Les petites et moyennes entreprises représentent 98 % des entreprises canadiennes, emploient plus de la moitié de notre main-d’œuvre et génèrent près de la moitié de notre PIB. Elles sont partout, elles sont dynamiques, elles sont essentielles.
Et pourtant, elles restent dramatiquement invisibles quand vient le temps de leur donner accès aux marchés publics fédéraux, un levier économique colossal représentant entre 13 % et 20 % de notre PIB. En juin dernier, au Sénat, j’ai rappelé cette réalité : la part des contrats fédéraux attribués aux PME est passée de 38 % en 2008 à seulement 20 % en 2024. Une chute vertigineuse alors même que le nombre de PME a continué de croître.
Pourquoi ? Parce que les obstacles sont connus et qu’on les laisse perdurer.
Des rapports parlementaires, des comités, des analyses : tout a été dit. Des processus trop complexes, un vocabulaire administratif dissuasif, une information inégale entre le français et l’anglais, des coûts de candidature qui dépassent parfois la valeur du contrat, des retards de paiement interminables, des biais de perception.
Ces barrières découragent nos entrepreneurs et frappent encore plus fort celles et ceux qui viennent de groupes sous-représentés : femmes entrepreneures, minorités visibles, Autochtones, jeunes fondateurs sans réseau. Combien de fois ai-je rencontré des entrepreneures contraintes d’abandonner un appel d’offres pour ces raisons ? Forte de mon expérience d’entrepreneure aux prises avec ces biais, j’ai choisi, comme sénatrice, de porter la voix de celles et ceux qui les subissent.
Il ne s’agit pas seulement de « paperasse » : il s’agit de justice économique. Derrière chaque appel d’offres inaccessible, ce sont des emplois, de l’innovation et des revenus qui échappent à nos communautés.
Et cette fragilité se double de chocs extérieurs. Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, près d’une PME sur cinq qui subissent les tarifs douaniers américains risque de disparaître d’ici six mois si rien ne change, et six sur dix disent avoir été touchées par les contre-tarifs canadiens eux-mêmes. Dans ce contexte, les marchés publics ne sont pas seulement un levier économique, ils peuvent devenir une option de rechange essentielle pour garantir des revenus et préserver nos emplois locaux.
Or, cette option ne doit pas rester théorique : on ne peut pas se dire « prospère » si l’on continue à réserver les gros contrats aux mêmes sociétés, année après année.
Le gouvernement a bien fixé des cibles, par exemple pour les entreprises détenues par des femmes. Mais les résultats concrets, en valeur réelle, se limitent à des pourcentages symboliques. Il est temps de passer à des clauses contractuelles claires, à des indicateurs de retombées économiques réels et à des incitatifs pour que les grandes entreprises partagent la valeur.
Dotons-nous des bons outils. Les États-Unis l’ont compris avec GSA Advantage : un catalogue en ligne clair, un guichet unique, des démarches simples pour les PME. Faisons de même. Modernisons enfin AchatsCanada, trop lourd et inadapté aux réalités de terrain.
Allons plus loin. Exigeons que les grandes entreprises et les sociétés d’État réservent une part substantielle de leurs contrats publics aux PME, au-delà de simples partenariats symboliques, pour que les retombées économiques soient concrètes et partagées. Incitons fiscalement les grandes entreprises qui joueront vraiment le jeu.
Soutenons les réseaux comme WeConnect ou AéroMontréal, qui développent déjà un approvisionnement plus inclusif. Osons miser sur l’innovation : cessons de privilégier systématiquement le prix le plus bas, qui étouffe la créativité et pénalise les solutions durables.
Nos PME ne demandent pas d’aumône : elles sont prêtes et compétentes. Il est temps que les marchés publics deviennent leur tremplin, plutôt qu’un obstacle.
Derrière chaque PME, il y a des femmes et des hommes qui prennent des risques, qui innovent, qui créent des emplois dans nos communautés. Les laisser à l’écart des marchés publics, c’est priver le Canada d’une partie de sa vitalité. Leur ouvrir enfin la porte, c’est choisir un pays plus juste, plus audacieux, plus fidèle à son potentiel. Voilà le Canada auquel je crois.
Entrepreneure et sénatrice indépendante (Québec, division d’Alma), l’autrice est reconnue pour son engagement en faveur d’un entrepreneuriat inclusif, de la francophonie économique et de la prospérité des PME.
Cet article a été publie dans Le Devoir le 16 septembre 2025.