l’occasion de promouvoir des idées qui vont à l’encontre d’une augmentation de la concurrence et d’une baisse des prix. Il serait donc préférable d’exiger une réponse rapide, qui pourrait aussi entraîner des changements de politique.
Voilà un exemple au fédéral. Du côté provincial, le Canada est tristement célèbre pour ses obstacles interprovinciaux à la vente d’alcool. J’ai mentionné que les premiers ministres des provinces faisaient des progrès. En juillet, neuf provinces et un territoire ont signé un accord qui permettra la vente directe d’alcool aux consommateurs dès le printemps prochain.
Cependant, chers collègues, qu’en est-il de la vente au détail? Où se trouvent les vins de la Colombie-Britannique dans les succursales de la LCBO? Dans le National Post du 6 octobre, John Ivison écrivait ceci :
Même si la [vente directe aux consommateurs] entre en vigueur l’an prochain, cela ne résoudra pas le problème plus important de l’accès aux vins des autres provinces dans les magasins d’alcool.
Depuis des années, les États-Unis ont mis en place un système entre États [de vente directe aux consommateurs], qui ne représente que 8 % des ventes.
Une véritable réduction des obstacles commerciaux interprovinciaux permettrait aux magasins d’alcool provinciaux d’aménager des allées de produits canadiens, avec une place prépondérante pour les vins provenant des autres provinces.
M. Ivison souligne que le Canada est l’un des seuls pays au monde à ne pas autoriser la distribution de vin dans ses différentes régions. Un viticulteur de la Colombie-Britannique paie moins cher pour expédier une bouteille de pinot noir en Corée du Sud ou en Italie qu’en Ontario, au Québec ou dans les provinces de l’Atlantique. En fait, pour que le vin de la Colombie-Britannique soit vendu dans les succursales de la LCBO de l’Ontario ou dans la SAQ du Québec, un viticulteur de la Colombie-Britannique doit payer des majorations de 71 % et 130 % respectivement.
Le 10 novembre, un rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante indiquait que « des obstacles plus larges et profondément enracinés continuent de freiner la croissance, l’innovation et la concurrence en matière de commerce intérieur de boissons alcoolisées au Canada ».
Si le projet de loi S-239 est adopté et si le Bureau de la concurrence fait des recommandations visant l’élimination de tels obstacles au commerce intérieur, les gouvernements provinciaux seront encouragés et invités à répondre, peut-être avec une certaine attente du public en matière d’engagement, compte tenu des avantages potentiels pour les consommateurs, c’est-à-dire leurs concitoyens.
En conclusion, le projet de loi sur la prospérité du Canada ne coûte rien et a le potentiel de contribuer à faire baisser les prix pour les Canadiens et à augmenter le PIB du pays. Qu’est-ce qu’on attend? Appuyons le leadership de nos premiers ministres et créons notre propre prospérité.
Pour ma part, alors que notre fédération — nos partenaires fédéraux, provinciaux, territoriaux et autochtones — se serre les coudes pour relever les défis actuels, je n’ai jamais été aussi fier d’être Canadien. C’est pourquoi je présente ce projet de loi en tant que petite contribution, je l’espère, à l’effort économique du pays. Je vous demande de bien vouloir l’appuyer. Merci, hiy kitatamihin.

